[14 Septembre 1597] Une visite inattendue [Terminé]

Après son départ de la prévôté, livrée seule à l'incertitude des rues, Rosina avait mis du temps avant de pouvoir se repérer. Vingt années sans quitter la maison ! Elle avait tout oublié ! Et tout avait changé ! Elle ne reconnaissait rien. Peu à peu, la femme réussit à faire son chemin et à atteindre l'église Saint-Eustache. là-bas, elle demanda à une femme qui sortait du bâtiment l'adresse de la Roza Azul. Cette dernière la lui indiqua bien gentiment. Cela situait réellement à deux rues. Thierry n'exagérait pas.

Devant la porte de la boutique, Rosina trembla. son fils... Son cher fils l'attendait derrière. les yeux humides, elle frappa puis se rappela que c'était un magasin. Sa main poussa la porte et Rosina entra.

D'une petite voix, elle dit, timide :

"Veuillez m'excuser..."

Irène attendait sagement que les filles reviennent. Elle ne leur en tiendrait pas rigueur si elle trainait un peu. Après tout, c'était une bonne chose qu'elle passe du temps ensemble, comme de véritable sœurs. Et elles étaient jeunes, il fallait bien qu'elles profitent aussi, d'autant qu'il n'y avait pas foule aujourd'hui. Pour sa part, dans l'attente de clients, elle avait commencé à tresser avec des fleurs une couronne pour la future mariée dont la mère avait passé commande. Elle ajusterait ensuite le voile ensuite en fonction.

Alors qu'elle était absorbée par son travail, elle entendit frapper. Allons bon, les filles revenaient-elles déjà ? A moins que ce ne soit Matthieu ou Joseph ? Seulement, elle vit alors une frêle silhouette et vit qu'il s'agissait d'une femme. Elle sourit en se redressant derrière son comptoir.

- Bonjour chère madame, bienvenue dans mon humble boutique. Qu'y a-t-il pour votre service ?

En pénétrant dans la boutique, Rosina eut du mal à s'avancer. La démarche la gênait horriblement. Demander de l'aide pour ses problèmes personnels. Seule la pensée de revoir son fils Alexandre lui permit de trouver la force de poursuivre et de refermer la boutique. Le magasin était agréable. De nombreuses étagères exposaient diverses pièces de tissus, des chapeaux, des foulards et autres vêtements. Adolescente, elle aurait passé des heures dans un pareil endroit.

Une femme, d'un âge encore jeune, se tenait derrière le comptoir, occupée à coudre. Sans doute la patronne. Elle était bien joli. Les aiguilles de la jalousie revinrent la piquer. Thierry avait assuré que ce n'était pas sa maitresse. Rosina s'avança et murmura, les joues empourprées de honte :

"Je... Je viens de la part du père Thierry."

Elle marqua une courte pause puis ajouta :

"Je me nomme Rosina Bellanger. le père Thierry a dit que vous m'aiderez à me loger le temps que lui puisse s'occuper de moi. Je suis navrée de vous importuner avec mes problèmes. Alex..."

Malgré elle, le nom de son fils avait jailli. Ses regards cherchaient sa silhouette frêle quelque part, dans un recoin peut-être.

"Alex... Alex n'est pas là ? Thierry... Thierry m'a dit qu'il était chez vous."

Ses yeux se remplirent de larmes à l'idée que son ancien amant ait menti pour la faire obéir. sSon fils... Où était-il ? Elle n'allait pas le revoir ?

"Alex...."

A l'annonce de la femme, Irène passa alors devant le comptoir pour aller l'accueillir.

- Le père Thierry ? Est-il sortit de prison ?

Elle sourit en comprenant de quoi il s'agissait.

- Oh je vois. Vous êtes la mère d'Alexandre. Je suis ravie de vous rencontrer.

Elle lui prit doucement les mains puis entendit sa demande. Ce n'était pas un problème mais où allait-elle tous les mettre... Surtout si ce qu'elle avait entendu était vrai, il faudrait aussi loger les garçons et la maison ne serait sans doute pas assez grande, même si Grâce adorerait sans doute cela...

- Oh, je vois bien sûr. Non, ne vous en faites pas, je vais bien trouver une solution.

Elle posa une main sur son épaule en la sentant prête à pleurer.

- Alexa est encore chez mon frère... Mais il ne devrait pas tarder à rentrer, il est sans doute même déjà en chemin.

La femme sortit de derrière le comptoir et s'avança. Encore sous le choc de songer que Thierry ait pu utiliser leur fils pour la manipuler, elle ne régit pas tout de suite à la question puis secoua la tête.

"Non. Je l'ai vu par la fenêtre de sa cellule. Nous avions... des choses à voir."

La propriétaire lui prenait des mains et comprenait qui elle était. Au moins, elle connaissait bien Alexandre et il lui avait parlé d'elle. Rosina eut un faible sourire puis l'entendit que son fils se trouvait chez son frère.

'Ah.. Je comprends. Il va bien au moins ? Et il mange bien ? Cet enfant est de santé si fragile. Prend-on soin de sa santé ? Il est fragile ! Il ne peut pas porter de lourdes charges et faire trop d'efforts !"

Ses angoisses maternelles s'éveillaient et hurlaient même. Son petit... Son tout-petit loin d'elle pour le protéger, comment pouvait-il s'en sortir ?

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Irène hocha la tête aux explications de Rosina. Elle fut plus gênée à sa demande d'explications.

- Eh bien... j'imagine. j'espère en tous cas. C'est mon frère qui l'a acheté et a donc demandé à le prendre. Il devrait aller bien. Mon frère est certes têtu mais ne ferait rien d'inconsidéré.

En tous cas elle priait la Vierge que ce soit le cas... Matthieu pouvait être si dur parfois, sans faire attention aux autres. Seulement ce n'était pas sa faute... Son grand-oncle l'avait modelé à son image, étouffé pour qu'il ne ressente plus rien. Elle affirma cependant avec aplomb.

- Il va bientôt revenir et vous pourrez le voir.

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Rosina écouta les explications de la femme mais ne se sentit pas complètement rassurée. son pauvre petit... esclave. pourquoi une telle sanction ? elle soupira.

"Pauvre enfant... Pourquoi a t-il subi.. ? Que s'est-il passé ? Thierry... Mon mati... Il a été évoqué que le baron de Frenn l'a fait asservir. Pourquoi ? Qu'est-ce que mon fils a pu faire de grave pour mériter un tel sort ?"

Ces questions la tracassaient beaucoup. Elle se souvint d'une autre confidence de Thierry.

"Et ce baron... il ne lui a pas pardonné, Alex, n'est-ce pas ? Non... Non, ce serait stupide. N'est-ce pas ?"

Son regard contempla l'intérieur de la boutique et s'attarda vers quelques foulards.

"C'est un bel endroit. Vous avez un goût certain."

Des gazouillements se firent soudain entendre. Rosina tourna la tête et remarqua un berceau posé sur le comptoir. elle s'approcha et découvrit un charmant bébé.

"Oh ! C'est votre enfant ?"

A cet instant, son ventre se tordit et ses soupçons venus la hanter devant la prévôté se manifestèrent à nouveau. Et si cet enfant était un autre de Thierry ? Et si c'était un frère de son petit Alex ? Depuis le temps, avec toutes ses frasques, il avait dû disperser assez de semence pour peupler à lui seul une petite ville de province. Au moins, avec la mortalité infantile beaucoup avaient dû périr au berceau. Tant mieux ! Seul son fils méritait les honneurs du sang du prêtre. Elle avait appris son lignage depuis leur séparation et ne désespérait de voir Alexandre vivre un jour un beau destin. Elle souhaitait y croire. Thierry était malin, attaché à leur fils. Cela viendrait.

Pour le moment, elle étudia Irène et attendit sa réponse.

Irène fut attristée de la voir si inquiète.

- Malheureusement j'ignore ce qu'il s'est passé. Tout ce que je sais, c'est que le baron semblait vouloir se débarrasser des garçons. Ils savaient peut-être quelque chose qu'ils devaient ignorer et il aura voulu s'assurer qu'ils ne parlent pas...

Cela semblait logique, mais cela lui était insupportable. Les pauvres. les petits souffraient déjà suffisamment pour ne pas en plus avoir à s'occuper des caprices des grands de ce monde. Cependant, elle respira. Après tout, tous devaient servir un dessein et il impliquait peut-être le baron. Advienne que pourra... A sa question, elle grimaça un peu.

- Je crois que votre fils applique beaucoup les Écritures en ce qui concerne le pardon...

Elle sourit au compliment de Rosina.

- Merci beaucoup. En effet, il semble que les gens s'y sentent bien et c'est tout ce qui compte.

Elle alla avec elle vers le berceau et caressa la joue de son fils.

- Oui, c'est mon dernier né. Il aura au moins eu la chance de connaître un peu mon mari.

Elle posa une main sur son ventre. Son dernier petit n'aurait aucune sensation à laquelle se raccrocher lui. Ses yeux laissèrent passer un voile de tristesse à cette idée.

Irène ne savait rien au sujet de ce qui avait été reproché à son fils. Apparemment un complot. Dans quelle sombre histoire Alexandre avait-il versé ? Elle entendit ensuite que celui-ci appliquait les commandements des écritres en ce qui concernait le pardon. elle s'insurgea :

"Mais... Mais il y a des limites au pardon ! Pardonner à son agresseur ! Au responsable de sa ruine ! C'est comme si je pardonnais à mon mari ! Non mais ! Mais j'ai élevé un idiot ?"

Elle signa, mortifiée de savoir que son fils puisse se comporter si honorablement. La morale était importante, certes, il fallait aussi penser à soi. Elle hocha la tête au commentaire d'Irène sur sa boutique puis l'entendit reconnaitre que le bébé était bien le sien. Son dernier-né. Elle parlait de son mari. au passé. Elle ressentait sa détresse. Elle lui était attachée. Alors... Alors Thierry ne mentait pas. Ils n'étaient ^pas... Elle respira plus calmement puis observa la main posée sur le ventre de la commerçante.

"Vous avez perd votre mari ? je suis navrée. Mes condoléances. Vous aviez eu beaucoup d'enfants ? "

Irène secoua la tête avec un sourire désolé.

- Non je ne pense pas, mais il est encore jeune et naïf...

Au fond, on pouvait bien pardonner ainsi les quelques fautes que l'on faisait enfin. Il fallait bien avoir à un moment avoir droit à l'erreur et surtout apprendre. Elle sourit à Rosina.

- Merci... C'est encore récent, mais je suppose que je m'y habituerai... J'ai également deux filles aînées, l'une de mon mari et l'autre que j'ai adoptée. Et j'ai encore un enfant à naître.

Elle posa une main sur son ventre. Elle avait tout de même hâte de le voir grandir. Peut-être serait-ce un garçon, peut-être ressemblerait-il à Antoine...

Rosina gardait un visage contrariée, peinée que son fils ait si peu conscience de sa personne.

"Quand même, il devrait savoir qu'il faut garder de la distance sur les événements du recul. Cet enfant a reçu une solide instruction. Ce n'est pas un gamin vulgaire de la plèbe. Il peut prétendre à mieux. Beaucoup mieux."

Elle entendit Irène évoquer sa situation familiale et eut un sourire sincère.

"Quelle belle petite famille ! Une fille adoptée ? d'où vous vient-elle ? C'est une chose assez rare. On préfère souvent rejeter les enfants qui ne sont pas les siens. Elle était de vos parents peut-être ?"

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Irène entendit les arguments de Rosina et hocha la tête.

- La vie peut parfois être très différente des livres dans lesquels il a apprit. Mais il est encore jeune, il se formera en temps voulu.

Elle sourit à l'évocation de Cassandre.

- Merci. Non, Cassandre était une petite qui travaillait au Lupanar. La nouvelle propriétaire ne pouvait engager trop de frais, alors elle m'a confiée la garde de l'enfant. Je l'ai naturellement acceptée. C'est une chose malheureuse que de voir des enfants seuls et sans famille. Aussi j'ai voulu lui offrir un toit et une bonne maison pour qu'elle puisse grandir sainement.

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Rosina ne put s'empêcher un commentaire ironique aux paroles d’Irène.

"J'ose espérer que la vie n"aura pas le temps de le déformer avant que cet enfant ne soit formé."

Le trait aurait plu à Thierry. Et Alex aussi. Elle entendit avec surprise la nouvelle de cette petite qui aurait travaillé dans un Lupanar. Ses traits trahirent son ahurissement. Comment une telle chose pouvait être possible ? Une enfant dans un tel lieu Et la décence et la morale ? qu'en faisait-on ? Elle se signa puis écouta avec un étonnement marqué apprendre qu'Irène recueillait une petite sans aucun lien avec elle. Par générosité. Sans arrière-pensée.

"Je ne pensais que ça existait. Des gens comme vous"

Cassandre et Grace rentraient d'un pas guilleret depuis leur séparation avec Achille. Tout en portant le sac contenant les tissus réclamés par Dame Irène, Cassandre écoutait les bavardages de son ami. son esprit étudiait en même temps les renseignements appris. Elle irait demain matin trouver Eldred. elle prouverait à son frère son utilité.

"Tu n'es pas fatiguée, Grace ? J'ai l'habitude de marcher vite...."

A son âge, la foulée d'une enfant n'était pas très grande.

Devant la boutique de la Roza Azul, Cassandre poussa la porte et découvrit Dame Irène en compagnie d'une femme bien mise. Sans doute une cliente. elle salua dignement.

"Bonjour, madame."

Elle n'osa pas parler tout de suite à Dame Irène. ses réflexes revenaient. Un esclave ne devait jamais interrompre ses maitres. Elle se mit ainsi sur le côté, dans un coin, et attendit d'être appelé.

irène haussa les épaules avec un léger sourire. Pas de doutes, c'était bien la mère d'Alex...

Elle fut plus surprise à sa deuxième remarque mais, en y réfléchissant, cela ne débarquait pas de nulle part. Elle se rappelait encore des brimades que subissait le père Jacques pour ses idées sans doute trop avant-gardistes. Pourtant, qu'y avait-il de mal à suivre l'enseignement de Jésus ? Elle sourit doucement.

- Saint Joseph nous a appris qu'on peut aimer un enfant, même s'il n'est pas de son sang.

Elle suivrait son exemple, en espérant que Cassandre ait une enfance aussi heureuse et insouciante que celle du Christ.


Grâce trottinait derrière sa nouvelle soeur et leva fièrement le menton.

- Non, non. Je suis très rapide aussi tu sais !

Elle rentrèrent alors dans la boutique. Grâce afficha un grand sourire avant de voir que sa mère était avec une cliente. Elle se mit elle aussi un peu sur le côté avec un salut poli pour la dame. Irène s'illumina alors en allant vers les demoiselles.

- Eh bien justement... Madame, je vous présente mes filles, Cassandre et Grâce.

Elle prit le tissu délicatement des mains de Cassandre pour le poser derrière le comptoir avec un sourire de remerciement pour la jeune fille.

Rosina sourit à la réponse d'Irène. Quelle étonnante femme pleine de générosité ! Elle en était très élue.

"Je connais mes psaumes et ces valeurs. Malheureusement, je l'ai rarement vu appliquer. Je suis issue d'une famille de commerçants qui n'aurait jamais accepté de prendre un enfant un charge à moins qu'une pension ne leur soit versée. Et d'un bon montant. Mon mari... Mon mari est pareil aussi. La seule raison qu'il a accepté Alex... La seule raison, c'est qu'il a compris être stérile. Alex était sa seule chance d'avoir un héritier."

Elle frissonna à l'idée du sort terrible qu'aurait pu connaitre son fils.

Sur cette entrefaite entrèrent deux filles. Une beaucoup plus âgée que l'autre. Sans doute celle ayant travaillé au Lupanar. Elle se tenait en retrait, comme si elle s'effaçait. Irène venait prendre le tussu et la remerciait. Rosina savança et baisa le front de l'enfant.

"Bonjour ma petite fille."

Elle fit de même avec la petite Grace.

"Bonjour à toi aussi."

Elle se tourna vers Irène et sourit.

"Ces petites sont vraiment charmantes. Quelle belle petite famille !"

Irène hocha la tête gravement.

- Oui, je comprends. Ce n'est pas toujours facile...

Lorsqu'elle parla d'Alex, son regard s'assombrit un peu.

- J'en suis désolée. Ceal n'a pas dû être évident pour vous.

Elle sourit alors que Rosina s'avançait vers le deux petites. Elle fit un pas à son tour.

- Les filles, cette dame va rester avec nous un temps, c'est la mère d'Alexandre.

Elle se rendit compte qu'elle ne lui avait même pas demandé son nom.

- Oh d'ailleurs, veuillez pardonner mon impolitesse, je ne connais pas votre nom.


Grâce accueillit le baiser en rougissant un peu.

- Bonjour madame.

irène pour sa part sourit au compliment.

- Je suis d'accord, elles sont toutes les deux ravissantes.

Elle remarqua alors Cassandre qui commençait à coudre. Elle posa doucement une main sur son épaule.

- Tu as l'air de déjà très bien t'en sortir. Est-ce que tu crois que tu pourras m'aider pour les robes des demoiselles d'honneur avec le tissu que vous avez ramené ?

Rosina hocha tristement la tête.

"En effet. Mais cela aurait pu être. Mon mari aurait pu me laisser enceinte à la rue. Je ne sais ce que nous serions alors devenus..."

Irène la présenta aux deux fillettes. Rosina leur sourit puis répondit à la question :

"Je me nomme Rosina. Rosina Bellanger."

Elle s'avança pour s’intéresser à l'ouvrage auquel se consacrait la jeune Cassandre. Irène avait raison : elle cousait très bien.

"Effectivement, tu travailles vite et bien. tu seras bien bonne à marier, ma petite ! Vous avez besoin d'aide sinon ? je pourrais compenser ma présence par une quelconque utilité."

Cassandre releva la tête quand Dame Irène présenta cette cliente comme la mère d'Alexandre et annonça que celle-ci resterait avec elles. La fillette retint un soupir au souvenir du garçon stupide qui avait éventé la couverture de son frère. Cette femme se comportait-elle mieux ? Pet-être pas. Si elle avait besoin d'un abri, c'était qu'elle aussi attirait les ennuis. Telle mère, tel fils on disait.

Désireuse de laisser le souvenir du garçon idiot, elle replongea dans le travail d'aiguille.

Appliquée dans son ouvrage, Cassandre ne remarqua tout de suite dame Irène qui se mit à l'observer. Sa voix la sursauter. Elle était surprise du compliment puis regarda le liseré du mouchoir. C'était vraiment un bon travail ? Elle avait appris à coudre seule, pour s'occuper quand elle finissait ses corvées et raccommoder sa robe quand celle-ci se déchirait. Dame Irène lui proposait de l'aider à coudre les robes des demoiselles d’honneur.

Craintive, elle demanda :

"Je peux vraiment ? Vous êtes sûre ? Je... je n'ai fait que ça que sur mes robes. Des robes de servante. De souillon. Ce n'est pas dangereux ? Si je me trompais..."

A cet instant, Rosina se mêla à la conversation et la complimentait aussi. Au début, Cassandre apprécia. puis vint une phrase qui changea le compliment en insulte. Elle soupira et laissa échapper, piquante :


"Je ne me marierai pas. Aucun homme sensé n'épouserai une esclave."

Irène eut un regard compatissant pour Rosina. Heureusement, elle passait à des sujets plus joyeux avec les filles. Elle sourit à la mention de son prénom.

- Rosina, c'est charmant !

Elle sourit alors à Cassandre.

- Il faut apprendre. Et avec un patron, tu n'auras aucun mal à le faire aussi, j'en suis sûre. Et puis c'est en faisant des erreurs qu'on apprend. Même ainsi une robe peut très bien se rattraper.

Elle la sentit tendue à la remarque de Rosina et posa une main sur l'épaule de Cassandre. Elle lui sourit doucement en prenant un air rassurant.

- Mais tu es libre avec nous maintenant. Tu verras, un jour, si tu le souhaites, tu auras un époux.

Cassandre hocha la tête et répondit docilement :

"D'accord. Je vais essayer de bien m'appliquer. Pouvez-vous me montrer quoi faire ?"

Dame Irène tapotait son épaule pour la rassurer ensuite sur sa situation. Le geste la fit se raidir. Son épaule.... Son épaule marquée... Son épaule maudite... Elle ne comprenait pas. Elle était trop bonne pour comprendre.

"Vous êtes gentille, c'est bien, mais ça n'ôtera jamais la marque à cette épaule. Esclave est un destin pour la vie. Un fardeau. Même si vous m'offrez une bonne maison, des repas, une famille... je ne serai jamais comme Grace. Jamais. De toute façon, même si je le pouvais, je ne prendrai pas un mari. un mari, c'est rien d'autre qu'un maitre pour une femme."

Une petite esclave... Le cœur de Rosina se serra en observant cette enfant soumise à la volonté des autres qui lui rappela naturellement son fils lui aussi asservi. Comment leur royaume pouvait promettre un tel sort à une pauvre petite ? Elle l'écouta se révolter aux paroles d'Irène qui lui assurait qu'elle aurait un jour un époux... La lèvre de Rosina frémit. Un mari, ce n'était pas une si bonne chose. D'ailleurs, cette enfant semblait l'avoir déjà compris. Si jeune et elle avait un tel recul sur l'existence ! Ses yeux s’humidifièrent.

"Pauvre enfant..."

Elle posa son regard vers sa silhouette malingre.

"Mais tu as raison, oui. Il faudrait mieux pour les femmes de ne jamais se marier. Le mariage nous fait rêver, petites, oui, mais les princes n'existent que rarement. Nous découvrons au lendemain des noces que nous somme tombées en Enfer..."

Irène hocha la tête.

- Bien sûr. Ne bouge pas, je vais chercher le matériel.

Elle alla derrière le comptoir reprendre son ouvrage et posa le tout près de Grâce, avec une chaise. Elle écouta alors les paroles de Grâce et en fut chagrinée. Elle secoua cependant la tête.

- Je comprends Cassandre, mais tu es aussi libre de décider ce que tu es aujourd'hui. Et si tu ne veux pas de mari, je peux comprendre, les hommes sont parfois cruels.

Toutes les femmes n'avaient pas sa chance, elle s'en doutait. Son Antoine avait été le plus attentionnés des hommes... mais pour un comme lui combien battaient leurs femmes, les faisaient souffrir, tous les jours ? Elle préféra se taire et commencer à montrer les gestes à Cassandre ainsi qu'à Rosina tandis que Grâce s'occupait de Ludovic.