[12 Septembre 1597] Entre frère et sœur [Terminé]

Depuis la sortie de l'église, Alexandre marchait en arrière du petit groupe et tenait toujours le bras de sa sœur. Son autre main serrait sa béquille. Son regard surveillait le moindre problème : les flaques de boue, les passants susceptibles de les bousculer, ceux qui qui trouvaient cela drôles d'embêter un infirme, les chariotes et animaux qui barraient le passage... Il indiquait à l'avance à Claire les obstacles et par où passer pour les contourner.

Néanmoins, son esprit songeait continuellement à son infortuné amant. La prophétie de Claire serait-elle juste ? Tristan était-il tombé dans des griffes diaboliques ? Pour quelle raison ? Et comment lui pourrait-il l'en extraire ? il chuchota à Claire :

"Dis... Tu as dit que tu pouvais m'aider à chercher Tristan ? Tu le penses vraiment ? Demain, tu m'accompagnerais pour mener l'enquête et chercher une piste ?"

Claire s'inquiétait de voir son frère lui tenir tout le temps la main. Il devait sans doute avoir aussi besoin de ses mains pour manier ses béquilles. Elle tenta de le lui faire entendre sur un ton très doux :

- Tu sais, tu peux me lâcher, tu as aussi besoin de tes mains et je suis déjà allée seule en ville tu sais.

Elle l'illustra en sautant une flaque d'eau, sans aide. Il lui posa alors une question.

- Je...

Elle se stoppa tout à coup, les yeux perdus dans le vide. Elle voyait quelque chose. Des chaînes. Et une femme, aussi brûlante qu'un feu.

Alexandre baissa la tête au reproche que lui adressait sa sœur. Il se rappela que lui-même détester que l'on assiste en croyant lui rendre service. Il se décida à la lâcher et reprit son autre béquille.

"Pardon. Je ne voulais pas te diminuer."

Il l'observa ensuite passer seule une flaque et sourit. Cela était vrai que toutes ses années, elle n'avait jamais eu personne. Il compensait sans doute un peu trop. Il se figea soudain en l'apercevant se raidir. Qu'avait-elle ?

"Claire.... Claire, ça va ?"

Alexandre sourit à la réponse de sa sœur et se sentit légèrement rougir. Elle pensait à son bien-être avant le sien, comme lui avec elle, comme avec les autres... Ils se ressemblaient tant. Un trait de caractère hérité de leur parent commun ? Cette pensée lui valut une hésitation. De ses souvenirs émergeaient une vision égoïste et aigri du père Thierry. Il se souciait de lui, de Claire, certes, était prêt à tout pour eux mais uniquement parce qu'ils étaient ses enfants, la chair de sa chair.  Sans ce lien de sang, Alexandre doutait forcement que leur père aurait porté un quelconque intérêt aux deux infirmes qu'ils représentaient.

Sa sœur évoqua soudaine sa nouvelle vision, le cœur empli d'un fil espoir d'apprendre des informations sur le sort de son amant. Une femme dans une chambre ? Une chaleur étouffante ? Des chaînes ?

"On retient Tristan prisonnier. Cela est clair. Dans quel but ? Que fait-il avec une femme dans une chambre ?  A moins.. Tristan est d'une grande beauté, troublante même. Une femme aurait-elle jeté son dévolu sur lui ?  Elle doit être riche pour avoir eu l'idée et les moyens de faire enlever son objet de fantasme. Peut-être noble. Seigneur ! Dans quelle galère a été jeté Tristan ? Si cette dame est noble, on ne pourra jamais le sauver. La plèbe ne touchera jamais la noblesse."

En prononçant ces mots, l'image du baron de Frenn lui traversa l'esprit. En théorie, son affirmation serait juste. Néanmoins, dans son cas, il avait su toucher un noble et savait comment attirer son attention. Qui plus est, Tristan entre les mains d'un inconnu mystérieux, ce ne serait pas si difficile cette fois de persuader le seigneur de Frenn de l'aider dans ses projets. Il lui suffirait de laisser échapper que Tristan avait pu être pris dans l'intention de s'en servir contre lui et le destituer de son poste de Premier Conseiller. L'histoire paraissait plus que crédible. Alexandre retint un sourire. Avec un tel allié de poids, sauver Tristan n'était pas mission impossible.

"Pardon. Je disais sottise. oui, dans certaines occasions, la plèbe peut toucher la noblesse et contrarier ses plans et nous allons bientôt le prouver. "

La dernière partie de la vision de Claire demeurait toutefois sans réponse précise. Une chambre étouffante ? Dans une prophétie, chaque élément possédait toujours un sens précis. Et s'il se trompait dans son analyse. Une chambre étouffante... Et si l'image n'était à prendre au pied de la lettre ? Une métaphore ? Que pourrait alors désigner la chaleur étouffante ? La chaleur étouffante dans une chambre ? La réponse lui vint d'un coup ! La fièvre ! Quand on tombait malade, on gardait le lit et donc la chambre. Tristan se trouvait donc dans la chambre d'une femme malade et d'une femme perverse. Cette pensée se révéla pire que la précédente. Il fit inconsciemment le signe de croix, priant pour son amant sans doute en danger mortel.

"J'ai compris. Tristan... Tristan a été pris pour s'occuper d'une femme malade. A l'agonie peut-être. Sans doute, la variole, c'est hautement mortel et terriblement contagieux. Sainte mère de Dieu ! Tristan... Nous devons..."

Sa voix se baissa, le regard porté vers la troupe qui avançait devant eux. Juan jouait avec la petite Grace pour la divertir et la chasser des soucis que celle-ci se faisait pour Tristan. Comment faire ? Il devait persuader Irène de le laisser partir avec Claire puis gagner au plus vite le château de Frenn. Il murmura à Claire, inquiet :

"On va partir et chercher de l'aide. Tiens-toi prête à confirmer tout ce que je pourrais dire."

Nerveusement, Alexandre rejoignit Irène et laissa échapper une petite toux pour attirer son attention.

"Euh... Irène ?"

Alexandre se gratta nerveusement la joue, gêné à la perspective de devoir mentir à cette femme qui se montrait d'une générosité si grande envers lui en dépit de toutes ses bêtises. Cela était cependant obligatoire. Il le savait. Il en avait conscience. Pas question de l'exposer au danger ! Il aurait déjà assez avec sa sœur à protéger. Il prit une voix timide puis dit :

"Je... J'aimerais rendre visite à ma mère. Je me disais.. Je pensais à lui présenter ma sœur, à lui montrer que malgré mes conditions d'esclaves que ma vie n'était pas si catastrophique, qu'elle ne doit pas s'inquiéter.. oui, je sais pour une mère, c'est pas possible ! Mais au moins, je veux la rassurer autant que je peux. Est-ce que... Est-ce que vous m'autoriserez à aller al voir ? je reviendrai demain après avoir ramené Claire chez son maître."

Alexandre réprima un sourire de satisfaction en constatant la réussite de son plan d'évasion. Il prit plutôt une mine compatissante puis répondit :

"Pas de soucis, Irène ! On va juste passer la soirée et la nuit avec maman ! Après, demain, je raccompagne Claire puis je rentre ! Promis ! Passez une bonne soirée en famille, Irène."

Même face à tribunal, la défense passait. Il précisait rentrer demain sans avoir dit quand exactement. Si ce serait dans la soirée,, ce serait toujours la journée du lendemain ! Et puis, il serait cette fois allié au seigneur de Frenn. Ce dernier le ramènerait certainement une fois de plus.

Confiant, Alexandre se tourna vers sa sœur d'un large sourire :

"Allez, suis-moi ! Maman a toujours au four un tas de pâtisseries à tomber ! Tu n'en as jamais goûté, hein, tu vas dit ? Eh bien, après ça, tu pourras plus en goûter une autre que le sienne !"

Continuant à feindre l'excitation, le jeune homme indiqua le chemin à Claire puis s'éloignait déjà.

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