[15 décembre 1597] Un grand besoin de réconfort [Terminé]

Pousser la porte, adresser un vague signe de tête au tenancier, monter. Une marche après l’autre. Comme un automate. Que pouvait-elle faire d’autre ? En essayant de réconforter les sentiments d’Alduis, elle n’avait fait que l’attrister, le blesser et le faire fuir, parce qu’il était incapable de lui répondre. À présent, ses mots à elle allait torturer son esprit, sans doute, et c’était sa faute, quand bien même elle avait seulement voulu l’aider. Elle croyait bien faire… Elle avait déjà croisé des gens qui avaient refusé son aide mais elle n’avait jamais empiré la situation de quelqu’un.

Elle essuya une larme solitaire en arrivant sur le palier et ses jambes avancèrent d’elles-mêmes jusqu’à sa chambre. Elle ne savait même pas ce qu’elle y ferait, en attendant le repas qu’elle n’aurait sans doute pas l’appétit de manger. Elle passa devant la porte du cardinal et s’arrêta. Il pourrait peut-être l’aider ? Non, il devait être occupé, elle n’allait pas le déranger avec ses petits problèmes… Mais c’était quand même pour aider les gens qu’elle était venue, alors si elle n’y arrivait pas, elle devait lui dire… Il la renverrait sans doute en Italie, à cause de son échec…
Elle prit une grande inspiration, tremblante.
Elle serait honnête, elle ne cacherait pas sa faute par intérêt. Lèvres pincées, elle frappa et avala sa salive en attendant le cardinal, prête à affronter ce qu’il lui dira.

Comment lui dire ? Comment lui dire qu’elle l’avait déçu ? Comment lui dire qu’elle s’était révélée incapable de faire ce pour quoi elle était là ?
La porte s’ouvrit.
Le cardinal souriait, ravi de la voir, mais elle, elle allait le décevoir… Non, non… Alors qu’il était si gentil… Elle déglutit difficilement et l’écouta poser ses questions. Ce qu’il devait lui enseigner… mais… mais…
Une boule se forma dans sa gorge et ses lèvres tentèrent d’articuler quelque chose, en même temps qu’elle retenait ses larmes. Elle ne devait pas pleurer devant lui, elle n’était plus au couvent, elle ne pouvait pas pleurer dans les bras de leur curé comme elle le faisait quand elle n’allait vraiment pas bien…
Mais…

« Je… Je ne sais pas mais… »
Elle secoua vainement la tête en même temps que sa voix se brisait.
« J’ai échoué, de toute manière, je… »
Une larme coula…
« J’ai fait du mal à quelqu’un en voulant l’aider… »
… puis une autre…
« … et maintenant, il torturera son esprit par ma faute… »
… et elle enfouit son visage dans ses mains, fondit en larmes et se rapprocha instinctivement du cardinal, en quête de réconfort.

Rien fait de mal. Elle n’avait rien fait de mal. Si… Elle avait, par ses paroles, réveillé un questionnement douloureux chez un innocent… Elle avait voulu aider mais n’avait fait que blesser…

Elle fondit en larmes, incapable de se retenir, et se sentit peu à peu envelopper par des bras réconfortants, comme celui du père de leur paroisse ou de la badessa. C’était rassurant. Il ne lui en voulait peut-être pas… Il était un homme bon, il pourrait l’aider. Elle s’efforça de se calmer, avec son étreinte, et ravala ses sanglots avec difficulté pour parler.

« Je… J’ai rencontré quelqu’un… Il se sentait mal… moralement… il avait besoin d’aide… J’ai voulu l’aider mais… je… je… Je lui ai posé des questions pour savoir comment l’aider et… il… je… il n’a pas su répondre, ce qui lui a fait encore plus mal, et il est parti… mais il avait vraiment mal, je le voyais… J’ai échoué, je me croyais capable d’aider mais non… »

Et les larmes revinrent.

Cecilia renifla ses larmes pour écouter le cardinal mais avait la gorge trop serrée pour répondre. Si elle avait vraiment fait tout ce qui était pour le mieux, il ne serait pas parti en souffrant autant… Elle écouta la suite, un peu plus rassurée, mais baissa la tête en se redressant. Elle ne pouvait rien dire, elle avait promis… Elle secoua la tête.

« C’est… un secret. J’ai promis de le garder, je suis désolée. Mais… comment peut-on être bon si l’on ne peut pas aider ceux qui en ont besoin ? »

Elle leva vers lui ses yeux encore brillants de larmes. Elle avait besoin d’entendre sa réponse, elle ne savait pas quoi faire, elle, sinon.

Le cardinal soupira, ses épaules s’affaissèrent. Qu’avait-elle dit de mal ? L’avait-elle déçu ? Elle baissa la tête et fut incapable de répondre à sa question par autre chose qu’un murmure.

« Je ne sais pas… »

Elle écouta la suite avec attention, tout en reniflant ses dernières larmes. Elle hocha la tête. En effet, nul n’était tout puissant à part Dieu. Elle releva brusquement les yeux à la fin, surprise du compliment, qui réchauffait son cœur. Elle rosit et retrouva un sourire timide.

« C’est vrai, vous le pensez ? Pourtant, je ne suis qu’une novice, je ne peux pas faire autant que vous… »

Le sourire du cardinal rassura légèrement la jeune novice, égarée. Au moins ne semblait-il pas lui en vouloir, ni être déçu. Un maigre sourire revint illuminer son visage quand il réaffirma les gentils mots qu’il avait eu.

« C’est très gentil à vous… Vous pensez donc que, dans d’autres circonstances, j’aurais pu aider cet homme ? Ou que vous-mêmes le pourriez ? »

Parce que si c’était ça, elle essayerait de l’aider la prochaine fois qu’ils se reverraient !

Les paroles du cardinal achevèrent de rassurer Cecilia qui s’illumina.

« Vos mots me réchauffent le cœur, Éminence ! Dans ce cas, j’espère bien que nous aurons l’occasion de le revoir ! »

Pour cela, il faudrait peut-être qu’elle se rende chez lui… Non, sans doute pas… Mais elle pourrait lui écrire une lettre !

« Éminence, savez-vous s’il est possible d’envoyer des lettres à Fromart ? »

Ainsi, ils pourraient échanger et il lui répondrait quand il voudrait !

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans

Matthieu se sentit soudain déchargé d’un poids alors que Cecilia reprenait son entrain habituel. Il hocha la tête.

- Eh bien, j’en suis ravi ! Et je l’espère également !

Il serait tout de même curieux de savoir qui était ce mystérieux bénéficiaire de tant d’attention. Son sourire disparut quand elle cita un nom. Il se figea en une expression de surprise et de stupeur.

- Fromart… Le… là où est le ministre des Affaires Étrangères et son fils ? C’est un des deux que vous avez rencontré ?

Ah non, il ne laisserait pas son apprentie s’embarquer là-dedans ! Lui-même ne voulait pas remettre un pied dans cette demeure alors il était hors de question qu’elle y envoie ne serait-ce qu’une lettre.

De nouveau aussi enjouée que d’habitude, Cecilia hocha joyeusement la tête à la suite du cardinal, emportée par son entrain. Elle évoqua ensuite son idée d’écrire, toute ravie, mais déchanta en voyant la réaction du cardinal. Elle se mordit la lèvre et se ramassa sur elle-même sans s’en rendre compte et fut un instant aussi stupéfaite que le cardinal. Le Ministre des Affaires étrangères ? Eh bien… Elle déglutit et acquiesçant timidement.

« Oui… »
Le père, sans doute pas mais le fils, peut-être.
« Un certain Alduis… Pourquoi ? C’était mal de parler à un fils de ministre ? »

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans

Rassuré de voir son apprentie ragaillardie, il fut cependant plus préoccupé par sa réponse. Conscient d’avoir été un peu brusque, il se redressa et s’éclaircit la gorge, tout de même soucieux de la rassurer mais avant tout de la protéger.

Il se mordit la lèvre quand elle prononça le nom d’Alduis. Elle était tombée sur le meilleur ! Il se massa les tempes.

- Non, non… Ce n’est pas mal dans le sens où… enfin, ce n’est pas votre faute mais… Disons que je préférerai que vous restiez loin de Fromart. Le fils en particulier, n’a aucun respect pour la religion. Il ne saura pas vous écoutez et niera tout en bloc… Et malheureusement, ce sont des puissants, ils peuvent tout se permettre, même cette extravagance de douter de Dieu.

Il serra les dents. La plupart des nobles auraient pourtant bien besoin de se faire remettre à leur place… Ils se croyaient si puissant qu’ils oubliaient qui était au-dessus d’eux. C’était désespérant et hélas, quand on ne voulait pas les écouter, ils ne pouvaient rien y faire… À eux de s’expliquer à l’heure du jugement devant Saint-Pierre !

- Voilà pourquoi je préférerai vous savoir loin de tout cela. Croyez-moi, mieux vaut se défier de ces gens-là…

Même des gens d’église, il en savait quelque chose…

Quand le cardinal se mordit la lèvre et se massa les tempes, Cecilia fut certaine d’avoir fait une bêtise en parlant à Alduis. Elle écouta son explication mais ouvrit de grands yeux. Aucun respect pour la religion ? Mais… mais non… C’était beaucoup plus compliqué que cela… Elle baissa les yeux avec une petite moue en hochant timidement la tête.

« Si vous me le demandez… d’accord mais… si je puis me permettre, nous avons discuté et je n’ai pas eu du tout l’impression que le jeune homme dont nous parlons ne respecte pas la religion, pas vraiment en tout cas. Il souffre plutôt et c’est pour cela que je souhaitais l’aider… »
Lui aurait-il menti tout du long ? Non, il paraissait trop sincère et ç’aurait été trop risqué…

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans

Quand il vit Cecilia ouvrir de grands yeux, il sentit qu’il aurait du mal à lui faire comprendre… Bien sûr, elle était si innocente et gentille, elle ne pensait qu’au bien-être des autres. Raison de plus pour l’éloigner de ces gens ! Ils allaient très certainement s’en servir…

- Eh bien il a dû vous cacher des choses. Et je connais ces personnes qui affichent une façade de souffrance. Ils vont se servir de vous et je refuse que cela arrive. Je vous prierai donc de faire attention à vous et de ne plus les approcher. Pensez-vous pouvoir le faire ?

Il l’implorait sincèrement du regard, espérant qu’elle prenne très au sérieux ses avertissements et qu’elle ne tente pas de se jeter dans cette cause perdue.

La réponse du cardinal attrista Cecilia. Il lui aurait menti ? Mais pourquoi ? Il ne la connaissait même pas… Et il ne savait même pas qu’elle lui ferait des réprimandes quant à sa conduite… Était-ce alors pour ça qu’il l’avait bousculée, au départ ? C’était possible, oui… Et le cardinal les connaissait mieux qu’elle, elle devait lui faire confiance. Soutenant son regard implorant de ses grands yeux désolés, elle hocha la tête, penaude.

« D’accord, Éminence, je vous fait confiance. Je ne donnerai pas suite à cet échange. »

Oui, il avait raison, il fallait qu’elle s’en convainque.