[30 décembre 1597] Partir pour mieux recommencer [Terminé]

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans

Ce pavé lui avait quand même fait mal, il sentait qu’il allait devoir se coltiner un bleu… Alors qu’il remontait la rue pour rentrer à l’hôtel, Matthieu se sentait tellement vidé qu’il craignait bien de s’écrouler par terre avant d’arriver. Toute son énergie l’avait complètement abandonné, si bien qu’il bénit le Seigneur de ne croiser personne sur sa route ce qui l’aurait forcé à reprendre ce masque ridicule.

Alors qu’il arrivait enfin chez lui, il poussa un gros soupir avant de passer la porte. Il monta péniblement les escaliers et, arrivé en haut, fit le moins de bruit possible pour que personne ne le soupçonne d’être rentré. Son frère voudrait sans aucun doute un rapport complet sur les événements et il n’en avait pas la force pour le moment. Il poussa sa porte, exténué et chercha un fauteuil avant toute chose. Une fois installé, il se passa une main sur le visage et chercha Cecilia du regard. Il ne tarda pas à la trouver dans la pièce.

- Rebonjour… Est-ce que… est-ce que vous pourriez aller nous chercher une collation s’il vous plait ?

C’était le jour du bûcher. Cecilia n’y était pas allée. Le cardinal le lui avait défendu et, de toute manière, elle aurait demandé à rester. Voir un homme, même un terrible criminel de guerre, brûler, c’était au-dessus de ses forces, elle le sentait, et c’était une limite qu’elle ne s’évertuerait pas à dépasser. Le cardinal, lui, s’y était rendu. Elle attendait son retour, le signe que tout serait terminé, mais elle n’arrivait pas à le faire sereinement. Elle tournait en rond, regardait par la fenêtre, prenait un livre, s’en détournait au bout de quelques lignes… Comment pouvait-on rester calme quand un homme mourrait ? Même un homme qui rejoindrait l’Enfer.

Entendre le bruit du loquet fut un soulagement. Elle s’empressa de reposer son livre et de rejoindre l’entrée, où elle vit le cardinal. Ses yeux s’arrondirent d’inquiétude en le voyant si mal et elle s’approcha timidement.

« Rebonjour, Éminence. Est-ce que… tout va bien ? »

Elle se doutait que non mais… il fallait bien poser la question. À sa demande, elle hocha aussitôt la tête et descendit pour récupérer ce dont il y avait besoin. Elle attendit un petit temps que les infusions chauffent avant de remonter avec un petit plateau comprenant également des biscuits. De retour dans la chambre, elle le déposa sur une table, servit une tasse et la porta au cardinal, toujours aussi inquiète.

« Voici pour vous. J’espère que cela vous convient… »

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans

Affalé dans son siège, Matthieu poussa un gros soupir. Il s’attendait à un flot de questions mais se retrouvait soudain démuni. Il renifla.

-Oui, euh… Non… Non, pas vraiment…

Il tenta de rassembler ses idées en se passant une main sur le visage mais ça n’eut pas grand effet… Le temps qu’elle descende, il tenta de trouver une idée cohérente dans le déluge informe qui lui pleuvait dans l’esprit.

Aucune.

Si…

Peut-être une.

Minuscule.

Ridicule.

La réponse du cardinal l’inquiéta encore plus, et de raison. Elle hésita et posa une main sur l’épaule du cardinal afin de lui donner un peu de force avant d’aller chercher la collation. Elle remonta aussi vite que possible et n’eut même pas le temps de lui dire de faire attention qu’il buvait déjà. De nouveau, sa lèvre fit les frais de son inquiétude. Elle hocha mécaniquement la tête à son compliment sans cacher les questions sur son visage et ne cessa d’observer son maître. Que lui arrivait-il ? Était-ce toujours la culpabilité qui le rongeait ? Ou y avait-il quelque chose de plus profond ? Et elle, que pouvait-elle faire ?

Quand il prit une grande inspiration, Cecilia fit un pas, pendue à ses lèvres, prête à entendre ce qu’il dirait pour pouvoir l’aider comme elle le pourrait. Mais il tardait à parler… Elle l’encouragea du regard. Quoiqu’il lui arrivât, il fallait qu’il le dise, qu’elle puisse faire quelque chose !

Quand il parvint à lui poser sa question, elle hocha frénétiquement la tête.

« Oui, bien sûr ! Tout ce que vous voudrez si cela vous aide ! Où souhaitez-vous aller ? Quels préparatifs voulez-vous que je fasse ? Dites-moi et je le ferai ! De même si vous avez besoin de quoi que ce soit. »

Elle appuya son assertion d’un hochement de tête vigoureux. Elle était prête à tout pour l’aider !

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans

La main de Cecilia sur son épaule lui fit un peu de bien même s’il restait enfoncé dans son fauteuil en espérant que la douleur qui lui tordait le ventre passe toute seule. Peine perdue. Elle resterait, comme toutes les autres qui clouaient maintenant chacun de ses pas en un lent chemin de croix.

Mathieu reprit une gorgée brûlante qui le réveilla un peu plus même s’il avait encore l’impression de se trouver à mi-chemin entre rêve et réalité. Tout cela ne lui semblait qu’une vaste comédie et il n’était plus sûr de vouloir y jouer un rôle. Quel rôle d’ailleurs ? il s’était lui-même coupé les fils et se trouvait comme une marionnette désarticulée sur la vaste scène du monde. Il soupira avant que Cecilia ne lui donne sa réponse.

Il avait cru un moment qu’elle dirait non mais il constata qu’il la connaissait encore bien mal. Il soupira en secouant la tête.

- Vous êtes adorable.

Trop pour ce monde. Trop comme il l’avait été, un temps, avant qu’on lui vole sa propre personnalité pour la remplacer par une autre, bien lisse et factice. Matthieu renifla avant de se concentrer de nouveau.

- C’est… Ce serait pour faire le pèlerinage jusqu’à la source de Sainte Bélyl… ce n’est pas forcément un voyage agréable, surtout par temps de neige alors… Je comprendrais si vous disiez non… Et pour les préparatifs, ma foi, ce ne sera pas grand-chose… Juste des sacs avec des vêtements chauds, quelques provisions, de bonnes chaussures…

Ce serait sûrement long, un peu brouillon mais il lui fallait quelque chose à quoi se raccrocher. Ce pèlerinage était celui de la dernière chance. Si le Seigneur restait sourd à ses appels, il abandonnerait la partie et donnerait sa démission au Pape. S’Il lui fait Lui-Même un signe, il pourrait reconsidérer son approcher et peut-être enfin aller dans la bonne direction.

La réaction du cardinal la surprit. Vraiment ? Ses joues gagnèrent une légère teinte de rose alors qu’elle haussait timidement les épaules.

« Mais non mais c’est normal… »

Elle écouta avec attention la suite. Un pèlerinage ? C’était une riche idée pour se ressourcer ! Elle hocha la tête en retenant ce qu’il lui disait avant de joindre ses mains.

« Ne vous inquiétez pas pour moi, ce sera avec plaisir que je vous accompagnerai, surtout si vous pensez avoir besoin de moi ! Et je vais dès à présent m’occuper de ces bagages pendant que vous vous reposez ! »

Elle haussa un sourcil et baissa le menton pour le regarder par en-dessous avec une assurance timide et un petit « hmm », traduisible par un « Vous vous reposez, n’est-ce pas ? »

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans

Matthieu la regarda comme s’il avait une apparition face à lui. Elle était vraiment phénoménale, à toujours voir le bon côté des choses et laisser la bonté dicter toutes ses actions. Il soupira. Il ne méritait pas une telle présence à ses côtés. Quoique… En y réfléchissant, elle était venue à lui, sans qu’il le demande, par volonté de la providence. Peut-être même par la volonté de Dieu… il lui avait envoyé un de ses anges sous forme humaine pour le ramener à la raison.

Matthieu prit une grande inspiration et se releva quand elle accepta. Il se sentait soulagé. Il ne se serait pas senti de faire ça seul. Il ignorait même dans quel état il serait en rentrant. Que quelque chose arrive ou non, le résultat serait sensiblement la même : il serait complètement chamboulé. Matthieu secoua cependant les mains en la voyant s’agiter. Il rougit à son regard.

- Mais… je… Enfin je ne vais pas vous laisser tout faire toute seule. Et j’ai déjà fait ce pèlerinage, je saurais vous aider pour constituer les paquets.

Il sourit un peu timidement, espérant la convaincre.

Cecilia ne sut très bien interpréter le regard du cardinal. Il avait l’air… surpris. Mais pourquoi ? C’était si étonnant ? Elle n’en avait pourtant pas l’impression… Elle avait juste accepté de l’aider, c’était normal, non ? Elle remit toutefois ces questionnements à plus tard parce qu’il fallait préparer leurs affaires. La réponse du cardinal la fit toutefois réfléchir et elle porta un poing à sa bouche, l’autre sur ses hanches, pour réfléchir.

« C’est vrai mais… Mais il faut quand même vous reposer alors… »

Les deux poings sur les hanches, la moue toujours songeuse, elle retourna la question dans tous les sens avant de s’illuminer en claquant ses mains.

« Je sais ! Vous pouvez me dire quoi faire et moi, je le fais ! Comme ça, vous aider mais vous vous reposez aussi ! Qu’en dites-vous ? »

Cette fois, son sourire était beaucoup plus assuré. C’était une bonne idée, non ?

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans

Matthieu se trouvait déconcerté face à tant de gentillesse. Il avait du mal à croire qu’il avait droit à une telle considération après ce qu’il avait fait. Il baissa les yeux, timide.

Il fut ravi qu’il l’autorise à participer aux préparatifs et hocha la tête.

- Oui, c’est promis !

Il avait l’impression d’avoir inversé et d’être un enfant qui rendait des comptes. Il sourit lui aussi.

- Très bien. Nous allons donc commencer par faire les bagages avec de bons vêtements mais nous ne devons pas être trop chargés. Je peux m’en occuper. Pourrais-tu aller en cuisine pour aller demander des provisions ?

Il sourit lui aussi. Il avait visiblement eu une bonne idée.

Le cardinal semblait toujours surpris et Cecilia n’arrivait pas vraiment à en saisir la raison, encore moins quand il eut l’air d’un enfant en faute. Elle retrouva toutefois tout son entrain quand il accepta de se reposer et elle hocha vivement la tête.

« Parfait, faisons comme ça ! »

Elle écouta ensuite ses instructions et hocha de nouveau la tête avant de se diriger vers la porte.

« J’y vais ! »

En y arrivant, elle s’arrêta, surprise, en répétant la phrase dans son esprit. Il l’avait… tutoyée ? Non, elle avait dû rêver… Et puis même, c’était plus sympathique ! De nouveau enjouée, elle lui adressa un sourire avant de descendre. Elle ferait le plus vite possible, pour qu’il n’ait pas à trop se fatiguer !