[11 septembre] Une audience au palais [Terminé]

-- Le temps d'organiser ce Triomphe, et il pourra rassembler nos sujets de la cité samedi prochain par exemple. Faites amener tous les documents dont vous parlez au palais, ordonnait déjà le monarque.

Il salua le départ du cardinal en dissimulant son soulagement, avant d'apprécier d'un sourire la stratégie évoquée par le général. Il aurait grand hâte d'organiser la colonisation de cette nouvelle terre.

L'esclave s'inclina une dernière fois devant le roi, l’œil las et plein de terreur. A peine se fut-il redressé que son maître lui saisit le bras et le traîna en chemin retour. On allait de nouveau le porter dans les escaliers, puis il faudrait affronter encore cette éprouvante route, en fauteuil à une allure soutenue dans le sillage de la voiture. Tristan avait déjà envie d'en pleurer. Au moins, il espéra revoir vite Alexandre.

-- Mais soyez-en prié. De premières informations de votre bouche ici-même ne sauront qu'être les bienvenues.

Il fit signe à l'un de ses gardes d'envoyer quérir un scribe pour prendre des notes préliminaires des renseignements les plus urgents qu'allait commencer à fournur le militaire. Déjà, Der Ragascorn ne pensait plus ni au cardinal ni au mauvre esclave.

Joseph inclina la tête avant de commencer son récit, tâchant d'oublier Irène. Il saurait bien la retrouver, peut-être avec l'aide de Matthieu s'il se montrait coopératif.

- Eh bien, j'ai fait quelques repérages rapides après la bataille, avec des éclaireurs. Je crois que cette terre possède de nombreuses ressources. Il y a au bas mot des centaines de lieues de forêt et du bois de bonne qualité ; du frêne, du chêne. Des arbres immenses, Majesté, c'est ainsi qu'on a pu cacher nos hommes et prendre par surprise l'ennemi. Peu de gens, les principaux villages sont autour des rivières, m'est d'avis qu'il n'y aura aucun souci à les faire rejoindre le royaume. Les principaux généraux qui les protégeaient sont morts ou dans nos geôles. Ceux qui restent sont des fermiers. Il suffit d'envoyer de bonnes garnisons, quelques forts pour veiller tout cela et je pense que tout ira pour le mieux. Je pense aussi que vos scientifiques gagneraient à aller explorer là-bas. Je n'y connais rien mais je crois qu'ils s'amuseraient bien.

Joseph acheva par un sourire.

- Je suis heureux de remettre cette terre à Votre Majesté. A n'en pas douter, elle sera un atout de grande valeur pour le royaume.

-- Des forêts. Intéressant. Si vos hommes se sont cachés dans les hauts arbres, il faudra cependant déployer une police pour que des brigands et des résistants ne suivent pas une semblable stratégie. Il pourra se déployer dans ce bois des chasses pour les seigneurs locaux et des prélèvements de ressources profitables. Nous dépêcherons aussi bientôt, après étude de la démographie, nos souhaits quant aux prélèvements d'esclaves et de diverses ressources.

Il porte sa main au menton et réfléchit encore avant de poursuivre :

-- Ainsi que vous le suggérer, il faudra oui que des scientifiques se penchent sur les éventuelles curiosités animales et humaines de ces terres. Si la densité de population est faible par ailleurs, le contrôle devrait ne pas trop poser de difficultés. Il nous faudra songer bientôt à un gouverneur de cette nouvelle terre. Avez-vous rencontré quelque difficulté à signaler dans ce pays, outre bien sûr les effets des batailles ?

Joseph considéra les réponses du roi.

- Oui, bien sûr. Fort heureusement, les sentiers ne sont pas trop étroits, des soldats groupés pourront aisément patrouiller. Ou nous pourrons aussi couper des arbres pour clairsemer un peu tout cela. Certains bois sont très bons pour les bateaux à ce qu'on dit, d'autres le sont pour le mobilier. Enfin, moi je n'y connais rien mais un de mes soldats a un père menuisier, alors il m'a expliqué tout ce qu'on pourrait faire avec ces ressources. Pour ce qui est des esclaves, il y a des hommes forts, les marchands trouveront sans doute de quoi se contenter.

Il hocha la tête pour ce qui concernait les scientifiques.

- Votre Majesté trouvera sûrement très prochainement un homme de confiance. Je n'ai pas eu de grosses difficultés. Les paysans ont trop peur de ce qu'ils ont vu à la bataille. Y avait des gamins qui regardaient, ils ont été tout raconter dans leurs villages et quand je suis allé explorer un peu avec seulement quelques gardes, tout le monde tremblait. Si jamais des gens se soulèvent là-bas c'est que ce sont des idiots ou des fous. Je ne pense pas que ce soit un terreau à rebelles, surtout qu'en toute honnêteté, leur art du combat n'est pas très avancé.

-- A vous écouter il semblerait presque que ce peuple ait tout fait pour gentiment se laisser prendre, sourit le roi dans un plu cassant de lèvres.

Il avança un peu le torse pour se concentrer plus encore sur les paroles de son générale, qui fusaient avec le flamboiement et la vivacité qui le caractérisaient.

-- Méfions-nous toutefois de l'eau qui dort. La police sera là-bas déployée de façon égale aux autres colonies dans un premier temps. Afin de s'imposer et de tâter le terrain. De ne pas laisser la moindre brèche. Au long terme, nous aviseront quant aux effectifs.

Joseph rit à la plaisanterie du roi.

- Ah, l'habitude je suppose. Mais c'est vous qui avez raison, Majesté, pas question de s'endormir ! C'est vous qui savez le mieux à quel point nous devons être prudent avec cette région. Il en sera fait exactement selon vos désirs.

Il s'incline légèrement une nouvelle fois.

Le roi demeura neutre aux paroles et gestes de déférence de son général. Restait encore deux questions à lui poser avant d'organiser les premières collectes d'informations et l'organisation du triomphe :

-- Combien de prisonniers de guerre ? Et comment se sont comportés les dirigeants vaincus : reddition, lutte à mort, acceptation de collaborer ou captifs ?

-- Parfait. Les soldats plus importants pourront être restitués contre rançon, mais gardés sous haute surveillance dans les postes qu'ils occuperont au sein de la colonie. Quant au reste, cela fera de vigoureux esclaves qui gonfleront les rangs du triomphe avant que de se voir vendus.

Il regarda son greffier qui avait tout noté. Curieux d'un détail cette fois-ci plus familial à partir des tensions qu'il avait cru deviner, le roi acheva sur une question qui sortait du pur cadre militaire :

-- Avant que de nous séparer... Qu'en est-il de vos relations avec votre frère cardinal ? Et votre éventuel rapport avec les exigences de Sa Sainteté le pape. Comment vous positionnez-vous ?

Joseph hocha la tête. Il admirait la vivacité de son roi. Il savait toujours quoi faire. Sûr que ce pays avait besoin de lui. Il prospérait bien maintenant. La dernière question le surprit un peu. Il fronça légèrement les sourcils mais répondit comme le demandait son roi.

- A vrai dire je n'ai pas revu Matthieu depuis quelques années. Mais je crois qu'il n'a pas changé. C'est certainement celui de mes frères que j'ai le moins connu, notre grand-oncle maternelle l'a emmené très jeune pour le former. Je n'ai point d'avis là-dessus. S'il a été nommé, c'est qu'il doit savoir ce qu'il fait. Lui et ma sœur sont les plus têtus de la famille mais pas forcément les moins sages. Quand à ce que dit la pape, ma foi, il s'y connait sans doute plus que moi en religion. Ils disent que les infirmes sont diaboliques. Je les vois pas forcément plus mauvais que les autres. Certains sont bons, d'autres non, comme partout. Mais peut-être suis-je moins savant.

Joseph parlait beaucoup mais occultait ses souvenirs. Lorsqu'il eut fini il repensa à Irène et Matthieu. Sa toute petite sœur qui tempêtait, hurlait sur son petit frère. Elle se défendait, défendait le monde. Elle l'aurait défendu ceux qu'elle aimait même devant le pape. C'était le portrait de leur mère. Une lionne.

La réponse que lui faisait le général était clairement protocolaire et évasive. Intéressant. Le visage du monarque demeura indéchiffrable mais au fond de lui, il appréciait de voir que l'homme restait sûrement en surface pour ne pas entrer dans des polémiques. Les réserves de ses hommes d'armes quant à la religion n'étaient pas pour déplaire à Der Ragascorn : il préférait, pour ses armées, des hommes de raison que des dévots sans cervelle. Les bondieuseries étaient bonnes à galvaniser les petites gens et les combattants, mais dans le secret des cœurs, savoir faire la part des choses représentait une vertu aux yeux du dirigeant. Vertu du moins pour les puissants. Il acquiesça.

-- En effet que chaque ordre s'occupe de la tâche qui lui incombe, vous parlez bien. Il semble du reste que les circonstances viennent vous donner le temps propice à renouer des liens si distendus avec ce frère et d'apprendre à le mieux connaître. Aucun doute que cela sera édifiant.

Enfin, sur un signe et avec une ombre de sourire :

-- Soyez remercié pour votre venue et vos précieux renseignements. Nous attendons les comptes rendus détaillés de vos hommes et vous tiendrons informé de l'avancement des préparatifs du triomphe. Bon retour à vous. Puissiez-vous trouver céans un repos dûment gagné.

Avec une grande déférence, des hommes l'invitèrent à s'en retourner.

Joseph fut flatté du compliment. Parler, Matthieu, Marc et Irène savait mieux le faire. Il était plus franc et moins prompt à cacher, à dissimuler, à laisser des non-dits. Il hocha la tête.

- Bien entendu Votre Majesté.

Lorsque l'entretien prit fin, il s'inclina de façon plus protocolaire.

- C'est toujours un honneur pour moi de vous servir Majesté. Je vous envoie tous les documents d'ici demain.

Il suivit alors les gardes, décidé à rentrer à l'hôtel pour mettre en ordre ses papiers. Cela fait, il aurait le loisir de retrouver son frère, et sa soeur, si elle était vraiment ici. Il prit un papier dans sa poche. Paul lui avait écrit récemment, joignant à son courrier une lettre pour Irène. Peut-être était-ce enfin le moment de la lui remettre. D'humeur joyeuse, il se mit en marche vers son hôtel.