[Juin à Mi-août 1597]L’île aux fleurs [Flashback][Solo]
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[Juin à Mi-août 1597]L’île aux fleurs [Flashback][Solo]
Sœur Adrienne, Mère Supérieure
Ophélie et Demoiselle Eulalie
Chapitre 1
Quelques coups de heurtoir attirent l’oreille de la Mère Supérieure, en chemin pour la chapelle. La religieuse se charge d’aller ouvrir à ce visiteur bien tardif. Derrière la porte, une jeune femme raide comme la pierre, un sac pendu à l’épaule, la salue d’un signe de la main.
- Bonsoir. Que puis-je pour vous ?
La visiteuse désigne sa bouche hermétiquement fermée, puis hausse les épaules en secouant la tête de droite à gauche. Elle ne peut pas parler. Adrienne hoche la tête, l’invitant à poursuivre. La jeune femme soupèse la bourse qui pend à sa ceinture, faisant sonner quelques pièces de monnaie au passage, puis se désigne du doigt et fait mine de balayer le perron.
- Vous voulez de l’argent ? Du travail ?
Elle secoue la tête à la première proposition mais la hoche vigoureusement à la seconde. Elle vient gagner son pain, non mendier. Adrienne se pousse sur le côté, la laisse entrer puis l’invite à la suivre dans les longs couloirs, non sans avoir fermé la porte derrière elles.
***
- Je vous souhaite la bienvenue au Couvent de Sainte Clémence. Comment dois-je vous appeler ?
Assise à une table de la cuisine, mains croisées devant elle, la vieille femme jauge son invitée qui se repaît d’un bol de soupe et dévore un quignon de pain. Une servante ne serait pas de refus. Et si elle souhaite rejoindre leur communauté, la muette sera accueillie à bras ouverts. Le tout est de juger de sa fiabilité.
Ingrid hausse les épaules. Elle n’a plus de nom. La première fois, ils l’appelaient Rosie, la seconde elle avait réussi à leur faire deviner Brunehaut, et la famille qu’elle vient de quitter l’avait baptisée Amélie.
- Et bien dans ce cas, vous serez Ophélie. Cela vous convient-il ?
La jeune femme acquiesce et prend une nouvelle bouchée de pain. C’est un prénom comme un autre. Le pain en revanche, est délicieux. Elle lève les yeux vers son hôte, qui vient de se râcler la gorge.
- J’aimerais savoir ce que vous savez faire, avant de pouvoir vous prendre à mon service.
Ophélie pose sa nourriture et se lève. Elle fait mine de balayer, s’approche de la soupière dans l’âtre et tourne une cuillère imaginaire à l’intérieur. Elle se rassied, attrape le bas de son tablier et le raccommode avec des filets d’air. Au fur et à mesure qu’elle expose son savoir, Adrienne propose des hypothèses.
- Vous savez… faire le ménage ? La cuisine ? La couture ? C’est exact ?
Adrienne lui sourit et prend sa main.
- Vous assisterez aux offices, aiderez sœur Isabeau à la cuisine et nos autres consœurs dans leurs tâches quand elles en auront le besoin. Vous serez logée, nourrie et blanchie aussi longtemps que vous travaillerez ici. Si cela vous convient, il ne me reste plus qu’à vous conduire à votre cellule.
Ophélie la suis, peu sûre du sens de ce mot. Ce doit être une sorte de chambre. Elle tente de se repérer dans les couloirs sombres, pour le cas où elle devrait fuir précipitamment. Toujours assurer ses arrières. Des nones ne sont sans doute pas bien farouches ou dangereuses mais sait-on jamais. Il ne faut jamais sous-estimer un adversaire. Quiconque a un tant soit peu d'instinct de survie le sait. Adrienne s'arrête devant une petite porte ornée de la croix chrétienne et lui fait signe d'entrer.
- Le lever est à cinq heures. Suivez les autres et vous ne serez pas perdue. Reposez-vous bien.
Ophélie la salue d'un signe de tête et d'une discrète révérence, bien droite dans la petite pièce, son sac encore à la main. Ce n'est que lorsque la porte se referme et que les pas de la mère supérieure s'éloignent que la jeune femme pose ses affaires en soupirant. Un lit, une table de chevet, un broc d'eau et une petite fenêtre. Ce sera bien assez confortable.
Elle s'assied mécaniquement sur la paillasse, et retire ses chaussures. Cette femme n'a pas l'air méchante. L'endroit est isolé, au bord de la mer. Si nécessaire cela signifie qu'elle pourra trouver moyen d'embarquer pour... ailleurs. Elle lui a fait confiance plutôt rapidement. Soit c'est sa charité de chrétienne qui a œuvré, soit elle attend de la voir à l'œuvre pour décider de son sort. A moins qu'elle n'attende autre chose d'elle ? Nouveau soupir. Au moins pour cette nuit, elle peut rester. Elle a bien vérifié en arrivant, il n'y a aucun visiteur susceptible d'être de ses poursuivants. Peut-être ont-ils abandonné leur poursuite. Non, ce serait bien trop stupide de leur part. En même temps, qu'attendre de plus d'une bande d'hommes qui ne pensent qu'avec leur entre-jambe et leur ventre de glouton ingrat. Mais il ne faut pas les sous-estimer. Cela pourrait aussi être une stratégie.
Ingrid se laisse basculer en arrière. Elle n'en sait rien du tout. Elle ne sait même pas s'ils savent qu'elle s'est enfuie ou la pensent morte dans l'incendie. Elle ne sait pas si son répugnant stratagème les a dissuadés de poursuivre leurs recherches. Cette pauvre fille... Ingrid secoue la tête. Elle serait morte de toute manière. Elle lui a même épargné des souffrances inutiles. Ceux qui retrouverons son cadavre lui donnerons forcément une sépulture. A moins que cela ne soit interdit de donner une sépulture aux esclaves ayant fuit leur maître. S'ils l'ont prise pour Eh Toi comme c'était prévu alors... Sa route est déjà semée de cadavres. Cela ne change rien. Il n'y a personne pour lui causer de tors ici, elle a un lit et à manger. Les morts sont morts.
Les morts sont morts, se répète-t-elle pour s'endormir.
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Chapitre 2
Chapitre 2
Eh Toi pousse un énième bâillement. Il se fait tard. Elle ignore depuis combien de temps la cuisinière a quitté la pièce, la laissant achever de ranger, mais cela se compte sans doute en heures. Ou peut-être pas, elle n’en a aucune idée. Aucune lumière ne passe plus la fenêtre depuis un moment. La jeune femme secoue la tête pour se ressaisir, elle doit finir la vaisselle avant demain matin, le reste importe peu. Elle se retient d’asperger son visage d’eau, pour rouvrir ses paupières lourdes de fatigue. Ce serait du gaspillage. Le maître ne serait pas content. Non, le maître est mort. Et puis ce n’est qu’un peu d’eau non ? Il faut qu’elle finisse de nettoyer. Il y a beaucoup d’assiettes et de verres et de grandes marmites. Un petit coup de louche sur la tempe ça réveille aussi. Elle s’appelle Ophélie, elle est dans la cuisine d’un couvent et elle fait la vaisselle du repas du soir parce que la cuisinière était trop fatiguée.
Elle dépose un à un les plats dégoulinants d’eau sur la table, prêts à être essuyés. Elle s’appelle Ophélie, elle est dans la cuisine d’un couvent et elle fait la vaisselle du repas du soir parce que la cuisinière était trop fatiguée. Elle aussi elle est fatiguée, en y repensant elle s’est peut-être faite avoir. Tant pis. Elle s’assied sur une chaise et empoigne un torchon, après avoir remplacé la bougie en fin de vie. Elle s’appelle Ophélie, elle est dans un couvent et elle fait la vaisselle du repas du soir. Une écuelle bien propre empilée sur la première. Elle s’appelle Ophélie, elle est dans un couvent et elle fait la vaisselle. Elle s’attaque à la grande marmite, après avoir terminé tout le reste. Elle s’appelle Ophélie, elle est dans un couvent et elle fait la vaisselle. Un nouveau coup de torchon sur le bord du récipient. Elle s’appelle Ophélie. Elle est dans un couvent. Elle passe lentement sur l’extérieur rebondi. Elle s’appelle Ophélie. Elle est dans un cou - sa tête chute une première fois. Elle s’appelle Ophélie. Elle s’appelle Ophélie. Elle s’appelle…. Ses paupières lourdes se ferment complètement.
Quelques minutes plus tard, alors que la chandelle se meurt dans son bougeoir, la porte de la cuisine s’entrouvre dans un grincement. Une petite lueur s’aventure par l’ouverture, suivie par une silhouette hésitante.
Eulalie se glisse vers la bouilloire posée sur le manteau de la cheminée, sans prêter attention à Madame Isabeau qui dort sur la table. Elle attrape un gobelet au hasard, tout en étouffant un reniflement dans sa manche. C'est en déposant sa chandelle sur la table pour boire qu'elle s'aperçoit à la lumière tremblotante de la flamme qu'il ne s'agit pas de Madame Isabeau mais de sa nouvelle aide cuisinière, arrivée peu de temps après elle à Sainte Clémence.
Les ombres changeantes de la lumière s'étalent sur son visage endormi. Elles avancent et reculent au rythme de ses inspirations qui font osciller la flamme à côté d'elle. Eulalie se laisse absorber par ce ballet hypnotique, détaillant le pourtour de sa mâchoire saillante, de ses sourcils froncés et de son petit nez retroussé. La lumière orangée sur son visage pâle lui donne un air envoûtant… si étrange que la jeune femme cherche à tâton de quoi s'assoir, oubliant quelques instants d'être silencieuse.
C'est le raclement du banc sur le sol qui réveille Ingrid. Elle se redresse brusquement, sur ses gardes et découvre, horrifiée, qu'une des pensionnaires, en chemise, les yeux rougis, la fixe, le regard absent.
Ophélie fronce les sourcils. Non seulement cette jeune femme c'est introduite dans la cuisine sans autorisation, elle est hors de son lit, mais en plus elle vient de passer un temps indéterminé à la regarder dormir au lieu de travailler. Comme si elle avait le droit de scruter les gens dans leur sommeil, sans leur autorisation ! Ça ne se fait pas. Et si elle la dénonce à la Mère Supérieure parce qu'elle a dormi au lieu de finir son travail ? Non, elle n'a pas intérêt à faire ça. En plus, personne ne lui a directement interdit de dormir un peu.
Elle scrute avec un peu plus d'attention le visage de l'intruse, dont les yeux bouffis viennent de s'écarquiller de terreur. Voilà une réaction qui prouve qu'elle n'a pas le droit d'être ici et qu'elle le sait parfaitement. Et la voilà qui fond en larmes.
- Je pardonnez-moi, excusez-moi s'il vous plaît je vous jure que je ne voulais pas faire de mal, je voulais juste l'infusion de Madame Isabeau pour dormir, excusez-moi madame, pitié ne dites rien à personne, bredouille-t-elle de sa petite voix criarde entrecoupée de sanglots.
Ophélie fait non de la tête. Elle ne dira rien. Elle ne dit jamais rien. En revanche, elle veut comprendre ce que cette idiote de petite chauve-souris au pelage charbonneux fabriquait pour avoir besoin d'une infusion pour dormir, à cette heure de la nuit. Elle lui lance un regard insistant, tout en posant une main ferme sur son épaule quand elle amorce un mouvement pour se lever.
Eulalie lève son visage inondé vers elle.
- Vous ne direz rien ?
Ophélie lève les yeux au ciel et réitère son geste. Non elle ne dira rien mais qu'elle accélère la cadence, le temps file plus vite qu'il n'y paraît.
- J'ai fais un cauchemar. J'en - j'en fais souvent. Madame Isabeau le sait, alors elle m'a dit que si, que si j'avais besoin je pouvais venir la voir. Elle me prépare toujours une infusion à la verveine pour arriver à me rendormir, bredouille-t-elle entre deux hoquets.
Elle baisse la tête honteuse, alors qu'Ophélie cherche encore à décrypter tout ce qu'elle vient de dire. Elle fait des cauchemars, elle boit une infusion pour dormir, la cuisinière est au courant. C'est le plus important.
Ingrid tire un mouchoir de sa poche et le lui tend alors que la jeune femme renifle pour la énième fois. Eulalie l'accepte et lui murmure un "merci" à peine audible avant de se moucher. Elle essuie ses yeux puis se redresse.
- Madame Isabeau m'a parlé de vous et de votre grande piété. Elle m'a dit que vous étiez Ophélie. Moi je suis Marion Eulalie de… Demoiselle Eulalie.
Ophélie acquiesce d'un sobre hochement de tête. Oui c'est bien cela, ici elle est Ophélie. Et Eulalie aussi a l'air d'avoir des soucis d'identité. D'ailleurs elle ne semble pas très à l'aise avec son nouveau prénom, puisque son erreur relance la machine infernale de ses sanglots. Ophélie pose une main compatissante sur son épaule alors qu' Eulalie essaye de se calmer, gênée. Elle retrouve chez la jeune femme certaines mimiques qui ne lui sont pas étrangères, comme son mouvement de recul à l'approche de sa main.
- Entre femmes, on se serre les coudes, lui lance joyeusement la voix d'une vieille amie, comme une incitation à chercher plus en profondeur dans les tourments de la jeune Eulalie.
Mais déjà, celle-ci s'est levée et la prend par la main, celle-là même qu'elle a fuit quelques instants plus tôt.
- Je ferais mieux de retourner me coucher… et vous aussi Ophélie. Elle baisse la tête vers ses pieds, hésitante. Est-ce que… vous voulez bien me raccompagner à ma chambre s'il- s'il vous plaît ? Les couloirs sont effrayants la nuit... finit-elle par demander, toute tremblante.
Ophélie hausse un sourcil intrigué. La raccompagner ? Mais elle est venue ici toute seule pourtant…
- Entre femmes, on se serre les coudes !
Ophélie soupire et récupère la chandelle. Ce n'est qu'une pauvre petite créature en difficulté comme ce pays en compte de nombreuses autres. Elle peut bien la suivre si ça la rassure, elle n'a rien à perdre après tout. Même si elle est Monbrinienne, cette jeune femme ne lui tendrait jamais de piège, pas vrai ? Non c'est ridicule comme hypothèse.
- Merci… chuchote Eulalie depuis le pas de la porte.
Ophélie hausse les épaules et referme la cuisine derrière elle. La marmite finira de sécher toute seule. Elles avancent en silence dans les couloirs sombres, éclairées uniquement par la lumière chaude de leurs bougies jusqu'à ce qu' Eulalie s'arrête devant une porte un peu plus grande que celle des autres cellules. Elle murmure un "C'est ici" puis pousse le battant, dévoilant une chambre simple mais plus richement meublée que celle d'Ophélie.
Eulalie dispose d'un tapis et d'un grand lit à baldaquin, dans lequel elle se réfugie, avec toujours cette peur sous-jacente dans le regard.
Ophélie s'apprête à faire demi-tour vers sa propre chambre de pensionnaire non-privilégiée, soulagée. Tout s'est bien passé. Elle jette un dernier regard à Eulalie pour lui souhaiter une bonne nuit, mais elle tapote timidement le matelas à côté d'elle.
Eulalie la regarde, emmitouflée dans sa couverture. Son visage fermé a quelque chose de rassurant, comme sa main sur son épaule tout à l'heure. Dormir avec une amie lui apportait du réconfort étant enfant, même si c'était de moins en moins accepté à mesure que les années passaient.
- Est-ce que… vous pourriez rester ?
Peut-être qu'Ophélie pourrait devenir une de ces amies ? Peut-être qu'une présence l'aiderait à mieux dormir...
Sa main tapote de nouveau le lit. Les entrailles d'Ingrid se nouent.
- Eh bien qu'est-ce que tu attends petite ? Approche. Je ne vais pas te manger.
Eh Toi recule d'un pas, puis de deux, jusqu'à pouvoir se tenir à la poignée de la porte. La petite chauve-souris penche la tête sur le côté.
- Mademoiselle ? Est-ce que tout va bien ?
- Tout ira bien, ne t'en fais pas. Regarde : je ne suis pas en colère…
- Pardonnez-moi je.. je ne voulais pas vous indisposer, je voulais simplement… sa voix s'éteint. le réconfort d'une amie…
Mais Eh Toi n'entend plus rien. Elle ferme doucement la porte derrière elle, pour ne pas faire de bruit, et s'enfuit à toute allure dans les couloirs, sans se soucier de la jeune femme pétrifiée de l'autre côté de la porte.
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Chapitre 3
Chapitre 3
— Vous ne pouvez pas dormir dehors, c’est le meilleur moyen d’attraper la mort. Pourquoi n’étiez-vous pas dans votre chambre ?
Ophélie hausse les épaules. Que dire ? Elle ne peut pas parler. C'est à peine si elle a compris tout ce que la Mère Supérieure vient de lui dire. On ne peut pas attraper la Mort. C'est impossible. Et si elle n'était pas dans sa chambre… ça ne regarde qu'elle.
Mère Adrienne pousse un soupir. Cette jeune femme est trop pieuse pour son propre bien. Ou trop têtue. Voire même un savant mélange des deux.
— Écoutez. Il me vient une idée. Vouloir respecter vos vœux est tout à votre honneur, mais rien ne vous empêche d'écrire ou de dessiner pour vous exprimer plus clairement.
Elle sort d'un tiroir de son bureau un morceau de parchemin et un fusain, qu'elle dépose devant l'œil sceptique d'Ophélie.
— Je réitère ma question : pourquoi dormiez-vous dehors ?
Devant l'absence de réaction de sa nouvelle pensionnaire, Adrienne croise les mains sur son bureau et reprend, bien plus ferme.
— Je me dois d'insister. Comprenez bien mademoiselle, qu'être membre de cette communauté - à part entière ou non - implique d'en respecter les règles. Dormir dehors n'est pas autorisé et je ne peux laisser passer ce léger manquement, au risque d'avoir à faire face à d'autres incorrections de la part de mes autres pensionnaires. Pourquoi avez-vous dormi dehors ?
Ophélie amorce un mouvement vers le matériel de dessin mais se ravise. Quand bien même elle en aurait envie, comment dessiner ce qu'il s'est passé ?
— Essayez au moins, l'encourage la religieuse.
Malgré sa voix douce, Ophélie sent qu'un nouveau refus signifierait la porte. Elle ne veut pas lui expliquer ce qu'il s'est passé, mais trouver une excuse qui se rapproche le plus possible de la vérité ne doit pas être bien difficile. Ophélie se saisit de nouveau du fusain et contemple la feuille vierge. Elle finit par y tracer une flamme aux contours tremblants puis dépose avec précaution le matériel sur le bureau. Elle avait trop chaud. C'est vrai en quelque sorte.
— Un incendie ? Voyons Ophélie, n'essayez pas de me mentir. C'est grotesque, et c'est pécher. Une jeune femme aussi pieuse que vous n'en viendrait pas là tout de même…
En voyant son hôtesse froncer les sourcils, la jeune femme comprends tout de suite qu'elle n'a pas saisi et commence à chercher une autre méthode, sans vraiment l'écouter parler. Elle finit par agiter sa main près de sa gorge, comme un éventail, en papillonnant des cils. Ophélie pousse même le mime jusqu'à tirer le col de sa robe comme s'il était trop serré autour de son cou. Elle le remet toutefois bien vite en place, faussement pudique. Il ne faudrait surtout pas que certaines choses soient dévoilées au regard perçant de la vieille femme en face d'elle.
— Vous… manquiez d’air ? Voyons, c’est ridicule, il suffisait d’ouvrir la fenêtre dans ce cas. Je vous loge et vous nourris mademoiselle, il serait bien aimable de votre part de vous comporter avec civilité tant que vous vous trouvez parmi nous.
Adrienne la dévisage de haut en bas, les lèvres pincées.
— Je comprends que certaines… habitudes puissent être difficiles à perdre mais si vous désirez rester ici, il faudra vous plier aux changements qui s’offrent à vous. Je sais que vous ne pensiez pas à mal en mentant de la sorte, mais que cela ne se reproduise plus. Il n’y a rien de honteux à étouffer dans une pièce, ni à ouvrir la fenêtre. Et si quelque chose ne va pas, n’hésitez pas à venir m’en entretenir, plutôt que d’essayer de régler le problème toute seule.
Ophélie hoche vaguement la tête. Elle n’a presque rien compris, si ce n’est qu’elle n’est pas mise à la porte. Pour l’heure, c’est tout ce qui lui importe. La religieuse se lève dans un raclement de chaise un peu plus bruyant que la normale, comme pour attirer son attention.
— Bien ! Je crois qu’il est temps de nous quitter. Vous avez manqué l’office, il serait regrettable que vous passiez également au travers du déjeuner.
Devant l’air interloqué de sa pensionnaire, Adrienne se ressaisit, gênée. D’ordinaire son enthousiasme met ses protégées plus à l’aise et leur tire un sourire lumineux, à la rigueur timide. Elle pose une main apaisante sur l’épaule d’Ophélie. Elle a déjà eu affaire à de nouvelles venues taciturnes - et certaines le sont encore - mais jamais encore l’une d’entre ne s’était obstinée à rester aussi rigide.
— Profitez bien de votre repas. Je tâcherais de vous procurer une ardoise et une craie pour que vous puissiez communiquer plus aisément avec nous toutes. Allez maintenant ma fille. Et rappelez-vous, si quelque chose ne va pas, ce bureau est grand ouvert. C’est entendu ?
A nouveau, seul un vague hochement de tête lui répond. La mère supérieure décide de lâcher l’affaire et la congédie d’un geste du menton, sans se départir de son sourire bienveillant. Ophélie accueille la délivrance avec autant d’apathie apparente que le reste, les entrailles tordues dans tous les sens par ce rictus effrayant. Les gens qui sourient ne sont pas dignes de confiance.
Elle passe la porte de la salle à manger juste à temps pour le bénédicité, qu’elle écoute d’une oreille distraite, trop occupée à chercher Eulalie du regard pour vérifier qu’elle ne l’a pas remarquée. Il est cependant bien difficile de différencier une coiffe de nonne d’une autre. Ophélie préfère en conclure qu’elle est trop concentrée sur sa prière pour chercher son regard, car il va de soi qu’après ce qu’il s’est passé, elle ne risque pas de l’oublier. Avec un peu de chance, l’arrivée du jour l’aura rendue honteuse de son audace et la jeune fille n'essaiera plus de lui adresser la parole.
***
— Bonjour ! Comment allez-vous ce matin ?
Ophélie, penchée au-dessus du bac de vaisselle, arrête de frotter le bol qu’elle a entre les mains quand la voix de la jeune fille retentit dans la pièce. Que fabrique-t-elle ici ? N’a-t-elle pas des activités de nonne à accomplir ? La jeune femme reprend son travail comme si de rien était. Elle est sans doute venue saluer Madame Isabeau, laquelle s’est justement tournée vers la nouvelle venue.
— Comme un charme, jeune demoiselle.
La cuisinière dépose ce qu’elle est en train de faire pour s’approcher d’Eulalie. Elle pose une main sur son épaule et lui indique une chaise proche de la cheminée.
— Je mets l’eau à chauffer pour votre tisane, commence-t-elle en joignant le geste à la parole. Mais vous devez me promettre de parler moins fort à l’avenir. Combien de fois vous l’ai-je déjà répété ?
— Pardonnez-moi, je ferais plus attention...
Satisfaite de ne pas avoir entendu son nom, Ophélie ferme tout à fait son esprit à la conversation et se contente d’observer ses mains qui suivent à un rythme cadencé les courbes d’une écuelle. Tantôt immergée, tantôt ramenée au-dessus de l’eau, c’est un étrange ballet que celui des mains qui frottent la vaisselle sale. Les manches retroussées jusqu’au coudes, elle suit du regard sa peau pâle s’agiter dans le bac, comme si ces mains n’étaient pas tout à fait les siennes. Ophélie en détaille les contours graciles, et s’attarde sur la petite cicatrice au creux de son poignet, immergée en même temps que l’assiette. Il s’agit simplement d’une ligne boursouflée, plus pâle que le reste de son bras, pourtant, ce simple détail suffit à dire que ce sont bien ses mains et pas celles de n'importe qui d'autre. Elle caresse la petite marque du pouce, pensive, quand deux autres mains plongent dans le bac d’eau.
— Ophélie ? Pardonnez-moi, vous n’avez pas réagi quand je vous ai appelée, il y a un instant.
Ophélie cligne des yeux alors qu’ Eulalie se saisit d’une assiette sale en la tenant entre deux doigts légèrement boudinés.
— Je ne comprends vraiment pas comment vous faites c’est… vraiment répugnant, commente la jeune femme en éjectant un morceau de nourriture d’un geste frénétique de la main. Enfin hum…je me demandais… je me demandais comment vous alliez aujourd’hui ? Je… j’ai proposé à Madame Isabeau de prendre sa place, pour.. pour qu’elle puisse aller se recueillir.
Ophélie lève les yeux au ciel et retourne à son travail. Si elle a bien tout saisi, les voilà seule à seule pour un bon moment… et la créature en détresse qu’elle a rencontré la veille au soir semble avoir laissé la place à une vraie pipelette. De mieux en mieux… Un silence cousu de gêne s’installe alors, jusqu’à ce qu’Ophélie sente le regard de la jeune fille peser sur elle. Elle tourne la tête vers sa voisine pour la questionner du regard. Soudain plus timide, Eulalie se décide à tenter de frotter un gobelet.
— Je… Je voulais, enfin hier soir… quand - quand j’étais petite… je dormais avec mes amies, parfois… et nous nous, nous nous rassurions enfin ce que je voulais dire c’est que… je pensais que nous pourrions être amies parce que… parce que vous sembliez aussi perdue que moi et en même temps vraiment très courageuse et je - je ne sais pas ce qui m’a pris je vous jure que - pourquoi aviez-vous si peur ? On aurait dit que vous aviez vu un fantôme ou que… ou que vous craignez que je vous tranche la gorge…
Comme à son habitude, Ophélie ne répond rien, mais elle perçoit le regard bien trop curieux qui pèse sur elle. Malgré elle, les images de la soirée qui vient de s’écouler s’imposent à elle, tandis que juste à côté d’elle, Eulalie retient son souffle, comme si elle espérait entendre le son de sa voix. Ingrid effectue un quart de tour et saisit la petite impertinente par les épaules. Ses doigts s’enfoncent dans la chair, jusqu’à la voir légèrement grimacer.
— Je j’ai compris, vous ne désirez pas en parler. Je.. je ferais mieux de vous laisser je crois…
Les bras d’Ophélie retombent mollement le long de son corps, sans qu’elle ne se départisse de son regard dur. C’est ça, qu’elle parte et...
— Je repasserai quand vous serez de meilleure humeur, achève Eulalie avec un sourire timide en passant le pas de la porte.
...qu’elle ne revienne jamais. Restée seule sans avoir pu rétorquer, la jeune femme étouffe un cri rageur et se penche de nouveau sur le bac où flottent les restes de nourriture, en repensant au geste dégoûté d’Eulalie. En voilà une bien gourde qui n’a jamais dû faire la vaisselle de sa vie. D’où sort-elle exactement ? Ophélie hausse les épaules. Bavarde comme elle est, elle finira bien par le savoir, puisque mademoiselle n’a pas l’air décidée à lui lâcher la grappe.
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