[13 Janvier 1598] Autour d'un portrait

Lavinia avait les nerfs en pelotte, l’anxiété lui nouait les entrailles. La situation était des plus cocasses, elle n’était déjà pas très à l’aise de poser pour son portrait, mais là au vu des évènements elle ne tenait plus en place. Elle ne pouvait pas se défiler, ce portrait elle le voulait. Elle souhaitait avoir ce tableau accroché chez elle, tout comme l’est celui de sa mère à Frenn. Un jour peut-être, si le Seigneur lui offrait un enfant, il pourrait le contempler plein d’admiration, il pourrait se sentir habité de la même fierté qu’elle lorsqu’elle observait sa mère.

Pour le moment, elle devait entrer dans ce salon où l’attendait la personne qui l’avait interrompu durant ses ébats avec Eldred. Le rouge lui monta au visage rien que dit repenser. À tous les coups, il ne se gênerait pas de se moquer d’elle et il aurait raison de le faire. Quelle folie les avait possédé pour agir de la sorte ? Elle ne regrettait pas ce qui s’était passé, mais s’en voulait de la tournure qu’avait pris l'événement. Si quelqu’un d’autre les avait surpris, les conséquences auraient pu être plus dramatiques. Par sa faute…

C’est en étant peu sûre d’elle que Lavinia alla rejoindre Alexandre, plusieurs toilettes dans les bras. Elle pouvait essayer de noyer le poisson pour dissimuler son malaise. Elle entra dans la pièce et salua le jeune homme. Elle ne lui laissa pas le temps d’émettre plus qu’une réponse polie avant de prendre la parole, tout en abandonnant ses robes sur le coin d’un meuble.

— Je ne savais pas trop quelle tenue serait plus appropriée pour l’occasion ou si vous aviez une préférence artistique à ce sujet. Je me suis permise d’apporter plusieurs toilettes. Dites-moi laquelle serait la meilleure option pour ce portrait.

Lavinia fut surprise par les déclarations du jeune homme. À la vue de ses toilettes, Alexandre s’était manifestement fourvoyé sur ses intentions.

— Toutes ces toilettes me conviennent parfaitement pour le portrait. Je pensais seulement que l’une d’entre elles vous inspirerez plus qu’une autre. Mais si cela vous est égal et que vous vous sentez à l’aise avec celle que je porte, nous pouvons commencer.

Elle observa le jeune homme se préparer tout en se permettant d’observer son matériel. Le qualité du papier étendu sur la table, le choix minutieux de son outil, tout portait à croire que l’artiste savait ce qu’il faisait. Lavinia fut satisfaite d’être tombée sur le jeune homme et qu’il ai accepté de faire son portrait. Elle s’en trouva soulagée.
Enfin, jusqu’à ce qu’il fasse référence à ce moment des plus gênant. Sur le moment, il avait été plutôt sûr de lui, même lorsqu’il s’était adressé à elle. Tout le contraire de l’instant. Sa voix prouvait qu’il était autant dans l'embarras qu’elle. D’ailleurs, il s’empressa de s’excuser.

— Je ne sais pas quel genre de relation vous entretenez avec Eldred, mais vous comprenez bien dans quelle situation vous me mettez. Je comprends qu’il peut s’agir de bêtise masculine, mais au vu de ma situation…

Quelle était idiote de s’être retrouvée dans une situation pareille ! Il fallait au moins limiter les dégâts, entendre de sa bouche que les choses n’iront pas plus loin qu’une petite querelle amicale.

— L’incident est clos. J’espère, néanmoins, que cette mésaventure ne sortira pas d’entre ces murs. Qu'elle restera entre nous trois ?

Elle n’osait imaginer les conséquences si la rumeur de sa relation avec Eldred ne se répandait en ville. Un frisson parcourut l’échine de la jeune femme et en attendant qu’Alexandre finisse de se préparer, elle alla s’installer sur le fauteuil mis à sa disposition. Elle prit soin de lisser le tissu de sa robe et de repositionner quelques mèches. Lavinia patientait sagement, fébrile d’entendre la réponse du jeune homme.

Après les explications de la jeune femme, Alexandre opina d'un hochement de tête.

"Je comprends et je vous remercie pour vos bonnes intention. Néanmoins, j'ai pour habitude de tout dessiner de ce que je peux voir. Les difficultés ne m'effraient pas. Au contraire, elles me stimulent. Quaesitum est periculum non sine gloria triumpháre. Nous n'apprenons rien à rester dans notre zone de confort, à reproduire ce qui nous semble facile. Aussi, même si vous choisissez la robe avec laquelle j'aurais le moins d'affinité, je ressentirais alors une grande fierté d'avoir été au bout de l'ouvrage."

Il termina son discours d'un sourire tendre afin de lui démontrer n'avoir rien contre elle. Au contraire, il respectait ses bonnes intentions et la gentillesse qui les motivait.

Tout en préparant son matériel, Alexandre présenta es excuses, gêné, pour l'incident de matinée. Lavinia décida de ne pas s'appesantir plus longtemps dessus. A juste titre. Il ne souhaitait pas non plus en discourir plus longtemps sur le sujet. Elle tint cependant à savoir si l'aventure restera honeux. Il redressa aussitôt la tête, véhément. Il avait été stupide, oui, à se moquer, mais jamais, ô grand jamais, il ne souillerait l'honneur d'une personne.

"Je vous jure de ne rien répéter à quiconque de ce moment. Je taquinerai peut-être Eldred. Eventuellement. Mis à qui d'autre, le sujet ne franchira pas mes lèvres. Je suis idiot, pas inconséquent, et je sais que l'honneur d'une dame est une chose qui doit être protégée."

Même si en son for intérieur, Alexandre jugeait cela idiot. Les hommes pouvaient prendre un nombre inestimables de maitresses mais les femmes étaient, elles, blâmées si elles avaient un seul amant. Même si elles l'aimaient d'u amour sincère. Cela n'avait rien de juste. Il s'attrista une fois de plus de constat injuste tout en méditant aux paroles de Bérénice. Elle jugeait cela normal, que les femmes portaient les enfants des hommes et devaient ainsi s'en tenir à l'honneur. Cela semblait logique. Pourtant, l'injustice les deux écarts le laissait insatisfait.

Lavinia s'était installée entretemps dans un fauteuil, près de la fenêtre par où passait un agréable rayon de soleil. Dans son dos apparaissait une étagère avec quelques livres posés dessus. La vision était belle et rendrait bien sur un portrait. Alexandre se saisit de son crayon et commença à dessiner une esquisse en débutant par le visage de la jeune femme.

"Une séance de pose est toujours un peu long. Mais vous pouvez bouger, bien sûr, si vous en ressentez le besoin. Et sentez-vous libre de discuter avec moi."

Lavinia opina aux déclarations du jeune homme. Si elle n’avait pas besoin de changer de tenue cela l'arranger, elle n’aurait pas besoin de retravailler sa coiffure. Quand le sujet d’Eldred vint à être abordé, Lavinia fut grandement rassuré qu’Alexandre garde toute cette fâcheuse histoire pour lui. Il devait la prendre pour une femme odieuse, ce qu’elle était, une femme mariée qui trompé son époux avec l’esclave de son père. Allait-il pensé qu’elle forçait Eldred au vue de son statut ? Qu’elle n’était qu’une vile tentatrice ? Il aurait raison de penser cela, malgré le conflit qui l’opposait à son époux, elle avait juré devant le Seigneur de lui devoir fidélité. Il lui parlait d’honneur mais en avait-elle encore ? Méritait-elle d’être protégée ?

Elle secoua vivement la tête pour faire partir ses interrogations négatives qu’elle devait à présent apprendre à faire sortir de son esprit. Elle se reconcentra sur les confessions d’Alexandre et lui en fut reconnaissant.

— Merci

Ce sont les seuls mots qui arrivèrent à franchir les lèvres de Lavinia. Le silence retomba dans la pièce. Dans un premier temps, la jeune femme resta immobile, perdue dans ses pensées. Elle devait redevenir la femme ambitieuse et sûre d’elle qu’elle était autrefrois. Elle repassait en boucle dans son esprit tout ce qu’elle pourrait faire pour y parvenir. Elle aurait souhaité se rendre à l’Eglise pour se confesser, mais elle avait trop peur de retomber sur le père Thierry. Elle essayerait peut-être de s’y rendre et de trouver un autre prêtre avec qui échanger.

— Vous qui êtes dans cette ville depuis plus longtemps que moi, auriez-vous un prêtre à me recommander afin de me confesser. Je n’ai plus confiance à celui que ma famille côtoie.

Cette question était sortie sans qu’elle n’y réfléchisse. Elle se reprit aussitôt, ce n’était pas forcément un sujet à aborder d’un ton si léger.

— Je…je suis désolée, je n’aurais pas dû aborder ce sujet.

Lavinia chercha un autre sujet de conversation, elle avait trop de réflexions en tête pour rester silencieuse.

— Avez-vous déjà offert vos talents à d’autres pour des portraits ou bien des commandes particulières.

Soeur Cécilia Candore, rien que son nom lui inspirait confiance. Elle ne l’avait jamais croisée à l’église, mais vu son état d”esprit confu depuis son retour, cela n’était pas étonnant. D’ailleurs, se confesser à une religieuse la mettrait plus à l’aise, et cette dernière serait peut être plus compréhensible et sensible à ses tourments.

— Soeur Cécilia Candore, merci de votre recommandation. Est-elle souvent présente à Saint-Eustache ?

Alexandre n'exerçait donc ses talents que par plaisir, pourtant au vu de ses compétences il pouvait prétendre à plus. Lavinia observa en silence le jeune homme et ses dernières paroles la fit réfléchir. S’adonner à sa passion juste par plaisir. C’est ce qu’elle faisait, non ? Avait-elle commis une erreur en voulant monter son projet de conceptrice de tenue ? En même temps, c’était le seul moyen de rencontrer des personnes intéressées et surtout intéressantes et inspirantes pour elle. Elle avait peu d'amies et concevoir pour elle la bridait dans sa créativité. Elle avait trop avancé dans cette direction pour faire demi-tour, mais l’idée de trouver une activité pour le bien d’autrui et pas le sien lui restait en tête.
Lavinia se ressaisit, ce n’était pas le moment de divaguer de la sorte.

— Je vous en suis d’autant plus reconnaissante d’avoir accepté de réaliser ce portrait, malgré qui je suis

La fille de Dyonis, celle qui avait maltraité un livre lors de leur première rencontre, celle qui avait semblé si prude aux vues de ces illustrations et qui pourtant s’était laissé surprendre dans les bras d’un homme autre que son époux. Décidément, elle ne faisait bonne impression à personne.

Le compliment d’Alexandre la déstabilisa plus qu’elle ne l’aurait cru. Sa mère était une femme d’une beauté exeptionelle. Elle l’avait constaté de ses yeux d’enfant et son entourage ne cessait de lui répéter. Quant à elle, ses parents le lui disaient régulièrement, mais quoi de plus normal de la part de parents aimants? Dans son entourage proche, les compliments étaient toujours associés à sa mère. Elle avait la peau lisse de sa mère. Elle était aussi belle qu’elle, mais Lavinia n’existait pas sans cette comparaison.

Il y avait, bien évidemment, les flatteries délivrées dans les soirées mondaines, celles que l’on déverse pour la bienséance, celles qui sont dépourvues de sincérité. Ce n’était pas auprès de son époux qu’elle trouverait une quelconque marque de franchise ou d’affection. En réalité, à part Eldred il y a peu, personne ne l’avait désigné de la sorte sans arrière pensée et en toute sincérité.

A bien y réfléchir, le rouge monta aux joues de la jeune femme et elle ne savait plus où se mettre.

— Merci, bégaya-t-elle presque,  il est rare que l’on m’affuble d’un tel compliment

Lavinia, mal à l’aise, chercha vainement un sujet de conversation afin de cacher son comportement qui trahissait son éducation des plus prudes chez les religieuses. Arriverait-elle un jour à faire disparaître ce côté d’elle-même qui le rebutait de jour en jour ?

— Avez-vous une muse qui guide votre main ? Une personne ou un lieu qui est source de votre inspiration ?