[6 sept. 1597] Aux alentours du château [Terminé]

Les petites roues grinçaient dans la fraîcheur matinale. Deux yeux-soleil perçaient la brume pour inspecter les alentours du domaine de Monthoux, dans la rôde prudente à laquelle se livrait Tristan. L'invalide avait très mal dormi -- voire quasiment pas, soucieux qu'il était resté du sort d'Alexandre. Celui de Claire cependant l'inquiétait tout autant. Aussi avait-il décidé de venir fureter le château du comte : le garçon devait s'assurer que la jeune esclave allait bien, qu'on le n'avait pas réprimandée pour son retour tardif de la veille.Il savait combien Prosper de Monthoux pouvait se montrer dur. Et stupide.

Prudent, Tristan avança vers les grilles du parc. Peut-être, avec un peu de chance, attirerait-il l'attention d'un des esclaves ? De Claire elle-même ? Il espéra une issue comme celle-ci. Et redouta que des personnes moins bien intentionnées ne le surprenne. Mais l'éventualité ne lui fit pas peur : prendrait aisément le masque du mendiant venu quémander auprès des nobles du quartier.

Crépuscule avait bien vite décidé de laisser sa maîtresse coiffer les filles de la maison pour explorer le domaine. Il se promenait dans le parc, trottinant tranquillement quand il vit quelque chose derrière les grilles. Curieux, le félin s'avança, miaulant comme pour interroger l'étrange visiteur.

Tristan oublia quelques instants son inquiétude en voyant arriver Crépuscule. Sans sa maîtresse malheureusement... Il renouvela sa prière pour qu'elle allât bien. Il claqua dans ses mains pour attirer le chat et, avec un large sourire, héla :


-- Crépuscule ! Viens-t-en ! Alors t'as l'air plutôt bien ici hein ?


Il tendra les bras à travers les barreaux pour accueillir le chat. Soudain le visage de Tristan se rembrunit : une silhouette droite et nerveuse approchait.

La Marthe arrivait d'un pas pressé, toute chargée de ses commissions de la matinée. Elle avait repéré ce curieux infirme qui rôdait autour du domaine, avec des airs trop étranges pour être honnête. Elle s'en vint au-devant de lui et siffla :


-- Hé là ! Petit vaurien, que fais-tu ici ? Qui t'as permis d'approcher des grilles de Monsieur le Comte ?

-- M... Madame.... Pardon, murmure soudain Tristan en s'inclinant bien pas. Je... V'là-t-y des jours qu'j'ai rien avalé... Si vos nobles patrons ou vous-mêmes voulaient bien me secourir de quelque aumône... On dit les gens de Monthoux fort bons. J'ai eu espoir en eux... S'il vous plaît, pour l'amour de Dieu...


Il tendit la main, et espéra au fond de lui que le temps de ce petit numéro pourrait laisser venir un esclave, ou Claire elle-même... Il voulait juste la voir, et savoir si elle allait bien.

Crépuscule ne se fit pas prier, reconnaissant dans les gestes de Tristan un frère félin. Il sauta sur ses genoux, le gratifiant de ronronnements et de coups de tête affectueux. Il renifla avec dédain quand la Marthe vint les interrompre. Ce fut tout juste s'il ne lui montra pas une claire hostilité.

Une figure à l'autre bout du parc apparut alors. Claire-Marie venait juste de finir son travail et considérait avoir assez de temps pour chercher le filou blanc qui venait de disparaître.

- Crépuscule, où es-tu ?

Elle sentit alors plusieurs présences, qu'elle reconnut sans peine. Tristan... mais aussi sa supérieur. Elle tâcha de s'approcher sans trop se faire remarquer.

Marthe n'eut que faire des feulements du chat. Ce n'était qu'un chat. Et il déguerpirait vite des genoux du pouilleux quand celui-ci s'en irait. Il osait quémander devant la porte des nobles patrons.


-- Ici, crapule, on ne fait pas vivre des assistés au crochet de la société ! Tu n'auras pas d'argent. Comment d'ailleurs oses-tu même venir mendier devant un château comme dans la première gargeotte ? Traverse la rue, et vas trouver un travail ! (Un temps) Quant à moi, je t'ordonne de déguerpir avant qu'il ne me vienne l'envie de prévenir Monsieur le Comte et qu'il ne te fasse donner le fouet.

Tristan écoutait à peine ce que disait la vieille bique. Ses longs doigts se perdaient dans le doux pelage de Crépuscule et il lui rendit ses œillades affectueuses. La taille féline du garçon ondoya au rythme des taquineries de l'animal. Soudain, il aperçut au loin la venue de Claire ! C'était l'occasion d'attirer son attention ! Il simula :


-- Mad'moizelle, le chat est à vous ? (à Marthe, tout soumis) Bien M'dame, j'vais m'en aller. J'rends juste son chat à la jeune fille là bas...

Crépuscule ne bouda pas les caresses et le miaulement qu'il lança à Claire l'engagea clairement à les rejoindre. Elle aurait bien aimé mais elle doutait pouvoir le faire avec Marthe dans les parages. Claire approcha prudemment de la grille.

Elle chercha Crépuscule et rencontra ses poils blancs, ainsi que les genoux de Tristan.

- Oui, c'est bien le mien. Merci de l'avoir retrouvé.

Tristan prit garde à ne rien montrer, devant Marthe, de son bonheur à voir Claire bien de retour et apparemment sans aucune marque de sanction, du moins apparente. Il ouvrit ses bras pour la laisser récupérer le chat et lui glissa, très bas, rien qu'à elle :


-- Tout s't-y bien passé pour toi ? Ça va ?

En voyant le chat être remis à sa propriétaire, elle pressa Tristan :


-- Ffft ffft ! Hop, du balai maintenant !

Claire-Marie entendit bien la question de Tristan et hocha la tête aussi discrètement qu'elle put.

- Et Alexandre ? demanda-t-elle dans un souffle.

La voix de Marthe trancha la conversation. Peu importe, se dit Claire, elle sortirait bien à nouveau et pourrait les voir. En faisant attention à l'heure cette fois.

Tristan n'aura pas le temps de répondre à la question que lui posait Claire en retour. Tant mieux, peut-être : les nouvelles d'Alexandre n'étaient vraiment pas bonne. Le pauvre était brûlant à peine conscient... Survivrait-il à cette horrible nuit ?
Il se contenta d'un sourire fragile puis s'en alla, avant de subir un nouveau persiflage de l'intendante. Au moins, Tristan était vraiment rassuré quant à l'état de Claire.

Elle sourit devant la soumission du mendiant, qui dégageait sans faire d'histoire, puis tourna les talons.

Claire ne sut comment interpréter le silence de Tristan. De toute façon, tous durent retourner à leur occupations. Elle pria simplement pour qu'Alexandre aille mieux et que le médecin de la maîtresse puisse faire quelque chose.

Elle retourna au château, ruminant tout cela et espérant qu'une vision vienne dans la journée la rassurer.