[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé]

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Message par Thierry d'Anjou Mer 2 Jan - 21:33

Tout le long du trajet depuis le château des Monthoux, Jérémie avait suivi sa marche en silence. Il ne lui avait adressé pas un mot. Ils parleraient seulement en lieu sûr.
Une fois dans l'église, Thierry inspecta l'endroit et alla trouver l'un de ses servants pour lui intimer sévèrement l'ordre de ne pas le déranger, qu'il devait œuvrer un dossier sérieux. Il s'éloigna ensuite vers son bureau, toujours suivi de Jérémie. Rapidement, il ferma à clé la lourde porte en bois de chêne. Personne ne viendrait les importuner dans une discussion compromettante. Il tourna la tête et observa son espace de travail : un lieu clos, sans aucune fenêtre.
Son visage change, devint plus détendu, enjoué même. Il dévisagea Jérémie qui demeurait aussi raide que l'une de ces statues près de l'entrée.


"J'aurais dû te laisser près de la porte : tu aurais même une décoration admirable ! Pygmalion lui-même su sculpter meilleure création !"

Il s'amusa de ce petit trait d'esprit puis s'avança vers le secrétaire en bois d'ébène. Le prêtre s'assit nonchalamment dessus et sourit à son interlocuteur.

"Je te prie de bien vouloir pardonner mes manières et cette invitation des plus grossières mais il s'avère que tu n'es pas la personne la facile à recevoir. Cela étant, à présent que nous sommes seuls, loin des parasites, mets-toi donc à l'aise."

a la maigreur inquiétante de l'homme, Thierry songea que celui-ci devait être sous-alimenté et avoir faim. Il se rappela ce que Claire avait mentionné sur l'alimentation des esclaves chez les Monthoux. Il se pencha pour attraper une corbeille de fruits et inviter son hôte à se servir.


"N'hésite pas à en prendre autant que tu le voudras."
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Message par Le Cent-Visages Mer 2 Jan - 22:35

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


Les rues avaient glissé comme des spectres autour de Jérémie tout le long de son chemin. Plus rien n'avaient attiré son regard et ses pas s'étaient faits mécaniques sur les pavés humides. L'esclave avait eu mal. Très mal au fond de ses entrailles. Derrière le masque de son visage fermé et de son souffle à peine perceptible, il n'était pas échappé une seconde de la hantise de ce qui l'attendait. Quelles interrogations allaient lui être posées ? Et quels tourments lui infligerait-on ? L'esclave eut la sensation de sentir déjà ses os éclater, de souffrir aux clous qui rouvraient les longues zébrures tout le long de son dos. Pourtant, il avait gardé la tête haute et le regard lointain. Ses poings ne se desserraient pas.
Oh il avait bien pensé, l'espace d'un instant, à fuir. Loin. Courir brusquement jusqu'à ce que le prêtre perde sa trace. Mais il s'était retenu. Un tel acte serait mis sur le compte d'une récidive de fuite. Et s'évader était la meilleure solution pour qu'on le reconnaisse déjà comme coupable. Jérémie s'était résigné à suivre Thierry -- venu le chercher sans aucun garde d'ailleurs, curieux. Courage...

Il s'étonna de voir le père d'Anjou se diriger vers l'église et non à la prévôté. Une fois entrés, il pencha respectueusement la tête en passant près de l'employée à laquelle Thierry s'adressait. L'esclave avait les mains dans le dos, le visage fermé et les yeux pierreux. Il restait debout dans un coin de la pièce quand le religieux lui adressa une étrange plaisanterie quant à sa raideur de statue. Ses traits demeurèrent impassibles, comme il ne savait pas de quelle façon réagir.

La suite du discours le surprit également. Les parasites ? Parlait-il ainsi des nobles ? Jérémie fronça les sourcils. Il redouta un piège et garda le silence. L'esclave entrouvrit la bouche sous le coup de l'étonnement, quand le prêtre lui présenta à manger. Une copieuse corne remplie de fruits. Mais Jérémie demeura immobile. Beaucoup trop d'émotions s'étaient succédé en si peu de temps. La terreur, la mort dans l'âme, le courage face aux ombres de la torture... puis l'incompréhension totale et la méfiance.
Sans dire un mot, Jérémie dévisagea le père Thierry comme pour tenter de lire en lui.
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Message par Thierry d'Anjou Mer 2 Jan - 23:29

Planté au milieu de la pièce, Jérémie contemplait toujours le prêtre de son regard inquisiteur. Ses pupilles se concentraient et cherchaient à percevoir les secrets de son âme. Thierry le fixait lui aussi et comprenait son trouble. A sa place, lui non plus n'aurait pas osé ouvrir la bouche. S'il désirait un réel entretien, une discussion posée sur des sujets dangereusement brûlant, il devait lui montrer la preuve de sa bonne foi.

Se laissant glisser du secrétaire, Thierry traversa la pièce avec mollesse, les pieds traînants, vers l'une des parois. L'hésitation le saisit avant de poursuivre son geste. Agissait-il de manière bien raisonnable ? En dévoilant ces documents cachés au secret, il s'exposait à un grand danger. Il prit un long temps de réflexion, calculant le risque. Si l'esclave tentait de le dénoncer, il pourrait nier.  Que vaudrait sa parole contre la sienne ? Par prudence, cette nuit, il changerait sa cachette à une autre partie de l'église. De toute manière, c'était dans ses habitudes : il ne les gardait jamais trop longtemps à un même emplacement. La routine entraînait un relâchement de la vigilance. Toujours rester en alerte, voilà le secret pour durer.

Cachant le mur de son corps pour empêcher Jérémie de voir ses gestes, il entreprit de tapoter une pierre qui pivota ensuite sous ses doigts. Derrière reposaient des feuillets. il s'en empara précieusement, referma soigneusement la petite porte dérobée puis se retourna. A cet instant, son cœur résonna fort dans sa poitrine et battit à ses fort. L'angoisse, l'excitation et l'appréhension se disputaient. Il n'avait vécu un tel sentiment depuis bien longtemps.

Lentement, très lentement, il revint à Jérémie et lui tendit les feuillets.

Son cœur battait de plus en plus fort de remettre ces thèses écrites par le moine Luther qu'il avait eu un mal fou à dénicher. L’homme ne les avait sans doute jamais parcouru mais il devinait que celui-ci en aurait entendu parler. Ses oreilles devaient régulièrement trainer partout et surprendre toute conversation susceptible de l'élever.


"Qu'en dis-tu ?"
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Message par Le Cent-Visages Dim 6 Jan - 13:08

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


Les pupilles tranchantes de Jérémie suivirent les mouvements lourds du prêtre, qui semblait pris dans de complexes pensées. Presque un combat intérieur. Comme s'il avait quoi que ce soit à craindre de lui, un insignifiant esclave. Soudain, il le vit tirer d'une cachette secrète un ouvrage sans doute peu recommandable. Thierry revint en face de lui et lui présenta le texte. Celui de Luther. Qu'en pensait-il, demandait le religieux... Jéémie restait encore méfiant. Et s'il s'agissait d'une ruse pour mettre un hérétique en confiance et le laisser se piéger lui-même ? Bien entendu, l'esclave connaissait les textes de Luther pour les avoir fréquentés en secret chez un autre noble où il avait dû se rendre. Cependant il fallait être prudent. Jérémie répondit d'une voix doucereuse et faussement naïve :


-- Je ne sais pas, je n'ai jamais lu cela. (puis dans un début de sourire) Vous dites-moi, qu'est-ce ?
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Message par Thierry d'Anjou Dim 6 Jan - 14:08

Thierry contempla attentivement l'homme étudier les écrits apportés mais celui-ci savait parfaitement se dissimuler. A un moment, un millième de seconde, il lui sembla apercevoir une lueur dans son regard. Mais n'était-ce pas sa projection ? N'essayait-il pas de voir ce qu'il espérait ? L'homme continuait à nier, à jouer au naïf. Une grande prudence l'enveloppait, ce qui expliquait pourquoi il était encore en vie malgré son intelligence et son érudition, des qualités rares pour un esclave et qui aurait pu lui causer des ennuis s'il n'avait pas su feindre.

Comment gagner sa confiance ?

Comment lui faire accepter l'idée qu'ils appartenaient au même camp ?

La position était délicate. De sa fonction de prêtre, évoquer le sujet de Luther ne pouvait s'avérer qu'un piège. Un piège grossier, qui plus est. Il avait évoqué chez son maître le désir de l’emmener pour l'interroger sur des questions hérétiques.  Cela s'avérait donc légitime et naturel que l'homme soit dans un état de totale de méfiance. Pour lui, reconnaître ces écrits signifiait signer son propre arrêt de mort.

S'adossant au bureau, Thierry porta la main à son menton. Une idée lui vint. Elle était si naturelle pour lui que celle-ci parut folle. Il hésita encore puis se décida. face à l'incertitude, il fallait avancer d'un pas plutôt que de reculer. C'était une règle du jeu d'échecs que Rebecca aimait à lui dire quand ils s'amusaient tous deux sur la terrasse. Elle devait être vraie puisque sa cadette réussissait toujours à le battre.


"Soit. Jérémie, je vais avoir recours avec toi avec quelque chose que je ne fais jamais. Mais nous avons besoin d'avoir confiance l'un envers l'autre, d'être... vulnérables. Alors, je vais dire la vérité."

Le prêtre se sentait jouer à l'apprenti sorcier, peu convaincu lui-même de sa propre démarche. Suivre les théories d'une fillette était-il sage que cela ? Il douta mais il devenait trop tard pour revenir en arrière.

"Je ne sais pas si tu te souviens mais je me trouvais sur la place, l'autre soir, quand ton sot de maître t'a réprimandé pour tes propos tenus dans une librairie. Sur le moment, je n'y ai prêté aucun attention. J'ai ensuite été occupé par d'autres tâches, plus urgentes. C'est seulement ce matin, par une de nos connaissances communes, que je me suis souvenu de toi, de ces reproches hérétiques que Monthoux te faisait mais sans me remémorer de quoi il s'agit exactement."

Il marqua une pause, posant en même temps sa main sur la croix pendue à son cou.

"Je ne suis prêtre que de fonction. En réalité, la foi est une notion qui m'est étrangère depuis des années. J'ai eu une éducation religieuse, j'ai essayé de croire, sincèrement, à ce qu'on m’enseignait, j'ai voulu répondre à ce qu'on attendait de moi.. Mais je me suis éloigné. Le ciel n'était à mes yeux qu'un grand espace ouvert où s'amusaient les élément, rien de plus. La foi que j'ai découverte il y a quelques jours, par notre connaissance commune, est si récente... Je ne suis pas certaine de pouvoir prétendre encore croire. Mais toutes ces années, je n'ai jamais cessé d'explorer le sujet, de vouloir comprendre, de savoir si quelque chose avait pu m'échapper... Le dogme chrétien est castrateur et étouffe la vérité que celui-ci tente d'imposer. Néanmoins, il me semble que c'est dans le doute, dans le questionnement qu'on est le plus amène à découvrir cette vérité, ou au moins s'en approcher, si nous sommes constamment à sa recherche..

Il fixa toujours Jérémie qui continuait à le regarder comme une statue, indifférent, en apparence, à son exposé.

"Voilà, tu en sais à présent plus sur moi que n'importe qui d'autre au monde..."
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Message par Le Cent-Visages Lun 7 Jan - 21:18

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


Le jeune homme plongea de plus en plus ses larges yeux charbonneux dans les pupilles du père Thierry à masure que ses confidences avançaient. Tout le corps du religieux criait son trouble et faisait tomber le masque de l'homme pieux et détaché qu'il montrait si souvent. Les traits de l'esclave se détendirent et son attention commença à se faire plus bienveillante.
Ainsi donc, cet émissaire de Dieu ne croyait manifestement que peu en Lui. Oh beaucoup de gens d'église se retrouvaient dans les ordres par défaut et s'accoutumaient au dogme appris ; assez peu devaient développer des idées et des doutes comme ceux que confiait Thierry ; beaucoup moins encore de ces individus devaient se risquer à se confier ainsi. La voix de Jérémie fit moins tombale lorsqu'il demande :


-- Pourquoi me confiez-vous tout cela ?


Quelle étrange situation, pensa-t-il. C'était lui qui confessait le prêtre. Lui, l'esclave amené pour subir la question, qui interrogeait.
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Message par Thierry d'Anjou Lun 7 Jan - 21:50

Cet entretien mettait de plus en plus mal à l'aise Thierry qui se tordait à présent les mains et ne parvenait à paraitre détendu. Une crispation nerveuse le saisissait. En imaginant ce projet, il ne songeait pas que les choses tourneraient ainsi. Désormais, face à cet esclave censé être insignifiant, il se retrouvait nu. Il lui avait livré tout de lui, ses doutes, ses idées, des bribes de sa jeunesse tourmentée... De lui-même, sans y être forcé. C'était... troublant.

Malgré ses confidences, malgré sa volonté de se montrer ouvert, le prêtre se raccrochait à porter dans une une ultime tentative de protection son masque de fermeté. Rester ainsi vulnérable ne l'angoissait que trop. Il sentait cependant que Jérémie s'ouvrait, qu'il gagnait peu à peu sa confiance. Son cœur tambourinait dans sa poitrine et hésitait à poursuivre. il ne savait plus quoi répondre, comment poursuivre.

Soudain, la voix de Jérémie résonna dans la pièce silencieuse et faillit le faire sursauter. Il s'essaya à répondre :


"Tu es un esclave instruit, très instruit même si je juge les références que tu as cité il y a quelques jours. Rusé aussi pour être capable de mener ainsi ta barque au nez et à la barbe de tes maîtres. Monthoux a beau être un fat sot, il n'accorde que peu de liberté à se esclaves. J'admire un tel esprit, une telle volonté de briser coûte que coute les interdits de la société. Cela me rappelle beaucoup ce que je suis, ce que j'aime être."

Il marqua une pause, hésitant, puis reprit :

"Mais je ne sais pas pour toi mais c'est étouffant d'être seul dans ce monde agaçant et pullulant d'imbéciles médiocres, de gens incapables de regarder la vérité en face, reproduisant les mêmes schémas de leurs pairs dans le seul but de paraitre important, d'être bien en vue. Autrefois, je les trouvais risible. Maintenant, il me dégoûte. J'ai besoin... d'une stimulation intellectuelle, quelqu'un avec qui je peux discuter et débattre sans préjugés, qui ne s'arrête pas aux idées définis par sa chère majesté."

L'intonation de ses dernières était devenue inquiétante cynique. A l'évocation du Roi, il semblait même que le prêtre allait cracher, come écoeuré par le souverain ou du moins ce que celui-ci représentait.
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Message par Le Cent-Visages Mer 9 Jan - 15:26

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


Le prêtre finit par quitter son état de crispation intense qui laissait Jérémie surpris : il n'était rien du tout, et le religieux venait de se trouver devant lui comme un fautif, comme un enfant défait. Il lui sembla alors que le père d'Anjou ne mentait pas. Ce serait mener la comédie très loin pour interroger un hérétique.
Un sourire arriva même à naître aux lèvres pierreuses de Jérémie quand l'homme le complimenta pour son intelligence et sa ruse. L'esclave ne se délecta pas moins des mots qui vinrent qualifier son maître et ne se vexa guère à l'idée de stimulation intellectuelle qu'il offrirait, paraissait-il. Voilà qui ne le dérangeait pas et serait plus intéressant que quelques-unes de ses besognes.

Il hocha sobrement la tête aux paroles de Thierry, surpris toutefois par sa façon bien cavalière de parler du roi. Jérémie le trouva sincère - ce qu'il devait être rarement.


-- Je vous remercie pour ces compliments. J'essaie de rester alerte et de trouver des objets intellectuels auxquels se raccrocher au milieu des travaux et des jours. (Un temps, il resta songeur au sujet des imbéciles médiocres évoqués par Thierry.) Certains en sont et se complaisent dans ce bonheur facile. Mais j'ose et espère croire que la plupart sont simplement ignorants, et consciencieusement entretenus dans cette ignorance tandis que des divertissements leurs donnent de quoi exister autrement. De quoi masquer l'ignorance. Et qu'alors, l'on agit par mécanismes pour les uns, par nécessité pour d'autres.


Sa voix était monocorde mais un fond d'énergie commençait à y naître par accents. Ses yeux déambulaient dans la pièce aux quelques livres, au mobilier sobre, puis s'arrêtèrent sur la table où attendait de la nourriture près des mains croisées du prêtre.
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Message par Thierry d'Anjou Mer 9 Jan - 16:32

En apercevant le sourire orner le visage strict de Jérémie, un second naquit sur celui de Thierry. Sa méthode fonctionnait ? Il avait réellement su le persuader de sa bonne foi ? Il écouta ce discours qui sortit de sa bouche et paraissait avoir une vision plus nuancée que la sienne au sujet de leur société. N'était-ce pas l'âge? Jérémie, malgré son vécu, était encore jeune et voulait encore croire que certains individus étaient sauvables, que seule l'ignorance maintenait le peuple et l'élite dans ces états d'esprit.

"Le peuple est ignorant par besoin. Le Roi, la noblesse, le clergé... Tous ces gens qui profitent et abusent de leur pouvoir, dont je fais moi-même partie, je n'ai point peur à le confesser, ont un besoin vital que ce bon peuple en sachent le moins possible. Les choses n'ont pas évoluées depuis la mort de Socrate. On redoute toujours autant que la jeunesse ne se mette en tête de mauvaises idées, peu conformes à ce que le régime désire inculquer. Sans doute à raison.. Si un jour, ce bon peuple devait comprendre à quel point on le manipule, il se révoltera vite et irait brûler abbayes et monastères, châteaux et palais... Un véritable chaos se déclencherait d'où naitrait je ne sais quelle autre forme de gouvernement. Leur ignorance évite cela et protège le Saint Royaume de Monbrina."

A cette dernière phrase, l'intonation du prêtre devint terrible cynique en prononçant particulièrement le mot saint.


"Le clergé se plait de cette ignorance. Cette vaste comédie à l'église, ces messes, ces rituels... Tout cela seulement pour diriger des fidèles qui croient naïvement aux sermons vides de sens que je peux leur dire. Je les écrit pour les flatter, leur donner l'envie de ce qu'ils veulent entendre, de ce qu'ils veulent espérer, que Dieu veille sur eux, qu'il saura les accueillir s'ils restent bons... Je me moque d'eux, ni plus ni moins, mais c'est ainsi. On m'a mis à cette place et la bâtisse est plutôt confortable, avec de bons privilèges... Niveau emploi, on trouve pire, pas vrai ?"

A nouveau l'intonation de sa dernière phrase est teintée d'un cynisme lourd et froid.

"Autrefois, j'appartenais à la noblesse, j'ai reçu une éducation digne de mon rang et de mon sexe, bien sur. Les femmes de la noblesse sont tenues, elles, dans une telle ignorance, comme si cette misérable du Serpent et de la Pomme devait toutes les punir. Pour éviter tout écart d'elle, on les empêche de réfléchir, de comprendre, on oriente leurs spectacles, leurs choix... Et cela, dès le plus jeune âge. Même les femmes du peuple subissent ce bafouement. je me souviens hier matin devant l'église... Je me rappelle clairement avoir entendu une conversation intelligente où deux femmes s'intéressaient, à leur niveau, à leur condition et où leur interlocutrice restait campée sur ses positions, refusant d'entendre, continuant à réciter bêtement les leçons apprises... Que veux-tu ? La majorité des êtres ne savent se remettre en question, préférant vivre dans un monde d'illusions qu'ils croient rassurant."

Son ton devenait légèrement moins cyniques. Des souvenirs lointains lui revenaient du fond de sa mémoire, ceux où il jouait insouciamment avec sa cachette, quand ils collaboraient ensemble pour éviter une punition, quand ils se retrouvaient pour lire un livre interdit, quand ils partaient vivre des aventures...

"J'ai eu une sœur autrefois... Elle aussi été éduquée ainsi, dans l'espoir de la rendre stupide. je ne comprenais pas à l'(époque. Ma mère m'expliquait que seuls les garçons recevaient l'éducation, que c'était la règle voulue par Dieu. Elle..."

Au même moment, les souvenirs et les émotions l'envahissaient et sa voix devenait de plus en plus tremblante. Ses yeux se fermèrent un court instant tandis que sa main s'accrocha sur la croix pendue à son cou. Il murmura dans une diction quasi inaudible :

"Qu'elle soit morte.... Pourvu qu'elle soit morte."
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Message par Le Cent-Visages Ven 11 Jan - 14:06

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


Jérémie écouta avec une distance respectueuse l'histoire personnelle du père Thierry. L'esclave n'était pas doué pour le témoignage d'empathie, aussi se contenta-t-il d'un lent hochement de tête et d'un regard solidaire. Notamment à l'évocation de sa pauvre sœur victime de l'éducation faite à bien des femmes. Y compris dans la noblesse. Il n'y avait qu'à voir comment Florentyna de Monthoux, sa maîtresse, avait été instruite de ses devoirs. Le jeune homme demeurait cependant toujours aussi étonné par la propension de ce prêtre à lui faire, à lui, toutes ces révélations intimes. Peu enclin à répondre sur ces domaines, il réagit plutôt comme il savait le mieux le faire : au volet intellectuel de la conversation.


-- Nous sommes d'accord, il y a une nécessité à l'ignorance. Et à remplacer la réflexion par une morale dont la généalogie nous amène à loin. Le bien et le mal absolus sont des cases faciles que l'on enseigne telles quelles sans prendre en compte les particularités de chaque situation. Quant au savoir... Oui, il relève du feu de Prométhée. Il apporte l'indépendance, mais aussi la peur du chaos : si demain, l'on faisait tabula rasa, l'on disait que la hiérarchie n'existe pas, que le néant et l'infini dont des propriétés de l'univers bien plus qu'une partition de cercles orchestrés les uns dans les autres.. sur quoi refonder un ordre civile et juridique ? Comment éviter un chaos ? Alors oui le savoir est aussi émancipateur... qu'angoissant. Profondément angoissant.


Un pli cassant apparut à sa lèvre à l'évocation du Saint Royaume de Monbrina.


-- Je suis fasciné par tous ces royaumes prétendument saints et dont les souverains, tous couronnés au nom d'un même dieu, s'affrontent. Un même dieu de chaque côté des belligérants : il y a une erreur dans l'équation. Ce dieu-là est une construction. (Un temps) Je suis croyant. Mais pas en ce qu'on nous vend.


A entendre le père Thierry causer de son travail et de manière cynique dont il l'appliquait, l'esclave demeura songeur. Combien de personnes pratiquaient leur office en ayant d'autres pensées derrière le masque ? Sans doute plus qu'on ne voulait le croire, espéra-t-il. En même temps qu'il écoutait, ses épaules carrées commençaient à se détendre. Ses mains sèches se décroisèrent dans son dos. Il s'amusa presque de se voir là, tenir cette conversation tout vêtu de ses hardes et alors que son maître le croyait au supplice. Qu'inventerait d'ailleurs Thierry lorsqu'il faudrait le ramener ?
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Message par Thierry d'Anjou Ven 11 Jan - 17:03

Thierry continuait à observer le jeune homme dont les traits du visage demeuraient toujours si inertes, si impénétrables. Il semblait de plus en plus que celui-ci soit réellement une de ces statues vouées à décorer un édifice religieux. Aucune émotion ne filtrait de son âme. Sa peau les étouffait. Il supposa à une protection. Une armure. De cette manière, ses maîtres non plus ne pouvaient lire en lui et surprendre le fil dangereux de ses pensées. Son esprit, lui, s’avérait redoutablement affûté et stimulant. Il ne se souvenait pas avoir croisé la route d'une autre personne aussi intellectuellement brillant, capable d'analyses concises et effaces.

" Le feu de Prométhée... Oui, toi et moi, nous ne faisons que cela : voler le feu que la société réprouve et dissimule loin des regards. Un feu qui pourrait nous brûler, littéralement, même si ce danger, paradoxalement m'amuse. Il m'aide à exister, à ne pas m'ennuyer dans cette vie médiocre, à rompre une routine qui m'horripile. Je suis toujours un enfant, à la vérité, un enfant qui recherche perpétuellement l'interdit et surtout à le repousser. Une tabula rasa ?

L'espace d'un instant, il laissa échapper un rire toujours teinté de son habituel cynique.


"Pardon. C'est nerveux. Je ne crois pas que tout changer à la société, ramener les hommes à un état originel, comme l'auraient été autrefois Adam et Eve, n'apporterait rien. De tout temps, les hommes se déchirent pour le pouvoir, organisent des guerres, complotent... C'est dans la nature, voilà tout. Même l'égalité ne serait pas possible. Si demain, notre bon Roi décidait de répartir toutes les richesses pour que chaque citoyen reçoive une part égale, rapidement, en quelques semaines, les inégalités reviendraient. Les dépensiers et autres personnalités peu prévoyantes s'appauvriraient tandis que d'autres trouveraient le moyen de faire fructifier leur écot. Non, une société a besoin de règles pour bien fonctionner, c'est indéniable. Sans loi, sans règles.. Nous serions des animaux. Les religions sont nés ainsi, je suppose, apporter un cadre en rappelant l'existence divine qui supervise nos gestes et encourage chacun à se conformer à ce cadre. Malheureusement, en s’étendant, ces religions nous étouffent en complexifiant les règles."

Son regard se lève pour se poser vers le grand crucifix incrusté dans un des murs.

" Tu es croyant ? Je suis surtout surpris d'entendre que ceux qui souffrent le plus sont aussi ceux qui croient le plus. Il y a... Non, c'est sans doute correct. Après tout, à l'origine, le Christ exprimait son message vers les opprimés, les femmes, tous les exclus et les parias de la société dans laquelle il est descendu. Il est sans doute naturel qu'au travers des siècles, jusqu'à aujourd'hui, ce message continue à être perçu par ceux qui ont le plus besoin de soutien."

Ses yeux se fermèrent et le visage pur de Claire lui apparut, si angélique, enveloppé d'une aura blanche protectrice qui lui réchauffait l'âme. Il se leva du bureau où il était adossé, caressant en même temps la croix pendue à son cou.

"Je suis moi aussi croyant. Depuis peu. Depuis il y a deux jours. Je n'oublierai jamais ce moment. Non, il ne pourrait jamais s'effacer de ma mémoire. Je me trouvais sur la grande place, la nuit était noire, froide, glaciale même. Je me tenais près d'un condamné subissant l’infamante exposition. Les gens étaient.. Oh, je te laisse soin t'imaginer combien la populace crasse se comportait avec ce pauvre garçon ! Et puis, elle est venue... La lumière... La lumière est apparue au milieu de l'obscurité, au milieu de la haine, au milieu de la colère au milieu des ténèbres. Elle était là. Elle se tenait là."

Au fur et à mesure que le prêtre parlait de son expérience, à partir de la lumière, ses paroles étaient plus exaltées.

"Elle s'est avancée vers le garçon et lui a donné à boire. Elle ne le connaissait pas. Elle n'est rien. Rien; Seulement une esclave, misérable, soumise, marquée par une cécité depuis sa naissance... Et pourtant, malgré toutes les raisons qu'elle aurait de désespérer, de se laisser aller à la haine ou l’ignorance, son âme a gardé une pureté que personne d'autre n'a en ce monde. Et elle comprend tout, d'instinct, bien mieux que ceux qui voient, que ceux qui savent. Elle... "

Portant la main à sa poitrine, Thierry sentait son cœur s'accélérer aux souvenirs des émotions de cette nuit-là.

"Oui, je crois depuis, j'ai senti ce moment-là quelque chose.. mais... Je ne peux pas l'expliquer. il n'existe aucun mot pour décrire cette force, cette puissance... c'est une émotion, une expérience que l'on doit éprouver dans sa chair, dans son âme."

Il marqua une pause, reprenant lentement son souffle, se sentant encore ému de ce grand moment. Il voulut se recomposer un peu. Sa tête se tourna vers le bureau et il aperçut la corbeille à fruits. Un rictus moqueur lui vint. il s'avança et se saisit d'une pomme pour la lancer vers Jérémie.

"Avant d'absorber la connaissance, il faut assimiler des nourritures plus terrestres."
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Message par Le Cent-Visages Ven 11 Jan - 21:50

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


Jérémie attrapa au vol la pomme que lui offrit Thierry et le remercia. Il ne se fit pas prier pour se remplir le ventre, petit morceau par petit morceau, en silence comme s'il ne fallait pas qu'on le repère. Il reprit avec un léger sourire lorsque l'homme réagissait à ses paroles :


-- Il est dangereux de jouer avec le feu, mon Père. C'est bien paraît-il ce que l'on dit aux enfants. Et pourtant sa chaleur est tentante. (Songeur) Je me suis d'ailleurs souvent interrogé longtemps sur cet "arbre de la connaissance du Bien et du Mal" de la Genèse. Quelle difficulté que de déterminer la limite dangereuse du savoir et de lui appliquer des interdictions. Et d'un autre côté, le savoir nous la fait lui-même toucher du doigt, cette impossibilité de tout connaître, de tout comprendre : plus on en sait, plus on ne sait rien disait le philosophe.


Il hocha la tête sobrement quand Thierry demanda pardon pour son rire nerveux. L'esclave pouvait comprendre cela. Un tel comportement lui arrivait parfois, même si son rire à lui était bien plus rare, bref, sec, coupant comme un silex. Quand Thierry aborda l'état de la société et ce qu'il faudrait y changer, ou éventuellement le désir bien vain de revenir aux origines, Jérémie réagit :


-- Je ne suis pas certain que l'état de nature soit la bonté. Encore moins la pureté. Si d'ailleurs il a ne serait-ce qu'existé. Il me semble relever de l'hypothèse fantaisiste, de la fiction pour nous aider à nous penser par comparaison. Non... Comme vous le dites, une part de violence est en nous. En la nature même. Les lois de la physique elles-mêmes sont violentes : une chose en absorbe une autre, ou fait pression sur une autre, un animal en mange un autre. Mais nous avons la chance de pouvoir apprivoiser cette violence, de la comprendre, de la sublimer ou de la dompter car souhaiter l'éradiquer est une naïve utopie. Là interviennent les lois humaines. Imparfaites mais en travail constant, les lois religieuses comme les civiques. Je voudrais leurs instigateurs capables d'humilité et de possible remise en question pour leur perfectibilité, mais ainsi que dit avant... il est bien aisé de se servir en premier quand la loi est en nos mains et de notre côté.


Un pli soucieux apparut ensuite au front de Jérémie en écoutant une nouvelle confession troublante du prêtre. Une lumière... Une esclave qui avait aidé le jeune condamné au pilori. Il ne fallut pas une seconde pour que l'esclave puisse donner son nom :


-- Vous parlez de Claire-Marie... Oui, je sais, elle m'a raconté cette soirée.


Le jeune homme demeura bien incapable de réagir plus avant, troublé par la façon dont ce religieux parlait de la frêle esclave. Il y sentait presque un amour. Peut-être pas forcément charnel, sans doute pas même -- il l'espérait -- mais un amour mystique, ou platonicien, l'admiration d'une image qui se serait révélée à lui dans la lumière d'une épiphanie. Et avec elle, un tournant dans sa foi. Jérémie songea à tout cela mais ne trouva pas de mots appropriés pour aborder le sujet. Il se contentera de se cantonner à cette dernière hypothèse et, pour changer de sujet, répondit sur sa foi :


-- En effet, et en faisant fi de ce qu'est devenue l'Eglise, et de bien des dogmes ajoutés les uns après les autres pour l'éloigner toujours plus de ses origines, c'est la figure du Christ qui me rattache à la foi. Sa vie, et les Écritures. Ma foi est... réflexive. Et aime à s'allier à la science au lieu de la prendre pour ennemie.
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Message par Thierry d'Anjou Ven 11 Jan - 22:45

Le prêtre observa Jérémie manger de manière timide le fruit, comme si celui-ci se cachait, comme s'il craignait que son maître était caché dans l'ombre, comme si sa férule allait brusquement le frapper dans le dos. Il baissa la tête. Il connaissait lui aussi ce sentiment. Ses parents, les moines qui voulaient le "dresser" au monastère... Il se rappelait même être resté une semaine en cellule sans manger, seulement à boire un peu d'eau, après une de ses tentatives d'évasion.

Il sourit de la petite pique moqueuse à son intention.


"Certains enfants n'aiment pas apprendre, mon fils. Ah ! Ce fameux arbre de la connaissance. Je crois que tout ceci n'est qu'idéologie, une façon infantilisante de manipuler les foules. Néanmoins, la connaissance en soi n'est pas un mal. Ce n'est pas ce qu'on sait qui est dangereux mais ce qu'on fait de ce qu'on sait. Apprendre, comprendre, raisonner.. Je ne crois pas qu'il n'y ait quelque chose qui soit blâmable dans ces désirs. Au contraire, comme l'évoque si justement ce philosophe que tu cites, chaque réponse que nous obtenons, chaque enseignement que l'on reçoit entraine un flot de nouvelles questions. C'est un cycle éternel mais que je me sens fier de suivre."

A la poursuite du débat, Thierry se tait, écoute et analyse, opinant parfois de la tête à certains arguments mais en réfutant d'autres.


"Il y a quelques jours, j'aurai effectivement réfuté cette idée de bonté naturelle, de pureté surtout. De ce que j'ai pu voir de ma vie, j'avais retenu que tout en ce monde n'était que vice et corruption. Mais quand je suis avec Claire, quand je parle avec elle..."

Il porta la main à sa croix, la caressant doucement.

"Face à sa douceur, sa bonté, sa générosité, je me sens devenir bon moi aussi. Je crois donc que le bon peut exister et celui-ci peut inspirer son exemple à d'autres, mêmes aux âmes les plus malfaisantes. J'étais un être si vil, méprisable...Mais la violence, comme tu le dis, fait partie aussi de notre être. Elle est si... facile. le plaisir de dominer, de se sentir supérieur, d'humilier... Je suis un si bon exemple des pires exactions dont l'homme aime tant se rendre coupable."

Il ferma ensuite les yeux, faisant le vide pour oublier toutes ces images qui lui venaient. Il les rouvrit quand Jérémie parla à nouveau. A son discours, son regard se posa sur le crucifix vissé au mur sur lequel était cloué la figure divine.

"Oui, le Christ est une entité que je reconnais, mais celui qui il était véritablement, celui qui parcourait la Galilée avec ses fidèles, qui parlait au peuple de mots simples, qui ne cherchait pas à embrouiller les esprits. Je n'aime pas au contraire sa mort. La Passion... Fonder une religion sur un événement si dramatique, sur l'expiation des péchés de l'humanité par une souffrance aroce.. on s'éloigne du message d'amour et de tolérance qui celui-ci prêchait. "



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Message par Le Cent-Visages Sam 12 Jan - 20:52

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


Jérémie porta la main serrée à son menton, réfléchissant à ce que lui disait le prêtre.


-- Pourquoi Dieu aurait-il en effet doté l'humain de la réflexion et d'un esprit conscient s'il ne pouvait s'en servir au meilleur de ses capacités. C'est donc en effet paradoxal que des prêcheurs tordent ce verset sur l'arbre de la connaissance pour maintenir certains dans l'amour de l'ignorance. C'est cependant trahir le texte car la formule exacte et entière est "l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal". Et je la trouve bien plus intéressante. Elle nous peut signifier que nous ne sommes rien pour imposer un bien et un mal absolus. Que cela appartient à Dieu. Ou n'existe simplement pas.


L'esclave aura un tendre sourire en entendant Thierry parler de Claire, de sa bonté, de sa manière dont elle a bouleversé sa croyance.


-- Il est vrai que rares sont les gens comme cette jeune fille et qu'elle ferait un bon plaidoyer en faveur du genre humain. Dans la souffrance, elle... (Il ne finit pas sa phrase, ne sachant comment ne pas être mièvre ni dire quelque chose de déjà admis entre eux.) A propos de souffrances, je pense pour ma part que celle de Jésus, ainsi que sa mort, sont fondamentales dans la foi chrétienne. Car cela fait partie de la condition humaine. Mais vous avez raison, il est stérile de limiter la foi et la vie du Christ à son sang. Il fut homme aussi pour le meilleur. Quelle peine que le goût de l'Eglise pour ses martyrs. Et cependant, malheureusement le martyr est le froment d'une croyance pour bien des esprits. Comme si l'on avait besoin de cette épreuve, besoin de la violence pour fédérer un groupe.
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Message par Thierry d'Anjou Sam 12 Jan - 23:36

Thierry se grattait lui aussi le menton, réfléchissait aux mêmes propos.

"Je pense que le Bien et le Mal ne sont que des notions théologiques, seulement délimités pour établir un cadre et donner des limiter. Mais en réalité, tout n'est qu'une question de nuances. Nous ne sommes ni foncièrement bons, ni entièrement noirs, sauf dans de très rares exceptions. Seul Dieu - et uniquement Lui - peut déterminer avec certitude ce qui est le Bien et le Mal. Autrement, chacune de nos actions a toujours des conséquences. Imaginons qu'un homme protège une jeune femme d'une agression mais tue alors cet homme. Il aura bien agi selon nos valeurs amis il aura détruit la famille de celui qui sera mort. Des nuances.. Tout n'est que nuances. On oppose traditionnellement le noir au blanc mais en réalité la couleur de la vie est le gris."

Il sourit de l'entendre approuver ses opinions au sujet de la lumineuse Claire. A cet instant, Jérémie sembla avoir du mal à s'exprimer. Les mots avaient du mal à sortir. Il changea alors de sujet. Thierry le soupçonna de s'être coupé de ses émotions. Si jeune ? Même lui ne savait le faire. Ses émotions.. Non, peu importaient combien elles le faisaient souffrir, il ne saurait y renoncer. Malgré la douleur, celles-ci faisaient de lui un être humain.

"Je reconnais la Passion et la mort de Jésus. Naturellement, sa fin tragique est la meilleure illustration de notre condition mortelle et une invitation à le rejoindre en confiance au moment de notre départ. Néanmoins... Néanmoins, exhorter à cette violence, au sang, comme je suis malheureusement obligé de souvent le faire depuis ma chaire. pourtant; je ne l'ai pas l'impression que le peuple aime cela, pas plus que l'exemple des saint martyrs.. Au contraire, quand j'écoute mes fidèles, ils se réfèrent avant tout au Christ et la Sainte-Vierge."

Son regard se posa soudain sur la grosse horloge entièrement en or, surmontée d'une coupole avec à son sommet une croix. Il remarqua surtout les aiguilles, indiquant l'écoulement du temps. Pourquoi passait-il vite quand on prenait du plaisir ? Bientôt, la nuit tomberait à l'extérieur. Il songea aux Monthoux, aux suite à venir de l'affaire... Il avait emmené Jérémie dans un désir égoïste. Mais comment le ramener maintenant ?

Gêné, sa main gratta nerveusement le bas de son menton.

"Dis-moi, ton maître sera t-il du genre à aller trouver la prévôté si je lui raconte que j'ai mené ton interrogatoire là-bas ? le connaissant, il apprécierait fort d'entendre que son esclave a été torturé.. Mais je redoute sa curiosité et sa méfiance. S'il évente notre secret, les conséquences seraient terribles."
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Message par Le Cent-Visages Dim 13 Jan - 13:50

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


Jérémie ne revint pas sur la relativité du Bien et du Mal. Il résuma seulement sa pensée par un :


-- Je ne crois ni en la morale ni en ces valeurs absolues. Je crois bien davantage en l'éthique. Plus complexe, qui doit s'adapter aux circonstances, mais bien plus salvatrices car rien n'est jamais binaire. Ceci dit, au nom de cette relativité, il serait dangereux de tomber dans la croyance inverse selon laquelle aucun ordre, aucune autorité ni aucune règle n'est légitime.


Il sourit lorsque le prêtre confia l'amour de ses fidèles pour les versants les plus tendres et maternels de l'histoire du Christ et de Marie. Soudain, Thierry s'inquiéta de la manière la plus judicieuse de rendre l'esclave à ses maîtres sans éveiller leurs soupçons.


-- Il me semble en effet que mêler la prévôté à cela soit un choix risqué. Sans doute le maître se satisfera-t-il d'une version selon laquelle il vous aura suffi de m'interroger seul.
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Message par Thierry d'Anjou Dim 13 Jan - 14:17

La mine du prêtre devint plus sérieuse. Cette entrevue l'avait si bien intéressé - captivé - mais celle-ci ne devait pas se transformer en antichambre de l'Enfer. Son corps entier frissonna à la perspective que quelqu'un aurait pu éventer leur conversation ou qu'une personne soupçonne qu'il aurait entretenu un esclave pour une raison toute autre que celle pour laquelle il était venu le quérir. Ils évoquaient à l'instant le sort des martyrs, victimes de leur pitié et de leur résolution. Il ne les enviait pas du tout. Que Saint-Laurent aille se faire rôtir seul ! Les grills servaient à apprécier une bonne viande bien cuite, savoureuse, pas à apprécier la chair humaine se décomposer !

La main posée à son menton, il réfléchit à un plan, une stratégie, pour ramener Jérémie à ses maîtres sans éveiller le moindre soupçon.


"D'abord, je vais te garder ici à dormir cette nuit. Cela paraîtrait normal que l'entretien s'éternise. Enfin... A moins que ta paillasse ne te manque peut-être ? Tu n'auras peut-être pas envie d'un lit..."

Le sourire lui revenait, légèrement railleur :

"Demain matin, nous partirons un peu après l'aube. J'aurai des obligations ensuite. je te ramènerai au château et j'expliquerai avoir seulement amené à l'église pour t'interroger longuement et te rappeler aux devoirs auxquels tout bon chrétien doit se soumettre. Ce chapelet devrait plaire à Monthoux. Je lui conterai ensuite que tu es un esprit simple, désolé d’avance, que tu as entendu des propos sans les comprendre, que tu les as ensuite répété, bêtement. J'a&jouterai t'avoir longuement fait un sermon sur le sujet et t'avoir puni. Ce plan te parait-il convenable ? Ton maître pourra t-il gober le mensonge ?"
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Message par Le Cent-Visages Dim 13 Jan - 14:57

[8 septembre 1597] Dans le bureau du père Thierry [Terminé] Jzorzo11


Jérémie Torrès, esclave, 19 ans


L'esclave hoqueta un petit rire sec.

-- Je ne suis pas contre un lit, quoique mon dos n'y est certainement plus habitué. Mais je vous fais confiance : l'on se réaccoutume vite aux bonnes choses.

Il acquiesça au plan du prêtre, presque amusé à l'idée de se voir présenté à Monthoux comme à un simple d'esprit. Il répondit à la dernière question de Thierry avec un sourire flouté :

-- Oh, vous savez, Monthoux gobe facilement de tout. Des gâteaux pour commencer, des salades ensuite.

Il suivra le curé vers l'endroit qu'il lui indiquera, non sans obéir aux ordres qu'il pourrait recevoir de lui.
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Message par Thierry d'Anjou Dim 13 Jan - 15:06

Thierry laissa échapper un rire sincère, sans trace de cynique ou de moquerie, à la plaisanterie sur le Monthoux.

"J'avais bien remarqué ! Cela ne m'étonne pas que son ventre s'arrondisse.. S'il continue, on finira par le soupçonner de porter une nouvelle vie !"

Le prêtre traversa le bureau puis s'arrêta devant la porte pour coller l'oreille contre la porte. Aucun bruit suspect ne venait. Il ne percevait pas de paroles lointaines. Confiant, il défit le loquet et quitta la pièce en premier. Avec satisfaction, Thierry constata que personne ne rodait : la servante était repartie après le ménage. Il remarqua bien deux personnes près de la chapelle, au loin, occupée à prier. elles ne les remarqueraient pas.

"Allons-y."
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