[14 Septembre 1597] - Dans l'antre respectable de l'herboriste [Terminé]

Depuis quelques heures, il était seul. Ses trois compagnons étaient partis veiller aux besoins de leur curieux ménage en allant, deux à la ville et le troisième à la cueillette. Hyriel gardait la bâtisse depuis l'arrière-salle. Et quelle arrière-salle ! Ils avaient trouvé une grotte vide à cet endroit et s'y étaient installés quand ils étaient arrivés sur ces terres. Ils avaient ensuite décidé de construire leur cabane devant, laissant une porte pour relier les deux espaces et cacher cette grotte devenue laboratoire.

Au milieu de ses herbes de diverses sortes suspendues aux murs et de ses livres et carnets, Hyriel était assis sur une chaise de bois, nonchalamment avachi sur son dossier. Une main pendant derrière lui et l'autre reposant sur sa cuisse, il regardait le plafond rocheux de son laboratoire. Qu'allait-il bien pouvoir faire durant l'après-midi qui arrivait ? Il était déjà allé en ville les derniers jours et avait rapporté quelques sous pour leur permettre de vivre quelques temps mais n'avait rencontré aucun client venu pour autre chose que de l'encre sur un papier. Y retournerait-il cette fois-ci encore ou profiterait-il de leur petite avance pécuniaire pour constituer des réserves de potions ? ou alors ferait il quelques expériences ? Oui, après tout, pourquoi pas. Il pouvait bien tester quelques nouvelles recettes, juste pour la beauté des résultats, au moins en attendant d'avoir un peu d'action.

Il tendit son bras et attrapa le dernier livre dont il avait fait l'acquisition chez un libraire et le feuilleta à la recherche d'une recette à essayer pour "apaiser et soigner". Les pages défilèrent sans qu'ils ne les regarde et il n'en avait pas fait passer la moitié qu'il décida de refermer ce livre un peu ennuyeux. Il le reposa et prit son voisin, plus petit, en moins bon état. Il sourit en se souvenant du philtre qu'il avait donné à ce vieux bonhomme dans cette sombre allée pour l'obtenir. Le pauvre homme pensait vendre un livre de cuisine et il lui avait vendu un livre de poison ! Hyriel le savait au moment de l'échange, bien entendu, et il s'était empressé de l'ajouter à sa petite collection d'ouvrages... peu recommandables.

Il fut interrompu dans son feuilletage en entendant des coups sourds. Il leva la tête. Un potentiel client ? Un sourire autant charmeur que malsain - tout dépendait du contexte - étira ses lèvres et il reposa son livre. Il attrapa ses béquilles et s'appuya dessus pour se lever, moucha sa bougie et sortit de son laboratoire. Il traversa leur pièce de vie commune et ouvrit la porte après s'être assuré de la présence de son caractéristique sourire.

"Bien le bonjour, salua-t-il en jouant sur les intonations mystérieuse. Que puis-je donc pour vous ?"

Hyriel n'eut aucun mal à reconnaître le "roi" de la forêt. Dès son arrivée, ce jeune homme avait voulu tout diriger. Si ça lui chantait... Tant qu'il ne dérangeait pas les quatre qui étaient là avant lui, Hyriel n'y voyait pas d'inconvénient.

Il s'étonna de le voir arriver chez lui, surtout avec un grand sourire. N'importe qui se dirait que cela n'annonce rien de bon, Hyriel se réjouit d'avance à ce que cette expression promettait. Et alors quand il lui expliqua la raison de sa venue...

"Voyons, voyons, voyons, un empoisonneur ? Est-ce là la réputation que l'on me fait en ce bas monde ? Je ne suis qu'un humble soigneur..."


Un coin de ses lèvres se souleva plus que l'autre en un rictus à faire jalouser un diable.

"Après, ne dit-on pas que la mort est le plus efficace des remèdes ?"


Sur ces mots, il ouvrit plus grand sa porte et s'écarta, invitant Sylvère à en désignant son intérieur.

Hyriel s'amusa à observer la reaction de son hôte. Généralement, ceux qui venaient le trouver pour la partie plus sombre de ses connaissances s'attendaient à entrer directement dans un obscur laboratoire. Quelle naïveté : Un noble accueille dans son salon, pas dans ses cuisines.. . C'était toujours aussi amusant d'observer les réactions des uns et des autres. Celui-ci ne fit pas exception : Hyriel savait que chercher et il avait bien vu l'éphémère lueur d'étonnement dans les yeux du roi son voisin, même si celui-ci tenta de la cacher ensuite.

Il referma la porte derrière lui et le suivit avant d'aller s'asseoir sur un banc pour s'accouder sur la table. Quand le roi se retourna, ses yeux brillaient d'une étincelle malsaine. L'après-midi promettait d'être excitante !

Il écouta son préambule.

"Bien entendu. Qui n'a pas eu connaissance de cette tragique histoire ? D'autant plus que les nobles ont cette manie de se faire passer pour des victimes quand cela les arrange...

Il vit son sourire s'agrandir et fut tenté de faire de même mais se retint pour l'instant, histoire de préserver les apparances. Vu la tournure de son récit de l'accident et sa proposition, Hyriel devina sans peine qui était l'illustre invité du roi et effectivement, on ne le disait pas pauvre. Il réfléchit un instant sans quitter le roi des yeux. Oui, après tout, un peu d'argent ne serait pas de refus. Il pourrait ainsi s'offrir du matériel et acheter de quoi améliorer leur petit nid. Et puis... il avait besoin de s'amuser. Il laissa son sourire s'agrandir et désigna le banc en face de lui d'une main.

Allons, Majesté, asseyez-vous donc... Je m'en voudrais qu'un potentiel partenaire d'affaire soit mal reçu dans mon humble demeure...

Hyriel suivit du regard son "invité" comme il s'asseyait. Il aimait voir ce regard chez quelqu'un : cela promettait beaucoup d'amusement !

"Je n'en doute pas..."

Il écouta avec attention les informations que lui livrait le roi. Effectivement, ce n'était pas du petit gibier qu'il tenait là. La fortune des Rottenberg n'était pas un secret et s'il était le dernier survivant, il en était entièrement dépositaire. Nul doute aussi qu'il l'avait pris avec lui dans sa fuite. Oui, oui, vraiment... son pesant d'or au sens propre. Hyriel détourna un peu les yeux pour regarder son doigt suivre les lignes du bois. Son sourire, lui, était toujours là, éclatant.

"Un poignet en mauvais état ? Comme c'est dommage pour lui... Il doit souffrir horriblement... Heureusement, je connais des recettes fort apaisantes. Je veux bien t'aider à soigner ce pauvre malheureux et à alléger son esprit de la douleur et du poids d'or qui peut alourdir sa conscience mais..." Il releva les yeux vers le roi. "... ton regard me dit que tu as une idée bien plus divertissante à me proposer."

Sylvère leva un sourcil à la "contrainte" que ce jeu lui imposait.

"Une immunité aux poisons ? Vraiment, les gens de nos jours n'ont plus aucun esprit joueur, c'est désolant..."

Il avait pris un air faussement déçu mais le perdit bien vite. Au fond, cela ajoutait juste un peu de sel à l'affaire. Son sourire s'agrandit encore quand il vit son interlocuteur ricaner. Décidément, ce roi lui plaisait. Il avait le sentiment qu'il ne perdrait pas au change en s'associant avec lui et il voyais bien que l'autre pensait la même chose.

Il écouta en silence les explication suivantes. Bien évidemment qu'il allait le planter quand il n'aurait plus besoin de lui pour cacher ses traces, n'importe qui de sensé le ferait. Lui-même garderait un peu de prudence avec le roi, au cas où, même s'il sentait avoir trouvé un bon partenaire de jeu. Il le suivit du regard comme il se levait et un sourire carnassier étira ses lèvres quand il lui révéla son plan. Oh oui, ç'allait vraiment être très amusant !

"Dans ce cas... faisons les choses bien et assaisonnons le plat à notre sauce."

Il réfléchit un instant. Quelle cuisine réaliser pour préparer ce pigeon insensible aux sauces les plus piquantes ? Et les plus douces ? Il plissa un peu les yeux sans se départir de son mystérieux sourire.

"Dis-moi, aurais-tu une corde pour ficeler notre préparation ?"

Hyriel ne quitta pas le roi des yeux tandis qu'il réfléchissait à sa question. Il savait reconnaître les hommes qui réfléchissaient vraiment et ceux qui ménageaient leur effet. Il ne dénigrait pas du tout les seconds – lui-même en était quelques fois – et c'était même tout le contraire, surtout quand ils associaient ce regard et ce sourire. Le calme intelligent cachant le chaos amusant. Son sourire s'agrandit quand il vit que le roi reprenait ses mots. Oui, vraiment, il avait trouvé un bon camarade de jeu.

"Le sommeil est le plus doux des calmes, qu'il soit éternel ou non d'ailleurs, surtout pour ceux qui n'en profitent pas."

Il fit une pause lui-aussi, aimant à ménager ses effets, et reprit de jouer avec les lignes du bois.

"Et puis ce pauvre blessé devra être apaisé pour ne pas trop souffrir..."

Il ricana à ses derniers mots. Oui, bien entendu, il ne faudrait pas que la volaille leur file entre les doigts.

"J'ai quelques réserves de calmant et je vais prendre de quoi m'occuper de notre ami : quand on offre un plat, il faut tout de même qu'il soit attrayant pour l'œil. Si tu as une corde, alors tout me semble bon pour une petite cuisine."