[9 Décembre 1597] Le retour bruyant de Cupidon

Cassandre avait presque couru, malgré le sac de courses qui lui pressait l'épaule, pour revenir du marché. Son esprit avait peu à peu effacé la dernière conversation entre les amoureux et ses réflexions sur toutes ces choses que les gens ne voulaient pas voir. Elle préférait penser que sa cousine et Guillaume étaient bien assortis et se complétaient. Ils partageaient des valeurs et des idées communes. De quoi créer un couple harmonieux ! Elle chantonnait à mi-voix une comptine crue, apprise au Lupanar, sans tenir compte du regard que lui lançaient les passants outrés.

Son ami et sa cousine étaient amoureux.
Sa cousine et son ami allaient se marier.
C'était trop bien !

En arrivant près de la boutique de la Rosa Azul, Cassandre se calma un peu et cessa de chanter. Elle se rappelait de la colère de Sylvère quand il l'avait entendu entonner une comptine similaire et se doutait qu'Irène se fâcherait elle aussi à constater des paroles comme ça dans sa bouche. Elle ne comprenait pas. C'étaient pourtant des airs joyeux. Et quand les clients les chantaient, ils étaient tous très heureux et ça mettait toujours une bonne ambiance. Elle se força à modérer son enthousiasme. Avec sa grossesse, Irène était si souvent fatiguée et avait facilement mal à la tête. Mais comme c'était dur de se retenir de ne pas crier la bonne nouvelle en poussant la porte. Quelle épreuve !

Cassandre réussit à parler d'une voix normale en ouvrant la porte.

"Coucou ! Je suis rentré."

Elle s'avança vers le comptoir derrière lequel se tenait Irène et déposait la monnaie qui lui restait.

"Il y a treize rilchs. Et j'en ai déposé deux pour acheter des sucreries."

Elle espéra que sa tutrice ne ferait pas le calcul à voix haute. Sinon Grâce comprendrait qu'elle avait été levée par rapport à ce qui restait dans le sac. Elle se tourna vers sa petite soeur et étala les bonnes choses sur le sol.

"Tiens, tu te sers ? Moi, je vais ranger les courses."

La fillette se redressa pour s'éloigner vers les placards et commencer à entreposer les beaux légumes achetés un peu plus tôt. Mais bien vite elle ne tint plus. Elle devait le dire. Elle devait absolument le dire.

"Au fait, j'ai vu Béryl au marché ! Et elle a un fiancé maintenant !"

Irène était restée éveillée toute la mâtinée pour travailler. Elle commençait à être fatiguée. l'après-midi serait sans doute bien courte, engloutie dans le sommeil. Grâce jouait à la poupée sur les escalier pour sa part. Irène sourit alors qu'une cliente sortait, un panier de rubans à la main. Elle semblait satisfaite et les recettes de la journée montaient déjà bien. Il fallait croire que c'était lorsque la bise arrivait que les gens avaient le plus besoin de vêtements. Cela les arrangeait bien, surtout quand Cassandre allait aux courses. Elle allait encore revenir avec un plein panier acheté avec à peine trois rilchs.

Justement, elle la vit entrer alors qu'elle rangeait la caisse. Elle sourit.

- Rebonjour à toi !

Elle se dirigea vers elle en souriant et regarda avec elle sur le comptoir. Elle soupira.

- Eh bien... Il faudra vraiment que tu me dises un jour comment tu fais...

Grâce pour sa part bondit sur ses pieds pour venir près de sa sœur.

- C'est vrai ? Des bonbons ?

Elle prit le paquet avec avidité et commença à manger. C'était tellement bon. Irène soupira. Heureusement qu'il restait deux heures avant de manger. Elle piqua une sucrerie.

- Ton futur frère ou ta future sœur peut bien en avoir, non ?

- Oui, maman !

Elle sourit en lui laissant un autre bonbon. Irène retourna pour sa part remettre un présentoir en place avant de relever la tête, surprise. Bélyl ? Les mots atteignirent son esprit et elle finit par s'illuminer.

- C'est vrai ? Joseph a fini par trouver le fiancé idéal ? Alors, baron, vicomte ? Soyons fous, comte ?

En entrant, Cassandre salua poliment la cliente qui sortait sans oublier de al compliment habilement sur son apparence. Elle ignorait ce que celle-ci avait pu acheter mais les flatteries entretenaient le commerce. Le commerce vint déposer la monnaie au comptoir et eut un sourire espiègle à la question de sa tutrice.

"Allons, allons, les magiciens ne révèlent jamais le secret de leurs tours !"

Elle donna ensuite les sucreries à Grâce et s'éloigna pour ranger les courses dans le placard. Très vite, ses pensées bouillonnantes sur le nouveau  couple qui venait de se former sous ses yeux au marché. Il lui fallait le dire vite. Irène réagit aussitôt et favorablement en imaginant quelques hypothèses. Cassandre secoua la tête.

"Non, c'était lors d'une rencontre voulue par le destin ! Je parlais avec un ami quand Béryl est arrivée ! Et là, ils se sont regardés tous deux ! Ils étaient trop mignons !"

Malgré elle, sa voix avait commencé à s'élever et al fillette sautillait sur place.

"Et c'est des titres de seconde zone, ça ! Et son fiancé, il est bien plus prestigieux que tous ces petits titres !  Il s'agit de Guillaume, le Prince des herboristes, fidèle suivant du majestueux Hyriel, roi suprême des guérisseurs, pourfendeurs de toutes les maladies connues et inconnues !"

En terminant son introduction, Cassandre réalisa une sorte de révérence, entre la grâce et le comique. Elle continua à sautiller, toute excitée.

"C'est trop bien ! Après le baptême, on va assister à une noce ! Grâce ! Grâce !""

Elle courut vers sa petite sœur et la força à se leve.

"Allez, on va se coudre des robes de demoiselles d'honneur ! T'es d'accord ? T'es d'accorc ?"

Irène ne put que souffler avec amusement tout en saluant elle aussi la cliente. Elle sourit en lui tapotant la tête.

- Alors dans ce cas, tu vas devenir la coursière officielle et grâce viendra avec toi pour voir tes tours de magie !

Alors qu'Irène replaçait un collier, elle fronça un peu les sourcils. Elle pencha la tête.

- Attends donc voir... Tu veux dire...

Un coup de foudre. Elle secoua la tête. Ce genre de chose n'arrivait que dans les histoires. Bélyl avait très bien pu... Où était-ce vrai ? Grâce pour sa part s'illumina.

- Ah bon ? Bélyl a un amoureux !

Irène soupira. Oh, elle sentait que le son allait monter. Elle se massa la tempe d'avance, surtout quand Cassandre commença à bondir dans tous les sens. Elle fronça les sourcils.

- Attends... Attends... Hyriel, ton ami herboriste a un apprenti ? C'est lui que vous avez rencontré au marché ?

Elle n'eut pas le temps de poser d'autres questions que Cassandre prit Grâce à partie. La fillette commençait à sauter partout.

- Oh oui ! Oh oui ! Bélyl a un amoureux ! Elle va se marier et avoir plein de bébés !

Elle avait des étoiles danss les yeux en tournant en riant.

- Oh oui, des robes avec plein de dentelle ! Avec des rubans !

Irène poussa un gros soupir et vint poser une main douce sur leurs épaules.

- Non, les filles, doucement. On se calme... Bélyl n'est pas encore fiancé et il faut déjà qu'elle en parle à son père. Et tout doué que soit son Guillaume, il faut encore qu'il lui plaise...

Cassandre s'amusa du titre que venait de lui donner Irène. Elle avait hâte de montrer à sa petite sœur l'étendue de ses talents. ce serait amusant. Elle s'empressa ensuite de raconter l'incroyable histoire arrivée au marché, toute excitée, et sourit d'entendre Grâce s'en exciter aussi.

"Oui, oui, oui, mon ami Hyriel, le meilleur guérisseur au monde ! Guillaume, c'est son apprenti et il sait déjà un tas de choses ! Il a l'âge de Béryl ! Et il est très gentil ! Et ils s'entendent trop bien !"

sur ces paroles, Cassandre rejoignit Grâce qui sautillait et courut vers les paniers de rubans et les étagères sur lesquels étaient posées des tissus.

"On va choisir ce qu'on va coudre ! On prend du blanc ! Les enfants, c'est toujours beau en blanc, ça rappelle leur innocence ! Tu choisis la dentelle, toi ? moi, je cherche les rubans !"

Alors que la fillette commençait à fouiller, fébrile, elle se tendit de sentir la main d'Irène sur ses épaules et se retourna. Elle l'écouta puis secoua la tête.

"Mais non ! Ils vont se marier, ça peut pas être autrement ! Ils ont mangé tous les deux la même grenade ! Et tu sais ce que ça veut dire ? C'est le fruit du mariage ! Comme quand Hadès et Perséphone se sont mariés ! Ils sont liés à vie ! Et puis vous auriez vu ! Ils étaient trop mignons ! Oncle Joseph, il ne pourra dire non, allons ! Ils s'aiment ! Et ça se fait pas de pas marier des gens qui s'aiment ! Et puis... Et puis, s'il veut pas, je ferai des tartes aux myrtilles ! Je lui proposerais de lui offrir un tas de tartes aux myrtilles en échange de son accord ! Mais bon, de toute façon, il peut pas refuser ! Il est gentil oncle Joseph alors c'est impossible qu'il dise non !"

Le son monta vite. Trop vite. La tête d'Irène protesta très rapidement et se mit à jouer du tambour. Elle respira un bon coup alors que Cassandre s'extasiait elle aussi.

- Oh, mais c'est trop bien ! Comme les princes et princesses des contes de fées !

Elle but toutes les paroles de sa grande sœur et allait courir chercher tout ce qu'il fallait quand sa mère l'arrêta. Elle se reprit un peu en rougissant.

- Pardon, maman...

Irène pour sa part observa Cassandre. Elle eut un léger sourire. C'était adorable mais c'était tout de même un peu précipité...

- Il me semble que c'est à eux d'en décider, pas à un fruit. Tu sais, c'est simplement une coïncidence, ce genre de croyance n'explique pas tout. Quant à Joseph, je pense qu'il doit en juger lui-même et Bélyl aussi d'ailleurs. Elle est encore un peu jeune pour être sûre de ses sentiments, surtout avec un garçon qu'elle vient à peine de rencontrer. Et tu sais, ce genre de chose prend du temps. C'est comme une petite graine qui doit d'abord pousser et grandir pour donner un bel arbre.

Elle secoua la tête en souriant. Oui, certes, la gourmandise de son frère était légendaire mais il n'était pas certain qu'il se fasse acheter aussi facilement.

Cassandre et Grâce étaient toutes excitées par la préparation de leurs superbes tenues pour le mariage de leur cousine avec Guillaume. La fillette fouillait les étagères et dépliait le beau tissu blanc pour déterminer lequel serait le plus éclatant pour confectionner leurs futures robes. Leur enthousiasme fut cependant refroidie rapidement par l'intervention d'Irène. Cassandre fit aussitôt al moue alors que Grâce s'excusait. Elle entendit ses arguments pour mieux répliquer à son tour. Non mais ! Guillaume et Béryl étaient amoureux et allaient se marier ! C'était comme ça et pas autrement ! Ca suffisait les histoires d'amours qui avaient des difficulté !

"Mais si ! Les mythes grecs, ils disent la vérité ! La preuve, je m'appelle Cassandre et vous me croyez pas ! Comme la princesse de Troie que personne ne croyait alors que s'ils l'avaient fait, leur ville aurait été sauvé ! Et donc ça veut dire que moi j'ai toujours raison ! Et donc pour les grenades c'est vrai !"

Elle éclata de rire, mains sur les hanches, fière de son argumentation.

"Et puis, pourquoi parce que Béryl est jeune, elle pourrait pas être sûre de ses sentiments ? Grand frère et grande sœur ils se sont aimés eux aussi au premier regard ! Et ils sont complètement amoureux ! Alors que ça rend leur vie compliquée. Oncle Joseph il va quand même pas aussi bête que le comte de Monthoux ? Je le croyais intelligent moi !"

La fillette se mit à glousser quand Irène évoqua ensuite une petite graine pour parler de l'amour.

"Ah oui ? Une graine... comme les bébés ?"

Une idée malicieuse germa dans son esprit fertile. Sa tutrice allait certainement préférer du mariage que de ce sujet. La scène du marché lui revenait en plus. Oh non, Irène n'allait pas du tout aimer. Cassandre se retenait difficilement d'éclater de rire. Elle se tourna innocemment vers sa petite sœur, d'un air décontracté, puis s'exclama :

"Diiiiis, Grâce, tu sais, comment on fait les bébés ?"

Elle attendit une petite minute puis ajouta :

"Alors, le papa met bien une graine dans la maman. Mais u sais comment il la plante ?"

Cassandre ne semblait pas décidée à l'écouter. La soirée s'annonçait déjà longue... Elle se massa de nouveau les tempes à son nouvel argument.

- Cassandre, nous ne sommes pas tout à fait dans le même contexte... Tu n'as pas prédit grand-chose il me semble et surtout, tu n'as pas été maudite par un dieu du soleil jaloux...

Elle plissa les lèvres à la suite. Comment lui expliquer cela ?

- Oui mais justement, Sylvère et Kalisha ont bien cinq ans de plus, ils ne sont plus des adolescents. Tu sais, en amour, même si les coups de foudre arrivent, il faut aussi prendre du recul et savoir se donner du temps, pour se connaître.

Elle secoua la tête ensuite.

- Non, Joseph n'est pas bête loin de là mais je ne pense pas qu'il acceptera de marier sa fille à quelqu'un qu'elle connait depuis deux heures. Et puis, même l'organisation d'une cérémonie de mariage prend du temps.

Elle saisit ensuite la trop bonne pertinence de sa métaphore et réagit un peu trop lentement. Grâce avait déjà froncé les sourcils.

- Ah bon ? Mais...

Irène mit les mains sur les oreilles de sa fille en secouant la tête.

- Non ! On va essayer de...

Elle s'était déplacée trop vite. Elle le sentit et crut bien chanceler. Irène se rattrapa à la vitrine, une main sur le front. Grâce se désintéressa aussitôt de sa sœur et une expression de peur se peignit sur son visage.

- Maman ! Vous allez bien ?

Elle tâcha d'apaiser sa petite fille en lui caressant et en lui souriant.

- Oui, oui... Tout va bien, ne t'inquiète pas...

Cassandre fronça les sourcils, ennuyée de l'argument.

"Mais.. Mais on n'en sait rien ! Peut-être que si ! Et puis, avec toutes les épreuves, mais si, en vrai, je suis une demi-déesse, la fille d'un Dieu ou d'ne Déesse ! Et j'ai eu un don spécial ! Celui de dire al vérité ! Même si on me croit pas !"

Elle souriait avec effronterie, fière de sa répartie. Mais Irène c'était une adversaire coriace. Elle ne désarmait pas comme ça.

"Mais..... Mais pourquoi l'amour il serait plus sûr à l'adolescence qu'à l'âge adulte ? Parce que les adultes, ça fait mieux que tout le monde peut-être ? Ils ne font jamais d'erreurs ?"

Elle resta plus calme sur la suite mais ajouta tout de même :

"Bah.. Si ça prend longtemps, justement, faut pas perdre du temps à douter comme ça des sentiments d'un couple."

Elle allait s'apprêter à raconter à Grâce comment on faisait les bébés, s'amusant d'apercevoir Irène s'avancer pour boucher les oreilles de sa petite sœur. Comme c'était bête ! Quand elle était petite, elle avait vu au village des cochons, des chiens ou des vaches s'accoupler. Elle s'était interrogée, curieuse, et on lui disait que c'était comme ça qu'on faisait un petit, pour les animaux, comme les humains. En quoi c'était choquant ? Elle ne comprenait vraiment pas.

Mais un malaise d'Irène la fit brusquement pâlit. Cassadre paniqua un instant, horrifiée, puis s'empressa d'aller chercher une chaise.

"Vous.. vous allez bien ? Vous avez besoin d'un guérisseur ? Hyriel... ou de manger ? ou de vous reposer ? Vous voulez que je vous aide à monter pour vous reposer ? vous..."

Irène ne se sentait pas de répondre aux babillages de Cassandre. Pensait-elle réellement ce qu'elle disait ? Voilà qui serait légèrement absurde... Elle secoua la tête ensuite.

- Oh si, les adultes font des erreurs mais nous au moins, nous pouvons en apprendre. Nous avons le recul pour cela. vous, pas encore assez.

Il n'avait guère que là que le temps jouait en leur faveur... Et des erreurs, elle savait maintenant comment ne plus en faire. Elle soupira en plissant les lèvres.

- Au contraire et je pense que Bélyl sera de mon avis.

Alors que son malaise la prenait, elle s'installa de bonne grâce sur la chaise que lui apportait Cassandre. Elle se massa les tempes.

- non, j'ai juste un peu mal à la tête, tout va bien... je crois que je vais monter plus tôt aujourd'hui.

- Oui, maman ! Vous devriez allez vous coucher !

Irène sourit devant l'autorité de sa fille.

- Très bien, très bien, j'y vais. Tu vois Cassandre, inutile de déranger Hyriel, je pense que je m'en sortirait très bien seule. Je vais monter. Vous deux, restez pour surveiller la boutique, je vous fais confiance.