Rencontre dans le passé [Terminé]

La gentillesse de son ami à le porter ainsi sur son dos durant toute cette traversée de al ville émut fort Alexandre. C'était la première fois qu'on lui témoignait une telle faveur. Un noble, en plus ! L'aventure le grisait et lui faisait oublier tous les risques encourus. Le garçon se fiait entièrement à Ulysse.

Lorsque son compagnon le déposa près de ce campement, à l'abri dans un recoin discret, Alexandre capta les danses fantasques à la lueur des flammes et en fut fasciné. Quel incroyable spectacle ! Absolument fabuleux ! Il suivit avec férie les chorégraphies improvisées, les yeux émerveillés.

"C'est très beau, oui. Tu viens souvent ici ?"

Ulysse observait lui aussi le ballet improvisé avec le même enchanteur. Sa main toucha sans en avoir conscience celle d’Alexandre proche de la sienne.

Parfois. Cela dépend ce que je souhaite faire de mes sorties clandestines. Ce que j'aime surtout c'est découvrir le peuple, la vie, celle qui se cache derrière les murailles de nos châteaux protégés.

Son regard se voila en songeant à nouveau à l'ombre de son prochain enfermement dans ce sinistre collège. Ces sorties allaient devenir impossibles. d'une voix troublée, il murmura :

Dis, Alexandre, après l'été, tu voudras m'écrire ?

Alexandre profitait avec un véritable plaisir le spectacle des danses tout en savourant celui d'être avec son ami. Brusquement, la voix toujours si insouciante d'Ulysse se brisa. Il tourna la tête et s'étonna de le voir plongé dans une tristesse qui ne lui ressemblait pas.

"Bien sur que je t'écrirai si tu veux qu'on communique par lettres. Mais qu'as-tu ? Ulysse ? T'es tout pâle. Tu es malade ?"

L’inquiétude noua le ventre du jeune garçon. Que se passerait-il s'il devait avertir quelqu’un qu'un jeune noble était tombé malade en sa compagnie ?

La réponse d'Alexandre ramena le sourire à Ulysse.

Non. je vais bien. C'est juste... Dans quelques jours, on part à la campagne, dans notre autre résidence, se reposer des agitations de la capitale...

C'était du moins l'excuse officielle de ses parents. En réalité, de leur domaine retiré, le couple de Rottenberg dirigeait un habile réseau de huguenots et faisait donner de véritables messes.  Cette retraite constituait pour eux et leur famille de se consacrer à leur foi véritable en laissant tomber le masque la société les obligeait à arborer. Ulysse jugeait cette comédie ridicule. Lui n'arrivait pas à croire. Que ce soit celui des chrétiens, des protestants ou même des musulmans, ce Dieu ne lui inspirait ni respect ni crainte. Le ciel était vide de ces anges et autres créatures surnaturelles, comme il n’existait ni dragons, ni fées, ni sorcières. Tout cela ne constituait que du folklore. Les adultes n'étaient que des imbéciles qui continuaient de croire, comme des enfants crédules, à de belles fables. Il repoussa ces idées puis fixa Alexandre, peiné.

Là-bas, en Août, je fêterai mes quinze ans. Cela veut dire que j vais intégrer après l'été un collège où je suis inscrit depuis ma naissance. pour compléter mon instruction. Je vais enfermer plusieurs années durant. Sans permission peut-être. Alors... Alors tu m'écriras ? Lire tes lettres, connaitre encore la vraie par ta plume, par tes mots, ça me sauverait la vie !

Alexandre écouta la requête de son ami et ne put cependant s'empêcher d'éprouver une pointe de jalousie d'apprendre qu'Ulysse allait étudier dans quelques mois dans un collège. Quelle instruction importante ! Quels savoirs il allait détenir ! Il aurait rêvé de pouvoir y avoir accès lui aussi. Sin ami y possédait une place de part sa naissance et ne se rendait pas compte de la chance inestimable que cela représentait. Si seulement ils pouvaient échanger leur destin : Ulysse serait heureux à vivre une vie de roturier en apprenant pas à pas le contraignant métier de libraire pendant que lui évoluerait au sein de la noblesse, qui traiterait peut-être mieux son infirmité, et où surtout il pourrait étudier à loisir. La vie n'était vraiment pas juste.

Refoulant ces sentiments, Alexandre garda une oreille attentive et soucieuse pour Ulysse qui continuait à épancher ses craintes. sa main continuait à caresser avec tendresse la sienne.

"Bien sûr ! On est amis, pas vrai ? Alors je te raconterai tout dans mes lettres et pareil pour les tiennes ! C'est une promesse, d'accord ? Tu ne m'oublies pas !"

Son regard fixa le visage de son ami avec une anxiété terrible. Une fois dans ce collège, au milieu des siens, qui seraient certainement plus intéressant que le petit infirme roturier, Alexandre redoutait d'être oublié.

Ulysse serra fort la main de son ami au moment où lui celui-ci demanda de promettre de ne pas oublier de lui écrire. il lui adressa un sourire tendre et complice.

Bien sûr. Je te promets de t'écrire chaque semaine pour out te raconter de mon quotidien.

Il commençait à être tard. Les bohémiens éteignaient peu à peu leurs feux et allaient se coucher. Déçu, Ulysse conclut qu'ils devaient rentrer. Il poussa un long soupir puis se leva pour prendre Alexandre dans ses bras et le remettre sur son dos afin de retraverser la ville pour le ramener dans sa chambre.

Alexandre était déçu lui aussi que leur escapade doive déjà se terminer. Mais il fallait être prudent. Autrement, demain tous deux risquaient d'avoir le dos rouge. Héritier ou pas, noble ou pas, le père d'Ulysse pardonnerait difficilement la sortie clandestine de son fils, surtout s'il se faisait ramener par les soldats du guet. Au fil des rues, la fatigue eut peu à peu raison de l'enfant qui s'endormit comme une masse sur le dos de son ami.

Lorsque Ulysse revint à pas de loup devant la librairie Bellanger, il ralentit encore plus l'allure et attendit que passe la patrouille qui s'était arrêtée à ce moment pris devant le commerce. Il ne s'agirait pas d'être attrapé si près du but. L'adolescent patienta puis s'avança rapidement mais prudemment pour traverser la rue et s'engager dans la ruelle attenante au magasin.

Nous sommes chez toi.

S'étonnant de n'avoir aucune réponse, Ulysse tourna la tête vit que son ami dormait profondément au creux de son épaule. Un sourire flotta sur son visage. C'était vrai que la nuit était fort avancé et que les enfants avaient un besoin plus important de sommeil. il monta doucement à l'étager ramener son passager dans sa chambre. Dans la plus grande délicatesse, Ulysse le prit dans ses bras et l'étendit dans le lit. Il n'osa pas le déshabiller mais s'occupa quand même de retirer ses chaussures. Autrement, sa mère trouverait assurément cela suspect. Il le recouvrit de ses couvertures puis s 'attarda à jouer avec l'une de ses mèches .

Au moment de se retirer, une envie de pose un baiser sur le front le saisit.

Bonne nuit, mon bel ange. Au plaisir de te lire et te revoir bientôt.

Un sourire espiègle flottait sur son visage alors que la tristesse se lisait dans ses yeux. Il tourna le dos à son ami et quitta la chambre.

Plus deux mois s'étaient écoulés depuis cette sortie nocturne magique.

Alexandre continuait à travailler comme à l'accoutumée dans la librairie de son père. Vers la fin du mois d'août, un homme entra, la mine stupéfaite et s'avachit sur le comptoir. Le garçon, qui étudiait sur une table non loin, releva la tête. C'était un ami de son père. M. Bellanger observa l'homme, intrigué.

"Eh bien, Sylvain, qu'as-tu ? Une fille t'a sucé trop fort ?"

Le gloussement vulgaire du Bellanger fit lever les yeux d'Alexandre.

"Non, Romain, c'est... Tu connais la famille de Rottenberg, hein ? Ils sont tes clients, c'est ça ? T'as pas encore entendu la nouvelle ? Le jour de l'anniversaire de leur fils, Ulysse, je crois, c'est ça, non ?  Eh bien, y a eu un feu ! Un incendie ! Toute leur propriété ravagée  La famille, domestiques, esclaves.. Tout est passé... Y a que le gamin, Ulysse, on ne sait pas comment, mais il s'en est sorti.. Un vrai miracle !"

A la suite de ce terrible récit, Alexandre se sentit glacé. Ulysse.... Sa famille... Il se signa plusieurs fois et pria pour l'âme de ces malheureux. Ulysse... Comment pourrait-il le contacter ? Lui témoigner son amitié et ses condoléances ? il n'avait pas encore son adresse. Il ne devait lui écrire qu'une fois au collège. Vivement que des nouvelles de sa part lui parviennent...

Alexandre attendit de longues semaines mais aucune lettre ne vint. Jamais.