[7 janvier 1598] Quand on galère, on patauge dans la choucroute

Rose-Abelle se fustigeait de s’être montrée d’humeur aussi aventureuse. Elle n’était arrivée que depuis quelques heures et s’était lancée à cœur perdue dans la ville. Elle avait pourtant prit soin de retenir son chemin pour revenir sur ses pas aisément, mais à force de parcourir les recoins et ruelles, elle ne remettait pas la main sur son point de départ. Si au début cela ne l’avait pas inquité, à présent elle doutait d’avoir la chance de retomber sur le Lupanar par inadvertance.

La jeune femme se contentait donc de suivre les passants dans l’espoir de se souvenir d’un trottoire ou d’une devanture. Un moment, elle avait même envisagé d’apostropher un de ces messieurs pour qu’on lui indique son chemin. Pensée vite oublier, elle ne voulait pas tomber sur un des clients de l’établissement et qu’on la prenne pour une des filles. Elle n’était pas loin d’un groupe d'enfants et ne voulait pas déclencher un scandale inutilement. Éviter d’attirer l’attention devait devenir sa seconde nature. Demander de l’aide à une de ces dames aux toilettes de luxe était aussi inenvisageable, connaîtraient-elles seulement ce lieu ?

C’est ainsi que Rose-Abelle commença à s’inquiéter de ne pas pouvoir rentrer à temps dans son nouveau lieu d’habitation, cela ferait très mauvais genre pour son premier vrai jour auprès d’Isabelle.

Au détour d’une ruelle, elle l’aperçut. Une jeune femme affublé d’un fichu et portant une besace. Elle ne semblait pas faire partie de ces demoiselles de la noblesse et semblait déambuler seule dans la rue. Rose-Abelle hésita, mais elle devait tenter sa chance au moins une fois. Il n’y avait pas beaucoup de passage dans cette partie de la ville et elle s’était éloignée du groupe d’enfants, dans le pire des cas elle s’enfuirait dans une ruelle parallèle.

— Bonjour. Excusez-moi, pouvez-vous m’aider ? Je tente vainement de retrouver mon chemin, si vous pouviez m’aiguiller, je vous en serez reconnaissante..

Au matin, Ingrid a quitté Sylvia pour la ville, sans mot dire. Elle l’a remerciée d’une petite révérence puis s’en est allée, sans un regard en arrière, le ventre plein, le corps reposé et l’âme… vidée de son énergie. En chemin, elle a trouvé un lac, dans lequel elle s’est baignée, après avoir vérifié qu’il n’y aurait personne pour l’y surprendre.

Des heures durant, elle a gratté les souvenirs avec ses ongles, et ils se sont enfuis dans l’eau gelée. Elle s’est laissé envelopper par le froid vivifiant et familier, sans se préoccuper de l’heure qui avançait. Elle avait le temps après tout.

Ce n’est que lorsque que l’étreinte de la veille s’est définitivement noyée, que la jeune femme est sortie, les lèvres violettes mais purifiée. Elle a passé un long moment à coiffer ses cheveux, qu’elle a ensuite dissimulés sous son fichu. Une coiffe simple mais suffisamment efficace pour soustraire ses mèches trop voyantes à d’éventuels poursuivants.

La jeune femme déambule à présent dans les rues de la ville, en quête d’une auberge et d’un travail. Aborder les gens de cette manière n’est jamais une chose facile, surtout quand on est muette, mais il faut bien s’y résoudre si l’on veut avancer.  Or la seule chose que désire Ingrid, c’est poursuivre sa route pour s’éloigner le plus possible d’où elle est partie l’an passé.

Aussi pose-t-elle des questions, tout en s’armant de patience. Il n’y a aucun résultat pour le moment, mais la journée n’est pas terminée. Il ne faut pas perdre espoir. Si elle ne trouve rien aujourd’hui, elle recommencera demain.

Ingrid laisse ses pas la diriger vers une ruelle peu fréquentée. Elle passe devant un groupe d’enfant des rues en détournant le regard. Cet endroit la met mal à l’aise.

- Bonjour.

La jeune femme fait volteface. Il n’y a personne autour d’elle, ce ne peut être adressé qu’à elle. Elle essaye de comprendre tout ce charabia pour savoir ce que l’inconnue attends d’elle, mais elle parle trop vite, ses mots sont trop compliqués.

Ingrid décide de la saluer d’un signe de la main. Elle hausse ensuite les épaules, pour signifier qu’elle n’a pas compris. Elle termine par lui expliquer qu’elle est muette en désignant sa bouche, qu’elle ouvre puis referme sans qu’aucun son ne franchisse ses lèvres. En espérant que cette jeune femme ne soit ni une espionne, ni une diseuse de bonne aventure ou une voleuse. Mais de tous ces personnages, aucun n’emploierait un vocabulaire aussi incompréhensible.

Rose-Abelle interpréta le signe de main et le haussement d’épaule comme elle le put. C’était bien sa veine de tomber sur une étrangère, elle ne devait pas comprendre un seul de ses mots. Par conséquent, elle ne devait pas non plus connaître la ville…

La jeune femme mima quelques gestes, non, elle n’était pas étrangère mais muette. Cela était-il vraiment mieux pour elle ? Elle en doutait, comment lui faire comprendre qu’elle voulait trouver son chemin pour rejoindre le bordel de la ville ? Elle ne pouvait pas se permettre de mimer à son tour son besoin.

— Je suis perdue., articula-t-elle lentement.

Avec un peu de chance elle pouvait lire sur les lèvres. Dans le doute, Rose-Abelle représenta avec ses mains une personne qui marche. Elle espérait que cela pourrait faciliter leur échange.


— Lupanar, tenta-t-elle dans un ultime espoir.

La monbrinienne parle trop vite. Il semblerait que cela soit un défaut récurrent chez eux, de prendre les gens de haut avec tout un tas de mots savants baragouinés à toute vitesse. Enfin, elle a peut-être jugé trop vite, et décide de lui accorder du temps – comme si elle en manquait. Elle lui explique qu’elle est muette et l’incite à répéter sa demande. Si possible avec des mots plus simples.

- Je suis perdue.

Eh bien voilà, ce n’est pas si compliqué finalement. Ingrid soupire mentalement. Perdue. Comme si elle allait pouvoir l’aider. Son mime la fait froncer les sourcils. Elle a dit muette, pas sourde, ni gourde. Elle hoche la tête. Perdue, d’accord, c’est compris. Mais encore ?

- Lupanar.

La jeune femme se concentre. Lupanar. Il s’agit de leurs établissements de catins, où certaines de ses connaissances ont été vendues, il y a longtemps. Donc cette femme ne peut être que l’une des filles. Il n’y a que les hommes qui vont dans ce genre d’endroits ici. Par chance, Ingrid est passée il y a peu devant une bâtisse qui pourrait tout à fait être lupanar.

La question est de savoir si elle l’aidera ou non. Elle scrute la jeune femme en face d’elle. Elle l’a prise pour une sourde et une imbécile, mais il est vrai que certains sourds sont aussi muets, cela peut s’entendre. Elle a l’air vraiment perdue et Ingrid cherche une auberge. L’un dans l’autre, la guider ne l’empêchera pas de regarder autour d’elles si elle voit une taverne. Elle pourrait même lui demander des indications une fois leur destination atteinte.

Nouveau hochement de tête, suivit d’un signe de la main. Suis-moi. Ingrid n’apprécie pas de s’approcher de ce genre d’endroit où les hommes ont la main plus leste, mais si ça lui permet de trouver son auberge, elle fera un effort. Et elle sait se défendre, termine-t-elle pour se rassurer.

Elle vérifie que l’autre lui emboîte le pas, puis s’engage dans une rue plus fréquentée sur leur gauche. Elle est déjà passée par là, elle le sait. Ne lui reste plus qu’à remonter le fil de ses pas pour retrouver le potentiel lupanar.