[15 Septembre 1597] Tombée d'un couperet [Terminé]

Les pièces d'instruction du jugement du père Thierry d'Anjou étaient à présent réunies. Les monitoires publiés dans les rues et aux chaires des alentours s'étaient avérés efficace : un certain nombre de citadins, de paroissiens, avaient pris le chemin de la prévôté, juré de dire toute la vérité et rien que la vérité, exposé ce qu'ils savaient du prêtre de Saint Eustache. Les témoignages lassaient les autorités mitigées : certains étaient assassins, évoquant les frasques du curé, ses provocations, ses soirées d'ivresse... et même de mauvaises mœurs auprès des femmes - de quoi compromettre son vœu de chasteté. Ce serait même loin d'être le seul péché grave de cet ecclésiastique !
L'Eglise devait faire un exemple, assurément. Une mesure punitive semblait nécessaire - en revanche on avait souhaité éviter un trop grand scandale en organisant un procès susceptible d'avoir un retentissement démesuré. Surtout pas en ce moment, alors que la vraie foi est menacée par les Réformés, les prêcheurs immunisés indépendants, le doute de certains fidèles dans les icônes autant que dans les représentants humains du bras de Dieu !
Néanmoins, d'autres témoignages saluaient malgré tout le soin que prenait Thierry à aider ses ouailles, à les écouter, sa compassion... Cela aurait de quoi alléger éventuellement sa peine. Mais ne la supprimerait pas : le curé avait lui même reconnu publiquement son fils du péché en la personne de l'esclave Alexandre - et avec lui la rupture de ses vœux. Pourvu qu'il n'y ait guère d'autres bâtards ! Une épineuse question qu'il restait à poser à l'ecclésiastique.

La garde avait aussi consigné les témoignages du couple Bellanger : le mari cocu, bien évidemment, avait chargé Thierry d'Anjou pis que Diable. Son épouse coupable l'avait défendu. Quant à la dame Emeline Lefèvre, tenancière de la taverne de l'Ours Noir, elle s'était montrée honnête en évoquant les visites régulières du prêtre à son établissement... et même le grabuge qu'il était habitué à y causer. Cependant, elle niait tout incident grave survenu ce fameux 3 septembre.
Il allait falloir débattre du curseur de la sentence à partir de fragiles éléments. Le juge espérait que les dernières réponses que ferait le prêtre sous peu, lui permettrait de trancher. Il s'installa au bureau d'une salle de jugement, consulta une dernière fois de nombreux feuillets, puis commanda :

-- Que l'on aille chercher le père Thierry d'Anjou.

L'audition et l'attribution de la sanction allait se faire en très petit comité. Deux juges, un collège restreint de religieux installés à leurs côtés, un légiste-secrétaire et une grappe de gens d'armes prêts à surveiller le tout. Après trois jours de détention, on alla enfin extraire le curé de sa prison. Une petite chaise l'attendait en face de ses juges.

Thierry avait accueilli avec un véritable soulagement les deux gardes qui s'étaient à sa cellule et s'était immédiatement redressé de son lit. Il s'était levé et avait accueilli les hommes avec un mélange de joie et de politesse. un bref instant, il avait eu une appréhension quand l'un eu annoncé être venu pour son procès.

En silence, le prêtre les suivait et réfléchissait aux moyens de sa défense. D'abord, que lui reprochait-on ? Et que risquait-il ? Tout ce qui pouvait lui être reprocher, c'était sa rupture de vœux. Ils ne pourraient décider de la peine capitale pour si peu. L'excommunication ? Il se moquait depuis fort longtemps des décisions absurdes du Pape et de la plupart de ses cardinaux. L'image de Matthieu Cassain flottait dans son esprit. Cet homme représentait toutes les dérives de l'église et ce qui ne convenait plus à cette foi dépassée. La seule preuve de ses excès, c'était son propre fils. Il l'avait avoué. Publiquement. Il pourrait jouer de cette sincérité pour prouver sa valeur. A cela, il rajouterait toutes ses bonnes conduite envers ses fidèles, son dévouement à soutenir les faibles, à accepter de bénir des esclaves... Il ne se sentait pas tant en faiblesse que cela. Thierry songea aussi à un éventuel marché : il pourrait proposer de dénoncer d'autres prêtres corrompus, coupables de moralité douteuses, dont ses oreilles avaient entendu quelques échos. Cela pourrait servir de monnaie d'échange.

Un discret rictus se dessinait alors que la route se terminait. Il avait confiance. Il saurait déjouer cette adversité perverse. Il n'était pas une victime consentante comme Alexandre qui bêlait tendrement en apercevant le poignard pour le sacrifice.

En arrivant dans la salle, Thierry effaça rapidement son rictus et se composa une mine repentante. Il salua les personnes présentes avec une dignité distante mais apparaitre impolie. il s'assit sur la chaise désignée puis prononça quelques mots en calculant une intonation parfaitement humble :

"Je vous prie de m'excuser pour cette affaire pour le moins dérangeante. Je confesse être un pêcheur bien loin d'atteindre encore la perfection du Christ."

Il retint un sourire, satisfait de cette introduction qui respectait à la théologie et la repentance. Elle devrait leur plaire. L'existence entière n'était qu'une prostituée auquelle il fallait sans cesse se soumettre au gré de ses caprices.

Le prêtre reçut les gardes sans faire la moindre histoire et les suivit, silencieux, contrit. Il s'installa face à ses juges sont les mines imperturbables étaient tournées vers lui. Un auxiliaire de justice amena à Thierry - comme le voulait la réglementation - un exemplaire des Évangiles qu'il devait prendre en ses mains. Le premier des magistrats ordonna, satisfait au passage par l'aveu honnête et très humble de péché formulé par l'incriminé :

-- Veuillez prendre les Saintes Écritures en vos mains et jurer sur Elles de dire toute la vérité, rien que la vérité, sans aucune omission, sur l'ensemble des dernières question qui vont vous êtres posées.

Le silence de plomb régnait sur la salle. Une fois le serment prêté, le juge entamera la lecture des documents qui, étalés face à lui sur son bureau, constituaient le "sac du jugement", lourdes des accusations contre l'ecclésiastique :

-- Père Thierry d'Anjou. Vous comparaissez en ce jour devant cette Chambre assemblée pour recevoir sanction suite à vos conduites libertines, et notamment pour rupture de vos vœux, pour engendrement d'un enfant adultérin en la personne de l'esclave Alexandre, pour paillardise, ivresses répétées et conduites inappropriées - aux vues de votre fonction - auprès d'un certain nombre de femmes. De tout ceci, vous reconnaissez-vous coupable ? Il a été notifié que concernant la naissance doublement criminelle d'Alexandre - hors mariage et contre votre vœu de chasteté - vous avez vous-même fait l'aveu de votre forfait.

Les juges restaient impassibles suite à sa déclamation, fidèle à celle qu'aurait pu faire un enfant après la répétition de sa leçon, mais Thierry savait que son apparent repentir jouait en sa faveur. Il garda la mine basse en continuant de simuler son désarroi. Il était si aisé de manipuler les faibles d'esprit ! Un des auxiliaires lui apporta, comme cela était la norme, l'exemple de Saintes-Écritures. Comme de coutume, on lui demandait de jurer.

Sans la moindre hésitation, le prêtre posa la main sur l'exemplaire tandis que son visage composa un air solennel. il récita d'une voix forte et grave :

"Sur mon honneur et sur les Saintes-Écritures, j'atteste que je prononcerai ici toute la vérité à chacune d vos questions."

Il pouvait bien jurer n'importe quoi et prononcer n'importe quel serment. Thierry n'avait jamais cru en la valeur d'une chose pareille. Le mensonge était trop facile et il fallait être imbécile pour croire que tout accusé puisse accepter de se soumettre à cette règle. Les gens de la plèbe sans éducation, abrutis par la morale bienpensante, assurément, mais pour des gens bien nés, cela était impensable. Au moins, cela arrangeait ses affaires. quant au jour de se présenter au Créateur ? Eh bien, il aviserait à ce moment-là ! De toute manière, selon la foi en laquelle lui croyait, il se savait déjà condamné. Son âme avait déjà été jugé et appartenait à la géhenne.

Tout en méditant à ces pensées et se rappelant quelques notions sur la prédestination de l'âme, Thierry écouta les questions de l'accusateur. Les soldats avaient décidément bien enquêté. Il allait falloir jouer serré.

Il s'accorda un temps de réflexion en prenant soin de baisser al tête d'un air coupable puis énonça d'une voix basse :

"Je suis un misérable pêcheur, je ne le sais que trop bien. Je ne demande même pas à être pardonné. J'ai culpabilisé chaque jour que Dieu a fait de mes... égarements. J'ai essayé de lutter. Mais les femmes sont... perverses. Plus d'une fois, j'ai voulu m'éloigner de la taverne mais il y en a toujours une pour m'y ramener. Je suis gentil, sensible à la détresse morale et facilement manipulable. Quand une d'elles m'exposait un problème, je me laissais aller à l'écouter puis la nature humaine... Que j'ai honte ! Si vous saviez comme j'ai honte ! De cela, oui, est né un malheureux ! Quel pauvre enfant ! Par ma faute et celle de sa mère, il est né, vous le savez infirme. J'ai tenté comme je le pouvais de veiller sur lui. C'était am faute, mon péché, il fallait... réparer."

Tout le long de sa réponse, le prêtre touchait la croix pendue à son cou et s'arrêtait à divers endroits pour laisser sa voix trembler. Sa comédie était parfaite.

On écouta dans un silence glacial le prêtre qui - pour une fois c'était son tour en cela - se confessait. Les mines pâles hochaient la tête, les lèvres pincées grimaçaient ou se serraient davantage encore, les plumes crissaient. Relevant les yeux de ses documents, le magistrat principal commenta :

-- Voyons, voyons mon Père. Nous savons tout aussi bien que vous combien la pomme vint d’Ève et à quel point il est ardu de résister à nombreuses de ces dames. Mais cela n'en rend la vertu, et le sacerdoce auquel vous vous engagez, que plus louable. En cela, l'écrasante majorité de vos collègues honorent leurs vœux. Nous ne pouvons retenir comme une excuse la malignité de la gent féminine. (Un temps) Cependant, nous sommes sensible à votre contrition. Accompagnez-la d'un geste fort et donnez-nous à connaître d'autres ecclésiastiques contrevenants qui, eux aussi, doivent être dans le droit chemin. Vous comprendrez que la situation actuelle de l’Église est déjà périlleuse et exige qu'Elle redouble de morale et de prudence. Par ailleurs, sur cette question de votre... progéniture... Dites-nous honnêtement si vous avez d'autres enfants illégitimes.

Thierry réprima un sourire de satisfaction en constatant que son apparente contrition avait su émouvoir ses juges. Cela méritait bien de s'asseoir sur sa dignité et son honneur. Il continua à arborer une mine peinée alors que le magistrat principal rappelait que le péché originel n'était naturellement pas une excuse entièrement recevable à ses actes. Il répondit avec cette même humilité feinte, y mêlant une intonation culpabilisante.

"Je ne le sais que trop, bien sûr. Je n'ai pas attendu ce jour pour me repentir et m'indigner de ces égarements. Chaque jour, j'y ait pensé. Avec horreur. Avec effroi. Je lendemain de l'un de ses péchés affreux, je priais longuement et jurais de me reprendre. Je me suis chaque fois obligé à jeûner une journée entière pour punir la faiblesse de cette chair exaspérante. Le Diable est cependant... si pervers. Et ses envoyées féminines sont les messagères les plus redoutables. Ce ne sont que de pauvres justifications, j'en ai bien conscience, mais j'ai luté. J'ai réellement essayé de lutter."

La procédure se poursuivit et le premier magistrat l'invitait à livrer des noms de religieux qui auraient eux aussi rompu leurs vœux. Malgré lui, ses yeux s'écarquillèrent. Sérieusement ? Il imaginait proposer des noms en échange d'une geste favorable mais supposait que cela lui demanderait un effort. Et on lui amenait cela sur un plateau ! Il en aurait bien ri ouvertement ! Comme ce ramassis de gens imbus était stupides ! Il serait bientôt dehors, libre, sans grande difficulté !

Malgré cette opportunité, le prêtre ne sauta pas tout de suite. Il continua à jouer l'humilité et reprit :

"Oh ? vous me demandez... Vous volez que je dénonce des personnes qui... C'est cruel. Je suis bien placé pour connaitre la souffrance intérieure de cette situation et e poids des regards que cela cause. Non, je ne peux faire subir cela à un autre. Non, ce ne serait pas chrétien. Je ne serai pas Judas qui a osé trahir le Seigneur pour trente deniers ! Quoique... Il est vrai que notre sainte Église connait de sérieuses attaques. il est indéniable que pour les parer, le clergé doit être exemplaire pour montrer à nos fidèles un rempart imprenable. Oui, bien sûr. dans ce cas, alors, dans ce cas, oui,je vais passer outre ma conscience et révéler ces noms. Pour la sauvegarde de la vraie foi."

Thierry avait marqué de fréquentes hésitations tout le long de ce discours, laissant ainsi voir les troubles d'une conscience en apparence honnête. Il commença alors à énumérer une longue série de noms de prêtres et parfois même d'évêques pour lesquels il les avait vu sortir de différents bordels. Il y ajouta ensuite ceux évoqués par les rumeurs. Thierry se posa cependant un interdit dans cette longue série de dénonciations : il omit de citer les quelques personnages qu'il savait lié à  la Réforme. Sa fourberie ne l'en amusa que d'autant plus. Il affirmait à ses juges souhaiter défendre la vraie foi mais ne leur apportait que les noms de ceux qui œuvraient dans leurs offices avec la doctrine officielle de l’Église. Le coup porté était amplement savoureux.

"Voilà... j'espère que  ces hommes sauront se repentir et devenir honorables."

Le magistrat évoqua à présent la question de ses enfants illégitimes. Thierry déglutit. Ce sujet était bien délicat. Alexandre... Claire... il ne voulait pas les renier mais pas non plus les exposer.

"Je... Je ne sais pas exactement. Alexandre m'a été présenté et je ne pouvais ignorer son existence. Le malheureux n'est pas responsable de sa naissance honteuse. Y a t-il d'autres ? Peut-être ? Supposons que grâce la mortalité infantile, allié à la sagesse de Dieu, ces erreurs ont dues être supprimés. En tous les cas, je n'ai pas été informé d'une autre naissance que celle d’Alexandre. pour le reste, il y a... Il y a de nombreuses années, avant de prononcer mes vœux, j'ai eu... des doutes sur ce que serait mon existence. je me suis éloigné des ordres et connu une femme. Cela s'est mal fini. La malheureuse est morte en couches en mettant une petite fille aveugle au monde. J'y ai vu là un double signe divin et l'encouragement à revenir aux ordres. J'ai confié cette petite à un homme qui avait assuré qu'elle serait bien traité. Malheureusement... J'ai rencontré une esclave au début de ce mois qui se nomme Claire-Marie, travaillant au domaine de Wollenbach, aveugle, et qui m'a rappelé étonnamment le visage et l'attitude de la femme que j'avais autrefois aimé. Voilà,. ce sont là mes seuls enfants. "

Thierry fixa avec une nervosité sincère les juges. Son histoire semblait satisfaisante et ne faisait rien peser de trop lourde sur les épaules de sa pauvre Claire. Ils ne devraient pas l'interroger. Il serra sa croix et pria pour que cela ne se fasse pas.

Le magistrat principal eut la satisfaction de constater que Thierry ne s'appuyait pas davantage que cela sur l'excuse trop facile de la malignité des femmes. Il reconnaissait humblement son égarement personnel - sans le prétendre systématisé. Ce repentir apparemment sincère venait s'ajouter à la liste des éléments en sa faveur.
Un blanc suspendu s'ensuivit. Les juges s'échangèrent des regards circonspects à la réponse que leur faisait le curé, quant à leur demande de délation. Le curé avait réussi à les faire douter, même si les hommes de Loi ne le montraient en rien : était-ce en effet bien chrétien d'inciter un prêtre à dénoncer ? Ce fut néanmoins l'argument au sujet de Judas qui convainquit le magistrat principal qu'ils ne se fourvoyaient pas :

-- Mon Père, Judas a trahi Notre Seigneur Jésus Christ en personne. Ces hommes dont nous vous demandez les noms, c'est bien au contraire parce qu'ils ne sont pas en odeur de sainteté et souillent leur sacerdoce.

Heureusement, Thierry obtempéra et énuméra un certain nombre de religieux que le secrétaire notait scrupuleusement. Si certaines identités de petits curés de campagne ne leur laissaient qu'indifférence... ceux d'ecclésiastiques hauts placés étaient bien plus durs à avaler et impulsaient ici des yeux écarquillés, là des pincements de lèvre. Les juges décideraient en temps et en heurs, après consultation des Cardinaux, de ce qu'il faudrait faire des uns et des autres.

-- Merci, glissa seulement l'un des magistrats à la fin de l'énumération.

A la question fâcheuse de sa progéniture, les juges eurent presque le soulagement d'entendre qu'il n'y en avait guère plus que cela... Oh bien sûr, ils ne manqueraient pas de diligenter une petite enquête de leur côté pour s'assurer que le prêtre n'avait pas menti. Seulement, s'il disait vrai, alors de ses fautes n'étaient nés que deux esclaves. Ce qui n'était pas plus mal. Le jeune Alexandre se trouvait déjà bien assez puni dans sa chair, porteur de son infirmité - et il semblait que ce soit aussi le cas de la donzelle mentionné par le père d'Anjou. Elle appartenait du reste à l'éminent seigneur de Wollenbach, autant ne pas aller chercher des ennuis là-bas tant que ladite Claire-Marie ne se faisait pas remarquer en mal. On gardera seulement son nom dans les fichiers de la justice, comme preuve de l'aveu du prêtre.

-- Patientez céans, annonça finalement un des juges. Nous allons nous retirer pour délibérations. Toutes les questions nécessaires vous ont été posées.

Et là-dessus, la Cour de se retirer, laissant Thierry sous l'étroite surveillance des brigadiers.

Thierry continuait à mimer un repentir en apparence sincère et fixait les juges d'un regard qui semblait anxieux. Intérieurement, il riait.. Ces imbéciles gobaient sa comédie sans la moindre difficulté. Cela en était même bien trop facile. Ce procès était censé le décourager de ses mauvaises conduites ? Ridicule ! Seule la réclusion effroyable e cellule des jours précédents lui rappellerait désormais de prêter plus attention.

Il sentit ensuite à un moment un silence gêné de son auditoire lors de son hésitation à dénoncer d'autres prêtres contrevenants. Les visages ne montraient rien mais Thierry sentait les doutes. Parfait ! Ils rendaient sa comédie parfaite. Il releva la tête à la mention faite sur Judas puis hocha la tête d'un faux air timide.

"Oui, maintenant que je l'ai formulé, je réalise moi-même l'erreur. Pardon. Mettez cela sur le compte de la confusion. Je suis d'ordinairement plus brillant dans les discussions théologiques mais aujourd'hui mon esprit est troublé."

Tout au long de sa longue énumération, Thierry se réjouissait des mines stupéfaites qui entendaient cette liste de noms appartenant aux bons catholiques. Il en aurait ri de ces têtes.

La question de sa progéniture n'était plus débattue. Parfait ! Cette question-là l'avait beaucoup gêné. Il entendit les juges annoncer leur retrait pour délibérer du verdict. Son ventre se serra un peu. Avait-il assez bien joué ? et si l'un de ces membres se révélait incorruptible ? Dans le genre du stupide cardinal Matthieu Cassain, tiens. Ce serait très, très, mauvais. Baste ! Il avait joué ses atouts et il fallait attendre la main adverse.

Thierry dit une une grande humilité :

"Faites. Je prierai en votre absence."

Le religieux donna l'impression de se recueillir avec une belle ferveur. En réalité, dans son esprit repassait les arguments de la thèse de Copernic. un ultime pied de nez à ces ecclésiastiques fermés !

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'Dé à 6 faces' :

Les juges avaient laissé Thierry sur ses repentirs et ses promesses de prières. Leurs discussions les tinrent en retraits pendant un certain temps et ils revinrent avec la sonnerie du clocher voisin. Il trouvèrent le prêtre encore dans ses dévotions, mais les claquements des souliers des magistrats contre le carrelage marqueront leur retour.
On reprit place face à lui. On fit signe à Thierry de se lever et le greffier gorgea sa plume d'encre, prêt à prendre note de la décision de justice. Le magistrat principal engagea alors :

-- Père Thierry d'Anjou, a été reconnu contre vous le fréquente rupture de vos vœux, la démonstration régulière de vos vices dans les tavernes, et l'engendrement de deux enfants du péché. Il aura cependant été entendu votre repentir, votre coopération avec la justice et les bonnes fonctions que vous savez exercer par ailleurs, ce pour quoi nous ne procédons pas à l’excommunication ni à la démise de vos fonctions. En ce 15 septembre 1597, nous, Juges ayant autorité en la capitale de Braktenn, déclarons que le père Thierry d'Anjou de la paroisse Saint Eustache sera, pour un mois, mené en la colonie d'Iswyliz pour y exercer un travail d'intérêt général en participant à la construction d'une des casernes sur place. Un détachement de soldats prendra disposition de vous le 1et octobre pou vous mener en Iswyliz avec le prochain convoi travailleur. (Un temps) Vos paroissiens seront, le temps de la sanction, dirigés vers les paroisses et prêtre voisins. Serez par ailleurs tenu sous étroite surveillance à partir de ce jour et jusqu'à nouvel ordre, et dessaisi des quelques bien personnels qui vous auront été laissés et qui ne sont pas utiles à vos fonctions ni à votre survie.

Après un lourd silence seulement habités pas les crissements de la plume, il acheva :

-- Sentence donnée en la Prévôté de l'Hôtel de Braktenn. Que ceci soit écrit et accompli. Justice est rendue, la séance est levée.

La Cour se retira et les soldats conduisirent le prêtre jusqu'à la sortie du bâtiment. On l'y abandonna... mais le père d'Anjou savait désormais que des vigiles seraient très souvent dans ses parages...

Spoiler:

Thierry consacra le temps d'isolement à simuler la prière mais à réfléchir sur les interrogations que lui laissaient le système de Copernic. Il aurait aimé en disserter avec Jérémie qui saurait certainement rebondir sur ses réflexions et les réorienter. La conversation du jeune homme lui manquait. En sortant, il rendrait visite aux Monthoux et inventerait un prétexte pour leur ravi un petit temps leur esclave atypique.

Le bruit de pas attira son attention. Les juges revenaient. Il se redressa puis se leva quand on lui demanda.

Le début du verdict laissa le prêtre stoïque. L’habituel récapitulatif des délits le laissait indifférent. Il ne voyait à ses yeux rien de répréhensible. C'était l’Église et la société qui se trouvait bien stupides pour concevoir qu'un homme de Dieu appartenait à une catégorie d'homme différent. Il réprima un sourire en entendant échapper à l’excommunication et la démise des fonctions. S'ils savaient ! Il n'aurait pas été plus contrarié que cela. Au contraire, arrêter de dire la messe à des heures impossibles ou cesser d'assister des familles agaçantes l'aurait beaucoup soulagé.

Par souci de l'image, il se fendit d'un discret mais poli :

"Je vous en remercie. Je n'aurai imaginé la vie sans la prêtrise."

L'hypocrisie professée l’amusait. Il aimait ce jeu qui lui donnait l'impression de dominer la partie, comme si malgré le jugement, il l'emportait sur ses adversaires. La main changeait cependant du tout au tout. Il se sentait soudain en désavantage. on lui annonçait son départ pour la colonie d'Iswyliz afin d'y construire un caserne. il n'avait pas anticipé cette possibilité et c'était beaucoup moins drôle. Un mois entier dans une contrée paumée ? Quelle plaie ! Iswyliz... Si sa mémoire s'avérait correcte, Jérémie venait ce pays. Curieuse coïncidence d'avoir songé à l'esclave et d'entendre ensuite le nom de sa terre natale ? Un signe de Dieu ? Qu'essayait-Il de lui transmettre ? Ne pas trop jouer avec les règles ? C'était mal le connaitre. Peu importaient les difficultés, il trouverait moyen de les transgresser légèrement. En vérité, cette mesure de surveillance l'amusa plus que celle-ci ne l'agaça à son annonce. Duper les soldats serait très amusant. Sous couvert d'une visite à domicile pour un malade, il pourrait discuter avec quelques personnes choisis et tenir des conversations que ceux qui l'épieraient ne pourraient entendre.

Les secrets de la confession n'étaient-ils pas sacrés ?

Des secrets que lui briserait, sans la moindre hésitation, s'il trouvait un quelconque intérêt. mais les autres, si prudes, si empreints de bons sentiments, ne sauraient y déroger.

Derrière son air de contrition, Thierry imagina déjà diverses possibilités. rien n'était figé dans le marbre et il saurait tirer habilement l'aiguille du jeu en dépit de ces nouvelles règles drastiques. Au contraire, le jeu allait devenir plus intéressant.

Lors de la sortie des juges, le prêta salua révérencieusement en murmurant :

"Veuillez m'excuser encore pour am conduite. Je travaillerai à devenir homme meilleur."

Il patienta quelques minutes et quitta la pièce en s'obligea à adopter une mine basse.