[19 décembre 1597] Retour au Domaine de Kergemont / Résidence Secondaire

Lavinia de Kergemont se tenait immobile au centre du hall d’entrée, le regard dans le vague. Un contraste saisissant lorsque l’on observait ses suivants s’agitaient en tout sans pour décharger les derniers bagages et ajuster les dernières touches à la décoration intérieure. Avec un soupir non dissimulé, la propriétaire des lieux s’avança devant une desserte agrémentée d’un miroir aux ornements discrets mais qui était un vrai bijou d’orfèvrerie.
La mine déconfite qui lui fit face ne lui plus guère et d’un mouvement énergique, elle retira ses gants et les abandonna au marbre froid.
Abandonnée, c’est comme cela qu’elle se sentait depuis des années. D’abord par sa mère défunte, un décès douloureux qui eut du mal à cicatriser d’autant plus que son paternel n’attendit pas la fin de son deuil pour la remettre dans les mains d’un homme qui l'éloignit définitivement du cocon familial. Son cher mari ne fut pas plus attentif à son égard pour autant. Ses responsabilités l'amenaient aux quatre coins du pays, des mers et des océans, difficile d’installer un semblant d’intimité. Et à présent qu’il était de retour…

Elle entra dans chaque pièce, inspecta chaque recoin pour s’assurer que chacune de ses instructions fut respectée à la lettre. En plus de trouver résidence dans une demeure désertée par sa personne depuis toujours, elle n’avait pu prendre avec elle que deux de ses plus fidèles servants. Gérald, le cochet, et sa suivante Ingrid. Pour le reste, les visages lui étaient inconnus et par moment cela lui donnait froid dans le dos.

Lavinia s’empressa de rejoindre ses quartiers et s’attacha à ranger elle-même ses parures et étoffes. Son père ne pouvait la recevoir à l’instant alors elle ne resterait pas ici à attendre sagement son invitation. Elle sortit une toilette raffinée à la fois noble mais discrète. La jeune femme aurait souhaité parcourir les ruelles de la ville en parfaite inconnue, mais cela était impossible. En effet, le bal des domestiques pour remettre en ordre le domaine avant sa venue avait attiré des curieux. Il n’était pas rare que dans ses correspondances sur l’avancement des préparatifs , il fut mention de noble du coin au de bas gens s’arrêtant au grillage pour quémander des informations sur les futurs résidents.
Dans son pays, elle avait bonne réputation mais ici qu’en était-il ? On l’avait sans doute oublié, les Kergemont n’avaient jamais foulés la région ne serait-ce que pour l’emmener loin d’ici. En revanche, qu’en était-il de son père et de ses frères ? Elle espérait ne pas devoir en pâtir d’une quelconque haine ou préjugés.

Elle passa devant la fenêtre qui lui offrait une vue imprenable sur l’entrée du domaine. Lavinia balaya du regard les haies et grilles qui limitaient son domaine lorsqu’une ombre l’interpella. Avait-elle rêvé ou quelqu’un se terrait derrière les barreaux pour espionner ses extérieurs ? Serait-ce un de ces curieux ou bien le fruit de son anxiété ?

Un bruit de pas la détourna de ses interrogations, c’était Ingrid qui s’avançait vers la tenue que sa maîtresse venait de sélectionner.


— Voulez-vous changer de toilette maintenant Madame ? Ne vaudrait-il pas patienter après le déjeuner ?


Ingrid était la seule autorisée à se permettre de remettre en cause les décisions de la dame. De part son ancienneté, un lien presque maternel liait les deux femmes.


— Faites maintenant, demanda Lavinia. J’ai une soudaine envie de me promener en ville. Ces murs m'oppressent, j’ai besoin de respirer l’air de la région.    

— Dois-je quérir quelqu'un pour vous accompagner ?


La jeune femme dodelina de la tête pour éluder la requête de sa suivante et l’insita à défaire les lacets dans son dos.


— Gérald me déposera non loin du centre, cela sera amplement suffisant.

— Si un valet de votre père vous demande, quelles sont vos instructions ?


Lavinia sembla se perdre dans ses pensées à la mention de son paternel. La réalité s’imposa à elle, lors du serrage de son corsage.


— Faites le patienter, nous ne sommes plus au cadran horaire près.