[le 15 septembre 1597] Poulet et brioche party [Terminé]

Lorsque Sylvère revint devant sa grotte, Hyriel l'attendait. Le roi marchait dynamiquement, et pour cause : il était heureux. Mais pourquoi ne le serait-il pas, au juste ? Ils allaient gagner cher, avec ce petit poulet. En arrivant, il se frotta les mains avec un immense sourire. Il avait hâte.

- Déjà là ? demanda-t-il.

Mais bon, au contraire, cela le réjouissait. Ce ne serait que plus rapide. Et plus ils seraient rapides, plus ils empocheraient rapidement la somme dûe.

- Tu ne devineras jamais ce qui se promenait dans la forêt, ce matin.

Il eut un sourire en repensant à sa rencontre avec Charlotte et Achille.

- Nous avons un nouveau colocataire, un petit génie des calculs. On le laisse se servir et en échange, il met à notre service ses chères petites cellules grises.

Il sortit la brioche qu'il avait rentrée dans sa poche, la déchira en deux et en jeta la moitié à Hyriel avec un sourire victorieux.

- Et cette merveille-là, ce sont les impôts qu'ils me devaient. Pour bien travailler, il faut avoir le ventre plein, n'est-ce pas ?

Il s'appuya contre l'arbre et, bout par bout, il engloutit toute sa part de la brioche. Décidément, elle était merveilleusement bonne. Quand il l'eut finie, il sauta dans le trou. Il s'agissait maintenant de sortir le poulet de son trou, ainsi que les déguisements. Il commença par le plus léger : les vêtements.

Puis, ce fut le tour du poulet et à force, et avec l'aide d'Hyriel, ils finirent par réussir à le sortir. Ficelé comme un saucisson.

C'était qu'il était lourd, cet idiot !

Une fois de retour à la surface, il retira son manteau et le jeta nonchalamment plus loin, parce qu'il n'allait pas en avoir besoin, avant de se tourner avec un sourire vers Hyriel pour lui demander :  

- Prêt ? Il va nous falloir de nouveaux noms, et une histoire crédible...

Sylvère ne répondit pas immédiatement. Il prit le temps de finir sa brioche avant, puis enfin, il expliqua :

- Oh, il connaît beaucoup de choses. Mais le mieux...

La simple idée de ce qu'il allait dire lui tira un sourire. Oh oui, il entrevoyait déjà toutes les possibilités s'il détenait ces informations-là ! Et il ne doutait pas qu'Hyriel saurait voir tous les avantages, lui aussi.

- ... le mieux, c'est qu'il est capable de calculer les heures de passage des tours de gardes. Ça, ça veut dire qu'on pourra passer les sentinelles sans se faire voir.

Tandis que son complice s'assurait que leur proie dormait toujours profondément, Sylvère en profita pour aller chercher les affaires d'Ulysse, qu'il avait laissées dans la grotte. Après tout, si ce poulet était celui qu'il prétendait, il devait bien avoir quelques objects de valeur quelque part. Il remonta le tout, et il fouilla. Sac par sac, avec minutie. Il en était au sac des sucreries - celui dans lequel il n'aurait jamais imaginé trouver quelque chose - quand sa main rencontra... quelque chose.

Son visage s'illumina, il s'arrêta une seconde, puis referma sa main dessus. Ce fut quasiment religieusement qu'il le sortit du sac, avec une expression victorieuse. Il ne put retenir un petit rire et il releva des yeux brillant de convoitise vers Hyriel.

- Regarde un peu ! Il n'est même pas livré et il rapporte déjà ...

Pour illustrer ses propos, il jeta la bourse qu'il tenait à Hyriel, pour le laisser constater par lui-même la jolie fortune qu'il venait de trouver. Sylvère se releva, jubilant. Il était si heureux qu'il en oublia même de relever qu'Hyriel venait de le comparer à une petite princesse de la forêt.

Sylvia et Hyacinthe. C'était parfait. Personne n'arriverait à voir en travers du déguisement. Quant à leur histoire... Urbain valait son pesant d'or, et étant donné à quel point il était lourd, ce n'était pas peu dire !

-  Qu'en dis-tu, ma tendre épouse ?

Sylvère eut une grimace - parce que plus les minutes passaient, plus il se disait qu'il s'était effectivement fait avoir - mais il rentra malgré tout dans son jeu.

- C'est parfait, mon cher mari.

Il réfléchit durant une seconde, attrapa la robe. Il n'en avait encore jamais mis, et il devait bien reconnaître qu'il ne savait pas vraiment par quel bout ça s'enfilait. Il soupira, la roula en boule et déclara en s'éloignant :

- Je reviens. On ne regarde pas une dame se changer.


Lorsqu'il revient, presque un quart d'heure plus tard, il était changé et préparé. Il n'aurait jamais cru qu'une simple robe soit si dure à enfiler ! Tous ces froufrous ! On ne savait même pas où étaient les manches ! Ça lui avait pris du temps, mais il avait fini par y réussir. Parce que non, il ne se serait certainement pas abaissé à demander de l'aide à Hyriel !

En arrivant, il tourna sur lui-même et demanda, en s'inclinant :

- Alors ? je fais une épouse crédible ?

Il revint face à lui avec un sourire carnassier. La perspective du plan qu'ils allaient mettre en place le réjouissait plus que jamais.

Il n'y avait plus qu'à y aller, désormais. Et il avait terriblement hâte.

Hyriel s'était allongé dans l'herbe pour l'attendre. Au moins eut-il la bienséance de ne faire aucune réfléxion sur le temps qu'il avait mis à enfiler cette maudite robe, mais peut-être était-ce tout simplement qu'il n'y avait pas pensé car ni une ni deux, il lui lançait un sympatique : vous êtes tout à fait ravissante.

Sylvère hésita une seconde entre le sourire carnassier et la grimace. Sourire carnassier parce qu'il aimait particulièrement ce qui allait se passer à partir de maintenant. Grimace parce que plus les secondes s'écoulaient, plus il avait l'impression que ce déguisement était une énorme arnaque.

Le rire d'Hyriel ne faisait que le confirmer. Sylvère se décida enfin pour la grimace et il grogna quelque d'inintelligible. C'était vrai que pour sa voix, on avait vu des épouses plus féminines que lui.

- Tu auras qu'à parler à ma place.

Il n'y avait pas vraiment le choix, de toute manière. Il n'aimait pas vraiment cela mais pour être parfaite, leur couverture ne devait souffrir d'aucun défaut.

- On aura qu'à dire que je suis muette, voilà.

Il s'approcha de Urbain et se pencha.

- Comment est-ce qu'on fait pour le transporter ? Après tout, tu n'es pas capable de le soulever, et une charmante épouse ne peut décemment pas porter de lourdes charges...

Et finalement, au vu du poids que faisait le poussin, cela l'arrangeait bien.

Porter le poulet jusque chez Hyriel ? Eh bien, de toute manière, ce n'était pas vraiment comme s'il avait le choix ! Il hocha la tête simplement. Il avait déjà mal au dos, rien qu'à l'idée de soulever la bête. Mais soit. Vu ce qu'il avait déjà rapporté, tout cela valait le coup.

Tant d'argent !

Avant de prendre le poulet sur ses épaules, il prit la bourse qu'il avait trouvée, la mit dans la poche de son manteau et jeta le tout - manteaux et sacs - dans la grotte. Il ne s'agissait pas de se faire voler toutes ces merveilles pendant qu'ils étaient en livraison...

Puis, tandis que partant devant, Hyriel prenait le chemin de chez lui, Sylvère s'accroupit, passa Urbain sur ses épaules et se redressa. S'il n'avait pas craint de l'abîmer et que la marchandise perde de sa valeur par la même occasion, il l'aurait volontiers traîné par terre - et sans état d'âme. C'était qu'il était vraiment lourd ! Au moins, ils étaient sûrs qu'il dormait profondément, comme ça. Sylvère avait l'impression de transporter un cadavre.

Il rejoignit Hyriel, un brin bougon, et il ne décrocha pas un mot de tout le chemin.

Il ne fut jamais aussi heureux d'arriver à destination. Il largua le poulet par terre, comme on le fait d'un sac à patates, et la tête de ce dernier heurta le mur. Sylvère ne s'en soucia pas et il roula des épaules pour les défaire des tensions qui y étaient nées. Poulet de malheur !

Et Hyriel qui était quasiment hilare à côté de lui... Ce n'était pas lui qui était engoncé sous des tonnes de tissu et qui venait de porter le paquet pendant un quart d'heure. Il siffla quelque chose entre ses dents et grogna plus audiblement en faisant un geste vers la porte :

- Allez, dépêche-toi qu'on en parle plus, au lieu de te moquer de moi.