[18 février 1598] - Ajustements symboliques pour de nouveaux départs

Revenu depuis trois jours à Saint-Éloi, le marquis avait encore du mal à se faire à l'idée qu'il y manquait ceux qui avaient toujours été son âme. Le seul attrait que cette demeure avait jamais eu, le seul argument qui lui avait parfois fait trouver le temps long dans son paradis côtier. Oh, il n'était pas seul, mais ce n'était tout de même pas pareil. Il aurait dû savoir que c'était toujours le cas, depuis le temps : son père avait eu raison. Aussevielle avait été pleinement chez lui bien avant de l'avoir perdu. C'était tout ce qui lui avait permis de tout y reprendre presque sans se poser de questions. Ici, c'était différent. Enfin, bon : il s'en accommoderait.

Était-ce bien trois ans qu'il avait passé sans mettre les pieds ici ? Il n'avait jamais eu d'absence si longue auparavant. Ce devait être pour cela qu'il ressentait la leur plus vivement depuis qu'ils avaient emménagé. Cela lui passerait, c'était une affaire de jour, au pire de semaines. 

Tout cela n'avait pas à l'empêcher de prendre les choses en main. Il fallait notamment remédier à une situation particulière, et le marquis avait chargé son fidèle Martial de trouver quelqu'un pour l'y aider. Il n'avait pas douté un instant qu'il trouverait exactement ce qu'il cherchait - vingt-cinq ans, son valet avait largement eu le temps de cerner ses exigences. Ainsi, Démétrius ne doutait pas que la jeune femme qui devait se présenter aujourd'hui corresponde parfaitement à ses attentes. Se mettre à trépigner à l'idée que cette personne ait été recommandée par un écrivain n'était pas son genre, mais s'il avait été étonné d'apprendre que ce bonhomme se permettait de demander de services personnels à la femme de son plus proche lieutenant, il ne s'en faisait pas pour autant.

Julien était chargé de s'assurer que Layla n'en voie rien. Martial lui signala la présence proche de celle qu'ils attendaient assez en avance. Bien, mais lui la recevrait à l'heure annoncée. Il le laissa s'en occuper.

Martial avait fait entrer la jeune femme, et s'efforçait de la faire patienter les quelques minutes qui restaient. Comme une future collègue plus que comme une dame. Il ne put s'empêcher de sourire à sa mine anxieuse. Elle e n'imaginait tout de même pas qu'il l'aurait fait déplacer - et surtout, qui aurait dérangé le marquis - sans être sûr de son coup, si ?

— Le marquis tient seulement à vous rencontrer avant de vous présenter à Madame Sorel. Ce n'est qu'une formalité, le rassura-t-il. 

Elle présentait bien et était à l'heure - il avait légèrement insisté là-dessus lorsqu'il l'avait informée de son embauche. Tant qu'elle ne faisait rien d'absolument stupide, il n'y avait plus de raison pour qu'il revienne sur son choix. Il l'amena vers le bureau, qu'il atteignit tout juste à temps pour l'y introduire au premier tintement. C'était parfait.

— Enchanté, Mademoiselle Mercier, répondit le Capitaine d'Aussevielle une fois la présentation faite. Démétrius d'Aussevielle. Je tenais à vous voir en personne avant que vous ne rencontriez ma sœur adoptive.

Pour ce qui était de l'espoir, Démétrius acquiesça. Lui aussi. Mais au fond, il ne s'inquiétait pas. La jeune femme avait l'air sérieuse, et Martial semblait confiant. En réalité, tant qu'il n'y avait pas de bavure, le reste ne lui revenait plus. Parfois, même avec un serviteur intègre, cela ne prenait pas. Or, le but ici était davantage le confort de sa sœur que la pure efficacité. Dans ce cas, il trouverait pour toutes deux une autre solution. Et puisqu'il y pensait… 

— Elle est veuve, en réalité. Sachez qu'elle fait pour moi pleinement partie de la famille et que j'attends de vous que vous ne l'oubliez pas. Et également… que vous fassiez en sorte qu'elle ne l'oublie pas non plus. Monsieur Erden ici présent vous indiquera quelques détails quotidiens qui pourraient s'avérer utiles et répondra à toutes vos questions pratiques s'il vous en reste. Pour le reste, il me semble en effet préférable de laisser Layla confier ce qui lui conviendra.

Ce qui signifiait que ce n'était bien sûr pas à elle de la presser de questions indiscrètes. Les informations essentielles lui parviendraient de toute façon. Il était néanmoins conforté dans son idée par l'attitude de la jeune femme et ce qu'il pouvait en percevoir. Il lui adressa un léger sourire d'approbation néanmoins.

Démétrius fronça les sourcils, reconnaissant néanmoins qu'il valait mieux savoir à quoi s'en tenir.

— Nous dirons que c'est un sujet qu'il est parfaitement inutile d'aborder, répondit-il.

Car si son veuvage en lui-même ne l'affectait pas tant, en parler n'était pas forcément une position confortable. Quant à l'amitié… il doutait que ce soit un commentaire bien professionnel. Les femmes avaient souvent cette tendance à s'y perdre. C'était une certaine forme de distance qui permettait cette forme de proximité que sa fonction nécessitait. Enfin, soit.

— J'espère que vous conviendrez à ce poste. Nous vous présenterons bien vite. Monsieur Erden commencera par vous faire visiter les lieux et vous réglerez les formalités avec mon intendant.

Après un dernier mot de politesse, il échangea un regard avec Martial qui invita la jeune femme à le suivre.