[16 Novembre 1597] Apprentissage de lecture [Terminé]

Peu après le petit-déjeuner, pendant que Grace restait à l'étage avec Ludovic qui dormait son berceau, Cassandre était restée dans un coin de la boutique et essayait d'écrire des phrases, le plus loin possible d’Alexandre qui dessinait dans un autre coin de la pièce. Les feuilles de Kalisha et Sylvère reposaient devant elle, sur le plancher, pour lui servir d'inspiration. Malgré son appréhension, la comptine restait dans sa tête. Elle l'avait lu matin et soir chaque jour.  La fillette voulait essayer de tracer à nouveau les lettres et de faire ses expériences.

Lentement, Cassandre prononça à voix basse les phrases qui lui passaient par l'esprit en détachant une à une chacune des syllabes afin de bien entendre les sons et de parvenir à les retranscrire. Ses doigts s'efforçaient ensuite de tracer une à une les lettres en majuscule.




Cassandre reposa la plume la fin de cette dernière phrase. Elle était épuisée. Décomposer les syllabes et se souvenir des lettres, reporter son attention régulièrement vers l’abécédaire pour être sûre de ne pas faire erreur, c'était vraiment très fatiguant. Elle observa avec crainte sa production puis s'inquiéta d'avoir pu faire des fautes.

Nerveuse, elle se releva et s'avança vers dame Irène, toute intimidée, en serrant la feuille contre elle.

"Dites... ESt-ce que.... Est-ce que vous pouvez vérifier si je me suis pas trompée ?"

Elle tendit, presque honteuse, la feuille, et baissa les yeux. Elle commençait à douter de ses capacités à nouveau et était persuadée que son exercice serait rempli d'erreurs.

Irène examinait de nouveaux échantillons de tissus que Juan lui avait envoyé avec sa dernière lettre. Apparemment, non seulement il voulait lui envoyer de nouvelles choses mais il comptait revenir pour décembre, pour rejoindre sa reine et assurer de bonnes relations avec Monbrina. Irène se réjouissait en se disant qu'il connaîtrait le nouveau membre de leur famille. Elle passa une main sur son ventre tout en réfléchissant à ce qu'elle ferait avec ce nouvel arrivage. Parfois, elle regardait Cassandre ou Alexandre qui travaillaient chacun dans leur coin. Elle appréciait que sa fille travaille autant à ses exercices d'écriture. Bientôt, elle pourrait sans doute tenir un registre, lire et écrire sans problème.

Elle l'écoutait réciter ses syllabes à voix basse, quand soudain, elle s'arrêta. Irène leva la tête et la vit venir vers elle. Elle lui sourit en déposant sa loupe.

- Oui, bien sûr. Montre-moi.

Elle prit la feuille avec douceur et observa les mots. Elle hocha la tête.

- C'est bien, très bien, presque toutes tes phrases sont correctes. Il te manque juste quelques petites choses pour que ce soit parfait.

Elle tourna la feuille vers Cassandre et lui montra le prénom de Grâce ainsi que le "e" de forêt.

- Tu ne dois pas encore connaître ceci, mais il existe en français ce qu'on appelle des accents. Ce sont des petits traits qui se mettent au-dessus des voyelles a, e, i, o, u, pour accentuer le son. Là par exemple, sur Grâce et sur forêt, il manque ce qu'on appelle un accent circonflexe. C'est une sorte de petit chapeau.

Elle le dessina sur le "a" de Grâce, pour lui montrer.

- Voilà.

Elle plissa un instant les yeux, craignant qu'elle ne soit pas assez clair.

- Tu comprends ? Est-ce que tu as besoin d'exemple ? C'est parfois compliqué de deviner quand on ne connait pas l'orthographe du mot. Forêt par exemple, il y a donc un circonflexe sur le "e" et un "t" à la fin et ça fait comme un "a" et un "i" ensemble.

Cassandre se tassait sur elle-même alors que Dame Irène examinait la feuille sur laquelle était consigné ses tentatives. Elle était encore si peu assurée dans l'écriture et redoutait de se faire réprimander. Elle eut finalement un grand soulagement quand dame Irène considéra que c'était bien. Elle prit cependant le temps après cela d’évoquer de petites erreurs. Soucieuse, la fillette prêta attention aux explications qui allaient suivre.

"Il y a un accent sur Grâce ou sur forêt... Mais on l'entend pas ! Les accents graves et aigus, je connais. On les entend. Comme dans le mot xérès."

Elle observa Dame Irène qui traçait l'étrange chapeau sur le a de Grace ou sur le e de forêt. Elle essayait de lui expliquer mais Cassandre avait du mal à comprendre. Elle secoua la tête.

"Non je ne comprends pas. On l'entend pas du tout. oua lors... il faut juste que je le retienne ? Que je l'apprenne par cœur ?"

Irène sourit. Ce n'était pas facile à comprendre en effet.

- C'est... une subtilité de la langue, vois-tu ?

Elle lui sourit, surprise qu'elle connaisse un mot si compliqué pour retenir les accents.

- En effet, ça ne s'entend pas. mais c'est parce que malheureusement en français, nous n'accentuons pas beaucoup les mots. Si nous étions en anglais ou en espagnol, ça s'entendrait beaucoup plus.

Elle se désola de voir que Cassandre ne comprenait pas. Elle se mordit le doigt en cherchant comment faire mais soupira.

- Malheureusement, je crois qu'il faut le retenir... Si tu veux, je peux te faire une petite liste des mots les plus courants avec un circonflexe.

Elle regarda de nouveau la feuille.

- Au niveau des sons qui ne s'entendent pas, il y a aussi "dans" qui a un "s" à la fin mais qui ne se prononce pas.

Cassandre baissa la tête, désolée de ne pas trouver de logique à ces mots particulier. Dame Irène comparait avec d'autres langues et la fillette avait alors peur de se perdre. C'était déjà assez compliqué le français ! elle opina doucement quand on lui proposa de faire une liste des mots les plus courants avec un accent.

"Oui. Je veux bien."

Dame Irène reporta son attention vers la feuille et nota une nouvelle erreur. Cassandre fronça les sourcils.

"Mais le s on l'utilise pour marquer le pluriel !"

Irène vit l'air attristé de Cassandre et lui passa une main dans le dos pour la rassurer.

- Tu sais, ce n'est pas facile d'apprendre à lire. Mon frère Paul a eu beaucoup de mal mais maintenant, il dévore les ouvrages.

Irène nota sa demande et se dit qu'elle le ferait dès que possible. Elle commença à noter déjà celui-là. Elle sourit à Cassandre, prête à la expliquer que le français était décidément une langue bien compliqué.

- Alors, non, parfois, pas toujours. Tiens, rien que dans ce que je viens de dire, il y a presque des "s" partout qui ne s'entendent pas et ne marquent pas le pluriel, dans "alors", "parfois", "toujours" et même "pas" ! C'est... un peu compliqué, mais on s'y fait vite, surtout une fois qu'on apprend à manier les mots avec des petites phrases comme tu le fais.

Cassandre contempla avec appréhension la feuille de son exercice et écouta Dame Irène qui essayait de la réconforter en lui parlait d'un de ses frères qui avait du mal lui aussi à apprendre la lecture mais dévorait à présent sans cesse des ouvrages. Elle n'arrivait pas à se persuader que cela lui arriverait aussi. Son penchant pour le pessimisme reprenait le dessus.

"Mais votre frère il a appris quand il avait à peu près l'âge de Grâce, non ? Les enfants apprennent à lire jeunes, c'est comme ça. mais moi, je suis peut-être trop âgée ? Peut-être que j'ai passé l'âge pour réussir. Grand frère dit que non. Mais grand frère est un peu bête et a tendance à ne pas s'embêter des choses qui l'embêtent. Mais c'est parce qu'on refuse de voir les choses qui nous embêtent pas qu'elles arrêtent d'exister."

Sur le développement de ces idées, Cassandre s'arrêta et suivit le reste de la leçon que lui faisait dame Irène. Elle essayait de s'appliquer pour tout retenir.

"Bon.. ben je vais faire d'autres exercices alors."

Irène sourit à Cassandre pour la rassurer et passa une main dans son dos.

- Il n'a pas d'âge pour apprendre Cassandre. Avec de la persévérance, quelque soit le nombre de nos années, on parvient toujours à faire ce qu'on veut. Tu y arriveras, j'en suis certaine.

Elle secoua la tête quand elle parla de Sylvère.

- Tu sais, ton grand frère n'a pas toujours tort. Je pense que Sylvère a raison d'être optimiste, ça permet d'avancer. Mais tu as raison, il faut résoudre ses lacunes lorsqu'on peut, c'est un bon état d'esprit.

Elle lui sourit mais alors qu'elle allait repartir, elle la retint.

- Juste une minute, Cassandre. Il te reste une dernière erreur : pour berceau, on l'écrit B-E-R-C-E-A-U. C'est le son "o" mais pas avec la lettre seule, c'est avec e, a et u comme pour de l'eau.

Cassandre écouta d'un air grâce Dame Irène essayer de la rassurer sur le fait qu'il lui était possible d'apprendre à tout âge puis défendait Sylvère et son optimisme. elle eut un sourire en songeant à son grand frère un peu idiot.

"Je sais. Sylvère peut-même être très intelligent. Et avec du bon sens. Mais n'allez pas lui répéter ça, hein ! S'il savait, je perdrai toute ma crédibilité !"

La fillette allait s'éloigner pour reprendre d’autres exercices lorsque Dame Irène l'arrêta pour corriger une autre faute. Elle fit la moue puis écouta l'explication avant d’essayer d'entendre les sons.

"Berceau... berceau... eau... eau.. Oooo... eauu.. Ah oui, le son est pas le même. Berceau... Bateau ? Bateau a le même son que berceau ! Seau... Château... gâteau... cadeau... "

Lentement, Cassandre énumérait ainsi divers mots qui correspondait à ce nouveau son.

Irène sourit tandis que Cassandre semblait reprendre confiance. Elle rit ensuite lorsqu'elle parla de Sylvère.

- Je ne lui dirais rien, c'est promis.

Elle lui sourit ensuite en hochant la tête, ravie qu'elle ait été claire cette fois.

- Tout à fait, tu as tout compris. Tu peux y retourner maintenant.

Elle passa une main dans le dos de Cassandre puis la laissa aller.