[12 septembre] Aux grilles du château [Terminé]

- Oh, mais voilà qui est parfait ! Allons donc voir votre maître jeune fille, je souhaiterai vous enlever dans la journée.

Il sourit en rentrant dans le domaine puis en suivant Claire vers le seigneur de Wollenbach.

Emeryc ne s'était pas levé du bon pied. Les derniers évènements au palais et en ville le turlupinaient au plus haut point. Il devait s'entretenir avec sa mère dans les heures qui suivaient, et avait passé sa matinée à contempler les reflets du foyer de son antichambre dans les grains de sucre de ses brioches favorites. Un moyen comme un autre de méditer. Une bonne partie de dés lui aurait fait du bien. Ou de cartes. Ou d'échecs. Mais cela se mettrait en place plus tard. Il écrivait des documents importants tandis qu'Ezio, son intendant, l'interrompit.

- Messire, l'on vous demande à la porte. Un certain messire Cassin.

Emeryc haussa un sourcil.

- Le cardinal ou le général ?

- Le général. Votre esclave Claire-Marie est sur place.

Le comte fit la moue. Voilà qui se rajoutait à ses contrariétés.

- Faites le attendre. Ni trop, ni trop peu. Il serait impoli de faire perdre son temps à monsieur, mais l'on ne vient pas en mon domaine comme dans un moulin.

Ezio acquiesça, s'effaça. Emeryc ferait une apparition dans le hall d'entrée une quinzaine de minutes plus tard, vêtu avec sa sobriété habituelle, suivi en grande pompe par quelques uns de ses vassaux dans leurs atours les plus seyants.

Joseph avait observé Claire durant toute la traversée. Il avait du mal à voir la ressemblance avec le père Thierry mais ne s'en formalisa pas. Elle devait ressembler à sa mère.

Ils arrivèrent alors dans un hall. Joseph attendit patiemment, non sans taper un peu du pied. Il sourit alors quand le seigneur arriva.

- Bien le bonjour ! Je suis navré de vous déranger si tôt. Je vais aller droit au but, j'aurais besoin de votre esclave Claire.

Emeryc fut quelque peu abasourdi par cette introduction de but en blanc. Carrée, directe, probablement propre aux militaires de rang. Il ne se laissa pas démonter pour autant.

- Bien le bonjour, en effet, répondit poliment Emeryc, mais sans rendre la révérence qu'il n'avait pas reçue. Veuillez m'excuser, mais tout cela n'a rien de très protocolaire, et je ne comprends pas le sens de votre requête. Que voulez-vous à mon esclave ?

Ezio s'était retiré de quelques pas. Des domestiques s'agitaient en arrière-plan. Sans doute organisait-on en hâte l'une des salles de réception pour accueillir cet hôte inopiné, et il comptait effectivement le faire parler. Quelles que soient ses raisons pour désirer l'esclave, Emeryc devait les connaître : cette petite aveugle était au cœur de beaucoup trop d'affaires pour la candeur et la douceur dont elle se parait.

- Oh pardon, moi et le protocole ! Oui donc...

Il avait réfléchi bien sûr, mais il ne savait comment l'amener.

- En fait, c'est le père Thierry qui m'envoie. Claire l'a déjà aidé et apparemment, il a un baptème aujourd'hui mais personne pour lui servir de servant d'autel. Alors, voyez-vous, je ne suis que le messager, il est déjà en train de se préparer.

Il se donna un sourire en espérant que le noble pourrait comprendre.

- Le père Thierry ?

Cet homme avait un tel faisceau d'intrigues qui convergeaient vers lui qu'il n'en fut presque pas étonné. Les derniers coups d'éclat en ville avaient tellement claironné son nom que les échos s'en étaient gravés jusqu'aux pierres de sa demeure.

- Suivez-moi, je vous prie.

Même si l'affaire pouvait être entendue d'un rapide hochement de tête, Emeryc préféra amener son hôte dans une salle où ils pourraient discuter assis avec nourriture et boisson à portée. Les domestiques avaient fait leur office, et tout était prêt pour une conversation en règle, quelle qu'en fusse la longueur.

- Cette histoire de baptême me met en émoi. Mon éducation religieuse n'y est probablement pas étrangère. Mais dites-moi, de qui est-ce le baptême pour qu'un homme de votre statut et de votre stature ne soit dans l'affaire qu'un simple... "messager" ? Et d'ailleurs, j'ai ouï dire que le père Thierry avait eu des démêlés avec la prévôté... Cela s'est donc arrangé ?