[St Nicolas] [7 décembre 1597] Que Dieu vous garde [terminé]

Première nouvelle en se levant : son frère avait commencé les recherches pour des prétendants. Prétendants à la main de Bélyl. A la main de sa nièce. Il déglutit. Il la voyait encore, dans son berceau, adorable, charmante... Et elle était devenu une belle jeune femme. Il avait l'impression de ne rien avoir vu venir... Peut-être n'avait-il pas été très présent non plus. Il se redressa. Mais il était là, maintenant ! Il comptait donc bien prévenir sa nièce contre un mari qui serait inconvenant.

Dans la liste de Joseph, il avait vu passer le nom de Formart. Par son frère, il connaissait quelque peu la réputation du fils et espérait qu'elle était exagérée. Il avait donc souhaité venir par lui-même, observer par lui-même si ce mari supposé. Il avait obtenu une entrevue et attendait dans un salon dans lequel on l'avait installé. Fidèle à son habitude, il ne s'était pas assis mais s'était placé près du feu, pour se réchauffer. il faisait bien froid dehors désormais...

Alors qu'il observait les flammes, il songea à son sorcier. Certes, il venait d'arriver mais il espérait bientôt le coincer. Faire une petite pause, tout en assurant l'avenir de sa nièce ne lui ferait assurément pas de mal.

Le Cardinal Matthieu Cassin voulait le voir. Rien que cela. C’était là la dernière nouveauté ! Et que voulait-il faire ? Lier connaissance ! Voyez-vous cela. Et ce n'était pas son père, Ministre des Affaires étrangères, qu'il venait voir, non. C'était bel et bien lui.

Alduis entrevoyait trois solutions qui aurait pu expliquer cette étrange démarche : soit il avait fait une mauvaise chute et s'était cogné la tête, soit il avait décidé de venir évangéliser ce château impie qu'était le domaine Fromart, soit… soit c'était simplement un prétexte.

Dans ce dernier cas, qui était finalement le plus logique, restait-il encore à savoir ce qui valait la raison de ce prétexte. Il n'avait pas eu à chercher vraiment très longtemps, à vrai dire. La rencontre Bélyl la veille l'avait certainement mis sur la piste plus facilement… Son père n'avait-il pas dit que Bélyl serait l'une des prétendantes pour son mariage de plus en plus proche ? Cette nouvelle avait dû arriver, d'une manière ou d'une autre, aux oreilles de son oncle… qui se déplaçait à présent en personne pour juger lui-même de son cas.

Cette idée avait quelque chose de plaisant. En fin de compte, il n'aurait même pas besoin de faire peur à Bélyl elle-même pour l'écarter de cette possibilité. Inutile de dire que son oncle ne l'apprécierait que moyennement. Comment aurait-il pu autrement, puisque Alduis avait déjà envie de lui tordre le cou — rien que pour être le maître d'Alexandre ?

Quand Alduis se présenta au salon, Matthieu n'était pas assis mais debout devant le feu, à attendre. Il devait être là depuis une bonne dizaine de minutes déjà mais il ne comptait pas s'excuser pour l'attente. Ni pour le reste d'ailleurs. Aussi se dirigea-t-il droit vers un fauteuil et se laissa-t-il tomber dedans, en étendant ses jambes sur la table devant lui, avec une insolence telle qu'elle en devenait odieuse.

— Je dois dire que je suis déçu., annonça-t-il de but en blanc, comme si de rien. Venant d'un homme avec une réputation comme la vôtre, je m'attendais au moins à une certaine franchise. Êtes-vous donc homme à trouver des prétextes pour vous déguiser ?

Il l'observa enfin plus précisément et reprit avec un sourire affable qui ne trompait personne :

— Quoique. Au vu de votre robe rouge, il faut croire que c'est pourtant le cas.

Matthieu perçut des pas et se retourna, soucieux de bien accueillir son hôte. Il fallait faire bonne figure, pour bien obtenir les informations qu'il voulait. Il savait s'y prendre avec les cardinaux, un jeune noble impétueux ne serait sans doute pas compliqué à appréhender... Cela commençait tout de même à être long. Matthieu soupira alors qu'il espérait que cela ne dure pas trop longtemps. Il avait tout de même à faire... Après une profonde inspiration, il se prépara, chassant sa première impression quelque peu décevante. Après tout, il ne fallait pas juger sur la ponctualité. Il tenait surtout à vérifier si les dires étaient vrais ou non. il s'en disait des choses, sur les Fromart...

Il écarquilla les yeux quand le jeune homme arriva, sans dire bonjour, sans se présenter correctement. Il se redressa, un peu sévère. Quelle attitude. Il l'observa, l'oeil dur alors qu'il s'affalait comme un adolescent nonchalant sur un fauteuil. Ses dires ne firent qu'aggraver son cas mais Matthieu préféra ne pas entrer dans son jeu.

- Hum... Bonjour, monsieur. Et je ne vois pas de quels prétextes vous parlez.

Le reste le fit presque s'étouffer. Quelle honte ! Un fils de si bonne famille ! La noblesse tombait décidément bien bas dans ce pays. Mais avec un roi préférant ses "merveilles humaines" à la Bible, fallait-il s'en étonner ? Décidément, il fallait bien que quelqu'un vienne pour redresser tout cela, le remettre dans le droit chemin ! Il secoua la tête et haussa un sourcil.

- Contrairement à vos suppositions, j'ai une bonne raison. Un cadeau.

Il sortit une petite boîte de sa poche. Maintenant, il allait pouvoir le mettre à l'épreuve.

Alduis aimait provoquer, il aimait pousser ses invités, aussi bien que ses hôtes, dans leurs retranchements. Il s'était vu plus prudent que de jouer les malins avec un cardinal mais il se fichait pas mal des conséquences. Peut-être même qu'il attendait justement qu'elles finissent par tomber. Ne disait-on pas qu'à force de chercher, on trouvait ? Il fallait croire que le dicton possédait une part de mensonge.

Mais le Cardinal resta digne et refusa d'entrer dans ses provocations. Il n'échappa qu'un infime arrondissement des yeux qui traduisait son ahurissement à être reçu de manière aussi mal polie. Toute réaction que ce fut, cela ne fit que pousser Alduis davantage sur le chemin de l'insolence. Il haussa ostentiblement les épaules :

— J'ai déjà rencontré Bélyl, pourtant, et pas plus tard qu'hier, fit-il. Et je suis loin d'être un idiot.

Oh, bien sûr, qu'il venait le rencontrer, afin de juger s'il était digne d'épouser Bélyl Cassin. La réponse se profilait déjà : non. Mais on ne venait pas lier connaissance sans raison, juste sur un coup de tête, et encore moins pour... offrir un cadeau ?! Venait-il vraiment de prononcer un tel mot, « cadeau » ?

— Vous vous êtes trompé, mon anniversaire, c'est dans six mois. Mais vous pouvez toujours l'offrir à mon père, il fête le sien dans quelques jours !

Et maudit anniversaire, maudite soirée qui se profilait en perspective ! Il haussa de nouveau des épaules et reprit aussitôt après :

— Mais comme je suppose que vous n'offrez pas de cadeaux aux gens que vous arrêtez, je devrai sans doute me sentir honoré.

Il lui semblait un peu trop insolent à son goût. Ça commençait mal... Si Joseph voulait taper dans la noblesse, il pourrait peut-être autre chose, d'autant que s'il se montrait aussi insolent avec son futur beau-père, il le renverrait vite fait bien fait chez lui ! Et puis quoi encore... Joseph n'était pas ambitieux par plaisir et souhaitait avant tout le bonheur de sa fille, autant que le reste de leur famille.

Cependant, son affirmation suivante fut la goutte d'eau. Il ne put se retenir de pousser un glapissement.

- Vous vous êtes vus ? Sans consentement de vos parents et sans chaperon ? Mais c'est tout à fait inconvenant !

Il se trouva soudain bien réticent à lui offrir un tel cadeau. Il s'était donné du mal pour en trouver un qui lui plaise en plus. Il fronça un peu le nez et secoua la tête.

- Non, c'est bien pour vous.

Il croisa les bras avec mauvaise humeur ensuite.

- Vous avez vraiment des réparties plus que douteuses, si vous permettez l'expression ! C'est simplement un geste de courtoisie entre nos deux familles, vous vous doutez pourquoi au vu de vos allusions.

Et il n'avait aucune envie de rester à écouter les boniments de ce garçon mal élevé. Pourquoi Joseph avait-il pensé à lui ? Cela lui échappait au-delà des mots !

Alduis observait Matthieu. Finalement, il n’avait même pas été si dur à provoquer et à perdre patience. Il haussa des épaule. C’était presque dommage, de trouver les limites si vite. Et sa question… s’était-il vu ? Alduis eut un sourire carnassier et provocateur, qui cachait pourtant une autre émotion, qui était difficilement identifiable comme telle : une certaine haine. Non, il ne s’était pas vu depuis des années. Et il espérait qu’il ne croiserait de nouveau son reflet avant un moment, d’ailleurs.

Alors il répondit, sans filtre, deux choses :

— Je ne me suis pas regardé dans un miroir depuis le 15 octobre 1592.

Mais il se rappelait cependant très bien des dernières images qu’il gardait de son propre visage. Les brumes de l’oubli n’envahissaient jamais son esprit. Il reprit ensuite :

— Quant à votre avis, gardez-le : je n’en ai rien à foutre.

Qu’importe ce qu’on pensait de lui. Qu’importe que l’on pense - bien logiquement d’ailleurs - que ce soit là des actions fort inconvenantes. Il nota le froncement de nez de Matthieu et son mouvement de tête. Alduis ne broncha pas. Un cadeau pour lui ? Eh bien, il n’en voulait pas. Et encore moins si cela était un geste de courtoisie.

— La courtoisie… Chez moi, on appelle cela l’hypocrisie.

Il eut un sourire froid. Glacial, même. Il haussa des épaules avec une outrageuse nonchalance.

— Mais soit. Peut-être voulez-vous un cadeau de ma part aussi ?

Matthieu afficha rapidement un air glacial lui aussi. Non seulement il était désagréable mais il comprenait tout de travers !

- Je parlais simplement de votre tête-à-tête avec ma nièce. Mais si vous voulez que nous discutions de votre figure, vous feriez bien de retrouver bien vite un miroir, en effet.

Un enfant gâté, voilà tout ce qu'il était. A l'idée qu'il s'approche de § Bélyl, il grimaça intérieurement. Sa nièce méritait bien mieux que ce gamin prétentieux ! Il releva le menton à son insulte.

- Soit. Après tout, c'est vos cheveux.

Il continua à faire preuve de défiance. Il secoua la tête.

- Eh bien appelez ça comme ça vous chante. Après tout, vous avez ce luxe.

Il serra les dents. Inutile d'aller plus loin, il avait sa réponse. Joseph ne donnerait pas la main de Bélyl à ce malotru !

- Oh non, laissez cela, je ne pense pas que vous ayez quoi que ce soit à vous offrir, j'ai déjà ce que j'étais venu chercher.

Il souffla, quelque peu agacé. Ça lui apprendrait à tâcher de se montrer sociable ! La prochaine fois, il resterait chez lui. Vraiment, ce genre de visite lui avait coupé tout envie de recommencer. Il soupira.

- Je vais vous demander de prendre congés, si vous le permettez. J'imagine que vous préférez retourner à votre petite tranquillité.

Matthieu afficha un sourire froid à son tour. Alduis ne baissa pas les yeux pour autant. Quand bien même, une fois de plus, il avait encore compris quelque chose que personne n'avait dit. Ce n'était pas la première fois, ni la dernière. Il ne comprenait pas le monde dans lequel il vivait. Le front avait cet avantage que rien n'y était nuancé.

Par quel phénomène exactement avait-il compris une chose aussi décalée ? Alduis n'en savait rien. Le tête-à-tête avec Bélyl... S'il souhaitait vraiment aborder le sujet. Libre à lui.

— J'ai trébuché sur une bouteille, déclara-t-il, alors plutôt que de vous souciez de l'inconvenance de la chose, vous devriez songer à comprendre ce que faisait cette bouteille ici. Il me semblait pourtant que boire sous le nez de Dieu était un péché.

Il se fichait de faire preuve d'insolence, et de tout le reste. Au contraire. Courtoisie, hypocrisie... Des synonymes. Du pareil au même. Il haussa des épaules. Le luxe de décider, le luxe de faire des choix. Il aurait aimé — au fond — ne pas l'avoir. Mais puisqu'il avait un cadeau, Alduis pouvait bien lui en faire un lui aussi.

Cadeau que Matthieu refusa. Mais Alduis n'était pas du genre à attendre la réponse, et il était déjà levé à la recherche de quelque chose à offrir. Prendre congé si tôt ? Ce serait dommage de partir déjà !

— Attendez encore quelques secondes !

Il eut un sourire affable qui ne trompa personne. Ses doigts parcoururent les étagères et se posèrent sur un ouvrage en particulier. Son sourire se modifia sur ses lèvres et il le sortit de l'étagère avec un grand geste plein d'emphase, pivotant souplement sur ses talons.

— Permettez-moi, Cardinal, de vous offrir cet exemplaire du Coran.

Son sourire grandit encore davantage.

— Cela vous permettra de vous ouvrir aux ennemis de Dieu !

Il n'avait pas l'air décidé à s'excuser ou même à feindre une quelconque émotion suite à son erreur. Matthieu leva les yeux au ciel. Il arrondit les yeux à la suite.

- Une bouteille ? Dans la maison de Dieu ? Mais qui a laissé faire ça ! Dans quelle église était-ce ?

Il attendit la réponse, ce qui le retint encore un peu. Alduis semblait d'ailleurs décidé à lui rendre la pareille avec son cadeau. Matthieu, pour sa part, rageait entre ses dents. Un si bel objet entre les mains de ce... fat ! Mais quel gâchis ! Il aurait dû le donner à Bélyl. Enfin bon, cet enfant gâté aurait peut-être le bon goût de le refiler à une autre personne plus pieuse.

Il revint alors vers lui, après avoir parcouru les étagères, sans doute au hasard. Ou peut-être pas. Sa figure vira au rouge. Il darda un regard furieux sur Alduis.

- Vous... vous êtes vraiment...

Quoi d'ailleurs ? Y avait-il un qualificatif pour autant d'impolitesse, d'insolence et d'impudence ? Si cela existait, Matthieu cherchait encore.

Une bouteille dans la maison de Dieu, parfaitement. Et pour une fois, voici un point commun entre eux deux : Alduis s'était également poser cette question. Que faisait-elle ici ?

Oh, bien sûr, il aurait pu mentir sur l'église dont il s'agissait mais il n'en fit rien. Pour deux raisons notables : la première était que Bélyl pourrait déjouer ses propos, la seconde était qu'il détestait mentir. Alors il répondit sincèrement et sans détour :

— Saint-Eustache.

Mais il était désormais temps d'échanger ces présents. Et le Coran lui semblait un beau compromis. Pure provocation, certes, mais pourquoi s'en priver ? Alduis avait peur du noir comme un enfant, mais la colère d'un cardinal ne faisait pas partie des choses qui l'impressionnait. Aussi, quand il releva la tête, le visage rouge et furieux, Alduis ne broncha pas.

— Vous... Vous êtes vraiment...

Il ne semblait pas trouver le mot adéquat. Alduis se mit en tête de lui venir en aide, sans perdre une seconde son sourire détestable.

— Laissez-moi deviner. Je suis inconvenant ? détestable ? ou bien, insultant, peut-être ? La liste est longue, je vous l'accorde.

... et de bonne grâce, même, sans mauvais jeu de mots — qu'il n'aurait de toute manière certainement pas compris.

Son sourire se fâna et son visage redevint sérieux et froid. Il haussa des épaules. Après tout...

— Pourtant, c'est en connaissant mieux ses ennemis qu'on peut les combattre, Cardinal.

Et sur ce point-là, il était sincère, sans plus aucune trace de moquerie. Cependant, cette dernière revint vite dans la conversation :

— Vous n'avez jamais entendu cela ?

Alduis semblait pourtant lui aussi s'interroger sur cette mystérieuse bouteille. Peut-être n'était-il pas si mauvais que cela. En entendant le nom, il roula des yeux avec fureur. Pourquoi n'était-il pas étonné ? Il faudrait surtout qu'il demande à Bélyl de ne plus aller là-bas ! Il n'allait pas la laisser à la merci d'un prêtre dépravé et de fidèles peut-être tout aussi douteux !

Sa colère ne sembla lui faire ni chaud ni froid. Quelle sorte de créature était-ce là pour ainsi si peu se soucier des normes sociales ? S'il avait pu le gifler pour lui remettre les idées en place... Il en aurait bien besoin ! Il se contenta de grogner entre ses dents et prit ce maudit livre en le lui arrachant presque des mains.

- Soit ! Mais mes ennemis je les connais et ils sont bien trop sous mon nez à mon goût !

Il secoua la tête. Il avait pourtant l'air sérieux mais cela lui était à présent égal. Il prit un pli de sa tenue pourpre et jeta un regard glacé à son interlocuteur.

- J'ai eu mes réponses et je pense que vous ne souhaitez plus vous embarrasser de ma présence. Aussi, je vous demanderais volontiers de prendre congés.

Matthieu lui arracha le Coran des mains avec un grognement furieux. Alduis se retint d’émettre un rire amer, qui demandait à sortir du fond de ses entrailles. Il y avait quelque chose d’amusant à offrir cet ouvrage au Cardinal, d’autant en constatant que cela avait largement l’effet escompté. C’était au fond si prévisible.

Mais après tout, c’était en apprenant à connaître ses amis que l’on apprenait à mieux lutter contre eux. On ne partait pas à la guerre sans s’être renseigné sur le camp adverse : c’était une loi à laquelle on ne pouvait déroger. Et par connaître, il ne s’agissait pas de croire les connaître. Non. Il fallait savoir précisément de quoi était faite chaque croyance qui les habitait. D’autant plus quand on les leur reprochait.

— Libre à vous de ne pas prendre ce cadeau au sérieux.

Après tout, on pouvait aussi bien se moquer et offrir quelque chose qui soit utile d’un même coup. Le proverbe disait bien, d’une pierre, deux coups ? Eh bien voilà, il venait d’illustrer cette image.

Alduis se concentra sur le cadeau apporté par Matthieu. Il ne l’avait toujours pas ouvert. Qu’est-ce qu’un Cardinal pourrait bien souhaiter donner à un type comme lui ? Il n’en savait strictement rien, et il devait admettre que malgré l’absurdité de la situation, il restait curieux de le savoir.

Alors, il se saisit de la petite boîte et l’ouvrit. Il ne fut pas tant surpris que cela de ce qu’il trouva à l’intérieur. Un chapelet. Et pas n’importe quel chapelet, non : un chapelet élégant et travaillé. Alduis resta un instant immobile mais une lueur étrange s’était allumée dans son regard. Finalement, il reposa la petite boîte et l’en sortit pour l’observer. Les pierres étaient froides sous ses doigts. Une brève image s’imposa à lui. Une image flou, qui sentait la lavande et qui avait une voix douce. Sa mère lui disait :

— Tu vois, Alduis, le bon Dieu sera toujours là pour veiller sur toi.

Ses doigts se serrèrent imperceptiblement autour des pierres et - plus vivement qu’il ne l’aurait voulu - il le remit dans la boîte et le referma. Comme si l’objet s’était mis subitement à lui brûler les doigts.

Dieu ne veillait sur personne.
Et le Paradis n’existait pas.

Ce fut davantage un moyen pour se protéger des voix que pour agacer Matthieu qu’il ricana :

— Je suis sûr que ce sera très joli au-dessus d’un tas d’ordures !

Il eut un sourire, un peu plus pâle que les premiers, en ajoutant :

— Finalement, je dois vous donner raison : la lumière de Dieu est la même partout !

Puis en guise d’adieux, il lui adressa un salut ironique :

— Je vous souhaite une bonne lecture, Cardinal !

Bien sûr qu'il ne le prenait pas au sérieux. Comment le pourrait-il ? Ce gamin n'avait rien de la noblesse dont il prétendait hériter un jour. Quel misère pour se pays de se trouver avec des incompétents pareils pour jeunesse ! Il afficha un rictus.

- il ne sera pas dit que j'aurais été ingrat. Je vous remercie pour ce cadeau.

Il observa avec désespoir le beau chapelet se perdre dans ses mains grossières et stupides. Matthieu soupira. S'il avait su... Cependant, en regardant de nouveau Alduis, il ne put s'empêcher de voir qu'il s'était soudain figé. Qu'est-ce qui lui prenait ? Aurait-il eu une révélation divine ? Après tout, ce chapelet avait été béni à Rome, au siège de Saint Pierre ! Mais non, ce serait ridicule... Alors quoi, que se tramait-il dans cet esprit tordu ? Il le vit prendre le chapelet, presque le jeter dans sa boîte. Il commençait à reprendre une teinte rouge. Une si belle pièce ! Elle méritait un peu plus de respect !

Il écarquilla les yeux et faillit bien cette fois le gifler. Quelle honte ! Quel irrespect !

- Ayez au moins plutôt la décence de le remettre à quelqu'un qui en aura davantage l'utilité !

Sur ce, il dédaigna son ultime sourire narquois, bien qu'il lui paraisse moins assuré et tourna les talons.

- C'est ça ! Et vous, que Dieu vous garde et surtout vous vienne en aide !

Sur ce, dans un ample mouvement de sa robe pourpre, il partit.