[RP Solo][Flashback] Avril 1584 - Dernière visite

Chaque matin, Rosina se réveillait avant l'aube pour préparer le petit-déjeuner des deux hommes qui vivaient sous son toit. Elle mangeait, elle, discrètement, une ou deux tartines, loin du regard de son époux. Il lui interdisait de s'asseoir à table avec eux. Elle devait rester debout, prête à le servir à la moindre demande, tout en surveillant à ce qu'Alexandre ait de bonnes manières. Ce jour-là, le libraire leur consacra pu de temps et descendit avant six heures pour ouvrir le magasin. Une commande attendait apparemment.

Rosina en était soulagée.
Le cruel époux parti, la voilà enfin seule avec Alexandre, retrouvant entre eux un semblant de liberté.

Pendant que la mère de famille débarrassait la table, puis nettoyait la vaisselle, Alexandre racontait de sa petite voix charmante ses rêves de la nuit. Elle l'écoutait, toute sourire, ravie de sa présence qui allégeait son quotidien et lui fournissait la plus belle des raisons de vivre. Elle vivait pour son fils. Pour le rendre heureux. Pour en faire à terme quelqu'un de bien. Un jour, quand il serait adulte, il serait un homme dont elle pourrait se sentir fière et qui ne ressemblerait en aucun point à son époux. Et il ne serait pas non plus lâche comme son ancien amant qui s'était dérobé devant les responsabilités de la paternité.

Alexandre serait un grand homme.

Une fois ses tâches ménagères achevées, Rosina mit enfin son fils au travail. Sur la table de la cuisine s'étalait des livres de latins et des parchemin. En premier lieu, elle l'interrogea à brûle-pourpoint sur les déclinaisons latines et se réjouit de l'entendre réciter sans commettre la moindre erreur. Elle lui soumit ensuite un texte de Virgile, un passage de l'Eneide, et lui demanda de le traduire pendant qu'elle allait faire le ménage des chambres. En s'éloignant, elle sourit d'observer Alexandre déjà au travail, sans rechigner. Quel merveilleux enfant !



Henri n'avait pas revu sa jeune sœur depuis la folie dont celle-ci s'était permise à se croire autorisée, sans une pensée pour sa famille qui souffrirait des conséquences de son geste malheureux. Cela aurait pu se poursuivre mais cette imbécile, depuis plusieurs semaines, osait la tourmenter avec des lettres agaçantes qui se voulaient le rappeler à son devoir. Il entra dans la librairie, salua cordialement son beau-frère, un homme qu'il appréciait, et lui demanda s'l pouvait monter rencontrer son épouse. Un échange civilisé des plus polis entre personnes bien élevées.

Dans l'appartement, Henri entra dans la cuisine et découvrit un tout jeune garçon, la plume à la main, qui semblait écrire. Il lui passa dedans, sans se signaler, et aperçut Rosina qui revenait un balai à la main. Son visage, déjà austère, se crispa.

"Bonjour ma soeur."

Sa voix était glaciale. Elle répondit en inclinant la tête.

"Bonjour mon frère."

"Puis-je savoir quel droit tu me persécutes ? Je suis las de recevoir tes injonctions répétées au sujet de Rose et de ses enfants. Ne peux-tu pas abandonner ?"

"Comment peux-tu dire cela ? Henri ! Rose... Rosa perdu son mari il y a cinq ans. Ses ressources sont misérables. Et toi.. Toi, tu viens de la chasser de la ville ! Tu étais pourtant en position de leur trouver un logement ! Rose... sa dernière fille, sa petite fille de cinq ans, est sans arrêt malade. Elle doit rester avec elle. Elle ne peut travailler. Tu dois les aider !"

Henri ne montra aucun signe de contrariété.

"Et alors ? Elle a deux grandes filles qui, elles, le peuvent. Il me semble qu'à onze et quatorze ans, on puisse entreprendre beaucoup."

Un sourire cruel se dessina sur son visage.

"Au pire, elles écarteront leurs cuisses, comme tu as fait quelque temps, si l'argent vient vraiment à leur manquer."

"Monstre !"

Rosina serrait le balai entre les mains, ulcérée. Au fait, à quoi s'attendait-elle ? Elle savait depuis ses dix-huit ans que son frère ne songeait à personne autre que ses propres intérêts. Le malheureux Jules, son aîné de deux ans, en avait fait les frais de sa vie. Elle couvrait à cette époque ses rencontres avant son amant, jusqu'au jour où Henri avait découvert cette irrégularité et, horrifié des conséquences pour le commerce de leur famille, s'était arrangé pour faire surprendre les deux hommes par des soldats du guet. Les malheureux disparaissaient quelques jours plus tôt dans les flammes. Sa chère Rose avait subi un sort presque similaire, reniée de ses parents et de son frère, pour avoir épousé sans leur accord celui qu'elle aimait. Seule Rosina avait continué à la fréquenter, se refusant à l'abandonner.

"Tu te trompes, ma sœur, j'agis comme tout homme se doit d'agir. Mais tu es trop faible pour comprendre."

Il posa les yeux sur l'enfant qui venait de se redresser, l'air perdu.

"Toi, au moins, tu as de la chance d'avoir une heureuse situation en dépit de ton bâtard."

Ce fut le mot de trop.
Une gifle puissante partit et frappa la joue de Henri. Rosina siffla :

"Pars. Tout de suite. Je te renie Henri Agaësse. Dès compter de cette seconde, tu n'es plus mon frère. Tu n'es plus rien."

Henri eut un regard amusé mais se recula. Par prudence.

"Il n'y a que la vérité qui blesse, très chère sœur."

Il se retira là-dessus, fier d'avoir eu ce qu'il pensait être le dernier mot. Dès son départ, Rosina lâcha son balai et accourut vers Alexandre pour le prendre dans ses bras et l'embrasser.

"Ce n''était rien, mon chéri. Sauf un vilain monsieur, pas gentil, mais il ne reviendra plus."

Malgré les questions qui lui venaient, Alexandre se tut et resta à se blottir dans les bras maternels si confortables.