[6 Février 1598] A la découverte de la Rosa Azul

Depuis quelques jours, Irène se réfugiait dans son travail. Pour oublier ses soucis, notamment avec Cassandre. Elle ne savait pas quoi faire depuis les deux discussions houleuses qu’elles avaient eu. Elle avait tout essayé : douceur, rigueur… Tout se soldait toujours par une dispute. Etaient-elles finalement trop différentes ? Elle ne savait plus.

Alors elle travaillait, sans cesse. Elle cousait toujours plus de robes, des commandes comme des modèles libres. Mouchoirs, foulards, bustiers… Tout y passait. Il lui arrivait de réagencer la boutique plusieurs fois par jour, au point que la cliente passée le matin, en récupérant sa commande le soir ne la reconnaissait presque pas.

Alors qu’elle rangeait encore une fois sa boutique, elle entendit la cloche de la porte sonner. Elle arrêta son rangement frénétique pour présenter, comme à son habitude, son plus beau sourire à la cliente.

- Bonjour, mademoiselle.

Irène sourit à cette dernière et inclina la tête, flattée.

- Je suis ravie que ma modeste boutique ait si bonne presse. Et oui, en effet, j’ai déménagé. Je me trouvais quelques rues plus loin auparavant mais cela devenait un peu petit, surtout avec mes enfants, alors j’ai pris la place du confiseur qui séjournait autrefois ici.

Elle secoua la tête ensuite en approchant.

- Pas du tout. Que puis-je pour vous, dites-moi ?

Irène pencha la tête à son air surpris. Elle comprit quand elle reprit et acquiesça.

- Oh, il faut surtout remercier mes clientes, elles sont ma meilleure publicité. Et j’ai eu de grosses commandes bien payées. Comme j’ai l’habitude de mettre de côté, le pécule que j’avais de côté nous a rapidement permis d’agrandir l’affaire.

Elle sourit à son récit puis hocha la tête.

- Oui, en effet. Mon aînée à quatre ans, son petit frère a eu un an il y a quatre jours et les jumeaux sont nés la nuit de Noël.

Irène s’en voulut de la gêner mais sourit quand elle lui donna la raison de sa venue.

- Oh, je vois ! C’est très aimable à lui, c’est un bon ami.

Effectivement, complexe était encore un euphémisme. Et ce n’était pas encore fini, elle avait troqué Alexandre contre Cassandre et se sentait toujours au même point… Était-ce normal ? Elle espérait que ces pensées la quittent bien vite. Irène quitta ses réflexions pour sourire à la demoiselle.

- Je trouve cela adorable… Et je suis heureuse de vous connaître en conséquence ! Vous venez d’arriver en ville ?

Sa cliente qui n’en était pas totalement une semblait être impressionnée. Irène ne savait pas si elle le méritait. Après tout, comme elle le disait, elle avait eu surtout beaucoup de chance, les généreuses avances de la reine d’Espagne ayant été assez inattendues et lui ayant permis d’avoir largement assez de marge pour se permettre des extras. Irène ne put s’empêcher de rire un peu.

- Oui, c’est vrai… Cela a fait le tour de la ville le lendemain j’ai même eu de nouvelles clientes rien qu’à cause de cette histoire…

En effet, plusieurs dames, poussées par une curiosité un peu étrange étaient venues la voir et avaient fait semblant de regarder les articles même s’il n’avait pas échappé à Irène qu’elles l’observaient surtout comme un phénomène de foire. Elle soupira. Ce n’était pas grave, elle ne leur en voulait pas, les gens étaient parfois comme ça et un bon nombre avaient fini par réellement trouver leur bonheur dans les articles, ce qui n’était pas plus mal…

Elle rit de sa référence.

- Oui, je vois tout à fait… Surtout que le benjamin s’appelle Trestinian.

Cela la faisait toujours sourire même si ça la rendait également un peu nostalgique en se souvenant de la référence qui l’avait amenée à cette idée de prénom.

Irène se concentra cependant sur l’histoire de la jeune personne. Maintenant qu’elle y faisait attention, elle voyait une petite ressemblance avec Alexandre, en effet. Et, bien qu’elle ne se trouvât pas charitable d’y penser, elle trouva qu’ils parlaient certainement tout autant l’un que l’autre.

- Oh, c’est en effet une grande chance pour vous ! J’en suis heureuse. Mais il ne faut pas se sentir coupable. Au contraire, il faut être reconnaissant au Ciel, cela signifie qu’il bénit votre chemin. Je vous souhaite beaucoup de réussite ! Dans quel secteur cherchez-vous ?

Irène secoua la tête pour lui signifier que ce n’était rien.

- Ne vous en faites pas, c’est passé. C’était un peu fatiguant au début mais au moins ça m’a amené du monde. Et ça devait bien arrivé étant donné l’histoire mais heureusement, les gens se lassent vite.

Elle sourit à sa question et secoua de nouveau la tête.

- Non, Anthalia.

Pour rendre hommage à son père mais elle se garda de le dire. Elle ne souhaitait pas étaler sa vie privée face à une inconnue. Elle hocha la tête puis la pencha.

- Oui, avec de telles dispositions, vous trouverez certainement quelque chose. Vous pourriez faire une très bonne gouvernante, d’autant que vous êtes jeune. Je pourrais peut-être aussi vous aider en vous suggérant des dames qui doivent chercher ce genre d’aide en ce moment. Mes clientes m’en parlent souvent.

Irène hocha la tête pour le prénom de sa fille, enchantée que cela plaise à autant de monde.

- En effet, c’est pour cela que je l’ai choisi. C’est un mot grec qui signifie « fleur ».

Elle rit ensuite avec sa cliente. Oui, sans doute, d’autant que les rime et le sujet poétique serait bien facile avec un tel nom… Même si elle espérait que les hommes ne tournent pas trop autour de sa fille… C’était tout de même sa petite dernière…

Irène sourit en la voyant rougit. C’était preuve d’une belle modestie.

- Mais cela s’apprend, voyons. Et pour nous, les femmes, cela a tout de même tendance à être instinctif. C’est une responsabilité, il est vrai mais comme gérer un commerce en est une.

Ce fut ensuite à son tour de rosir.

- Nous nous entraidons, je suppose.

Elle sourit en la voyant s’intéresser à un article et hocha la tête.

- En effet, je peux me fournir auprès d’eux grâce à des arrangements. Vous n’en trouverez certainement pas une semblable dans tout Braktenn. Et ce n’est pas onéreux, je vous le garantis.

Elle prit le foulard pour le montrer davantage à la jeune femme.

- Cela vous irait à ravir, regardez.

Irène lui apprit que le prénom choisi pour al petite Anthalia signifiait fleur en grec. Adèle opina doucement la tête d'un petit air entendu pour dissimuler son ignorance du sujet. Comme cette femme devait être savante pour connaître la langue des érudits. Elle, elle avait déjà quelques lacunes avec le latin et sa connaissance se limitait aux utilisations faites à l'église. Sa mère avait préféré privilégier dans l'éducation les lettres, les sciences et les arts en assurant que cela leur serait bien plus utile dans la vie quotidienne que la pratique d'une langue, surtout celles anciennes qu'assez peu de gens parlaient.

Leur conversation porta ensuite vers le premier emploi qu'Adèle espérait prochainement obtenir par le truchement de Célénian. Elle exprima ses quelques craintes au sujet de ses capacités et sourit d'entendre Irène la rassurer. Son interlocutrice avait raison. Ce n'étaient que des inquiétudes somme toute normales et qui prouvaient justement son sérieux.

"En tous les cas, je m'appliquerais à faire les choses de mon mieux."

Sur cela, elle adressa à son tour un compliment qui fit rosir Irène.

"Et c'est merveilleux de savoir ainsi s'entraider ! Le monde est si beau quand nous savons tous prendre soin des uns des autres !"

Son regard fut ensuite attiré par un beau foulard de joie colorée et Adèle se déplaça afin de mieux l'observer. La vendeuse ne perdit pas l'occasion d'en décrire mieux l'article et de bien insister que ce ne serait pas si cher que cela. La jeune femme resta toutefois sur sa réserve. Elle avait entendu plus d'une fois sa mère répéter ces mêmes paroles à ses propres clientes. Néanmoins, toucher le tissu ne faisait pas de mal. Elle se laissa aller à déplier le foulard afin de l'examiner plus en détail.

"Il est très joli, oui, mais le rouge, je crains que non ça n'aille pas avec ses cheveux. L'association serait étrange, il me semble."

Adèle retint un sourire et étudia la réaction à venir. Si Irène se comportait comme sa mère, elle se tournerait rapidement vers d'autres échantillons pour proposer habilement un autre article.

Irène appréciait cette jeune femme. Elle semblait pleine d’enthousiasme et d’énergie. Cela plairait certainement à un employeur… Elle hocha la tête.

- J’en suis certaine.

Elle ne put que l’approuver ensuite, même si elle vit rapidement une opportunité. Cependant, elle vit que la jeune femme ne se faisait pas avoir si facilement. Pour sa part, elle réfléchit sincèrement à la question.

- Pour un si joli châtain ? Généralement, non, le rouge va bien à nous qui allons du châtain au noir. Même aux blondes, si c’est mis en valeur d’une certaine façon. Et vous avez dit aimer les couleurs chaudes, c’est certainement la plus chaleureuse de toute.

Elle lui sourit, sincère.

Irène fut interloquée d’entendre ce que sa cliente avait à lui dire. Elle secoua la tête, surtout qu’elle voyait bien que le foulard lui plaisait.

- Les goûts et les couleurs… mais je peux vous assurer que ‘est un fait avéré et accepter que des cheveux châtains portent le rouge à merveille. Le bleu et le blanc sont assurément jolis, j’en porte beaucoup moi-même mais cela peut être fade, surtout quand ses cheveux ne sont pas très foncés. Il faut obtenir des contrastes, voilà ce qui est élégant.

Cependant, sa cliente se dirigea vers une autre robe. Irène sourit et hocha la tête.

- C’est une robe très élégante. Je suis flattée que vous pensiez qu’elle pourrait lui plaire.

Cependant, elle voyait bien que ce qui intéressait la jeune fille, c’était surtout le foulard. Elle n’insista cependant pas, la laissant réfléchir seule. Quand un client gardait l’objet en main, c’est déjà bon signe.

Voyant qu’elle commençait à sérieusement hésiter, Irène n’insista pas mais laissa venir. Elle allait certainement finir par l’acheter et cela la réjouissait davantage car cela lui irait bien que pour l’argent que cela lui rapporterait. Elle l’écouta avec attention parler de sa mère et lui sourit.

- Je comprends, je suis plutôt de son avis !

Même si elle se plaisait à coudre de beaux motifs sur ses robes, ces dernières restaient surtout fonctionnelles, aptes à rendre ses mouvements. Elle sourit à sa demande. C’était presque gagné et s’il elle n’avait pas totalement les moyens, elle lui ferait un prix.

- Bien sûr, vous avez un miroir juste ici.

Elle lui indiqua celui qui reposait près de la vitrine centrale sur une belle table en bois.

Tel un chat, Irène attendait le bon moment pour bondir avec ses arguments. Elle demeurait souriante, à l’écoute, observant le mouvement des mains d’Adèle. Elle lui rendit sa mine joyeuse puis l’observa se regarder dans le miroir. Elle hocha la tête, ravie de sa décision finale.

- Parfait ! Et ne vous en faites pas, je comprends que vos moyens soient encore limités, c’est normal quand on débute. Voilà pourquoi je ne vous en demanderai que quatre rilchs pour votre foulard.

C’était un sacrifice assez large sur le prix mais peut-être une cliente fidélisée, qui reviendrait, et achèterait progressivement bien assez pour lui rembourser la marge. Et puis, après tout, elle lui était bien sympathique.

Irène fut heureuse que son geste soit apprécié. Elle inclina la tête.

- Eh bien, c’est vraiment gentil ! J’espère vous revoir bientôt !

Elle prit les pièces puis inclina la tête.

- Eh bien je vous remercie et vous souhaite une bonne journée ! Ce fut un grand plaisir pour moi de vous rencontrer.