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[Rps flashbacks] ~ Souvenirs d'Alduis

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Message par Alduis de Fromart Sam 24 Oct - 23:40

[Rps flashbacks] ~ Souvenirs d'Alduis Boy-in-windowseat-daydreaming
~ Alduis ~ 6 ans ~


-- Le 9 août 1575 --

C’était une femme pâle.
Alongée dans un lit pâle.
Enveloppée dans un drap pâle.

C’était un visage parcheminé, gangrené et creusé.
Entouré d’une auréole de cheveux blonds et gras.

C’était de longues mains squelettiques.
Une respiration disparue.
Une peau froide.
Comme si toute la chaleur s’était évaporée en même temps que la vie.

Qu’est-ce qui arrive quand on meurt, Maman ?
C’est comme si on s’endormait, Alduis. Et on va dans un endroit très heureux qui s’appelle le Paradis.

Il savait désormais que c’était faux.
Parce qu’elle n’avait pas l’air de dormir du tout.

Sa peau prenait une étrange teinte jaunâtre pour remplacer le rosé de ses joues.
Son odeur de lavande avait disparu pour céder la place à celle de l’encens.
De son sourire, il n’y avait plus que des lèvres noircies.

La mort était passée par là.
Et sa mère l'avait abandonné.

C'était cette sensation de vide qui s'ouvrait au fond de lui. L'abandon. La certitude qu'elle ne viendrait plus le serrer dans ses bras et lui raconter une histoire avant de dormir. Qu'elle ne lui autoriserait plus à dormir dans son lit les soirs d'orage. Qu'elle ne chantonnerait plus les jours de beau temps. Qu'elle ne lui laisserait plus coiffer ses longs cheveux avec le petit peigne en ivoire.

Elle lui avait promis. De ne pas l'abandonner. De rester avec lui.

Maman ? Est-ce que tu vas mourir ?
Bien sûr que non, mon chéri, il n'y a pas de risque.
C'est promis ?
C'est promis.


Mais voilà.
Elle était morte tout de même.

Alors avait-elle menti ? Pourtant, elle disait toujours qu'un petit garçon bien élevé devait dire la vérité. Et qu'une promesse donnée était une promesse tenue.

Bérénice se cachait derrière lui, sa petite main blottie dans la sienne. Et Alduis était seul pour faire face à ce grand lit. Il était obligé de regarder ce cadavre dévoré, d'affronter la Mort qui en avait pris possession, comme une nouvelle demeure. Il ne parvenait pas à en détourner les yeux. La chambre lui semblait immense, malgré les imposants meubles, comme si elle s’était déjà vidée d’une présence. Et il craignait que cette présence ne disparaisse totalement s’il la perdait des yeux une seconde. Il voulait retenir les dernières notes de lavande avant que la chambre ne soit aérée.

- Alduis, fit alors la petite voix de sa sœur, à peine plus forte qu’un filet tremblant. Alduis, j’ai peur.

Il sentait sa voix trembler des larmes qui coulaient sur son petit visage de porcelaine, et cela même sans tourner la tête vers elle, les yeux toujours posés sur le corps immobile et mort. Elle pouvait pleurer. Parce qu’elle était petite, parce que c’était une fille, elle avait le droit. Mais lui, il était l’aîné. Il était le garçon, et il devait être fort.

C'est promis ?
C'est promis.


- Alduis, répéta Bérénice.

Elle tira sur son bras pour attirer son attention. Comme il ne bougea pas, elle tira plus fort en insistant :

- Alduis ! on peut sortir, s’il te plaît ?

La porte venait de s’ouvrir. On entra. La pièce sembla se remplir d’une certaine forme de vie, mais une forme étrangère. Qui n’avait rien à voir avec la douceur de sa mère. Un homme prit le bord du drap et le rabattit par-dessus le visage d’Asoana. Sa peau trop claire, trop fine, disparut sous l’immaculé tissu. Elle ne fut alors plus qu’une vague forme, dont on distinguait tout juste les maigres contours sous l’épaisseur de la fibre. Un corps comme un autre.

Maman était morte.
Elle l’avait abandonné. Elle n’avait pas tenu sa promesse.

Et devant ce lit, dans cette chambre, devant le cadavre recouvert de cette femme méconnaissable, Alduis promit. Il promit de ne jamais trahir sa parole.
Alduis de Fromart
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Message par Alduis de Fromart Ven 30 Oct - 17:09

[Rps flashbacks] ~ Souvenirs d'Alduis Alduis__10_ans
~ Alduis ~ 10 ans ~

“L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme.”
Victor Hugo -

-- Le 11 juin 1579 --

Il ne méritait pas son prénom.

Le cadre en bois de la porte, vide, ouvrait une fenêtre noire sur le couloir. Les tiroirs retirés de ses placards et les battants démontés des armoires semblaient avaler toute la maigre lumière de la Lune.

Il ne méritait pas son prénom.
Il ne s’appelait plus Alduis.

Cela faisait huit jours qu'il s'était introduit dans le bureau de son père. Huit jours qu'il pleurait chaque soir, qu'il priait de toute sa petite foi pour que les choses reviennent à la normale. Huit jours qu’il serrait l’alliance de sa mère entre ses doigts pâles comme une manière de se raccrocher au rivage, en lui demandant de l'aide, de là où elle était.

Mais cela faisait huit jours que personne ne répondait à ses appels à l'aide muets. Qu’on ne venait pas le voir, qu’on ne faisait pas attention à lui. Que son père parlait sèchement — quand il lui adressait un mot. Même Bérénice l'ignorait, même elle fuyait son regard. Comme s'il était devenu un étranger. Comme si toute son identité s'était envolée en même temps que son prénom. Devrait-il s'appeler Brutus toute sa vie ?

Il avait tant pleuré que les petits sillons des larmes sur ses joues semblaient être inscrits dans sa chair à jamais. Que les nuits n’étaient pas assez longues pour les avoir estompés au matin. Qu’il s’était transformé en statue de sel.

Et pourtant, ce soir-là, ses yeux étaient secs. La statue de sel avait fondu, et il ne restait que l’aridité qui lui brûlait la rétine.

Il était seul dans la pièce, assis sur son lit, les genoux remontés contre lui, seule petite torche blonde luttant contre l'obscurité. Son regard demeurait fixe, braqué devant lui, comme deux flèches bleues qui cherchaient à percer la pénombre, à l’affronter, à la sonder. Sa respiration, après des jours à remplir et vider ses poumons à toute vitesse, était trop calme.

Quelque chose s’était éteint.
La petite flamme vacillante de la bougie avait été soufflée.

Maman, si tu es vraiment là, si tu m’entends, si tu regardes.

Maman n’avait pas répondu.
Maman n’avait pas tenu sa promesse.
Parce qu’elle était morte, et après la mort, il n’y avait rien. Ni Paradis, ni Dieu, ni deuxième vie.

Il glissa vivement la main autour de son cou, là où il avait glissé au bout d’une ficelle, la main tremblante de toutes les larmes versées, la bague de sa mère. Il la sortit de sa chemise. L’anneau argenté accrocha un rayon de la Lune et sembla s’illuminer entre ses doigts fins.

Il l’observa. Et plus il le fit, plus ses phalanges se crispèrent autour de l’alliance. Bientôt, ce fut si fort qu’elles en devinrent blanches. C’était à cause d’elle. C’était à cause d’elle, cette minuscule bague, que Bérénice l’ignorait, que Papa lui en voulait. Jamais il n’aurait dû aller la chercher. Elle ne servait à rien. Maman n’allait pas revivre à travers elle.

C’était juste une bague. Une vulgaire bague.

Et s’il en était là aujourd’hui, c’était de la faute de Maman. Cette certitude ouvrit un gouffre en lui. Maman avait menti. Maman l’avait abandonné. Elle avait préféré rejoindre un Dieu imaginaire plutôt que de rester avec lui. C’était de sa faute, et que de sa faute !

Si elle n’était pas morte, si elle avait tenu sa promesse comme elle aurait dû, alors rien ne serait arrivé. Rien du tout !

De rage, il arracha le petit lien qui la retenait autour de son cou et se leva d’un bond de son lit. Il traversa la pièce sombre en quelques pas et ouvrit la fenêtre. L’air frais s’engouffra dans la petite chambre, fripon joueur, et agita les rideaux avant de filer, rasant le sol, vers le couloir. Lui resta droit face aux jardins de Fromart. Il roula la petite bague - et son fil - au creux de sa main.

Il n’avait pas besoin d’elle.
Il n’avait pas besoin d’une morte.

Il avait compris maintenant. Qu’il était seul. Qu’elle ne le regardait pas du haut du Paradis comme elle le lui avait dit tellement de fois. Il n’y avait personne.

Et les autres… Bérénice, son père, les esclaves. Ils n’avaient pas besoin d’eux ! Ils n’avaient qu’à continuer de l’ignorer, s’ils le voulaient ! Il s’en fichait ! Il se débrouillerait tout seul ! Ils ne leur laisseraient plus le plaisir de le voir pleurer. Aucun d’eux ne l’aurait plus jamais.

Alors, de toute sa force, l’autre main serrée sur le rebord de la fenêtre, il jeta la bague par la fenêtre. Elle s’envola sur quelques mètres puis chuta. Bientôt, l’éclat argenté disparut dans la nuit, avalé par les profondeurs.

Brutus.
Ils voulaient qu’ils soient un chien ? Alors il en serait un. Et il serait celui qui mordrait le plus fort.

Il ne montrerait plus jamais à personne à quel point il avait mal.
C’était une promesse.
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Message par Alduis de Fromart Dim 3 Jan - 21:46

[Rps flashbacks] ~ Souvenirs d'Alduis JPG2-519b623ee66fd4b6718bb28e7dd7099d1 [Rps flashbacks] ~ Souvenirs d'Alduis Alduis

| Soffrey de Rochencourt | 32 ans |
| Alduis de Fromart | 19 ans |
___________

“Un baiser fait moins de bruit qu’un canon mais l’écho en dure plus longtemps.”
Oliver Wendell Holmes -

-- Le 18 juillet 1588 --

La nuit venait de tomber. Le soleil avait disparu dans le ciel pour laisser la place à une Lune dissimulée derrière quelques épars nuages. Le paysage s’était métamorphosé sous les bras argentés des rayons de l’astre nocturne, donnant aux environs quelques airs fantomatiques et imaginaires. Pourtant, une chose restait inchangée, une chose bel et bien réelle : les moustiques. Ils ne cessaient jamais d’être actifs et d’attaquer la moindre parcelle de peau qui était laissée à l’air libre. À longueur de journée et de nuit depuis des semaines, et même des mois, ils volaient autour d’eux sans leur laisser une seule seconde de répit. Ils étaient si nombreux qu’il en résultait un vague vrombissement constant dans l’air, insaisissable, mais qu'il était impossible d'ignorer. C’était comme une deuxième guerre, menée contre ces insectes nuisibles et porteurs de maladies.

Et pourtant, les moustiques n’étaient qu’un détail de plus dans un océan d’inconfort. Si un enfant les avait croisés, pauvres figures décharnées qu’ils étaient, il aurait certainement fait demi-tour en courant tant leurs visages fatigués et marqués l’aurait effrayé. Il flottait dans l’air une odeur de transpiration diffuse, comme si l’atmosphère s’était imprégnée de la senteur de leurs corps sales et malodorants. Même un mendiant, habitué aux plus putrides bas-fonds, aurait froncé le nez de dégoût devant les effluves qu'ils dégageaient.

Alduis ne s’était pas lavé depuis des jours. Il avait pris le temps de se raser et se couper les cheveux la veille, avec l'une de ses dagues, à la va vite, et il ne restait que des touffes indisciplinées et blondes, très inégales, pour en témoigner. Mais il n’y avait nul miroir à l’horizon pour juger du résultat par lui-même. Ses vêtements puaient littéralement mais il n’avait pas le temps de s'appesantir sur sa propre odeur. Ce n’était, au fond, qu’un détail futile. Souvent, il retrouvait ses doigts fripés par l'humidité ambiante, laquelle s'infiltrait sous leurs habits avec l'implaccabilité d'une ennemie. La boue noire incrustée sous ses ongles, pourtant coupés au plus court pour éviter le développement de microbes, semblait ne jamais devoir partir. Il n’avait pas retiré ses bottes depuis une semaine, de peur de les perdre comme il était arrivé à certains, et en tirait d'atroces douleurs aux pieds - à chaque pas en avant. Ils avalaient la distance des heures durant, et les seules haltes qu’ils faisaient se résumaient à piller les villages, brûler les récoltes et massacrer les populations. Quelle chienne de guerre.

Les vrais ennemis, ils ne les voyaient pas. Véritables fantômes, ils frappaient aux pires moments, décimaient les divisions monbriniennes et disparaissaient à nouveau dans les ombres des terres en laissant une flopée de cadavres dans leur sillage. Alduis se souvenait encore de ce groupe de soldats qu'ils avaient trouvé déchiquetés sauvagement, méconnaissables et en cours de putréfaction, quelques jours plus tôt, au bord d’un chemin. Il n'aurait pas cru que leurs images s'ancreraient si profondément dans son esprit. Ce n'était pourtant ni les premiers, ni les derniers, qui périraient.

Malgré tout, malgré la fatigue, malgré les traits marqués et les moustiques, malgré tout cela, il y avait une ambiance de camaraderie ce soir-là. Des rires, des plaisanteries, de solides claques sur les épaules. Tout cela comme si la guerre était une réalité abstraite. On chahutait, on défiait au hasard, on oubliait où l'on se trouvait — sur des terres étrangères et inhospitalières. Il arrivait un instant où il devenait difficile de vivre dans des conditions encore plus insalubres et étrangement, on finissait par accepter la situation. Alduis avait oublié ce que ça faisait, de manger un repas chaud, de dormir une nuit complète sur un matelas confortable, sans bondir au moindre bruit de peur que ce ne soit l'ennemi. Il avait oublié ce que ça faisait, de ne pas sentir sa propre odeur ou de ne pas devoir se battre contre les moustiques affamés, ou contre les poux.

Alduis était assis, autour d’une bûche qui servait de table de fortune. Il mangeait. De la viande crue, pillée dans un village. C’était froid et sans goût. Ou plutôt si, c’en avait un : celui de la boue qui était partout, jusqu’à l’intérieur de ses bottes. Mais à la guerre, il n’y avait pas le loisir de faire la fine bouche. L’eau était trop précieuse, par ailleurs pour qu’ils la gaspillent en les nettoyant, et il était hors de question d’allumer un feu : on les aurait repéré plus facilement et une attaque aurait été autant dramatique que meurtrière. Alduis grimaça en arrachant une autre bouchée. Il détestait ce goût terreux qui tapissait sa langue, son palais et ses gencives durant des heures. Une vision, pourtant, rendait les choses plus agréable. Il les observait, les soldats là-bas, du coin de l'œil, et cela faisait même passer le goût affreux de ce qu’il mangeait. Ils avaient tous tellement de prestance et tellement de dignité. Ils marchaient de ces foulées sûres et aguerries, sans hésitation dans le pas, malgré la fatigue et les visages sales. Qu’importe ce qu’ils faisaient, ils étaient systématiquement nimbés de cette aura fascinante qui accrochait son regard dès qu’Alduis se distrayait quelques secondes. Depuis combien de temps déjà s’était-il perdu à suivre des yeux leurs puissants muscles ?

Une voix grave et posée attira soudainement son attention sur sa gauche.

- Ils sont beaux, n’est-ce pas ?

Alduis revint dans le présent d’un coup et se retourna vers la voix. Il tomba face à un visage marqué, crasseux, mal rasé, des cheveux roux emmêlés, et deux prunelles vertes, lumineuses malgré la saleté qui collait sur ses joues, comme une seconde peau. Le capitaine Soffrey de Rochencourt. Il ne l’avait pas entendu approcher, et en plongeant ses yeux au fond des siens - qui semblaient sonder son âme - Alduis eut subitement très chaud et quelque chose se réveilla en lui. Comme des milliers de petits papillons qui venaient se heurter aux parois de son estomac pour trouver la sortie. Il avala sa salive et se retourna vers les soldats qui continuaient de plaisanter, là-bas, indépendamment de tout.

Beaux.
Ils étaient beaux.
Infiniment beaux.

La boue suinta sous les bottes du capitaine quand celui s’approcha de deux pas, et qu’il reprit, de la même voix grave - qui fit courir un long, un très long, frisson sur sa peau, malgré lui :

- Tu devrais faire plus attention.

Alduis revint vers l’homme, qui se trouvait décidément plus proche qu’il ne l’avait cru et il sentit ses joues chauffer davantage. Il baissa les yeux sur sa viande crue, mais cela ne l’empêchait pas de sentir le regard de Soffrey, brillant de cette étrange lueur qu’Alduis n’aurait su décrire précisément. Un peu comme… comme celle qu’il y avait dans les yeux de Rose quand elle le regardait. Voilà, c’était cela. Comme celui de Rose. Sauf que cette fois, cela ne le dérangeait pas. Pas vraiment, en tout cas.

Soffrey avait un couteau dans les mains, avec lequel il jouait avec la lame distraitement, en passant et repassant son doigt sur le fil.

- Tu devrais faire plus attention à la manière avec laquelle tu les regardes.

Alduis ne répondit rien. Il avala sa salive, sans oser relever la tête. Comment les regardait-il au juste ? Et comment aurait-il dû faire autrement ? Le bout de ses doigts picota soudainement, et ce picotement-là se répandit à tout le reste de son corps. Alduis n’était pas sûr de comprendre ce qu’il voulait dire. Il n’était pas sûr de le vouloir non plus d’ailleurs. Parce qu’il avait peur de la signification de ces mots. Ce ne devait pas être cela. Ce ne pouvait pas être cela.

Soffrey jeta subitement le couteau à ses pieds, lequel s’enfonça dans le sol de plusieurs centimètres. Alduis observa la lame trembler hypnotiquement quelques secondes. Il n’osait toujours pas regarder le capitaine : la seule chose qu’il voyait de lui, c’étaient les pointes boueuses et craquelées de ses bottes en cuir. Mais son regard pesait toujours sur lui.

- Suis-moi.

Alduis se releva et obéit sans sourciller, en délaissant sa ration de viande sur place - autant dire que lorsqu’il reviendrait, il n’y aurait plus rien. Aussitôt, ses pieds protestèrent avec véhémence, il ne voulait pas imaginer les ampoules qu’il devait avoir. Soffrey marcha sur plusieurs mètres, pour les éloigner encore davantage du reste du groupe. Ce fut lorsqu’ils furent hors de vue, loin de toute oreille indiscrète, qu’il s’arrêta et se retourna vers lui. Alduis se figea, incapable de prononcer un seul mot. Il y avait une chaleur qui se dégageait du regard du capitaine qui venait former une boule dans sa gorge.

- Quand on est comme toi et moi, il faut être discret. Ou bien ta vie sera terminée avant d’avoir commencé. Si je peux le voir, d’autres le peuvent aussi.

Alduis ouvrit la bouche, mais ne trouva rien à dire. Être comme toi et moi. Qu’est-ce qu’il devait comprendre ? Pourquoi se sentait-il subitement … tout drôle ? Pourquoi y avait-il cette étrange sensation, dans son ventre, qui semblait se tendre vers Soffrey, comme pour le forcer à se rapprocher ? À faire un pas en avant, pour être plus près.

Tout à coup, il se rendit compte qu’il ne regardait non plus les bottes de Soffrey, ni même le fond de ses yeux, mais ses lèvres. Et elles… elles étaient… Un frisson, encore un, courut sur sa peau. Le capitaine se rapprocha. Beaucoup plus près qu’Alduis ne l’aurait pensé possible. Il ne restait que quelques centimètres entre eux, à peine, et il n’aurait suffit que de tendre les doigts pour le toucher ou pour … mais pourquoi pensait-il à cela ?!

Pourtant... Pourtant son cœur battait plus vite. Pourtant, ses paumes devenaient subitement très moites. Pourtant, ses pensées se troublaient et il ne parvenait plus à réfléchir correctement. C’était comme si la proximité du militaire suffisait à dérégler tout son système interne. Un sourire - terriblement séduisant - se peignit sur les lèvres du capitaine.

- Tu respires vite, remarqua-t-il, d’un air amusé.

Il attrapa son menton entre ses doigts et Alduis se laissa faire. Il n’osait plus bouger. Il avait vaguement conscience de ce qui allait se passer, dans un flottement de l'esprit. Et il ne savait pas s'il avait peur ou s'il avait hâte. Peut-être les deux à la fois.

Soffrey s’approcha doucement, presque prudemment, comme s’il cherchait à juger de quelque chose - d’un danger potentiel. Un danger qui ne vint apparemment pas puisqu’il termina de combler la distance. Alduis sentit les poils de sa barbe hirsute avant ses lèvres. Une seconde, il écarquilla les yeux et celle d'après, il les fermait et se laissait aller à cette bouche qui l'appelait. Comme ce n'était jamais arrivé auparavant.

Il avait déjà embrassé des femmes, bien sûr, et plusieurs fois. En accompagnant son père au lupanar, ou bien, plus intimement dans sa chambre. Il n'avait jamais compris ce qu'il pouvait bien y avoir de si merveilleux dans un tel acte. D'ailleurs, il n'y voyait toujours aucun intérêt… et il pressentait que cette impression n'allait pas s'arranger pour les fois prochaines. Il avait fini par se dire que c'était simplement lui qui ne savait pas apprécier les bonnes choses. Quelle autre explication aurait-il pu donner ?

C'était juste un baiser de plus, tout ce qu'il y avait de plus banal. Juste une bouche, comme chaque personne possédait. Juste des mains chaudes et humides posées ci et là, sur lui. Mais cette fois-ci, pourtant, tout était différent.

D'habitude, aucune barbe rêche ne venait chatouiller son cou. D'habitude, c'était une quelconque essence parfumée qui se dégageait de la peau de ces dames, délicate et légère, et non pas cette vieille odeur de transpiration, mêlé aux résidus de fumée des derniers pillages. D'habitude, son corps répondait à peine aux plus sensuelles des caresses…

En un éclair, en un baiser, Soffrey venait d'ouvrir une nouvelle porte dans ses perspectives. Une porte qu'il avait cru fermée pour le restant de sa vie et qu’il n’aurait jamais osé ouvrir seul. Non seulement son corps répondait, mais en plus, il en réclamait d'autres. Alduis aurait dû reculer, mais à la place, il se serrait contre lui. Il en voulait encore. Il en voulait plus.

Comme les lèvres de Soffrey allaient partir, Alduis les rattrapa. Il ne voulait pas que ça s’arrête maintenant. Il voulait même que ça continue pour le reste de la vie. Il avait du mal à croire ce qu’il était en train de faire.

Il embrassait un homme…
Il embrassait un homme, et il aimait ça.

Cette certitude glaçait son sang et le réchauffait tout à la fois. C'était terrible … et merveilleux. C'était affolant … et rassurant. Il n’était pas tout à fait sûr de comprendre ce qu’il se passait en lui, mais c’était la première fois qu’il parvenait à mettre un mot sur ces sensations chaudes et enivrantes qui se glissaient en lui à l’impromptu. C’était du désir. Un désir profond et nouveau.

Au fond de lui, il l’avait toujours su, comme une intime certitude qui avait toujours été là et qui attendait de pouvoir se manifester. Ça avait toujours été là, dans l’ombre. Soffrey était simplement la lumière qui venait le lui montrer. Pour la première fois de sa vie, Alduis se sentait entier.

Soudain, une branche craqua. Une branche qui sonna le glas et mit fin à ce baiser interdit. Soffrey recula d’un coup, mué par un instinct de survie, et laissa là une étreinte inachevée, une impression de trop peu et un Alduis incrédule, qui demeura immbile, sans réussir à réaliser ce qu’il venait de se passer. N’avait-il pas rêvé ?

Il fallait croire que non. Son cœur battait toujours aussi fort dans sa poitrine, plus fort qu’il ne l’avait jamais fait. Ses mains étaient moites, et l’humidité n’était pas la seule coupable de ce phénomène. Mais surtout, il y avait la même lumière brillante dans les yeux de Soffrey, témoin silencieux de ce qui venait d’arriver. Alduis avala sa salive.

Un soldat apparut alors, enjambant sans précaution la végétation, en faisant un raffut de tous les diables. Il ne semblait même pas les avoir remarqué. Alduis n’osait plus respirer, il n’osait plus faire un geste. Son cœur martelait ses tempes. Et si quelqu’un l’entendait tant il frappait fort contre ses côtes ? Il reprenait petit à petit conscience de ce qu’il venait de faire, et par la même occasion, n’était plus aussi serein. Soffrey se râcla la gorge, et l’homme tourna enfin la tête dans leur direction, dans un sursaut, avant de se rendre compte que ce n’étaient qu’eux - des soldats monbriniens. Alduis se demanda un bref instant s’il se serait aperçu de quelque chose s’ils étaient restés parfaitement silencieux.

- Besoin d’pisser, marmonna l’homme, comme s’il mâchait quelque chose.

Il se planta devant un arbre et, sans la moindre gêne, s’appliqua à soulager sa vessie, cambré exagérément en avant.

- Qu’est-ce que vous fichez là, les gars ? dit-il, toujours avec cette même diction.

Alduis jeta un regard à Soffrey, pour savoir quelle marche suivre. Mais ce dernier semblait calme. Il ne prononça pas un mot, ne chercha pas à se justifier, il se contenta d'attendre en silence. Sage précaution, puisque l'autre se fichait visiblement pas mal de la réponse. Il n'écoutait déjà plus. Avait-il seulement remarqué les galons de Soffrey, ceux qui témoignaient de son grade bien supérieur à celui de ce pisseur ? Visiblement pas, si l'on prenait en compte le grand soupir de satisfaction qu'il poussa, une fois qu'il eut fini ainsi que la tape fraternelle qu'il donna dans le dos du capitaine, entre les deux omoplates.

- Bon allez, les gars, je vous laisse entre amoureux !

Sans se douter une seule seconde de quoi que ce soit, il repartit en sens inverse, avec un rire gras, fier de sa plaisanterie. On l'entendit même murmurer pour lui-même :

- Elle était bien bonne, celle-ci ...

Ses bruits de pas disparurent bientôt, de même que sa silhouette. Alduis était de nouveau seul avec Soffrey. Mais l'interruption avait été trop longue. Son rythme cardiaque s'était calmé, la lumière dans les yeux du capitaine s'était éteinte. Le moment était passé. Il ne restait que quelques bribes de la ferveur qui avait su envahir ses veines.

Cependant, le regard de Soffrey accrocha le sien et Alduis y lut ce qui ressemblait à une promesse muette. Ses prunelles vertes lui soufflaient que les choses ne s’arrêteraient pas là, et que dès que l’occasion se présenteraient, ils reprendraient là où les choses avaient été interrompues. Dans combien de temps ? C’était impossible à savoir. Peut-être demain, ou bien dans plusieurs semaines.

Puis, il fit demi-tour lui aussi et ses cheveux roux se fondirent rapidement dans l’obscurité. Alduis resta longtemps à fixer le point où il avait disparu, sonné. C’était comme un rêve que l’on essayait de retenir. Il se laissa glisser contre le tronc, pour essayer de réorganiser ses pensées troublées. Il devait tâcher d’y voir plus clair. Comprendre. Mais c’était vain. Il avait la sensation que tout était flou, brouillé par on ne savait quel phénomène étrange.

Il avait embrassé un homme.
Il avait embrassé un homme, et il n’avait eu - à aucun instant - l’impression d’être en train de commettre un crime. Au contraire.

Pour la première fois de sa vie, il n’avait pas l’impression d’avoir trahi son corps. Il se serait damné, et plus encore, pour avoir l’occasion de goûter encore à cette étrange chose qui s’était glissée en lui, quelques instants, et qui commençait déjà à se dissiper, emporté par le léger vent humide qui soufflait doucement entre les troncs.
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