Petit traité anti-esclavagisme, mis en circulation par la résistance
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Petit traité anti-esclavagisme, mis en circulation par la résistance
Depuis fin décembre 1597, Jérémie - esclave en fuite, secrètement érudit - a mis ses compétences au service de la composition de tête d'un traité visant à démolir les arguments coloniaux et esclavagistes de l'Empire. Alduis de Fromart lui a donné les moyens de faire imprimer l'opuscule, actuellement distribué à travers Monbrina. Libre à vous, donc, d'imaginer que votre personnage ou sa famille aient accès à ce document et d'interagir avec ce nouvel élément de jeu, si la question politique et l'intrigue "révolte servile en construction" vous intéresse
Voici le résumé du livre en question, dans les grandes lignes de son argumentaire ¤
Petit traité d’auto-défense face à
l’argumentaire esclavagiste de l’Empire
signé : Alduis – Jérémie
l’argumentaire esclavagiste de l’Empire
signé : Alduis – Jérémie
Argument scientifique : hiérarchie de l’humanité calquée sur celle du Cosmos géocentrique
Monbrina : Prétend une hiérarchie des êtres vivants (y compris au sein de l’humanité) comme il y a hiérarchie dans le Cosmos d’Aristote et Ptolémée : avec ses différents cercles, la Terre au centre de tout comme meilleure création de Dieu et l’homme au centre de la Terre comme créature supérieure, et parmi les hommes des créatures supérieures aux autres...
Contre-argument : Copernic avec sa lunette, puis ses disciples, contestent la centralité de la terre. Le soleil est au centre ; l’univers n’est pas clos et hiérarchisé mais infini et mû par un mouvement perpétuel des éléments, dont certains qui se détruisent et se recréent autrement. Dans l’Antiquité, déjà des ébauches de contestations de ce système cosmique (Hypatie d’Alexandrie : le système solaire est une ellipse, pas un cercle parfait avec des cercles concentriques + Aristarque qui démontre mathématiquement les distances Terre-Lune-Soleil…). Or on ne peut de plus pas calquer un système social sur des lois cosmiques (périmées qui plus est), deux domaines différents. D’autant que l’établissement de l’un impliquerait une parfaite connaissance de l’autre, ce qui est loin d’être le cas et ne le sera peut-être jamais compte tenu du constat d’infinité dudit univers. Quant au cas Aristote, qui sert d’argument d’autorité pour tout aux XVIe et XVIIe siècles : pertinent dans certains domaines – notamment la littérature – mais scientifiquement dépassé sur les questions cosmiques, il faut le considérer à l’aune des nouvelles découvertes et ne plus l’enseigner comme vérité absolue, mais comme grand penseur qu’il fut dans son contexte et en son temps.
Argument essentialiste : certains sont par nature faits pour l’esclavage et les basses tâches
Monbrina : Il y a, prétend-on depuis l’Antiquité, incompatibilité entre l'exercice des tâches les plus viles et l'exercice libre des fonctions politiques ou militaires. Les unes encombrent les autres et les maisons nobles ont besoin d'esclaves. Aristote n'a-t-il pas écrit, au livre IV de sa Politique, "L'esclave est un instrument vivant. [...] Quand les navettes courront d'elles-mêmes sur les métiers à tisser, alors le maître n'aura plus besoin d'esclaves." ?
Contre-argument : Sophisme du faux-dilemme. L’on devrait ou bien politiser ou bien travailler ? Pas de mélange des deux possibles ? Citons donc Aristote contre Aristote : « l’homme est un animal politique ». La délibération fait partie intrinsèque de la nature humaine. Mais plus sérieusement, comment s’assurer de ce déterminisme des uns à telle condition et des autres à telle condition, quand toutes les constitutions physiques se trouvent chez les hommes libres comme chez les esclaves… et que certains esclaves sont du fait de leur histoire plus instruits que certains individus libres ? + Impossibilité d’un déterminisme puisque certains Monbriniens tombent par sanction en servitude : leur servitude relève alors du domaine de l’acquis et de la loi positive dans ce cas, non de l’inné et de la loi naturelle. Première contradiction dans le discours et les lois de l’Empire.
À ceux qui avanceraient « Oui, mais même si chacun peut délibérer, chacun n’a pas les mêmes dispositions pour les mêmes domaines. » : Certes, mais ne justifie pas un mépris de tel domaine et de ceux qui le pratiquent. Complétude. Pas un argument pour mettre des esclaves à ces tâches. + Ayant été réfuté le déterminisme : comment assigner d’office tel individu à tel domaine et voir qu’il est meilleur dans tel domaine, si on ne donne pas au point de départ une équité en droit, et en chances, et en instruction – seules conditions permettant d’apprécier les réelles compétences, inclinations et dispositions des uns et des autres ? Il ne s’agit pas de prôner un égalitarisme béat voulant que chacun soit également doué et méritant en tout, mais une égalité de départ et de droit pour que ce ne soit pas dans l’arbitraire et la contrainte que l’on dispose tel être à tel poste. L’idée même d’esclavage et d’attachement d’un individu à la volonté d’autrui en empêche la mise en œuvre.
Arguments militaires et colonialistes
Monbrina : Certains peuples sont destinés par les plans divins ou par leur nature même (mais le second exprime le premier) à être supérieurs : les forts, ceux qui remportent les guerres, comme Monbrina. Ce dernier peut donc disposer des plus faibles. Au lieu de tuer ses prisonniers, Monbrina leur laisse la vie sauve en échange de leur soumission. Sans oublier que nous prenons soin de n'asservir, dans les peuples vaincus, que des membres de la populace : ceux qui n'ont pas été placés par l'ordre divin dans la classe des dirigeants, instruits et capables de délibérer. Il est donc doublement dans l'intérêt des prisonniers d'être soumis : ils ne meurent pas, et puisqu'ils sont incultes, incapables de délibérer ni de se diriger, leurs maîtres le font pour eux.
Contre-argument : On laissera de côté l’argument final concernant l’incapacité par essence de certains à délibérer, dont on a déjà traité plus haut. Pour la première partie, les deux propositions (primo : les peuples vaincus sont inférieurs ; secundo : la loi martiale leur laisse la liberté de nous servir plutôt que de mourir) se contredisent et constituent la seconde aporie des lois esclavagistes de l’Empire. Si d’une part l’on considère les peuples voisins comme des inférieurs de nature à éduquer, des enfants, des faibles, que ne voient-ils eux-mêmes leur intérêt aux conquêtes Monbriniennes et pourquoi nous mènent-ils des révoltes soutenues ? L’enfant est certes ponctuellement insolent et désobéissant, testant les limites, mais sent au fond une autorité bonne pour lui. Et d’autre part y a-t-il vraiment réel choix laissé aux peuples vaincus s’il sont inférieurs, et vrai mérite de Monbrina à avoir un traité martial avec des prétendus inférieurs ?
Mais à ceux qui diront « c’est la magnanimité de l’Empire même avec de plus faibles, et le fardeau de l’homme Monbrinien de civiliser les voisins même s’il faut les mettre un peu dans les fers » : Alors pourquoi, en d’autres circonstances, pour vous prétendre équitables, dites-vous que s’il en était allé autrement et que Monbrina avait perdu la guerre, vous auriez joué le jeu et auriez, vous, accepté la servitude dans le cadre de la loi martiale ? Ou bien c’est mentir, ou bien c’est avouer que Monbrina pourrait ne pas être plus naturellement supérieur que ses voisins. Enfin, où est le fardeau quand on voit que Monbrina engrange infiniment plus de richesse en importations que le pays n’en dépense à « civiliser » les voisins. Voisins qui vivaient bien sans nous et n’avaient pas besoin de notre joug pour avoir leurs us et organisations. Même avec pays fonctionnent selon un agrégat de tribus comme Zakros, où des clans se font perpétuellement la guerre… cela nous donnait-il la droit d’aller faire ingérence en leurs affaires ? Enfin, si la mission de Monbrina est civilisatrice, alors elle devrait élever les êtres que l’Empire conquiert, lesquels par ce processus quitteraient l’état justifiant qu’ils soient esclaves : contredisant les arguments essentialistes et scientifiques. Troisième aporie.
Argument économique.
Monbrina : L’esclavage offre une main d’œuvre gratuite qui permet de produire beaucoup à très bas coût et d’en faire profiter tout sujet libre de l’Empire.
Contre-argument : L’argument ci-dessus est vrai jusqu’à un certain point et jusqu’à présent il a en effet apporté beaucoup de richesses à l’Empire sur le dos des esclaves… mais il porte en lui-même son propre anéantissement. À avoir tous ces esclaves, l’économie va finir bloquée pour les sujets de Monbrina. Si des quantités de travaux sont assurés par la main d’œuvre… plus que bon marché… l’emploi à long terme sera bouché et bien des Monbriniens vont se retrouver sans salaire qu’ils puissent eux-mêmes ré-investir, et les capitaux ne pourront plus circuler dans l’économie réelle.
Arguments religieux [NB. Jérémie ne s’amuse pas ici à avancer ce qu’il pense d’une possible nature différente du transcendant que celle de la Bible, voire d’une fausseté / duperie des religions, il n’est pas complètement fou ~ Il prend les arguments adverses sur leur propre terrain et donc parle dans une perspective chrétienne et sur la seule question de l’esclavage]
Monbrina : La Bible enseigne que l'esclavage est prescrit par la loi du Très Haut. Voyez la punition de Canaan par Noé, dans le neuvième chapitre de la Genèse, au verset 25 : « Maudit soit Canaan ! Qu'il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! » Le livre du Lévitique énonce aussi, au sujet des prisonniers de guerre : « Les serviteurs et servantes que tu auras viendront des nations qui vous entourent ; c'est d'elles que vous pourrez acquérir serviteurs et servantes. »
Contre-argument : Avant toute chose, la Bible est livre de foi et non de science ni d’histoire. Il n’y a que les extrémistes qui croient le contraire et Augustin d’Hippone formulait déjà cet avertissement au IVe siècle. Ensuite, l’Ancien-Testament a été compilé il y a des siècles et des siècles, à partir de récits écrits parfois avec des centaines d’années d’écart. Savoir envisager le contexte de certains propos et ne pas les prendre pour notre temps… en laissant de côté ce qui nous arrange moins ! Cet usage fallacieux de la Bible est à rapprocher du sophisme d’appel à la nature ou à la tradition : la nature ou la tradition nous va quand elle nous arrange, mais nous n’aimerions pas pour notre confort matériel revenir à ces temps premiers. + Chez Augustin d’Hippone toujours : « Chaque créature humaine est également fils ou fille d’Adam. » + Genèse : Humain créé à l’image de Dieu, autrement dit avec pouvoir créateur et surtout la liberté de conscience ainsi que discernement. Contrairement d’ailleurs à ce que voudraient faire croire certains – à savoir que Dieu interdit la Connaissance – en citant « le fruit interdit de la connaissance » alors que la formule intégrale est « fruit de la connaissance du Bien et du Mal » au sens très différent. De plus, d’un point de vue téléologique, à savoir la recherche de la finalité de ce qui est : il y a forcément un but à ce que Dieu ait donné la faculté de juger à l’humain. Qu’il s’en serve et croisse en sagesse. + La Bible ne prétend pas être un ouvrage directement dicté par Dieu. Un chrétien raisonnable est conscient qu’elle est inspirée par l’idée de divin… mais écrite de la main d’hommes avec leurs erreurs, errances, et les contextes de vies et limitations qui sont les leurs. Appel à usage mesuré.
Contre-argument Monbrinien possible : Soit, l’Ancien Testament peut être à relativiser… mais dans le Nouveau Testament, après la vérité révélée de Jésus, rien ne condamne l’esclavage. Aux quelques idéalistes prétendant que la Chrétienté doit abolir toute forme de hiérarchie, rappelons que l'égalité ne se fait que devant Dieu, qu'un certain ordre doit rester en vigueur pour empêcher le chaos... et méditons Saint Pierre : « Serviteurs, soyez soumis avec une profonde crainte à vos maîtres, non seulement aux bons et aux doux, mais aussi aux acariâtres. » Saint Paul, enfin, n'a t-il pas écrit aux Corinthiens : « Que chacun demeure dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé. Étais-tu esclave quand tu as été appelé ? Ne t'en soucies guère ; au contraire, alors même que tu pourrais te libérer, mets plutôt à profit ta condition d'esclave. » et aux Ephésiens : « Esclaves, obéissez à vos maîtres d'ici bas avec crainte et tremblement, et simplicité de cœur comme au Christ ; non d'une obéissance toute extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais comme des esclaves du Christ qui font la volonté de Dieu »
Contre-argument : Idem que plus haut pour la remise dans le contexte et la faillibilité d’hommes d’il y a seize siècles. Or ce sont des lettres des disciples, mais rien dans les paroles du Christ lui-même ne cautionne l’esclavage. Il y a même dans les Évangiles un certain appel à remettre en question les vieilles lois. Osons dire que le Christ est innocent au Christianisme tel qu’il a été très vite établi dès les années suivant la mort de Jésus – par Paul notamment : devenu un christianisme du ressentiment, de la domination qui a eu l’intelligence de se donner des airs de pureté et de bonté pour dominer « doucement » et promettre une revanche à ses fidèles dans l’au-Delà + il en a été fait un dogme de la détestation du païen, des femmes, et de tout ce qui fait l’agrément de la vie et que pourtant les Évangiles ne rejettent pas (vin, banquet, corps...). Les propos des Apôtres sur l’esclavage sont peut-être bien ceux d’individus qui ont tout intérêt à maintenir les ouailles dans une servilité ici bas… pour qu’ils espèrent dans le Paradis, l’au-delà, soient patients à la carotte. Il faut la détresse pour faire marcher une foi et sa carotte. Pourtant, un autre christianisme pourrait être viable, beaucoup plus mesuré et intelligent, accordé à la vie de son temps, et n’appliquant ses principes qu’à sa vie privée et spirituelle sans le tremper à la politique.
Mais encore ? Vécu et ressenti des esclaves
Nous nous sommes contenté dans ce traité des arguments purement logiques, politiques, économiques et scientifiques. Il ne nous appartient pas ici de rentrer dans le détail du cœur et des émotions. Toutefois l’expérience sensible n’est pas à négliger dans la connaissance du monde et l’appréciation juste d’un sujet. En termes empiriques donc, du point de vue des sens des individus concernés par l’esclavage, il n’y a qu’à considérer le grand malheur de l’écrasante majorité d’entre eux pour voir l’injustice de leur condition. Une infime minorité d’esclave est assignée à traitement correct – si tant est que l’on puisse déjà appeler « correct » une privation de droits qui, on l’a montré, n’a rien de naturel. Mais la foule de leurs camarades d’infortunes pourrait produire chacun des témoignages plus éloquents les uns que les autres quant à leur malheur, l’arrachement de leur humanité, de négation de leur délibération, le harassement de leurs corps et les abus qu’y produisent leurs maîtres en toute impunité. Prenons donc la peine d’écouter les vies de ceux qui ne sont pas moins hommes et le cœur aussi aura ses raisons, ses parts au débat.
Et ensuite ?
Se dire libre, mais pour quoi ensuite ? Veillons à avoir à cœur une véritable pensée de construction et pas seulement l’étape intermédiaire de se libérer d’un joug. Pour quel idéal encore plus grand réclamons-nous le droit de nous émanciper ? Car cet objectif ne doit pas exister pour lui-même. Libres de quoi, oui, mais : libre pour quoi ?
Pas pour abolir toute organisation. Mais pour travailler chaque jour un peu plus vers la véritable excellence humaine, celle qui se mérite. Pour que ce qui soit établi, le soit en fonction de ce que chacun aura, par mérite, travail honnêtement récompensé et véritables inclinations, construit. Cela ne pourra se faire qu’avec, à l’origine, les mêmes leviers d’action pour tous et les mêmes droits et devoirs pour tous. C’est vers cela que nous pouvons œuvrer : que chacun ait la même mise de départ, les ajustements permettant de combler les écarts au départ, et nous pourrons alors déjà mieux juger des véritables réussites. Avec le souci que celles-ci servent à tous en retour.
Pas non plus pour apporter le chaos et faire de tout table rase. Ceux qui nous dominés ont élevé des choses belles ? Arts, grandeurs de l’esprit, constructions sublimes ? Sachons le reconnaître. Plutôt que de détruire le beau – même s’il est de la main adverse – ne nous en privons pas, voyons-le plutôt comme un défi : libres, nous ferons pour l’Histoire aussi belles et excellentes choses.
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