[6 Septembre 1597] la cellule [Terminé]

Des décennies plus tôt, du temps de l'ancien prêtre de Saint-Eustache auquel avait ensuite succédé, une petite partie de l'église avait été aménagé pour accueillir les pèlerins s'arrêtant pour demander l'hospitalité. Rien de très luxueux mais au moins très confortable par rapport à une nuit passée à la belle étoile. Trois lits de paille étaient alignés contre la paroi de la petite pièce. L'un d'eux avait été fait et plusieurs couvertures le chevauchaient. Il était également entouré de chaque côté par un brasero que le père Thierry avait bien allumé au matin avant de partir précipitamment.
En pénétrant dans la cellule, Thierry apprécia l'air chaud et espéra que l’atmosphère sautait guérir son fils. Il le déposa dans le lit et l'enfouit sous les couvertures. Sa main se posa sur son front. le garçon était bouillant.


"Merde ! Merde ! Il a besoin d'un médecin ! Mais où est celui que cette idiote devait envoyer ?"

Thierry paniquait. devait-il aller en chercher un lui-même. mais en absence, qui veillerait Alexandre ? il ne pouvait ni le laisser seul ni sans soin. Près d'un mouvement de colère, il tapa dans un mur.

En arrivant dans la rue qui donnait sur l'arrière de l'église, le docteur put entendre le remue-ménage d'un homme qui s'énervait tout seul. Il toqua avec anxiété, étonna d'une telle humeur dans la maison de Dieu, et quand la porte se sera ouverte, Armand s'engagea :


-- Bonjour, mon Père. Mademoiselle de Monthoux m'a demandé de venir ici. J'ai fait au plus vite. Que puis-je pour v...


Il s'interrompit en voyant, allongé derrière le prêtre, au fond de la cellule, le jeune homme qui venait de passer douze heures attaché au pilori de la ville. Ainsi, c'était pour cet infirme qu'on l'avait envoyé ? Le docteur ne posa pas de question déplacée. Il devait simplement faire son travail.

Thierry sursauta en entendant le bruit derrière lui. Il se retourna, le visage livide, et découvrit le médecin avec un véritable soulagement. Le prêtre s'obligea à se calmer, passant la main dans la tignasse d'Alexandre. Le garçon irait bien. le docteur allait le soigner et tout irait bien.

Du bout des lèvres, il bredouilla :

"Dieu merci, vous voilà, je commençais à désespérer. Vous pouvez le guérir, n'est-ce pas ?"

Le médecin prit une chaise et s'installa près du malade. Il se concentra. Nul besoin ne se fit de sortir quelque appareil un peu sophistiqué pour se rendre compte que le jeune homme était bouillant de fièvre. Le docteur grimaça. Celui-ci était particulièrement fragile, pour être tombé si salement malade après une simple exposition.
Il écouta sa respiration, qu'il découvrit plus que compliquée. Le cœur quant à lui battait tantôt trop fort, tantôt pas assez. Le malade n'était même pas conscient.


-- Je crois que nous avons affaire à une bonne fièvre-tierce. Le froid. Et d'avoir été immobilisé autant de temps, ses muscles me semblent aussi bien contractés. (Un temps) Je peux soigner cela, sans doute.


Il ouvrit sa mallette, qui contenait les médications de base pour ce genre de fièvres classiques. Une petite fiole contenait une poudre à prendre deux fois par jour. Il y avait aussi des compresses à imbiber d'eau bien chaude pour détendre les douleurs. Le médecin donna ses recommandations et acheva par un :


-- Il lui faudra surtout de la chaleur, comme celles de bonnes couvertures, et beaucoup de repos.

Thierry suivit avec beaucoup d'attention les gestes du médecin et écouta la moindre de ses paroles. Il n'aimait pas cependant cet air supérieur arboré devant le corps fragile de son patient. Malgré la mauvaise humeur qui le gagnait, il prit sur lui et lui répondit d'un ton des plus aimables :

"Merci beaucoup, docteur. Vous avez été d'une grande aide.

Quand le médecin se retira, Thierry alla chercher une nouvelle couverture pour la rajouter sur toutes celles déjà accumulées sur Alexandre. Il appela ensuite une des servantes qui œuvraient dans l'église pour lui expliquer le traitement et lui imposer de toujours demeurer près du garçon.

"Il doit toujours avoir quelqu'un pour le veiller et le soigner. Toujours."

Sa voix était sèche. La vieille femme opina de la tête, désireuse de ne pas le contrarier.

Claire-Marie se réjouissait qu'ils manquent de farine. Moins que l'esclave qui avait fait tomber le pot contenant la précieuse poudre blanche se fasse très sévèrement punir. Mais au moins, cela lui donnait une excuse pour sortir. Elle avait très vite fait sa course pour se rendre là où elle souhaitait vraiment aller.

Crépuscule semblait bien connaître le chemin. Claire trouva une pierre froide sous ses doigts et toqua timidement à la porte.

- Bonjour ? Je suis Claire-Marie, je viens prendre des nouvelles d'Alexandre.

Lorsque Claire pénétra dans la salle, la vieille servante appliquait une serviette chaude sur le front d'Alexandre toujours inconscient. elle ne l'entendit donc pas. En se retournant, elle sursauta, surprise de l'apparition subite de la jeune fille. Son regard se posa sur les yeux de la jeune fille et son visage se crispa, exprima un dégoût clair.

"Eh bien, cette église va finir par ressembler à une vraie cour des miracles ! Que fais-tu là, toi ? Tu es venue mendier ?"

La vieille femme passa la main dans ses poches, cherchant une pièce et finit par en trouver un peu d'une valeur peu importante. Elle la lança aux pieds de l'aveugle.

"File maintenant et laisse-nous tranquille ! Les gens honnêtes travaillent, tu ne le vois pas ?"

Claire eut l'impression d'entrer dans un four. Il faisait si chaud... mais rien de plus normal pour un malade.

- Non madame, loin de là...

Elle ne put achever sa phrase avant qu'on lui jette quelque chose. Elle resta un moment interloquée. Une partie d'elle souhaitait de tout coeur fuir. Mais elle voulait savoir s'il allait bien.

- Je... je suis l'esclave des Monthoux. Je crois que le père... Thierry me connait. Je voulais simplement prendre des nouvelles d'Alexandre. Je l'ai aidé hier soir mais je voulais m'assurer qu'il aille bien.

A la mention du mot esclave, le visage la servante se renfrogna davantage et fit montre d'un dégoût encore plus prononcé. Le père Thierry en compagnie d'une telle créature ? Quelle audace ! Elle se saisit du balai posé non loin de là et s'apprêta à donner quelques coups à la jeune aveugle.

"Impudente ! Comme si tu..."

Au même moment, Thierry arriva dans cette direction, attiré par les éclats de voix. Sa première pensée avait été pour Alexandre, craignant que du désrdre ne trouble son repos et donc sa convalescence. En s'approchant, il reconnut le timbre de Claire et sourit de constater que les liens forgées entre elle et son fils étaient déjà si solides. Une colère froide l’envahit ensuite en découvrant la scène. Cette servante, censée être sous ses ordres, pensait pour lui ? Elle allait apprendre sa place !
D'un ton glacial, il intervint :

"Cette jeune fille est effectivement une de mes amies et donc sous ma protection."

Thierry posa en même temps la main sur l'épaule de l'aveugle. La servante bégaya, lâchant vite le balai qui tomba au sol.

"Pardon, mon père, je..."

Il poursuivit sur le même ton :

"Ceci est une église et j'y accueille tous ceux qui veulent y entrer, quelque soit leurs conditions, leurs classes sociales. Seules les mauvaises intentions sont repoussées. par conséquent, disparaissez !"

Terrifiée, la servante prit vite la fuite sans demander son reste. Thierry esquissa un sourire de triomphe puis se tourna vers Claire. D'une voix plus aimable, il demanda :

"Tout va bien ?"

Lorsqu'elle entend la servante prendre le balais, instinctivement Claire recule et se protège de son bras. Cependant, elle sent une main douce venir se poser sur son épaule. Le père Thierry devine-t-elle. Elle frissonne en sentant la colère envers sa servante mais tâche de se dire que ce n'est pas dirigé contre elle.

La servante finit par décamper. Claire reste les mains jointes, encore un peu sonnée mais détend quelque peu les épaules.

- Je... je vais bien. Et Alexandre ?

Thierry laissa le temps à la jeune file de se remettre de ses émotions et 'éloigna vers le lit où reposait Alexandre. Sa main souleva la compresse sa tête et en tâta le front. Il sourit, satisfait. La fièvre baissait ! Son cœur en bondissait de joie dans sa poitrine.
A la question de la petite aveugle, il répondit :

"Il se remet doucement, oui. Sa fièvre aura bientôt disparu. seuls ses muscles auront besoin de beaucoup de repos. Il est... si faible. mais je suis certain qu'il se rétablira correctement. Il est solide !"

Claire-Marie soupira de soulagement.

- Je suis rassurée alors. J'étais certaine que le médecin de notre maîtresse pourrait l'aider.

Comme pour le confirmer, Claire entrevit quelque chose. Alexandre, de nouveau dans les rues, plus en forme que jamais. Elle resta un instant, le regard dans le vide, avant de secouer la tête, consciente que désormais elle ne pouvait plus faire ça en public.

Aux dires de la jeune fille, Thierry se rappela du médecin de sa maitresse et songea que ce serait bon ton de la remercier. Il fallait garder de bonnes relations avec cette famille, qui plus est il était satisfait de cette offre-là.

"Vous penserez d'ailleurs à remercier comme il se doit votre maitresse, en mon nom, pour le médecin. Un vrai don du Ciel ! Sinon.. Désirerez-vous le veiller un peu ? "

- Oui bien sûr, j'en informerai ma maîtresse.

Lorsqu'il lui propose de le veiller, elle songe qu'elle a sans doute du temps, tant elle a été rapide. Elle hoche alors la tête, cherchant une chaise de la main. Elle finit par la trouver quand Crépuscule saute dessus et miaule pour la lui indiquer. Elle s'assoit et prend la main d'Alexandre qu'elle trouve sur le drap. Elle lui envoie autant d'énergie que possible.

Préférant laisser cette jeunesse seule, Thierry quitta la cellule, un bref sourire aux lèvres, repartant ailleurs dans l'église. Il devait notamment s'occuper de recevoir les ennuyeux fidèles venus en confession aujourd'hui. L'ennui le gagnait déjà.

"Je reviendrai tout à l'heure."

Claire hocha la tête. Elle entendit le prêtre sortir. Elle sourit, sentant elle aussi la respiration d'Alexandre se faire plus régulière.

Une petite heure après que le prêtre soit sorti, Alexandre sortit pour la première fois de l'inconscience. La tête lui tournait un peu. il se sentait pris au milieu d'une forte brume. Il avait chaud, terriblement chaud. De la sueur se dégageait de tous ses pores. il battit péniblement les paupières mais sa vision ne lui revint pas. Tout restait flou. Les formes, les images, les couleurs... Quant à ses muscles, il le tiraient si fort. Son organisme entier n'était qu'une vive douleur. Sa gorge surtout le brûlait. Il avait soif.

"A..."

Les mots se perdaient dans sa bouche, incapables de franchir les lèvres. Il n'était pas plis capable de relever la tête et de chercher si quelqu'un serait proche ou non. Il fit un violent pour sortir le son principal de sa demande.

"eau... eau... eau..."

C'étaient des sons plaintifs, proches de ceux qu'émettraient une bête agonisante.

Claire n'avait pas vu le temps passer. Elle se contentait des caresses de Crépuscule et de la douceur du soleil par la fenêtre. Elle entendait aussi distraitement les bruits de l'église. Mais tout à coup, elle sentit Alexandre bouger. Elle se rapprocha du lit.

- Alexandre ? Tu es en sécurité, ne t'en fais pas. Je ne sais pas si tu te souviens de moi...

Au vu de son état, sans doute pas... Elle se leva lorsqu'il réclama de l'eau. Crépuscule fut le plus rapide et le trouva dans un coin de la pièce. Avec beaucoup de précaution, Claire rempli un verre juste à la moitié puis se rapprocha du lit. Elle entreprit de redresser un peu Alexandre puis porta le verre à ses lèvres, très doucement.

La voix qui résonnait à ses oreilles lui était familière. Alexandre ne se rappelait pas à qui elle appartenait mais il savait la connaitre. Ses paupières battirent un peu plus fort et la vue lui revint un peu mieux mais sans réussir à être réellement nette. Il l'entendit l'appeler par son nom. Ses oreilles prêtèrent attention à l'intonation, à la manière de prononcer chaque mot, mais sa mémoire bloqua toujours.
Peu après, la personne s'éloigna mais revint assez vite pour l'aider à se redresser puis à boire. Lorsque son menton toucha le petit bac d'eau que sa langue lapa avidement l'eau contenue dans le récipient, les souvenirs lui revinrent immédiatement. C'était flou mais il voyait précisément une jeune aveugle lui porter de l'eau à lui accroché au supplice. Il ouvrit ses yeux qui distinguaient mal cette frêle silhouette et lui sourit.

"Merci..."

Claire-Marie sourit aussi. Il avait l'air d'aller bien mieux.

- De rien. Est-ce que... ça va ?

Mieux... Le mot résonna dans son esprit comme une ironie. il se sentait plus détruit. Sa bouche elle-même avait encore du mal à s'exprimer.

"Pas... terrible. J'ai mal... partout. Et il fait chaud... Chaud... Tu es... Tu m'as donné l'eau sur la place ? Je suis... chez toi ? Tu... Tu es qui ?"

On frappa timidement à la porte de la petite cellule à l'arrière de l'église. Tristan se doutait que Thierry aurait déposé le malheureux ici, après être allé le récupérer au pilori. Lui-même revenait du château des Monthoux et, après avoir dansé et mendié quelques heures dans les rues, comme il avait gagné assez de sous, il s'était décidé à aller prendre des nouvelles d'Alexandre.

- Oh oui pardon, tu dois être perdu.

Elle se recula un peu dans le souci de lui laisser de l'air.

- Oui c'était moi. C'est le père Thierry qui t'a ramené dans son église et un médecin est passé te voir. Oh c'est vrai, je ne me suis pas présentée ; je suis Claire-Marie, je travaille chez les Monthoux.

Claire entendit alors une porte grincer.

- Qui est là ?

-- C'est Tristan, répondit la petite voix du garçon, reconnaissant le timbre clair de l'esclave aveugle. J'viens prendre des nouvelles d'Alexandre... Y est bien là ?


Claire n'était donc pas à travailler au château ? Elle avait fait vite pour venir au chevet du malade ! Pourvu qu'elle ne risque pas une nouvelle fois les foudres de sa contremaître...

Claire détendit aussitôt les épaules. Crépuscule aussi parut ravi de revoir son compagnon félin, tant qu'il sauta des genoux de sa maîtresse pour venir se frotter contre Tristan.

- Oh, c'est toi. Oui, il est ici avec moi et tu as de la chance, il viens de se réveiller.