[23 Novembre 1597] Le Cupidon triste [Terminé]

Depuis son escapade au marché où elle l'avait vu, elle passait désormais son temps de les jardins. Les arbres ne lui inspiraient plus de tristesse mais désormais une profonde force. Elle avait beau lui en vouloir de se mettre en danger rien n'avait été plus beau que de le revoir et de l'entendre. Elle aurait pu l'écouter parler des heures encore, juste pour savoir qu'il était là, tout près d'elle. Elle avait bu et gravé chacune de ses paroles. Chaque feuille lui rappelait son Roi.  Dix jours... C'était si long et pourtant si court...
Elle s'était promise qu'elle retournerai le voir le mois prochain prétextant encore un pèlerinage. Car avec un prêtre comme lui, elle allait devenir très pieuse. Elle sourit candidement et poussa la porte de sa chambre.

Elle aperçut Cassandre et son coeur bondit de joie à l'idée d'avoir un message de Sylvère mais elle ravala bien vite sa félicité en constatant qu'elle pleurait.

Son cœur s'arrêta net.
lui était-il arrivé malheur ?

Elle se précipita à ses côtés, oubliant de fermer la porte, pour la serrer dans ses bras.
Et si on l'avait capturé ? Et si... S'il était... Mort?

Elle serra fort dans ses bras afin de la calmer jusqu'à trouver le courage de lui poser la question fatidique :

- Il... Il... Lui est arrivé malheur?

Était-on en train de les punir pour leur pêché?  De la punir pour l'aimer infiniment plus que son indifférent mari porcin?

Cassandre continuait de sangloter et ses yeux étaient devenus tout rouges d’avoir tant pleuré. Perdue dans ses tourments, elle n'entendit pas la porte s'ouvrir et ne perçut pas tout de suite des bras la serrer. La fillette finit par se redresser et se blottit dans l'étreinte que lui offrait Kalisha. Elle reniflait toujours. Puis, sa faute lui revenait. Elle sentait horrible de profiter de la gentillesse de la princesse alors qu'elle avait mise tout le monde en danger.

"Je..."

Elle s'écarta et baissa la tête.

"Non, Sylvère av bien. Pour le moment. Mais..."


Un autre torrent de larmes vint encore.

"Un esclave qui est avec moi chez Dame Irène.. il nous a dénoncé. Et il a fait des dessins. Des dessins plus que ressemblants de Sylvère et Hyriel. Au baron de Frenn. Le Premier Conseiller.. Ils..."

Les mots se mélangeaient en elle et prit son visage entre ses mains, secouée par les pleurs.

"C'est ma faute... Si j'avais pas embêter Alexandre, si j'avais été gentille avec lui, si j'avais au moins fait l'effort de jouer à être gentille avec lui, il n'aurait rien soupçonné... c'est ma faute;"

Kalisha emmagasina les informations qui lui parvenait hachées par les larmes de la petite Cassandre.

Sylvère allait bien. Pour le moment.

Cette phrase ne la rassura qu'à moitié.  Et la boule qui s'était formé dans ses entrailles continuait de prendre de l'ampleur.

Le premier Conseiller avait fait refaire des portraits plus ressemblants. Mais pourquoi? Ce n'était certainement pas uniquement pour des histoire d'enfants....

Elle tapota le dos de la fillette afin de la calmer.

- Ce n'est pas de ta faute d'accord? Je suis sûr que ça aurait fini par arriver d'une façon ou d'une autre. Le baron de Frenn n'aurait jamais fait refaire les portraits juste pour cette raison d'accord?

Bon il y avait bien l'histoire de l'usurpateur mais cela datait désormais... Même son cadavre venait d'être retiré des murailles si l'on en croyait les dire des uns et des autres alors pourquoi maintenant ?

Elle serra sa petite sœur d'adoption dans ses bras et la berça lentement.

- On ne peut jamais prévoir ce qu'il adviendra. Mais il faut voir le côté positif : nous avons la chance de l'avoir appris à temps.

Elle essuya les larmes de Cassandre et la regarda d'un air déterminé:

- Il ne lui arrivera rien je te le promets. Je ne laisserai jamais quiconque lui faire du mal. Tu m'entends ? Jamais..

Elle se leva, ferma la porte et commença à arpenter silencieusement la pièce d'un pas empressé.

Une idée. Une idée. Il fallait une idée...

Elle pourrait parler au baron, plaider leur cas mais... Il faudrait déjà les mettre hors de portée de la maréchaussée.
Il fallait qu'ils quittent la forêt... A cette pensée son cœur se serra : Ysengrin serait si triste d'être loin de ses arbres...

Elle marcha encore, encore et encore. Jusqu'à s'arrêtait d'un coup. C'était une idée absolument folle. Une idée digne de Sylvère.

- Tu sais quoi?! On va cacher Sylvère et Hyriel, ici! A Monthoux ! Personne ne viendra les chercher ici! lança-t-elle pleine d'entrain

Cassandre cessa peu à peu de pleurer et se reprit même si la douleur de la culpabilité continuait à l’étreindre. Ce sentiment persisterait certainement un long moment. Mais il fallait revenir à la lucidité. Penser aux choses efficaces, à celles qu'on pouvait encore faire. Elle écouta Kalisha qui essayait de la consoler et soupira.

"Non... Alexandre... Il m'a soupçonné de faire des choses en forêt, d'aller voir mon grand frère... Il est allé voir le baron pour me dénoncer la première. De là, le baron s'est rappelé que ce fils de troll véreux savait dessiner. alors il a profité de as présence pour lui demander de dessiner d'après les informations qu'il a récolté sur les livreurs du poulet."

Elle marqua une pause en songeant que Kalisha n'était sans doute pas informée de cette histoire.

"Tu as entendu parler du gars qui s'est passé pour le duc de Rottenberg, pas vrai ? Il a eu des gros ennuis avec le barn puis s'est enfui. Sauf que dans sa fuite, il est tombé sur Sylvère. Et Sylvère, il l'a bien plumé, le poulet ! En plus, c'était devenu un poulet complètement stupide ! Il a livré tout ce que Sylvère avait besoin ! Lui et Hyriel ils l'ont endormi puis ont monté une opération pour livrer ce fameux poulet. Et le baron il n'a rien vu ! Il leur a même offert 10 000 rilchs avec les félicitations de l'empire ? Ah, elle est belle la noblesse de Monbrina !"

Au souvenir de ce récit conté par Sylvère, Cassandre avait retrouvé le sourire. Sourire qui disparut cependant vite, remplacé par son sérieux.

"Mais le baron a compris. Et il veut se venger d'avoir été dupé. C'est clair."

Kalisha la reprenait dans les bras et s'efforçait de al réconforter. Ses mots étaient gentils mais la réalité étouffante de ce pays si prompt à briser les gens revenait l'assaillir. Et si elle se trompait ? Et si rien ne pouvait être sauvé ? Elle préféra se taire. cela ne servait à rien de communiquer ses angoisses.

Sa grande sœur s'écarta pour fermer la porte de sa chambre puis se mit à arpenter furieusement la pièce. Une idée sembla lui venir. Elle paraissait contente de ça. Mais Cassandre en fut remplie d'effroi. Elle bégaya :

"Sylvère... Hyriel.. ici ? Mais... Mais c'est de al folie ! Tu m'as écouté ? En ville y a déjà des affiches d'eux ! On va les reconnaitre ! Et Hyriel, avec ses béquilles, tu comptes le mettre où ? Dans la cave ? Et tu vas cacher Sylvère sous ton lit après ?"

Cassandre, effondrée, prit son visage entre ses mains. La situation était de toute façon désespérée. Où pourrait aller Sylvère et Hyriel ? Ici ou ailleurs, ils finiraient tôt ou tard par être pris. Tout était perdu. Son cœur se serra à nouveau et la culpabilité revenait la mordre. Tout ça, c'était sa faute.

Cassandre lui expliqua d'où venait la fureur du baron. C'était un homme droit et juste, elle comprenait aisément qu'il ait pu se sentir honteux à l'idée d'avoir laissé repartir le brigand le plus recherché et un hérétique... Ce n'était sans doute même pas vraiment après les deux hommes qu'il en avait réellement mais plus à l'image qu'ils incarnaient. Elle secoua lentement la tête. Tout cela n'était vraiment, vraiment pas bon pour eux...
Elle avait beau l'apprécier et il ne reculerait devant rien pour mettre la main sur eux. Et l'histoire perdait instantanément de son côté amusant lorsque l'on songeait aux conséquences.

La princesse étrangère arpenta de long en large sa chambre jusqu'à pouvoir enfin trouver une idée. Une idée qu'elle trouvait absolument formidable mais la fillette ne partageait pas son enthousiasme... Kali afficha un sourire amusé, c'est vrai son idée était si folle qu'elle aurait pu sortir de la tête même de Sylvère, mais c'était bien parce que ce plan était improbable qu'il allait fonctionner. De tout façon, il n'y avait pas d'autres solutions et l'excentricité de celle-ci les protégèreait à coup sûr.
En espérant qu'ils se tiennent tous deux tranquilles.

- Tu as tout compris! Je vais le cacher sous mon lit! On va le déguiser. Il sera ma nouvelle Dame de Compagnie qu'en dis-tu? Et puis comme ça je pourrais le surveiller, elle lui fit un clin d'oeil avant de reprendre Hyriel sera notre nouveau serviteur. Mon mari déteste les infirmes mais ce n'est pas le cas de ma belle-fille, je suis sûr qu'elle appuiera mon choix de faire acte de charité en le recueillant au domaine. Et puis les nobles font tout un flan des infirmes. Tu aurais du voir à mon mariage, ce que cet enfant de chœur en béquilles à pu faire couler de salive. Même le Roi s'en est mêlé, tu t'imagines? Enfin ce n'est pas le sujet mais une fois rendus méconnaissables, ils seront ici en sécurité tant qu'ils ne feront rien qui puissent les compromettre. Qui iraient chercher des brigands chez une famille respectable de la noblesse monbrinienne?

Elle en était persuadée, c'était là la meilleure option à leur disposition.  Il n'y en avait pas d'autres de toute façon. Le baron de Frenn allait retourner Braktenn comme un fourmilier. Lorsque le moment serait venu, elle irait plaider leur cas et tenter de lui faire passer l'éponge mais à l'heure actuelle, il devait être bien trop aveuglé par sa colère pour entendre ses arguments si pragmatiques.

Cassandre demeurait assise dans le grand lit et suivait Kalisha d'un regard désespéré son raisonnement. Elle ne savait pas quoi penser. Tout ça lui paraissait fou. Complètement fou. Dans un sens, ça pouvait marcher. Sylvère savait très bien se déguise et improviser. Il l'avait bien prouvé hier dans le rôle du curé. Les infirmes étaient plus que mal vu mais sous couvert de charité ça pouvait passer aussi. Deux hors-la-loi recherchés par les gens d'armes... personne effectivement ne pourrait les soupçonner de se cacher au sein de la noblesse. C'était au-delà de toute logique.

Elle soupira, se laissant vaincre.

"D'accord. C'est assez idiot pour que ça fonctionne."

Elle songea alors à ce fameux poule qui avait usurpé dix ans une place au sein de la noblesse.

"Et puis, le poulet avait su faire illusion lui aussi. Le baron lui a parlé plus d'une fois et n'a pas compris de tout de suite. Seulement quand un serviteur du domaine de Rottenberg a parlé. alors... Alors la noblesse de Monbrian a l'air plutôt bien stupide pour se laisser duper."

Là-dessus, elle soupira.

"Je sens que j'ai pas fini de prier, moi."

Cassandre n’avait pas l’air convaincu par le bien fondé de son idée… Certes elle était à première vue un peu folle mais pourtant c’était parfaitement logique et sûr. Elle lui laissa le temps d’y réfléchir. Au fond, le plus dur n’était pas de cacher Sylvère qui saurait parfaitement s’en tenir à son rôle tant qu’il ne croiserait pas son marin. Elle s’inquiétait plus pour Hyriel… Car on aurait tôt fait de faire le lien avec ses béquilles et on ne pourrait malheureusement pas faire grand-chose pour les dissimuler. Toutefois, il devait sans doute être capable de se teindre les cheveux ou tout autre idée du genre. Du moins, l’espérait-elle.
Kalisha étouffa un petit rire à la remarque de la fillette. Qu’un zakrotien est pu se faire passer pour un noble monbrinien était réellement fou quand on y pensait. Elle-même avait déjà eu du mal à se faire à cette vie et on racontait que Zakros était nettement plus archaïque que Djerdan ou Monbrina.

- Je crois surtout qu’ils sont trop occupés à regarder leur nombril et commenter leur toilette pour voir ce qu’il se trame sous leur nez. Ils se sentent si intouchables et si grands qu’ils en oublient ce qui vivent pour eux.

Etait-elle pareil ? Elle espérait bien que non. Elle aurait sans doute dû le devenir mais malgré tous ses efforts, elle n’avait jamais vraiment réussi à s’intégrer. Elle était restée la Princesse étrangère, épouse du Comte de Monthoux et non la Comtesse de Monthoux. Les derniers évènements n’avaient rien arrangé au mieux on la regardait avec pitié, la plupart du temps on se contentait de l’éviter.
Elle embrassa le front soucieux de sa petite sœur et la rassura.

- Je vais aller faire atteler un cheval pour que l’on puisse les ramener dès demain, d’accord ? Mieux vaut ne pas perdre de temps. Une fois à Monthoux, ce sera à moi d’être convaincante.

La chasse aux renards était ouverte et le baron était bien décidé à trouver ceux qui avait osé plumer le poulet. La forêt serait ratissée de long en large, et le peu qu’elle connaissait du baron de Frenn suffisait pour l’assurer sur la méticulosité avec laquelle il s’y emploierait.

A la réponse de Kalisha, Cassandre ne put s'empêcher de pousser un long soupir. Ils étaient bien idiots tous ces nobles, comme elle l'avait toujours pensé. Son esprit songea à Sylvère et Hyriel. Elles devaient les protéger. Ou sinon... Sinon ils étaient morts. Par sa faute. Il n'empêchait, heureusement que Eldred avait pu surprendre toute la conversation sinon ils auraient vraiment très mal. Plongée dans ces ruminations, Cassandre ne se sentit pas la princesse s'avancer vers elle et sursauta quand celle-ci déposa un baiser tendre sur son ventre.

Immédiatement, ses bras se resserrèrent autour de la taille de Kalisha et elle murmura :

"Je t'aime, grande sœur. Je te fais confiance."

Elle s'écarta vite. Il fallait s'éclipser et la laisser agir à sa guise.

"Je te laisse gérer. moi, de toute façon, je reste un peu en vile régler de petites choses puis je retournerai en forêt. J'ai pas confiance en Sylvère. Je lui ait dit d'être prudent mais je sens qu'il va pas pouvoir s'empêcher de faire une dernière bêtise. "

A cette idée d'avoir laissé seul son grand frère en forêt où il pourrait afire n'importe quoi, son ventre se tordait. Elle devait y retourner au plus vite et veiller à ce qu'il ne fasse rien de dangereux jusqu'au moment où Kalisha vienne le chercher.