Vies, traitements et considérations des personnes handicapées
Page 1 sur 1 • Partagez
Vies, traitements et considérations des personnes handicapées
Socrate, Ésope, Homère, Héphaïstos... Malgré le traitement peu enviable réservé à la plupart des personnes handicapées dans la ''vraie vie'', tous ces personnages témoignent d'une fascination pour l'invalidité et / ou la folie – en tant que marques d'élection aux yeux de certains doctes. Plus encore qu'une compensation, dans l'esprit du XVIe siècle, une invalidité (ou un état atypique de façon générale) est un signe à prendre très au sérieux, pour le meilleur et pour le pire...
Alors, quelle destinée pour vos personnages porteurs d'un handicap ?
Un invalide de la plèbe ne partira pas avec les même chances que s'il naît dans la noblesse.
* Au sein de familles à l'abri du besoin en effet, l'on aura peut-être davantage espoir que l'enfant infirme soit conservé. Des individus porteurs de handicap ont de tout temps eu l'occasion de grandir et d'être élevés au sein de la noblesse, voire de la royauté. N'en faisons cependant pas une règle générale : il existait aussi des familles où la honte de la différence, du mauvais sang, incitait aussi à écarter l'être atypique.
* Chez les gens bien plus pauvres, lors des périodes difficiles, dans la majorité des cas on ne se préoccupait pas de la bouche inutile à nourrir. À plus forte raison quand celle-ci pouvait en plus alimenter les rumeurs les plus folles (fruit du péché, produit du diable...). Les invalides de tous genres et les gens difformes sont donc fréquemment abandonnés. Ceux qui survivent sont laissés à des institutions religieuses, ou bien ils deviennent mendiants ou volent dans la rue, ou encore se donnent en représentation (comme saltimbanques, magiciens, amuseurs, attractions effrayantes...) pour leur différence. Ne tombons cependant pas dans la fatalité : quelques-uns – certes rarissimes – ont pu exercer des métiers au milieu de gens valides, ou se faire connaître par exemple comme écrivains (tels que Paul Scarron) ou bons chefs de guerre (Arégonde, Ivar le Désossé...).
Platon, dans La République : « Les enfants des gens mal conformés, ou s'ils sont infirmes parmi les autres, on les cachera dans un lieu mystérieux comme il se doit. »
Aristote, dans La Politique : « Quant à l’exposition et à la nourriture des enfants, il faut une loi interdisant de nourrir les infirmes ; et pour la natalité excessive, si la disposition des coutumes l’empêche, qu’on n’expose aucun des enfants ; il faut surtout limiter le nombre des naissances. »
Toute l'Histoire, à quelques exceptions près comme la civilisation égyptienne, a été marquée par l'éradication des corps défaillants. Quand déjà l'enfant invalide survit (ce qui n'est pas acquis), il est souvent abandonné, soit aux ''enfants trouvés'', soit à des religieux. Il arrivait que des familles conservaient leurs enfants infirmes, mais cela était rarissime. Avec les croyances religieuses et / ou folkloriques, beaucoup de gens voient le handicap comme une diablerie, une marque d'infériorité ou de péché, ou encore comme avertissements divins. Ce qui est pratique pour justifier leur élimination ou leur exploitation.
Cependant, certains penseurs croyants s'y opposent et voient quelque chose de bien plus raffiné dans les personnes invalides et / ou difforme. Par exemple...
Augustin d'Hippone, La Cité de Dieu : « Quoi qu'il en soit, quelque part et de quelque figure que naisse un homme, c'est-à-dire un animal raisonnable et mortel, il ne faut point douter qu'il ne tire son origine d'Adam. […] La raison que l'on rend des enfantements monstrueux qui arrivent parmi nous peut servir pour des nations tout entières. Dieu, qui est le créateur de toutes choses, sait en quel temps et en quel lieu une chose doit être créée, parce qu'il sait quels sont entre les parties de l'univers les rapports d'analogie et de contraste qui contribuent à sa beauté. Mais nous qui ne le saurions voir tout entier, nous sommes quelquefois choqués de quelques-unes de ses parties, par cela seul que nous ignorons quelles proportions elles ont avec tout le reste. »
Ainsi, pour certains : infirmes, déments les gens difformes sont inclus au même titre que les gens ordinaires dans un agencement du monde qui nous dépasse. Le handicap appelle l'homme à la méditation, mais aussi à la recherche intellectuelle.
Croyances et superstitions autour du handicap
Dans l'esprit médiéval dont le XVIe est encore fort imprégné, le corps est censé être mimétique de l'âme et de l'ordre du monde, représentation miniature du Cosmos. C'est pour cette même raison que les supplices sont si codifiés : une main coupée indique que tu as été condamné pour vol, la langue fendue pour les parjures, la marque au fer rouge pour les esclaves... Un invalide a donc une vraie signification, qu'elle soit positive ou négative, dans les esprits mystiques.
* Pour ceux qui voient le handicap comme une marque de péché, chaque partie du corps affublée d'une anormalité est associée à tel ou tel châtiment. Il valait par ailleurs mieux éviter de rencontrer une de ces personnes difformes, privées d'un de leurs sens ou aliénées : leur vue, croyait-on, annonçait un malheur. Et s'il se produisait effectivement une calamité, il est arrivé que ces personnes infirmes soient soumises à la torture, qui leur faisait inévitablement avouer un commerce avec le diable…
* Malgré tout, de l'autre côté de la balance et pour ceux qui en ont une vision plus positive (plus humble également), la personne hors-normes captive. Elle peut alors être respectée comme une énigme, comme un signe céleste, parfois même comme porteuse de dons ou d'une lucidité supérieure. On a ainsi le cas intéressant de la fête des fous, où "aliénés" et personnes handicapées sont mis à l'honneur. Du reste, beaucoup de figures héroïques mythologiques et de devins sont atteints de handicaps (l'aveugle Tyrésias, le forgeron Héphaïstos...)
* Au XVIe siècle, Montaigne apporte encore une autre dimension à la problématique...
Montaigne, Les Essais, Livre III, chap. 11, ''Des boiteux'' : « On dit en Italie en commun proverbe que celui-là ne connaît pas Vénus en sa parfaite douceur, qui n'a jamais couché avec la boiteuse. La fortune, ou quelque particulier accident, ont mis il y a longtemps ce mot en la bouche du peuple, et se dit des mâles comme des femelles : car la reine des Amazones répondait au Scythe qui la conviait à l'amour ''le boiteux le fait le mieux''. […] Je me suis autrefois fait accroire que je recevrai plus de plaisir d'une femme, du fait qu'elle n'était pas droite. »
Il évoque ici ces croyances populaires voulant que les personnes handicapées avaient probablement "quelque chose en plus". Une vision qui a pu tantôt leur valoir des places enviables dans les cours ; tantôt au contraire être assez malsaine, aussi pernicieuse que de les rattacher au Diable car, dans un cas comme dans l'autre, la personne handicapée n'est pas regardée comme "humaine". Mais sur-humaine, ou sous-humaine. Montaigne dénonce ainsi ce genre de superstitions, par lesquelles il reconnaît avoir lui-même été dupé étant jeune. Cicéron l'a fait également dans l'Antiquité romaine :
Cicéron, De la Divination : « Quod crebro videt, non miratur, etiam si, cur fiat nescit. Quod ante non vidit, id, si evenerit, ostentum esse censet. » [ ''Ce qu'il voit fréquemment ne l'étonne pas même quand il en ignore la cause, mais dès que se produit quelque chose qu'il n'a jamais vu, il en fait un prodige.'']
* Que dit la Bible ? Elle peut affirmer une chose comme son contraire... Ainsi, des livres du Premier Testament comme « Le Lévitique » sont sans appel et préconisent l'ostracisation des gens affublés de disgrâces...
« Le Lévitique », Bible : « Tout homme qui a en lui une tare ne peut approcher, qu'il soit aveugle, boiteux, défiguré ou disproportionné, ou bien un homme bossu ou atrophié, s'il a une tâche, s'il est galeux ou dartreux, tout homme qui a en lui une tare ne s'avancera pas pour offrir des sacrifices à Yahvé. »
L’Évangile apporte un léger progrès. Quand un des disciples de Jésus se demande si l'aveugle qu'il est en train de soigner est handicapé à cause de son péché ou de ses parents, Jésus le recadre : ni l'infirme, ni ses parents n'a péché. Pourtant l'idée de l'infirmité punitive restera tenace durant des siècles de chrétienté... En revanche, dans le passage ci-dessous, l'aveugle est là pour permettre à Jésus de manifester le pouvoir de Dieu. On retrouve l'idée du lien direct du handicap avec le céleste, la symbolique
Évangile selon Saint Jean, chapitre IX : « Jésus vit, en passant, un aveugle de naissance. ''Maître, lui demandèrent ses disciples, est-ce que cet homme a péché, ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?'' Jésus répondit : ''Ni lui, ni ses parents n'ont péché, mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. Il faut, tandis qu'il est jour, que je fasse les œuvres de celui qui m'a envoyé ; la nuit vient, où personne ne peut travailler. Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.'' Ayant ainsi parlé, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, puis il l'étendit sur les yeux de l'aveugle et lui dit : ''Va, lave-toi dans la piscine de Siloé.'' Il partit, se lava et s'en retourna, voyant clair. »
Des hôtels-Dieu à l'Hôpital Général : un dévoiement sordide de l'assistance publique
Peut-être votre personnage porteur d'un handicap atterrira-t-il dans un « asile » ou dans une institution d'assistance publique ? Dans ce cas, il doit s'attendre à tout... Choisirez-vous d'en faire un patient d'un hôtel-Dieu ? Ou plutôt – vile sadique que vous êtes ! – de le jeter pour commencer dans d'énormes difficultés en l'envoyant à l'Hôpital Général ? Un / des représentants des deux institutions seront masteurisées par les MJ / PNJ si vous choisissez l'une de ces options.
* Les Hôtels-Dieu sont un héritage du Moyen Âge. Avec la période médiévale et le christianisme, on tente de consacrer une part de l'argent de l’Église à s'occuper des pauvres. Le pauvre au Moyen Âge est une notion large : de façon générale, il s'agit de quelqu'un à qui il manque quelque chose, en position vulnérable. Cela peut aussi bien être un pèlerin nécessiteux qu'un orphelin, un infirme, ou un pauvre au sens actuel (économique). À partir du XIIe siècle ont été créées des Hôtel-Dieu / Maison-Dieu pour les invalides lourds, les mendiants, les filles-mères qui ont été chassées et les enfants abandonnés. On entre librement, on bénéficie de la solidarité et, si on est remis sur pieds ou qu'on trouve où se faire employer ensuite, on sort dès que possible.
* Cependant, une autre institution va se développer avec la période Moderne et y jeter une tache macabre. L'Hôpital Général est créé par quelques religieux... mais surtout essentiellement par des dévots : des laïcs (pas des prêtres, nonnes, etc) particulièrement zélés dans la chasse aux mauvais croyants. À part un archevêque, tous les administrateurs de l'Hôpital Général sont des notaires, des magistrats, des grands marchands, des financiers... Ils chassent les mendiants car pour eux, ils sont des pécheurs et des fainéants : si on est pauvre ou infirme, c'est que l'on est débauché et / ou qu'on ne fait pas d'efforts pour s'intégrer quand même. Ces dévots interdisent de donner l'aumône, ou alors seulement à l'Hôpital Général.
Cette institution est un fourre tout, on y enferme pêle-mêle : infirmes curables / incurables, prostituées, filles-mères, orphelins, enfants abandonnés, mendiants, aliénés... C'est un État dans l’État, l'Hôpital Général a même le droit de faire sa police et de punir : poteaux, basses-fosses, privation de nourriture, fouet, exposition s'y pratiquent... L'Hôpital Général se finance entre autres en faisant travailler les patients. Il s'agit alors de petits métiers qui demandent peu de mobilité : filage, tricotage, tirage de chanvre, lessive, divers services de la maison... Le seul salaire permet de se payer la soupe. Cet Hôpital Général a été une énorme ingérence de riches personnages dans le domaine de la santé. Si les Hôtel-Dieu n'étaient pas exempts d'abus ponctuels et de certaines pénitences religieuses, en revanche l'Hôpital Général a institutionnalisé ces abus... alors qu'il ne s'agit même pas d'une institution religieuse mais de « plus royalistes que le roi » ~
Une autre grande "mode" du XVIe siècle, voie potentielle pour votre personnage : les "monstres", ''phénomènes'' et bouffons de Cour
Ah mais je vois, je vois ! Aucune des options précédente ne vous inspire pour commencer le jeu... et vous préférez plutôt côtoyer le public – voire pourquoi pas entrer à la Cour ! La chose est tout à fait dans l'ère du temps : les XVIe et XVIIe siècles ont été férus de bouffons. Certains sont restés célèbres, comme Triboulet, le bossu de François Ier. Les Cours d'Espagne et d'Italie en comptaient beaucoup. Comme l'écrira Victor Hugo, « pourquoi des monstres ? Pour rire. »
En quoi rire touche-t-il de près à l'infirmité ? Aux XVIe et XVIIe siècles, la place sociale du monstre était un rôle comique provoquant un rire de déchargement des angoisses. Monstres de foire, infirmes et bouffons faisaient le bonheur des foules et des Grands. Mais on les trouvait également dans les cirques, souvent mal traités, comme le célèbre Joseph Merrick, "l'homme éléphant".
En découlent des dérives scabreuses. Certains mendiants contre-font les infirmes dans des mises en scène étonnantes. Pire encore, dans toute l'Europe, des groupes de commerçants se spécialisaient dans la fabrication et la vente de phénomènes humains : quand l'on n'a pas assez de "vraies" personnes handicapées sous la main, on capture des enfants, on les estropie, on les fait rester petites par enfermement dans des boîtes, etc. Cela afin de les trafiquer auprès des amateurs de curiosités, fort nombreux en cette période baroque. Votre personnage porteur de handicap aura-t-il donc, peut-être, subi un traitement de ce genre ? À moins qu'il ne soit porteur de handicap depuis sa naissance ? Ou bien accidenté...
Mais afin de revenir à la passion de l'époque pour les « phénomènes »... Le besoin de monstres va en réalité au delà d'un simple jeu. Nobles et rois aiment s'attacher des monstres parce que le bouffon est un défouloir, certes. Cela toutefois ne se résume pas à cela : le roi accorde à la créature atypique « une auréole métaphysique, aussi troublante que fascinante. » Elle est une créature insaisissable, et se l'attacher, c'est étendre son pouvoir de personnage puissant jusqu'à dominer même les êtres les plus étranges. Le message est politique : le dirigeant réintègre même l'anormal.
Le bouffon, par sa position à la fois privilégiée et infamante, peut taquiner son maître. Enfin, pour le roi et les nobles, avoir un homme difforme auprès de soi, c'est exercer une forme de contrôle et envoyer un message fort : le prince saura protéger son peuple comme il protège et réintègre la créature difforme, le prince maîtrise le hors-normes.
"Nous appelons contre-nature ce qui n'est que contre coutume."
~ Montaigne ~
~ Montaigne ~
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum