[12 Septembre 1597. Terminé] Complot au Lupanar [RP sensible]

Trigger Warning:

La soirée de la veille avait été des plus fructueuses et Blanche s'était réveillée couchée près d'un noble qui ronflait doucement. Tous s'étaient amusés toute la nuit avant de s'endormir, écartés l'un de l'autre. Elle avait accepté de partager son petit-déjeuner dans la grande salle déserte. Dans la journée, la pièce si remplie le soir devenait fantomatique. La petite Cassandre les avait servis, apportant de douces pâtisseries. Quelle idiote ! Elle pourrait couper court au ménage et autres tâches infâmes mais pourtant elle s'obstinait à ne pas devenir elle aussi catin quand elle serait plus grande. Sa qualité de vie serait meilleure : elle aurait de meilleurs vêtements, des soins, une chambre à elle, de bons repas... Pourtant, la péronnelle s'entêtait et déclarait préférer ces corvées puisqu'on lui laissait la possibilité de choisir. Une idiote ! Elle n'était vraiment qu'une idiote !

Depuis une heure, Blanche épluchait les recettes de la nuit et mettait à jour la comptabilité. Bastien apparut devant elle, à nouveau grimé. il arborait encore cette perruque blonde ridicule mais qui le rendait méconnaissable. il terminait à présent d'attacher sa pèlerine qui dissimulait ses vêtements plus apprêtés.

"Où comptes-tu aller aujourd’hui ?"

Bastien sourit, ravi de lui faire le compte-rendu de ses activités de la veille et de lui dévoiler que l'entreprise touchait au but.

"C'est vrai. Je suis rentré très tard hier soir, je n'ai rien pu vous apprendre, il a fallu se mettre directement à l'ouvrage. J'ai retrouvé la trace de votre neveu, ce garçon en béquilles, vendu avant-hier au marché aux esclaves avec un dénommé Tristan. Ils ont été emporté aux enchères, comme vous l'avez vu, par le baron de Frenn mais ensuite... Vous ne pouvez pas imaginer un tel rebondissement ! Un cardinal est apparu et les a racheté à son intendant. les deux garçons ont été confié à sa sœur, une commerçante qui tient une boutique du nom de la Rose Azùl."

Blanche écouta avec surprise ce récit et les informations contenues dedans. Bastien avait accompli là un travail étonnant. elle le gratifia d'un sourire, ce qui remplit ce dernier d'une joie sincère.

"J'ai passé l'après-midi et le début de soirée à épier cette boutique. Tristan en est revenu avec un homme, un militaire, un général, frère de la commerçante. L'autre garçon, Alexandre, en revanche, j'ignore où il se trouve. J'ai vu toutefois un gamin des rues remettre un billet. Des échos entendus, Alexandre serait parti... quelque part. Ils ignorent quand il rentrera."

Blanche laissa échapper un rire cynique.

"Aussi imprévisible que son père celui-là..."

"J'ai établi des contacts, acheté des affaires et établi une manœuvre. Je vais retourner là-bas cet après-midi, acheter une grosse commande et prétendre ne pas pouvoir la porter pour emporter avec moi Tristan. Nous le retiendrons ici. Il servira d'otage. Alexandre.. Alexandre, je suis navré de vous le dire, est un garçon stupide, entaché par la loyauté et la gentillesse. Une fois averti que son ami est en péril par sa faute, il accouera vers nous !"

"Et nous n'aurons plus qu'à le cueillir ! Félicitations, Bastien ! C'est un merveilleux travail et un plan parfait !"

A cet instant, la porte du Lupanar s'ouvrit, laissa le passage à Marguerite puis se referma aussitôt. La jeune femme se précipita vers Blanche, essoufflée, cogna ses poings sur la table. Blanche la dévisagea, interdite et inquiète. Y aurait-il une faille avec elle ? Elle adressa un regard silencieux à Bastien qui se préparait déjà à la faire taire, définitivement, si elle osait la moindre menace.

"J'ai compris ! Oh, Blanche... Blanche, tu aurais dû tout me dire ! Je suis une mère, j'aurai compris, j'aurais accepté sans ce chantage ! Mais je comprends aussi. Tu avais peur, incertaine... Mais tu peux avoir en confiance maintenant ! Ce baron, ce dégoûtant baron, c'est le père de ce garçon en béquilles que tu m'as envoyé chercher, n'est-ce pas ? Et toi, toi, tu es sa mère ! C'est pour ça que tu veux le récupérer ! Oh la, quelle histoire !"

Blanche écouta le flot de paroles, un moment sceptique et perplexe. Elle finit par comprendre que cette idiote avait encore mal interprété une situation mais au moins cela tournait à son avantage. Son regard se posa alors sur Bastien qui s'était éloigné et tenait à la rampe d'escalier dans le fond, secoué par le rire. Blanche s'obligea, elle, à rester sérieuse, et répondit d'un air contrit :

"Pardon, Marguerite. oui, tu as bien compris et j'étais inquiète, effrayée de savoir sur qui comptait exactement. Aurais-tu appris des informations importantes ?"

"En effet. Le garçon aux béquilles, Alexandre, comme l'a nommé le baron, il est venu au château, il a parlé avec lui. je n'ai point saisi leur conversation, j'étais un peu loin. J'ai toutefois appris qu'il était esclave chez le cardinal Matthieu Cassin mais restait chez une certaine Irène, une femme tenant un commerce nommé la Rose Azùl. J'ai voulu vous ramener le garçon mais les gardes ne m'ont pas permis. J'ai préféré ne pas insister afin de ne pas attirer le soupçon."

Blanche médita ces éléments qui recoupaient les informations de Bastien et les complétaient. Ainsi Galaad allait revenir là-bas ? Que faire ? Bastien avait cessé de rire et revenait vers la conversation, pensif.

"Nous en tenons au plan initial, Blanche. Il est parfait. Ce garçon, avec ses béquilles, ne pourrait pas me suivre en portant des paquets. j'emporterai donc devant lui, sans qu'il le soupçonne Tristan pour l'amener ici puis j'enverrai à Alexandre le message pour qu'il nous rejoindre? Tout se déroulerait parfaitement."

Blanche étudia avec soin le plan puis décida de s'en remettre, en toute confiance, à son homme de mains. il était méticuleux et savait ce qu'il faisait.

"Bien, mon Bastien, fais ce que tu estimes juste. Quant à toi, Marguerite, retourne au domaine et garde tes yeux et oreilles ouverts. s'il y a besoin, Bastien te signalera les nouvelles instructions. "

Marguerite hocha de la tête puis quitta le Lupanar en saluant  Blanche et Bastien en toute cordialité, comme si ces deux-là ne l'avaient jamais menacé. peu après son départ, les deux complices éclatèrent de rire.

"Quelle idiote ! Non mais elle a vraiment pensé que ce Dyonis ait pu être votre amant et le père du gamin qu'il a pourtant fait condamner comme esclave ? je la savais peu maligne mais elle se découvre toujours plus surprenante chaque fois qu'elle ouvre la bouche !"

"Au moins, sa stupidité nous facilite les choses."

Pendant ce temps, dissimulée dans un recoin de la pièce, une ombre était demeurée tapie tout le temps de la conversation. Intriguée, Cassandre avait écouté ces troublantes confidences, révoltée par les idées que Blanche et Bastien planifiaient. Et comme à l’accoutumée, Marguerite s'était distinguée de son peu d'intelligence. Quelque chose de très grave se préparait. Elle le sentait. Qui était au juste cet Alexandre ? Que lui voulait-on ? Et ce Tristan qui allait servir d'otage ? Elle imaginait des desseins dangereux et pervers. La fillette, malgré son manque de moyens, malgré son statut, se sentait incapable de rester inactive. Si elle le pouvait, elle tenterait quelque chose.

Lorsque Bastien revint au Lupanar, il était de forte mauvaise humeur. Ce diable de Cardinal ! Cette diable de bonne femme ! Ils avaient fait échouer son plan. S'asseyant à une table, il comme,ça par se calmer en buvant un verre de liqueur puis réfléchit à une nouvelle stratégie. Comment obtenir le petit infirme ? De ses récentes observations, au regard du béquilleux, ses expressions, la confidence soufflée au maître, Bastien avait compris que celui s'avérait bien moins naïf que Blanche ne lui avait décrit. Il fallait ainsi lui passer au cou la corde de la loyauté pour que celui-ci accepte de les rejoindre et d'obéir.

Pendant ses réflexions, Cassandre nettoyait tranquillement la salle, profitant de sa solitude pour chantonner gaiement. Bastin la remarqua : elle serait l'appât idéal pour attendrir l'estropié à enlever.

"Cassandre, viens me voir, s'il te plait."

La fillette se releva et vint à Bastien, confiante, s'attendant à ce qu'il lui offre encore de la nourriture. Il la mena en réalité à un vestiaire puis lui demanda d'enfiler une belle robe. Nerveuse, la petite esclave obéit. Bastien lui sourit et entreprit de les lui coiffer.

"Je voudrais que tu ailles parler à un garçon et que tu me l'amènes. Un invalide. Je t'indiquerai quand y aller ou quoi dire. Tu peux faire ça pour moi ?"

Son regard posé vers le miroir, Cassandre n'éprouva aucune joie de se voir pour une fois si jolie. Elle songeait à ce malheureux estropié dont elle serait l'outil de son enlèvement. Mais c'était toujours mieux que les tâches ingrates. Elle hocha lentement de la tête.

"D'accord, maître. Je ferai."

Le crâne de Tristan cognait. Il eut l'impression d'avoir été violemment projeté dans son sommeil mais, profondément endormi, crut à l'illusion d'un mauvais rêve. Au bout d'il ne sut combien de temps, ses paupières s'ouvrirent lourdement et la première chose à lui vriller les nerfs fut cette bosse brûlante sous ses cheveux. Il avait bien reçu un coup.
Dans un sursaut, il observa les alentours. La pénombre d'une cave, le froid mordant et l'ombre de barreaux dessinés sur sa peau. Il poussa un hurlement et se tendit vers l'avant, dans un réflexe de fuite. Quelque chose l'en retint. Dans un craquement d'os marié à un grincement métallique, ses bras se trouvèrent tirés en arrière. L'esclave serra les poings, s'agita comme un animal piégé et poussa un autre cri. Des menottes, accrochées au mur derrière lui, interdisaient tout mouvement.
Il n'avait pas non plus son fauteuil. Son souffle accéléra et la sueur se mit à perler le long de ses tempes. Ses yeux fusèrent en tout sens et découvrirent bientôt, dans un coin de la cave, une silhouette connue. La petite Dame de tout à l'heure. Mais où étaient ses beaux habits ? Elle avait soudain l'air d'une servante - Cendrillon de retour au foyer après le bal. Tristan secoua la tête et haleta :

-- Mais... qu'est-ce que... qu'est-ce que ça veut dire ?

Des larmes lui montaient aux yeux mais il parvint encore à les contenir pour l'instant.

La vision du malheureux garçon son réveil hantait Cassandre. Elle aurait voulu pouvoir le lâcher du regard et fuir en courant. Mettre le plus de distance possible entre eux. La culpabilité écrasante l'en empêchait. Elle devait rester avec lui. Endurer ensemble, chacun dans leurs souffrances respectives. Ce serait son juste châtiment pour un acte si odieux.

Lentement, un pas après l'autre, Cassandre descendit. Elle s'immobilisait à chaque marche et contemplait tristement ce malheureux garçon qu la fixait sans comprendre.Un sourire triste était peint sur son visage. Des larmes sincères coulaient.

En s'approchant, elle porta après une courte hésitation la main à l'épaule de Tristan :

"Pardon. Je n'ai pas e le choix. Mais ça ne durera pas longtemps. Quand l'autre garçon viendra, Bastien te relâchera. Il te ramenera même à ton maître et t'excusera. Il est d'une si grande gentillesse, tu sais ! Je n'ai jamais connu un homme qui soit assi généreux et aussi bon ! Tu n'es qu'un outil dans son plan. Il vise autre chose, une autre personne. "

L'air contrit de l'enfant eut au moins de quoi le rassurer quant à ses intentions - à elle. Elle semblait réellement peinée et apparemment, on l'avait costumée pour le prendre dans un piège. Tristan se murmura :

-- Quel con.

Il releva alors sur la fillette ses yeux en colère et eut un recul d'horreur à ses explications.

-- Comment ça l'autre garçon ? Tu veux dire Alexandre ? Attends, mais c'est qui ton maître ? Il veut quoi ?

Sa voix devenue étonnement grave la pressait de questions. Il se ramassa contre le mur, le bout de ses mains enchaînées grattant la paroi glaciale. Pour l'instant, Tristan ne pensait qu'à comprendre. Ne voulait qu'épargner davantage de mal - surtout si Alexandre était visé. Il ne prit même pas garde à consoler la petite, ni à ce qu'elle lui disait quant à son maître - à qui ledit Bastien le restituerait d'après elle.

Cassandre sursauta quand le garçon lui parlait de manière agressive. elle ne protesta pas. elle comprenait. Elle choisit de répondre. il avait le droit de savoir. De tout savoir.

"Je ne connais pas le nom de celui que Blanche désire. Bastien ne le désigne que comme le garçon aux béquilles. Et Bastien.. Bastien n'est que son exécutant. C'est l'intendant du Lupanar et elle... Elle, la patronne. Autrefois, elle était si gentille puis depuis... Récemment, elle est devenue méchante. Avant, elle m'offrait à manger, me disait de me reposer.. Et maintenant... Maintenant, elle m'humilie, me pince les joues, me tire les cheveux..."

Cassandre baissa la tête à ces sinistres évocations et gémit.

Il fronça les sourcils. Blanche. Il était donc au Lupanar. Et cette femme ne faisait qu'une avec celle qui, sur le marché aux esclaves, voulait acheter Alexandre pour le redresser et le remettre à son rang. C'était aussi elle qui, au procès, avait couvert Tristan d'insultes, demandé sa mort sans vergogne - tout ce qui aurait pu sauver son protégé. La colère acheva de remplacer la terreur dans l'esprit du petit esclave. Son regard furieux tomba à terre - la malheureuse enfant n'était pas la responsable et ne devait pas subir. Il siffla entre ses dents :

-- Je vois. (Un temps, un peu plus doux) Merci d'm'avoir tout dit.

Puis il plongea dans ses pensées. Tristan ferait tout pour résister à ses odieux ravisseurs et, si possible, retarder le chantage. Alexandre devait rester chez Irène. Ne pas tomber dans le piège. Oh il serait bien traité sans doute par Blanche, mais Dieu seul savait ce qu'elle voudrait tenter sur lui et lui mettre dans la tête, à présent que la raison l'avait quittée.
Ses yeux remontèrent à tâtons vers la demoiselle. Il eut le réflexe de porter une main vers elle mais la chaîne le retint. Tristan se contenta d'une fragile expression et d'un murmure :

-- Ouais, j'crois avoir compris que ta maîtresse a perdu la tête. C'est... tu mérites pas ça. J'suis désolé.

Tristan se redressa. Il ferait face à Bastien ou à Blanche quand ceux-ci arriveraient. Il tiendrait tête.

Cassandre baissa la tête, honteuse de ses aveux et d'avoir participé à ces histoires. Elle n'aurait voulu mener qu'une petite vie tranquille. Sans histoires. Elle se redressa en entendant la voix si douce du garçon. Elle en versa encore des larmes. Pourquoi était-il si gentil avec elle ? Elle ne le méritait pas.

"Je.. Je m'appelle Cassandre, au fait. Et toi ? Et pourquoi... pourquoi tu t'énerves pas après moi ? Pourquoi.. A cause de moi... J'ai participé à toutes ces  histoires. je ne mérite pas ta gentillesse."


Pendant ce temps, Bastien venait de descendre à la cave. il s'immobilisa, une lanterne à la main, et fixa les deux ombres en contrebas. Le misérable.. Que faisait ce misérable avec Cassandre ?

D'une sèche, il aboya avec fermeté :

"Cassandre, que fais-tu ici ?"

Tout triste, le prisonnier murmura :

-- Mais... parce que toi t'es comme moi, t'es une esclave et t'as pas eu l'choix que d'obéir... (un temps) Je m'appelle Tristan.

Soudain, des pas résonnèrent entre les murs étroits qui menaient à la cave. Tristan se tendit, inspira pour rassembler son courage. Il fixa l'homme qui descendait et dont il put bientôt distinguer le visage, tandis qu'il interpellait la malheureuse. Alors, l’œil affûté de l'esclave reconnut son ravisseur. Sa petite voix grommela :

-- Vous. Vous êtes le type d'hier à la boutique.

Une perruque blonde ne suffisait pas à duper l'acuité du garçon quant aux physionomies. Il avait du reste souvent bonne intuition et comprenait maintenant pourquoi un si mauvais pressentiment ne l'avait jamais quitté.

Cassandre s'apprêta à répondre mais se figea au son de al voix de Bastien. Elle se retourna, effrayée.

"Pardon, maître ! Pardon ! Je voulais... m'assurer qu'il allait bien , qu'il n'avait pas besoin de soin ! Pardon !"

Sur ce, elle détala, sans un regard pour Tristan, et alla se remettre au travail. Bastien attendit son départ puis descendit en fixant l'appât enchaîné au mur. Ce misérable avait osé parler ? Avorton ! Sans la moindre pitié, il envoya son pied, revêtu d'une longue botte au bout pointu, dans le ventre de l'infirme. Il s'arrêta puis fixa le garçon puis cracha au sol.

"Et alors ? Tu m'as reconnu ? La belle affaire ! Comment envisages-tu la poursuite de ta vie ?"

Il s'éloigna un instant et alla chercher dans une des caisses un fouet. Il leva le bras et commença à fouetter avec violence la plante des pieds de l'esclave. Son visage respirait la haine et la colère.

"Comment as-tu osé parler ? De quel droit ? Apprends ta place et respecte-la ! Tu es un inférieur ! Inférieur ! Tu entends ?"

Mîû par la colère, les coups redoublaient, ciblant toujours la plante des pieds.

Tristan allait répondre à Cassandre, tenter de la rassurer devant l'homme auprès duquel elle se confondait en excuses. Trop tard. Elle avait déjà déguerpi et le captif ne restait plus qu'en présence de Bastien. L'esclave le fixait dans les yeux. Jusqu'à ce qu'un violent coup de pied le fît se casser en deux - son front cognant presque le sol alors qu'il ployant en avant dans un râle de douleur. Il vit un crachat s'écraser devant lui. A la question stupide que l'homme lui posait quant à la poursuite de son existence, Tristan n'eut rien le temps de répondre : des coups lui déchiraient la plante des pieds. Il hurla, sa tête projetée en arrière et ses poings serrés dans le dos. L'esclave n'était même pas encore remis de la flagellation infligée par le cardinal... Il s'effondra vite, perclus de douleurs, tremblant.

Quelques mots lui parvinrent dans le brouillard. Inférieur. Tristan serra les dents et ne répondit que d'un sec :

-- J'vous appartiens pas. J'suis au cardinal. Vous me voulez quoi ?

Il savait en vérité tout, mais préféra jouer le naïf : Cassandre risquerait de prendre chèrement de la part de Blanche, si on découvrait qu'elle avait vendu la mèche.

Après deux dizaines de coups, la colère s'estompa. Bastien lâcha le fouet au sol mais continuait de toiser avec mépris l'esclave. Il le défiait. Il le défiait ouvertement. Un rictus lui défigura le visage.


"D'un point de vue légal, tu as raison. Le cardinal Matthieu Cassain est ton maître. Néanmoins..."

Il suspendit sa phrase et fixa le captif, le laissant imaginer la suite. il reprit d'une voix doucereuse :

"Selon mes informations, ce cardinal est très sévère envers les infirmes et les esclaves. A ses yeux, tu es fils de démon. La belle bêtise ! Quoi de mieux qu'un bouc émissaire pour rendre la populace obéissante ? Comment interprétera t-il ta disparition ? Sans la moindre hésitation, pour lui, tu seras un esclave évadé. Et connais-tu donc le sort d'un esclave en fuite ? Soixante coups de fouet en place publique ! Autant dire que tu as une forte chance d'y rester. Alors... Alors tu ne serais pas mieux à me servir gentiment plutôt qu'à espérer qu'on te retrouve ?"

Tristan l'écouta et émit un feulement moqueur.

-- Évadé ? Sérieusement ? Sans doute par l'opération du Saint Esprit, vu que mon fauteuil roulant est resté dans l'église.

L'effronterie  de ce misérable réveilla la colère. Il lui flanqua un autre coup de pied au ventre puis lui cracha ua visage.

"Et alors ? on croira que tu as organisé l'évasion, que tu avais un complice... Il parait.. j'ai entendu que tu trainais autrefois avec le plus moche troubadour qu'on ait jamais vu ! Il était d'ailleurs présent sur le parvis tout à l'heure. Il pourrait être le complice. De toute façon, là n'est pas le sujet."

Avec supériorité, il se recula et le toisa de tout son mépris :

"En attendant, tu dois être utile. Tu aimes les hommes, n'est-ce pas ? Cela tombe bien ! Ici, certains clients avec des goûts embarrassants ont certaines demandes. Dès ce soir, nous pourrions enfin y répondre !"

Tristan regretta sa réplique quand un nouveau coup de pied partit dans ses côtes. De nouveau brisé au sol, il laissa couler quelques larmes. Argumenter ne servait à rien. Il lança à Bastien un regard assassin quand il évoqua Lénius en des termes aussi injurieux, puis la suite de son discours acheva de l'horrifier. Oui il aimait Alexandre, mais d'un amour bien particulier et jamais il n'avait encore eu envie de rapports plus intimes. Ce que suggérait l'homme le tétanisa. En sidération, il ne put que lâcher un rauque :

-- Pardon ?

Bastien se délecta des regards que lui lançaient l'esclave, remplis de sa souffrance et de son désespoir. Il laissa échapper un rire sinistre puis s'approcha et lui caressa doucereusement la tête.

"Tu as déjà compris. Oh oui, tu as compris ! Mon garçon, tu vas être la meilleure proposition de cet établissement ! Pour une heure seulement, les clients qui aiment les hommes accepteront de débourser mille rilchs ! Les beaux garçons tels que toi sont si rares, si précieux... Alors, imagine.. Imagine si je te vends pour une nuit ! Ah ah !"

Tristan retira tant bien que mal sa tête de cette emprise. Il poussa une succession de petits souffles pour s'aider à ne pas vomir son dernier maigre repas - à faire passer le dégoût. Les paroles de Bastien ne l'aidèrent pas à garder contenance et son estomac rendit un premier filet verdâtre à côté des pieds de Bastien.
Il chercha que dire. Un échappatoire. Sans réfléchir, Tristan lança à la chaîne les premières idées qui lui venaient - aussi véloce qu'il pouvait être avec ses couteaux :

-- Faites ça et vos clients, je les circoncis avec les dents, j'vous le jure. Ils iront porter plainte. Ils donneront ma description. Et les brigadiers viendront enquêter, ils feront vite le rapprochement avec l'esclave volé au Cardinal. Z'allez avoir de grosses emmerdes.

Il plissa des yeux et serra la mâchoire par avance, aux coups qu'il risquait de recevoir encore. Au moins, Tristan savait que Bastien ne pouvait pas le tuer puisqu'il servait d'appât. Et cela lui donnait le courage de tenir tête comme il ne se serait jamais imaginé le faire encore il y a deux heures. Il ne reconnaissait pas les mots qui sortaient de sa bouche.

Au filet de vomi qui sortit de la bouche de l'esclave et toucha ses bottes, Bastien se recula, dégouté. Quel ignoble animal ! Il l'écouta ensuite faire ses menaces et cessa de sourire. L'intendant le sentait capable de al mettre en exécution. Comment agir ? Il retourna chercher le fouet et le toisa à nouveau avec supériorité.

"Si tu refuses de servir, tu mourras de ma main. Ici, tout ce qui est inutile, cela disparaît !"

De toute manière, mort ou vif, l'appât ne servait plus à rien. C'était la disparition qui inquiéterait le garçon en béquilles toute la nuit et le ferait courir demain matin, une fois le message envoyé, jusqu'au point de rendez-vous. Il ne reverrait jamais ce garçon qui périrait dans quelques minutes de ses mains. Blanche nourrissait d'autres projets pour lui.

"Que décides-tu mon garçon ? M'obéir, ou le trou dans la terre ?"

Levant le fouet en l'air, la lanière s'abattit une première fois sur Tristan. il le toisa ensuite avec une lueur sadique dans le regard. La vie ou la mort. Le choix lui appartenait.

Il revint avec le fouet, décidé à le mettre à mort. Tristan passa de la colère à l'abandon, puis au profond désespoir. Le tuerait-il ? Pensait-il donc qu'Alexandre viendrait tout de même et que garder son appât ne lui servirait-même plus ? Oh peu importe... En l'espace de quelques secondes, l'esclave se sentit beaucoup trop faible pour continuer. Un premier coup l'atteignit. Il se laissa piteusement choir entre les chaînes et ses larmes coulaient en abondance. Il ne répondit même pas à la question. Le silence serait éloquent.
Tristan ne se focalisa plus que sur le souvenir d'Irène. De Lénius. Lénius... saurait-il d'ailleurs un jour ce qui se passait vraiment entre les murs de cet établissement, lui qui y venait ? Et surtout d'Alexandre. Au moins, son amant aurait-il peut-être un peu moins d'ennuis... Une autre maigre consolation l'accompagna : Blanche et Bastien allaient avoir de sérieux ennuis quand on retrouverait mort un esclave volé.
Épuisé, il ne pouvait guère penser à rien de plus construit.

Face à cet être misérable qui se cloitrait dans le silence, Bastien comprenait que celui-ci ne serait jamais obéissait. ce ne serait qu'une bouche inutile. Une bouche inutile susceptible de leur attirer des ennuis. La raison imposait de le faire disparaitre, comme ces quelques bébés infirmes qui naissaient ici puis s'évanouissaient dans l'âtre. Cette société ne leur donnerait aucun avenir. Au moins, ils remplaçaient une bûche. Son regard se posa sur l'avorton prostré au sol. Lui aussi finirait de la même manière. Un esclave volé à un cardinal... Il ne laisserait aucune preuve susceptible de remontrer à eux.

Le fouet levé, Bastien recommença à fouetter sans la moindre retenue Tristan, sans chercher à épargner le visage et le reste du corps. De toute façon, il venait d'être condamné à mort.

Soudain la porte de la cave s'ouvrit et Cassandre parut au sommet de l'escalier. Elle se figea devant la violence inouïe dont faisait preuve Bastien. La fillette secoua la tête, interdite. Comment.. Pourquoi ? Serait-ce un ordre de Blanche ? elle avait enlever Tristan pour le tuer ? Elle se rappela alors de la raison de as présence. Cela lui fournissait un prétexte de sauver Tristan.

"Maître !"

Au cri de l'enfant, Bastien se figea et lâcha net le fouet qui tomba au sol. déconfit, il se tourna et al dévisagea, emprunté.

"Il.. il avait fait une bêtise. je devais le punir."

Cassandre baissa la tête et reprit :

"Madame Blanche vient de rentrer. Elle... Elle ne va bien. Elle a commencé à faire quelques pas puis s'est brusquement arrêtée et est tombée. Elle ne bouge plus. Je l'ai touché. Elle est brûlante ! et son visage.. Son visage a des marques ! On.. on fait quoi ?"

A cette information, le teint de Bastien devint livide. Par réflexe il recula de plusieurs pas puis ordonna :

"Tu l'as touché ? Va prendre un bain ! Tout de suite ! Et brûle tes vêtements !"

Cassandre obéit docilement et se retira. A son départ, sans un regard pour l'esclave, Bastien remonta de la cave, livide. Pourvu que Cassandre n'ait contracté aucune maladie terrible en approchant Blanche. En attendant, il devait organiser vite le transfert du corps à la chambre de la malade avant l'ouverture de l'établissement. Quelle plaie !

Tristan ne pensait plus rien. Immobile et au bord de l'inconscience, il n'attendait plus que les coups qui allaient le tuer. Coups qui ne vinrent pas. L'esclave restait recroquevillé, incapable d'entendre ce qui se disait. De comprendre, encore moins. Il finit par plonger dans une demi-léthargie et le temps allait passer ainsi jusqu'à ce qu'on revienne vers lui.

Après cette entrevue pénible à la bibliothèque, Blanche avait subi un terrible malaise face à son pire ennemi. Il avait voulu l'aider et elle avait réussi à se débarrasser de ses soldats.  Accepter la main d'un ennemi ? Jamais ! Son sang se révoltait à l'idée d'être redevable à cet homme. Elle était rentrée seule au prix d'efforts insoutenable, la tête migraineuse, pleine de douleurs affreuses. Elle pensait alors s'allonger et se reposer. Cela lui fut impossible. A peine entrée, elle s'était écroulée sur le plancher, gémissante, tremblante. Son corps ne lui obéissait plus.


Obéissant rapidement aux ordres, Cassandre se rendit à la salle des ablutions et se défit de sa robe sale. Elle plongea ensuite dans le baquet d'eau froide et resta un long moment à macérer dedans. Bastien assurait que cela éloignait les maladies. Elle en doutait. Les médecins, les curés... Tout le monde disait que l'eau apportait les pires maladies, telle que la Peste. mais si Bastien ordonnait, elle pliait. C'était la règle des esclaves.

Après le bain, al fillette revêtit une robe toute neuve, qui n'avait que quelques trous, puis prit l'ancienne pour la mettre au feu, respectant aux instructions. Elle se rendit en cuisine et emporta des provisions puis des baumes et bandages avant de retourner à la cave. Le spectacle de Tristan si mal en point lui brisa le cœur. Elle s'agenouilla et commença à nettoyer ses plaies une à une puis massa ses membres avec le baume qui détendrait ses muscles.

"Comment.. Que s'est-il passé ? Bastien.. Bastien n'est pas violent"

Elle disposa ensuite les fruits qu'elle avait ramené de la cuisine puis, inquiète que Bastien ne le remarque, les glissa dans les vêtements du garçon.


Pendant ce temps, Bastien évaluait la situation dans la salle principale, le plus éloigné possible du corps inanimé de Blanche. la maladie le terrifiait trop. Deux prostituées se tenaient près d'elle, l'examinaient et mouillaient son front dans l'espoir de faire tomber la fièvre.

"On la porte dans sa chambre ?"

Bastien s'apprêta à répondre oui. Il fallait vite évacuer avant la venue des premiers clients. Un autre problème se posait : qui s'occuperait des soins ? Qui ce soit, il s'exposerait aux miasmes. Ce ne serait ni lui ni Cassandre. Une des filles ? Il refusa net l'idée. Se passer d'une source de revenu ? impensable. L'absence de Blanche serait déjà un rude coup. Il songea alors au parasite à la cave. Finalement, sa présence allait être utile. Il l'enchainerait au lit et il serait chargé de la veiller.

"Attendez encore un peu. J'ai une chose à régler."

Il s'éloigna et se dirigea vers la chambre de Blanche. il lui fallait ajouter la chaine avant d'aller chercher l'esclave à y intaller ensuite au bout.

Cela bougeait. Tristan ne sut dire si le décor se métamorphosait véritablement ou dans le seul siège de sa tête. Il se concentra au milieu des douleurs qui le brisaient. Cassandre était là. Il la devinait, du moins. Ne l'entendait qu'à moitié. Il répondit d'une voix blanche sans vraiment réfléchir :

-- Je sais pas...

Le bout de ses doigts sentit les fruits qu'elle lui présentait, avant qu'elle ne les cache dans les pans de ses habits. L'esclave n'eut cependant pas l'énergie de les saisir, de les croquer.

-- Merci...

Le pauvre Tristan était si faible. Il savait à peine lui répondre.  Peinée, Cassandre s'avança et prit le garçon doucement dans ses bras et commença à le bercer.  La fillette lui chanta alors la berceuse que sa maman chantait chaque soir avant de l'endormir ou pour la consoler d'un gros chagrin. Sa tête se pencha un instant et elle déposa un baiser plein de tendresse szur le front du garçon.

"Dors, dors, maman veille sur toi toi. Dors, dors, maman est là."

La petite mère veillait tendrement sur l'enfant que semblait être redevenu Tristan, continuant à le bercer dans ses petits bras frêles. Tous formaient formaient un tableau parfait de l’innocence la plus totale.


Bastien sortait de la chambre de Blanche, satisfait de la chaine qu'elle venait d'y installer près du lit, et descendit à la cave. Il se figea net en apercevant le tableau épouvantable qui se révéla à lui. Cassandre donnait sa tendresse à ce misérable. La colère l'envahissait. Ses poings se serraient. Il se retint de courir vers le fouet pour achever ce mécréant qui lui volait l'amour de as protégée. Il se canalisa derrière un masque impénétrable puis dit d'une voix sèche et glaciale :

"Cassandre ! Que fais-tu ici ? Ce n'est pas ta place."

Cassandre baissa le regard, misérable.

"Pardon, maître. je n’avais rien à faire alors j'ai pris la liberté de le soigner. Il est si mal en point... "

Son visage candide lui oublier toute colère. Elle ne souciait pas d'elle, seulement des autres. Il lui accorda un sourire.

"Je vois. Mais nous avons au contraire beaucoup à faire. Le Lupanar va bientôt ouvrir.. File chercher un docteur, d'accord ? Et au retour, interdiction d'approcher la chambre de Blanche !"

Cassandre opina d'un signe de tête et se redressa. Elle prit toutefois le temps de pencher pour dire au revoir à Tristan. Un dernier baiser au front, une dernière caresse. Il devait se sentit aimé si elle voulait le voir survivre à sa détresse. Elle ignora cependant que son geste réveilla la colère de Bastien. Une fois la fillette partie, l'homme s'avança et saisit l'esclave par le collet.

"Misérable ! Si je pouvais.. Si je n'avais pas besoin de toi, je te jetterai vif dans la cheminée !"

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