[14 Septembre 1597] A la fenêtre du prêtre [Terminé]

Spoiler:

14 Septembre 1597, début d'après-midi


A la suite de son témoignage, Rosina retrouva les jumelles et les remercia chaleureusement de lui avoir permis d'accomplir sa mission. Son âme en était sauve. Elle s'éloigna avec elles. Le petit groupe fit le tour de la prévôté à la recherche des cellules des gens importants. Les regards se posaient vite dans l'intérieur, par peur d'être surprises par le prisonnier retenu dedans. Finalement, après quelques efforts, elles localisèrent Thierry allongé dans un lit, dans une position pitoyable. Les sanglots émis brisèrent le cœur de Rosina.

"Le pauvre..."

Elle se tourna vers les jumelles

"Vous surveilez que personne n'arrive, d'accord ? Et moi, je vais lui parler."

Allongé sur l'inconfortable couchette, les bras croisés à l'arrière de sa tête, Thierry contemplait avec langueur la tristesse du plafond. Combien de temps allait-il rester encore ainsi enfermé ? Son cœur était de plus en plus faible. Il ne supportait plus cette réclusion épouvantable. Toutes ces histoires pour seulement une affaire de séduction, la belle affaire ! Il n'était pas le seul homme à aimer les femmes ! Combien d’époux étaient déjà venus le trouver en confession pour avouer avoir trompé leur femme ? Personne ne les arrêtait, eux ! Pourquoi juste lui ? Son regard se tourna vers le crucifix. Il soupira. Dieu le détestait. C'était la seule certitude à tirer de cette nouvelle épreuve.

Soudain, des bruits étranges lui parvinrent de l’extérieur. Cela n'arrivait pas. D'ordinaire, les passants, craintifs ou superstitieux, s'arrangeaient pour marcher loin de la prévôté. Intrigué, il s'avança t jeta un regard au travers des barreaux.

Il n'était pas préparé pour cette surprise.

Hagard, Thierry la contempla sans comprendre.

Il la reconnaissait. Toutes ces années, malgré leur séparation, elle venait chaque soir à l’église avec leur fils. Si Alexandre s'approchait pour le saluer, elle demeurait constamment en retrait mais ses regards les réveillait. Si elle était là... Son visage pâlit. Leur fils ! Il était arrivé un malheur à leur fils ! Ses mains s'accrochèrent aux barreaux. Sa voix inquiète eut du mal à maîtriser son émotion :

"Alex... Que... Que s'est-il passé ? Qu'a t-il encore fait ?"

Comme une soupape de sécurité, une réplique de cynisme lui échappa :

"J'aurais vraiment dû enfermer ce petit imbécile dans le clocher..."

Rosina sourit aux jumelles pour leur témoigner toute sa reconnaissance  pour leur courage et leur générosité. Elle fixa ensuite avec tristesse la cellule puis aperçut son amant se relever du lit au son de leurs voix, avant d'avoir eu à l'appeler. Il la dévisagea avec stupeur puis saisit avec désespoir les barreaux. Il croyait sa présence liée à un problème concernant leur enfant. Rosina s'empressa de sourire tendrement pour le détromper puis prit ses mains avec douceur dans les siennes.

"Non, Alex va bien. Rassure-toi sur ce point. De ce qu'ai pu entendre en venant ici, on raconte qu'il aurait participé à une arrestation hier dans un bordel aux côtés du seigneur de Frenn... Mais ne sont-ce pas des rumeurs ? Si je me rappelle, c'est bien le nom du noble qui l'a fait condamner, non ? Alex est un gentil garçon... Mais aider le responsable de ses malheurs, cela semble gros. Les gens n'ont pas changé : toujours à raconter des histoires absurdes !"

Ses mains continuaient à effleurer celles de son amant. Malgré le passage du temps, elles restaient douces. C'était un prêtre qui n'avait pas eu à les abîmer.

"Non, Thierry, je viens... Je suis venue... pour toi. J'ai appris hier soir de mon mari ton sort. Il a aussi dit qu'il viendrait au soir, après le travail, raconter un témoignage terrible pour te faire condamner au pire. Il est... Il est si cruel. Alors j'ai choisi de venir témoigner et ta faveur. je viens de raconter à un agent la belle personne que tu étais. Ces femmes, d'ailleurs, m'ont accompagné. Elles semblent bien te connaitre et de vouloir t'aider."

Elle se tourna un instant pour montrer les jumelles et leur sourit.

"J'espère que tout se passera bien pour toi... "

La respiration de Therru s’allégea considérablement quand Rosina lui appris qu'Alexandre n'avait commis aucune nouvelle bêtise et était pour le moment saint et sauf. Dieu soit loué ! Il fronça cependant les sourcils en attendant évoquer cette arrestation à laquelle serait mêlée leur fils et le maudit baron. Rosina n'y croyait. Elle considérait cela comme une rumeur. Si seulement... Le prêtre se doutait cependant que ce garçon pouvait très bien l'avoir fait. Le petit idiot.

Il lâcha dans un soupir las :

"'Alex... Lors de son procès, alors que j'essayais d’incriminer ce baron, Alex l'a défendu et blanchi. Il a assuré que celui-ci n'avait rien fait que que c'était lui en seul tort pour avoir fait intrusion dans son domaine. Ce garçon est un imbécile idéaliste. Mais de là à aller aider ce diable de baron... A moins qu'il ne cherchait un retour ? Il a pu proposer son aide pour que le baron me fasse libérer ? Cela lui ressemblerait plus. Non. Non, Alex n'as pas aussi calculateur. Il pense avec ses sentiments et uniquement ses sentiments. "

Rosina lui exposa ensuite la raison de sa venue et le prêtre, surpris, lâcha ses mains et éclata de rire.

"Tu juges impossible qu'Alex aide le baron qui l'a fait condamner et toi, Rosina, tu viens aider l'homme qui t'a abandonné enceinte et condamnée à vivre avec un mari violent ? Je ne crois pas que tu sois si bien bien placée pour juger les égarements de notre fils..."

Thierry se recula légèrement, soudain gêné par cette proximité avec cette femme qu'il avait autrefois tant aimé et qu'il avait vainement essayé de retrouver lors de ses conquêtes féminines. Aucune n'avait la saveur de Rosina, si belle, si intelligente, si pétillante... Elles avaient toutes été fades jusqu'au jour où sa route avait croisé celle d'Irène. Irène... Que faisait-elle en ce moment ? Il savait que ce serait là un amour impossible. A sens unique. Elle aimait encore trop feu son époux.

Rosina évoqua des personnes qui l'avaient accompagné. Il tourna la tête et blêmit en apercevant les siamoises. Il poussa long soupir plaintif :

"Eh bien, c'est jour de pénitence aujourd'hui..."

Depuis leur poste de surveillance, les jumelles voient Rosina approcher de la fenêtre de la cellule, puis le visage de l'homme apparaître derrière les barreaux. Il semble bien fatigué et empreint d'une profonde mélancolie. Elles choisissent de rester silencieuses et à distance du couple : la conversation ne les regarde pas plus que cela.
Sémélé ne supporte pas de rester immobile, en proie au stress. Elle impulse à sa sœur un petit mouvement pour lui faire comprendre qu'elle veut bouger. Les voilà à faire au hasards quelques petits pas à droite, à gauche, en silence et toujours en surveillant les environs.
Quelques mots de la conversation entre Rosina et son ancien amant lui parviennent quand même. Le prêtre s'inquiète pour leur fils Alexandre... Siloé réalise alors que de grandir avec seulement sa mère et un faux père, alors que le vrai est curé et clandestin, ça n'a pas dû aider le pauvre garçon à se construire comme il faut... Elle pousse un petit soupir et secoue la tête.
La suite, elles ne la comprennent pas bien. Alexandre aurait aidé un noble ? Le noble qui l'a fait condamner ? Sémélé crachote un petit "mais quoi ?!" à sa jumelle, qui ne sait pas quoi répondre. Penaudes, elles se regardent et préfèrent ne pas y réfléchir, encore moins poser de question à voix haute.

Rosina décide alors de les présenter au père d'Anjou. Les sœurs s'arrêtent de faire les cent pas et se retournent vers la cellule. L'image de cet homme et de cette femme si proches mais séparés par les barreaux les touche. Elles sont un peu gênées.

Siloé. Euh... Bonjour mon Père.
Sémélé (profite de l'intervention de Rosina pour rebondir) B'en en fait, c'est surtout qu'on a vu Madame en... disons en grand embarras dans la rue. Si on était pas passées par là, son mari lui flanquait une raclée...
Siloé. On lui a dit que ce serait bien qu'elle se tire. Vous croyez pas ? Vous connaissez ce type qui lui sert d'époux ? Vous en dites quoi ?

Rosina écouta son ancien amant évoquer ce terrible procès qui avait vu leur fils condamner à l'asservissement. Les révélations sur sa conduite et le fait que celui-ci ait pu défendre son accusateur la laissait perplexe. Comment était-ce possible ? elle avait élevé Alexandre en chrétien mais pas à pardonner plus que cela n'était acceptable. Elle secoua la tête, interdite, puis entendit Thierry rire de ses propres agissements et les comparer aux siens.

"Il n'y a aucune différence entre lui et moi, Thierry. moi, je suis une femme mariée, soumise aux volontés de mon époux. C'est ainsi. Quant à Alex, il est parfaitement libre de détester cet homme épouvantable qui a osé le faire condamner pour une petite intrusion. ! Ce garçon est encore bien naïf, je le crains. "

Brusquement, les jumelles se mêlèrent à sa surprise de leur conversation et rapportèrent la scène effroyable de tout à l'heure. Ses joues rosirent. Elle baissa la tête, évitant de croiser la tête.

"Ce n'était pas grand chose. Et puis, si cela peut te permettre, Thierry, de te faire libérer, cela le valait bien."

Elle était affreusement gênée que son ancien amant puisse s'immiscer dans sa vie conjugale. Elle ne lui voulait pas de nouveaux ennuis. Or, son époux si violent.. s'il savait que Thierry l'aidait, il s'en prendrait à lui.

Thierry écoutait d'une oreille distraite son ancienne maitresse marmonner contre leur fils et s'agacer des défauts de son caractère. Les siamoises s'approchèrent peu après et le saluèrent, gênées. Il ne se sentit pas en meilleure posture et courba la tête, se sentant honteux de sa position de reclus. il se rappela ensuite leur toute première rencontre quand il avait attrapé un de leur bras, pour le simple plaisir de démontrer sa puissance et son autorité à la foule qui le contemplait en sortie d'une messe dominicale. Un bel exemple de péché d'orgueil.

"Bonjour... "

Face à elles, avec ce souvenir qui revenait travailler sa conscience, dans cette position d'infériorité agaçante, le prêtre ne se sentait pas de faire de l'humour. Son habituel goût du cynisme l'abandonnait. Il tressaillit quand Sémélé révéla les raisons de leur présence.

"Une agression ? Dans la rue ?"

Rosina défendait son époux et rappelait être attaché à lui en raison des liens conjugaux. Les liens indissolubles du mariage.. Quelle absurdité ! Dans certains cas, notamment celui-ci de la maltraitance, une femme devrait autorisé à demander la séparation sans risquer l'opprobre. La nouvelle religion y avait réfléchi et considérait cela une dissolution du mariage possible si les époux n'étaient pas bien époux même si cela ne restait pas souhaitable. Cela devait être une solution de la dernière extrémité mais qui serait si utile dans le cas de son ancienne maitresse. Il eut un autre sursaut quand Rosina déclara que lui méritait les coups qu'elle aurait pu prendre pour être venue ici apporter un témoignage en sa faveur. Abattu, le prêtre resta quelques minutes muet, incapable même de penser, puis tourna la tête vers les siamoises. Il ne pouvait regarder Rosina.

"Vous y croyez, vous ? J'ai abandonné cette femme comme un rebut quand elle m'a dit être enceinte... Je ne songeais qu'à ma réputation, au fait que je puisse être viré des ordres, que je me retrouve à la rue, sans ressources.. ou pire. J'ai prononcé des paroles horribles.

Toute la silhouette de Thierry frissonna. ses mains s'accrochèrent aux barreaux, dans un mélange de désespoir et d'incompréhension.

"J'ai dit... J'ai osé dire que c'était sa faute si elle était enceinte... J'ai osé dire qu'elle m'avait trompé, séduit un prêtre, que c'était sa responsabilité.. Je l'ai poussé dehors. Je l'ai... abandonné. Je l'ai abandonné. je l'ai abandonné elle et l'enfant qu'elle portait. Pour mon petit confort. pour ma situation."

Le front du prêtre se posa contre la pierre du rebord de al fenêtre. Après ce pénible aveu, il ne se sentait plus de regarder non plus les jumelles en face.

"Et elle, elle, après cette humiliation, cet abandon, des années de violence avec le porc qui lui sert d'époux, elle m'a pardonné et vient même m'offrir son aide. "

Perdu dans les remords et la culpabilité, Thierry n'entendit pas la question que posa Siloé. Il gardait le front contre le rebord froid et se retenait difficilement de ne pas éclater en sanglots, l'âme bouleversée par ce remue-ménage qui s'agitait en lui.

"Pas grand chose ?!" Ah ça, merde alors ! Siloé s'était pris un violent coup à l'entrejambe, qui d'ailleurs lui fait encore très mal. Les jumelles s'en étaient retrouvées par terre... et Rosina elle aussi avait bien failli se faire rosser de manière à s'en souvenir bien longtemps. Qu'est-ce qu'il lui faut, pour que ça devienne un peu plus "grand chose" ? Ce sont ces pensées que se transmettent les jumelles, par de rapides regards consternés, dans un mouvement très coordonné de têtes qui se sont tournées instinctivement l'une vers l'autre. Siloé grimace. Elle serre les dents, la douleur se rappelant à elle.

D'un petit sourire angélique comme elle sait en faire pour l'apaiser, Sémélé la ramène plutôt à l'écoute de la conversation, bien que toujours de côté comme elles continuent de se tenir. D'autant que le prêtre les salue à son tour et encaisse le coup, à l'information qu'elles ont donné concernant l'agression en pleine rue. Siloé juge bon de confirmer encore le renseignement par un sec hochement de tête, qui exprime toute la gravité de l'incident là où Rosine essaie de le minimiser.

Siloé. Ouais. Le Bellanger, c'est un dangereux ma parole ! Je sais pas ce qui serait arrivé si, Dieu Merci, des voisins n'étaient pas venus nous secourir, nous deux et votre f... f... enfin, Madame.

Il est ensuite question des drôles de motivations de leur fils illégitime, apparemment encore plus inconséquent que ses parents, à être prêt à pardonner ainsi à un seigneur qui lui a fait beaucoup de mal. Sémélé pousse un soupir et hausse les épaules, avant d'arrondir les yeux en entendant l'émouvant "Mea Culpa" du prêtre. Thierry d'Anjou a l'air sincère. Il s'accuse d'avoir abandonné sa femme aux mains d'un époux monstrueux, de l'avoir éloignée, de ne pas s'être assez occupé de leur fils. Instant émouvant et terriblement gênant en même temps. Encore une fois, les siamoises se regardent, toutes penaudes. Elles se sentent comme la cinquième roue du carrosse... et pourtant, ironie de la situation, ça semble être un peu grâce à elles que les deux anciens amants peuvent mettre les choses à plat.

Sémélé (saisissant l'opportunité d’insister) On dit bien que le juste lui-même pêche sept fois par jour. (après cette entrée en matière sous forme de boutade un peu maladroite, plus sérieuse, elle poursuit) B'en... euh... Mon Père, normalement c'est vous qui dirigez la morale des gens, c'est votre travail, alors ça me fait drôle que ce soit nous autres qui vous disions ça mais... Je sais pas, le passé est ce qu'il est d'accord, mais maintenant, plus que jamais vous avez le pouvoir de vous racheter un peu non ?
Siloé C'est vrai. Quand vous sortirez de là... on espère que vous sortirez d'ailleurs, vous pouvez changer. (Elle se racle la gorge un peu gênée, préférant ne pas faire allusion directement à ce qu'elle sait du rapport de Thierry aux femmes. Cela l'embête d'avoir l'air d'excuser ces pratiques, mais si cet homme reçoit une punition et promet d'évoluer, alors pourquoi pas...)
Sémélé. Et puis pour Madame qui est là, b'en vous êtes prêtre ! Vous pourriez pas la mettre à l'abri ? Lui faire un papier de recommandation pour un couvent, par exemple ?

Elle adresse un regard rapide à Rosina pour la consulter sur cette idée. C'est la première idée qui lui est venue et pas sûr que cette femme rêve de rentrer dans les ordres, mais ce sera toujours mieux que sa brute de mari, non ?

Bouleversé, Thierry gardait la tête baissée à repentir une fois de plus de sa terrible lâcheté. Pourquoi avait-il abandonné sn ancienne maitresse ? Par souci de sa réputation. Par peur de retourner au sinistre monastère. Par terreur de finir à la rue dans la misère. Il avait fait un choix dans un élan émotionnel. Sans aucune raison. Cela avait été le mauvais. Non. Il se corrigea aussitôt. Le pire.

Sa tête se releva en entendant les siamoises l'appeler à nouveau. Sémelé semblait tenter de le réconforter. Il oui accorda un faible sourire.

"Le Juste, hein ? Je suis encore loin d'être un Juste. Quant à dire la morale, je n'ai jamais cru que les religieux soient les seuls à pouvoir la dire. Il y a dans le peuple de bien meilleurs chrétiens. Notamment chez les esclaves. Certains religieux ont oublié depuis longtemps les règles théologiques, soit par choix, soit car ils pensent dans le bon chemin. Je pense en particulier à certain cardinal qui devrait se souvenir de quelques passages du Christ sur les infirmes et les esclaves. mais là encore le jeu est pervers. Un esprit instruit sait utiliser à son avantage les écritures. Non, la vérité ne réside pas la bouche d'un religieux. Jamais. Ils sont trop bouffi dans leur orgueil et leur supériorité."

Il reconnaissait le premier ce travers. Ses yeux se fermèrent un instant.

"Avoir une foule entière qui nous écoute benoitement... Cela trouble l'esprit et le jugement. Vous rappelez-vous quand je vous ait agressé pour une excuse stupide ? De la comédie. Une simple envie d'affirmer mon pouvoir, de me sentir puissant... C'était.. pitoyable. oui, j'étais pitoyable."

Sémelé évoqua à présent le passé et le fait que celui-ci ne changerait pas. Seul l'avenir comptait. L'avenir....

"Quand je sortirai.... Quand je sortirai, j'essaierai d'être un meilleur prêtre, oui. Et de ne plus boire. De ne plus fréquenter les tavernes. Cela devrait régler quelques petits trucs. pour la suite, il y a des choses que j'ai en tête. Notamment trouver un moyen de sortir mon imbécile de fils de la panade dans laquelle il s'est mise. Ou alors... Ou alors je l'enlève et je le séquestre dans le clocher de mon église ? Ce serait une solution. Quoique.. Non, cet idiot serait capable de vouloir sortir par la fenêtre"

Elle montra à nouveau Rosina et souhaita connaitre un moyen pour l’éloigner du porc qui lui tenait lieu de mari. un silence de réflexion s'abattit. La question était complexe. Comment résoudre le cas depuis cette maudite cellule ? Cela demanderait d'agir en personne, de rencontrer des contacts... Mais en attendant, il fallait protéger la mère de son fils. Par quelle manière ? Où lui donner un asile sûr ? Il ne voyait qu'une réponse. L'image réconfortante d'Irène apparaissait nettement à son esprit. elle ne pourrait refuser d'accueilli une femme maltraitée. Néanmoins, la pensée de savoir son ancienne maitresse sous le toit de la femme dont il venait de tomber amoureux le mettait mal à l'aise. Et il les rencontrerait ensemble... Quel terrible situation. Mais il n'avait rien d'autre. Il devait faire les choses avec ce qu'il avait.

Rouvrant les yeux, il demanda aux siamoises :

"Connaissez-vous la Roza Azur ? La propriétaire est une de mes bonnes amies. Euh... Rien de... Purement amical, je vous le jure. Enfin, elle sera ravie d'accueillir une femme en détresse."

Le prêtre baissa la tête, les joues rouges, gêné de l'évocation de son lien avec Irène.

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'Audace' :

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La gêne de Thierry était probante : il éprouvait des sentiments pour cette commerçante chez qui il essayait de l'envoyer. Rosina en éprouva un profond malaise. De la jalousie, peut-être, s’ajoutait à cela. Elle comprenait que son ancien amant ait eu de nombreuses aventures depuis leur séparation mais elle ne souhaitait pas les connaitre. Ce serait affreusement gênant.

"Cette dame Irène... C'est l'une de tes maitresses, n'est-ce pas ?"

Elle s'exprima d'une voix détachée, tentant de dissimuler sa contrariété.

"Je ne suis pas certaine de souhaiter partager son intimité."

Siloé. Les esclaves ? (Les paroles du prêtre l'interpelle. Mais cherchant bien, elle ajoute, moins par critique que par volonté de comprendre : ) Mais que j'me souvienne, y a jamais rien qui a interdit l'esclavage dans la Bible... Au contraire, le roi s'appuie dessus... (puis, souriante) Par contre oui, Jésus, il respecte les infirmes, c'est sûr !

Sa sœur acquiesce. Moins bavarde, elle est beaucoup plus troublée par le spectacle de cet homme si contrit, si repentant, et qui fait preuve d'un certain cynisme par rapport à sa fonction. Les jumelles n'osent pas trop parler, mais sans doute qu'il a raison : comme dans toutes les fonctions de pouvoir, il y en a qui en sont dignes et d'autres qui salissent tellement la chose.
Thierry rappelle alors la fois où il les avait importunées devant tout le monde sur le parvis. Siloé hausse les épaules avec un air de "c'est oublié..." (et de pardon chrétien pour le coup). Toutes deux s'émeuvent alors de prendre de bonnes résolutions pour son avenir.

Siloé. Vous serez un homme bon. Je suis sûre que vous pouvez.

Quand revient le sujet de l'hébergement de Rosina, le prêtre évoque une boutique tenue par une dame qu'il semble fort apprécier. Il prend la peine de préciser qu'il ne lui voue que des sentiments amicaux... mais Rosina en doute. Pour essayer de la rassurer, Sémélé cette fois-ci intervient :

Sémélé. M'enfin nooon, quand même ! Le père Thierry aurait quand même pas la grossièreté d'envoyer une ancienne maîtresse à lui chez une autre maîtresse ! Ce serait... (elle grimace, puis se tourne vers le curé) Pas vrai hein ? C'est sûr ?

Ses interlocutrices ne semblaient pas motivées par la poursuite de la discussion et rebondissaient mal sur ses arguments. Sans le moindre doute, elles ne disposaient pas de l'instruction nécessaire. Savaient seulement lire ? On ne pouvait leur en voir. Ce n'était que des femmes du peuple, ordinaires, la plèbe n'avait nul besoin de connaitre les lettres pour œuvrer aux diverses tâches manuelles . Il se garda de montrer un esprit supérieur et répondit humblement :

"Cela demeure dans l'interprétation, dans la connaissances des évangiles... Mais le Christ appelait à respecter les êtres les plus faibles. Les infirmes, oui. Mais les esclaves en font eux aussi partie de cette population misérable et mésestimée. Naturellement, certains passages de la Bible, notamment les textes des prophètes, mettent en exergue que l’esclavage serait légal et dans le respect des commandements de Dieu. Néanmoins, depuis, il y a eu la venue du Fils. Un Fils qui nous a parlé d'amour, d'entraide, de protection.. Je me refuse à croire que celui-ci cautionnait un pareil principe."

De nombreuses idées animaient son brillant esprit intellectuel. Pourquoi Jérémie se trouvait-il pas à la place des jumelles ? A leur place, entre ces barreaux, ils auraient disserté de longues heures sur les principes de la religion et de la foi. Quel heureux moment cela aurait été !

Siloé lui adressa ensuite la parole et assurait qu'il serait un homme bon. Il lui accorda un faible sourire, doutant lui-même de cette bonté qui se dissimulait en lui.

"J’essaierai au moins. "

Brusquement, alors que le prêtre était déjà embarrassé à la perspective d'envoyer Rosina auprès de la femme dont il venait de tomber récemment amoureux, cette dernière l'accusait avec aplomb qu'Irène et lui seraient déjà des amants. Ses joues rosirent violemment alors que les battements de son cœur résonnaient à ses tempes et lui donnaient un début de migraine. Irène... Irène qui serait... Il secoua la tête, repoussant aussitôt cette vision. Il ne souhaitait pas envisager cela. Cet amour naissant était pu. Désintéressé. Il ne souhaitait même pas l'embarrasser avec ses sentiments. A quoi bon ? Elle restait attachée au souvenir de son défunt époux dont le décès était encore si proche. Il n'aurait de toute manière aucune chance. Ils étaient amis. rien plus. Tant qu'elle acceptait de le voir et de discuter en sa compagnie, Thierry se sentait assez heureux pour s'en satisfaire.

Dans un écho lointain il perçut la voix d'une des jumelles le défendre. il s'y accrocha et remonta. Son visage était pâle. Il bredouilla :

"Oui... Dame Irène n'est pas du tout une de mes maitresses. une amie. Rien de plus. Nous nous sommes liés grâce à Alex. Par hasard, elle l'a recueilli et essaie depuis de l'aider comme elle elle peut, quand ce petit imbécile ne décide pas de faire n'importe quoi."

Son intonation redevint normale à partir du moment où les souvenirs d'Alexandre quitta l'église contre son consentement s'éveillèrent. Sa voix sentait même la colère étouffée de cette frustration.

"Elle protège Alex quand je ne peux plus. alors, je t'en prie pas ne sois pas médisante et exprime plutôt ta reconnaissance".

Rosina contempla le visage tétanisé de Thierry qui paraissait meurtri de ses accusations. Sémélé prenait sa défense. Devait-elle le croire ? La jalousie en elle s'éveillait un peu plus. Elle était restée seule, enfermée, soumise aux désirs sadiques de son époux. Pendant ce temps, son ancien amant séduisait qui il souhaitait. Soudain, le nm de leur fils jaillit dans la conversation. Alex... Cette femme connaissait Alex ? Elle veillait sur lui ? Cette fois, c'était son cœur de mère qui souffrait de savoir qu'une autre s'occupait de son enfant. Que savait-elle à son sujet ? Elle agissait sans doute mal. Seul elle connaissait son petit et pouvait décider de ce qui était le mieux pour lui.

Néanmoins, dans cette boutique, malgré un ressentiment fort pour cette dame Irène, ellr pourrait revoir Alex. Alex... Son petit Alex...

"Alex... Alex sera là? "

Sa voix bru=ait d'un fol espoir.

Thierry réprima un sourire en entendant la voix de son ancienne maitresse. Il avait su bien anticiper la suite en dépit de la violence de émotions qui l'avaient envahi un temps et trouvé la meilleure arme qui ferait fléchir son interlocutrice. Il était fort. très fort.

Contenant intérieurement sa joie, le prêtre répondit d'un discret sourire :

"Il y sera, oui."

Ce n'était assurément pas exact. Alexandre pouvait avoir été forcé à rejoindre son maitre, ce maudit cardinal Cassain. Peu importe ! Le principal était de l'amener en sécurité en sécurité. Par ailleurs, chez Irène, Rosina ne ferait pas de désordres. Elle saurait se tenir, il en était sûr.

Spoiler:

La réponse de Thierry confusionne les deux sœurs : après tout il est prêtre, il sait bien mieux qu'elles ces choses là. Mais c'est drôle quand même... elles vont régulièrement à la messe, et jamais elles n'ont entendu Jésus dans les textes se positionner ouvertement sur l'esclavage. Il y a aussi les lettres des disciples qui recommandent aux esclaves de rester soumis malgré leur situation...
Et de l'autre côté, comme le rappelle le curé, toutes les Évangiles sont parcourues d'un message d'égalité. C'est étrange. Sémélé se mordille la lèvre, pensive. Et si Jésus avait pris de trop gros risques en se prononçant directement sur l'asservissement, en plein empire Romain ? C'est peut-être ça, la clé. Y aller progressivement ?

Siloé rompt la première cette longue phase de réflexion en s'émouvant d'entendre que la petite "famille" va se retrouver chez Dame Irène : Rosina va revoir son fils Alexandre.

Siloé. Oh mais c'est bien tout ça ! Il sera tellement content d'vous revoir. Et lui aussi, il vous voudra en sécurité.

Le clocher sonne alors. Elles n'ont que trop tardé ! Elles doivent quand même retourner garder la maison, la boutique, et même avancer un peu leur ouvrage même si c'est dimanche. Il y a des commandes un peu en retard et le patron risque de râler.
Et puis, le reste regarde Rosina et Thierry, elles n'ont qu'à s'éclipser. Ne pas s’immiscer davantage dans une affaire en plus un peu louche leur va très bien. C'est donc sur un gentil "au-revoir" de la main qu'elles choisissent de laisser le duo seul : ils ont peut-être encore des choses à se dire, et un peu plus "personnelles".
Au moins, les jumelles repartent avec un petit sourire et le sentiment d'avoir participé à sauver cette femme.

Spoiler:

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Rosina ressentait une émotion fébrile qui la bouleversait à l'idée de revoir enfin son petit et le serrer dans ses bras. Alex... son cher Alex ! A cet instant retentit le clocher proche et les jumelles commencent à s’éloignent en murmurant un timide au-revoir. La femme se retourna, reconnaissante :

"Merci de votre aide ! Merci pour tout !"

Elle se tourna avec les barreaux de la cellule et demanda à Thierry, timide :

"Où.. vit cette femme ? la Roza Azul, tu as dit ? Je ne connais pas cette boutique. En même temps, il y a vingt ans que je ne sors plus. Tu pourris m'aider à m'orienter ?"

Thierry salua le départ d'un discret hochement de tête puis reporta son attention vers Rosina qui acceptait bien de se rendre chez Irène. Il conservait un certain malaise de savoir ces deux femmes ensemble. pourvu que tout ce passe bien....

"Elle a ouvert depuis très peu. Dame Irène est venue s'installer en ville après la mort de son mari et la période de deuil. La boutique... elle se trouve à quelques rues de mon église. Bon courage."

Il posa un instant la main sur celle de Rosina puis se recula un peu. l'entretien se terminait. Sa solitude allait reprendre.

"Embrasse Alex pour moi."

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'Dé à 6 faces' :