[15 janvier 1598] - Allons voir si la Rose... [RP Sensible][Terminé]

 

Avertissement - allusions sexuelles:

Après une longue traversé du désert qui lui avait ôté tout goût de vivre (et même de baiser, c’était dire), il avait enfin retrouvé celle qui avait su raviver son cœur meurtri et dévasté tant par les épreuves que les années. Depuis qu’il l’avait serré dans ses bras, il était désormais catégorique : il l’aimait. Oui il l’aimait. Et même s’il n’osait pas le lui avouer de peur tout détruire ou de l’enchainer à lui, il pouvait au moins se le dire et apprendre à vivre avec ce sentiment qu’il avait cru perdu à jamais. Comme un perce-neige, elle avait éclos au milieu d’un paysage désolé et hostile. Fragile petit regain qu’il protégerait et chérirait de toute son âme.

Il se sentait tellement bien, qu’il était même prêt à reprendre ses vieilles habitudes, aussi étrange que cela puisse paraitre pour un œil inaverti. C’était donc au lupanar qu’il avait décidé de passer la soirée, entre d’autres bras d’ici ou d’ailleurs. Aucun ne pourrait jamais rivaliser avec les siens, il le savait déjà. Mais cela ne l’empêcherait jamais d’en essayer d’autres autant par pur plaisir que pour pouvoir se dire et se redire que rien ne vaudrait jamais les siens.

Et puis en vérité, il y avait une autre raison nettement moins charnelle (quoi que) qui le poussait à franchir, les portes de la fameuse maison close. Rose-Abelle devait toujours lui fournir une réponse concernant sa proposition. Une semaine c’était sans doute suffisant pour avoir le temps d’y songer. Quant au reste… Il verrait bien comment les choses se présenteront. Leur dernière entrevue lui avait fait l’effet d’un étrange chaud-froid qu’il n’aurait su qualifier d’appréciable ou non. Sans doute cette manie qu’elle avait de lui laisser sous-entendre qu’elle daignait bien vouloir s’offrir du bon temps avec lui. Ce n’était pas ainsi que les choses se passaient dans son monde et si elle s’obstinait de la sorte, elle n’aurait sans doute que son imagination pour compagne -et en tout cas- certainement pas lui.

Coldris attacha Ambrosia dans l’arrière-cour, face à l’abreuvoir et poussa la porte si familière.

— Bonsoir Rose-Abelle. salua-t-il sobrement sans lui accorder plus d’attention que cela.

Il se dirigea aussitôt dans l’une des alcôves les plus à l’écart et les plus abrités des regards indiscrets. Il commanda un verre de whisky et fit signe à Marie et Helga de venir le rejoindre sur la banquette. La jeune zakrotienne dégrafa son manteau qui fut emporté dans les vestiaires tandis que Marie jouait avec les innombrables boutons de son pourpoint d’encre.

Délesté de son épais manteau, verre de whisky désormais en main, il n’avait plus qu’à profiter de la compagnie des deux charmantes créatures qui l’entouraient. L’une occupée à glisser ses mains le long de son cou et dans ses courts cheveux poivre et sel, l’autre jouant avec les petits boutons ronds de son pourpoint qu’elle prenait un malin plaisir à ouvrir dans une atroce lenteur. Il porta le verre à ses lèvres croisant le regard de la belle Eve en charge de la salle.

Sans un mot, elle s’apprêtait déjà à regagner ses quartiers.

- Peut-être préfériez-vous vous en occuper personnellement ? sourire enjôleur en coin, il poursuivit après tout nous avons été interrompus la dernière fois.

Sans la quitter des yeux, il prit une nouvelle gorgée du spiritueux ambré qui déversa dans sa gorge un doux feu.

Coldris faisait tournoyer le whisky dans son verre en attendant sa réponse. Hmm oui évidemment, elle n’était pas ravie de sa proposition publique, mais elle aurait pu trouver mieux pour satisfaire ses envies -parce que cela se lisait dans son regard- sans pour autant répondre favorablement à sa provocante injonction. Un peu de créativité que diable !

Il inclina pourtant la tête en réponse et leva son verre à sa santé, comme pour lui signaler qu’il avait compris, mais qu’ils se reverraient, un peu plus tard. Il en avait presque oublié Helga, qui quasi jalouse, lui mordilla la lèvre avant de l’embrasser avidement en attrapant le col de sa chemise. Baiser qu’il lui rendit aussitôt, avec autant de fougue. Pourtant, ses oreilles trainaient un peu plus loin et c’était sûrement ces dernières que la petite Hôyodienne aurait dû recouvrir pour s’assurer sa pleine et entière attention.

— Vous devez être une créature bien spéciale pour attirer de la sorte ce cher, Monsieur, comme vous l'appelez. Une personne de sa stature ne s’attarde pas sur n’importe quoi.
N’importe quoi ? Vraiment ? Coldris roula des yeux en attrapant ses hanches tandis que Marie s’était glissée dans son dos. N’importe qui aurait été plus approprié. Il était peut-être débauché, mais il y avait des limites tout de même.

— Elle est une des excentricités qui, ces derniers temps, a fortement plus à ce monsieur que vous plaisez à citer.

Ah oui, il devait s’agir de la belle mornoyenne. Comment s’appelait-elle déjà ? Kahina. Avec sa peau d’ébène et ses étranges yeux bleus, mais Coldris aimait surtout sa bouche charnue et ses formes rebondies. En revanche, lorsque l’on côtoyait Sa Majesté, « excentricité » était tout de même quelque peu exagérée. Si l’on faisait abstraction de son regard céleste, elle était parfaite normale. Pas de jambes à l’envers, de membres en trop ou Dieu savait-on quoi de réellement bizarre.

Le vicomte écouta la suite et repoussa subitement Helga qui se déhanchait sur ses cuisses alors même que la jeune Marie avait glissé ses mains dans le col désormais entrouvert de sa chemise de soie.

- Veuillez m’excuser, Mesdemoiselles, mais il semblerait que le devoir m’appelle.
Coldris sauta hors du divan, pourpoint ouvert, chemise délacée. Il posa son verre sur la table et rejoignit la charmante comptable qui s’était fait entrainer à l’écart. Cette charogne de Sardanapale l’avait plaquée contre le mur. Son regard se posa aussitôt sur le verre en main. Il aurait bien envoyé son poing s’écrasait contre sa mâchoire carrée, mais il entendait d’ici les deux voix qui lui hurlaient déjà « Coldris, tu ne réfléchis donc jamais avant d’agir ?! ». Alors, il se contenta de se glisser à ses côtés, de poser une main sur son épaule et de lui extirper le verre de force d’une torsion du poignet.

- Au contraire, vous devriez vous inquiéter. A trop vouloir, on finit par tout perdre. J’espère que vous avez apprécié votre soirée, car ce sera sans doute la dernière cet établissement. il se tourna vers l’une des filles qui passaient dans son dos allez chercher Isabelle, immédiatement. ordonna-t-il sèchement.

Isabelle se rhabillait rapidement, agacée, tout en se confondant en excuses auprès du client qui venait d'être forcé d'interrompre leurs affaires. Quelle mauvaise publicité cela pouvait faire ! Elle entendit Esther lui résumer la situation et apprendre que ce diable de
Sardanapale était revenu pour tourmenter son établissement. Elle détestait. Violent, irascible, buveur... Il avait que des défauts. Mais il savait déjouer la vigilance des plus expertes pour s'amuser avec les filles encore innocentes. Quelle plaie ! Un homme était heureusement intervenu. Qui ? Elle devrait absolument le remercier pour avoir empêcher sans doute le pire. Avant de descendre, elle réclama à Esther de s'occuper de terminer la prestation auprès de son client. Leur commerce ne pouvait se permettre de rembourser une passe ou d'effectuer un remboursement.

Rapidement, la patronne dévala l'escalier en maudissant ces hommes qui se permettaient d'agresser librement une femme, comme si tout leur était permis. Les catins avaient besoin de respect. Comme n'importe qui. Elles n'étaient la lie de la société contrairement à ce que bien des gens disaient. Elles étaient même indispensables au vu des nombreuses personnes, de tout milieu, qui venaient visiter les bordels. C'était en somme un rite de passage. Un rite social. Presque aussi important que le baptême.

En arrivant dans la salle principale, Isabelle se composa un visage grave, s'avançant pour connaître les faits, tout en fixant le vil prédateur immobilisé contre une colonne, surveillée par deux hommes. Heureusement que tous n'étaient pas des brutes, uniquement animés par ce qui pendait entre leurs jambes ! Elle sourit d'apercevoir Coldris non loin d'eux, vérifiant d'un regard que la situation était sous contrôle. La femme lui adressa un clin d'œil complet discret, puis alla entendre les témoignages, qui abondaient tous dans le même sens et se révulsa que ce soit la malheureuse Rose-Abelle qui ait les frais de cette sinistre comédie. Elle commanda à une de ses filles d'aller appeler les soldats du guet. Ce Sardanapale avait commis une agression : qu'il soit arrêté et jugé en respect des lois qui avaient cours à Monbrina ! Cet abruti apprendrait que les actes avaient des conséquences.

Lorsque les soldats vinrent prendre possession de leur client, Isabelle les remercia de leur intervention, puis, après avoir remarqué que Coldris s'était éclipsa, elle se chargea d'apaiser les tensions que ce dramatique incident avait pu produire dans les esprits. Elle se décida à offrir une tournée générale afin de libérer les conscience du malaise puis demanda auprès d'une de ses collègues des nouvelles de Rose-Abelle.

D'un pas rapide, Isabelle se décida à se diriger vers l'alcôve indiquée, poussant la porte, inquiète de l'état dans laquelle elle trouverait son employée.

"Rose-Abelle ?"

Il avait réagi instinctivement. Il fallait dire aussi que depuis le temps -sans parler de sa relation privilégiée avec Isabelle- il avait fini par prendre ses aises dans l’établissement qu’il fréquentait si assidûment.
Des clients qui se croyaient tout permis, on en croisait de temps à autre, même si la gérante prenait grand soin de leur donner la chasse. Il ne comprenait pas pourquoi Rose-Abelle ne s’était pas défendue avec plus de vigueur. Sans en arriver à l’éventrer ou à l’émasculer, il y avait toute une panoplie de mots ou de gestes à employer et compte tenu de la situation, ce n’était pas Isabelle qui lui en aurait tenu rigueur. Au contraire, elle faisait partie de ces patronnes qui protégeaient ses employées.
Concentré qu’il était, il ne lui adressa qu’un bref regard, juste assez pour l’apercevoir fuir le sien et constater ses tremblements. Une fois l’individu maîtrisé, la petite souris fila vers l’une des chambres.
Coldris s’éloigna aussi, le temps pour Isabelle de faire son apparition. Appuyé contre une colonne, il s’assurait que tout se passe bien. Il lui retourna son salut d’un discret sourire accompagnant son signe de la tête. Dès que les soldats du guet arrivèrent, il s’éclipsa. Ici, il n’était personne. Et il comptait bien le rester.

Sa première pensée fut de reprendre le cours de ses activités avec Helga et Marie, la politesse sociale en imposait une autre. Il prit donc la direction du couloir par lequel il l’avait vu disparaître quelques minutes plus tôt. Il repéra une porte fermée hâtivement. Ou plus exactement mal fermée. Sans le moindre grincement, il l’entrouvrit pour y jeter un œil discret. Rien ne lui disait qu’il ne tomberait pas sur un couple en ébat. Quoique… vu le silence absolu, c’était bien peu probable. On aurait presque pu croire que la chambre était en réalité inoccupée. Il poussa un peu plus la porte pour le surprendre en train de frotter son cou avec véhémence. D’un pas souple et lent, il entra sans s’annoncer jusqu’à se rapprocher d’elle autant que possible.

- Comment allez-vous ? s’enquit-il plus par convention que par réelle empathie.

Il attrapa délicatement son poignet pour lui retirer le linge des mains dont la friction répétée avait rougi sa peau.

- Vous allez juste finir par vous blesser à frotter ainsi.

Coldris déposa le linge. Ses paroles avaient beau être chaleureuses et réconfortantes, il était au fond de lui aussi froid et détaché que l’on pouvait l’être de la situation. Il était ainsi. Il n’était pas homme à s’attacher ou à éprouver la moindre affection pour qui que ce soit. Ou presque.

Impitoyable, imperturbable et implacable.

Est-ce qu’il avait l’air inquiet ? Non, il en fallait plus que cela pour inquiéter Coldris de Fromart. Il en avait tant vu, tant vécu, que ce n’était pas une banale altercation et encore moins linge frotté trop fortement sur une peau qui pourrait l’affoler. Il n’y avait qu’une personne qui avait le privilège de ses angoisses. Si cela avait été elle, il n’aurait jamais retenu son coup, elle aurait désapprouvé, mais cela n’aurait rien changé. Elle n’aurait pas eu à se laver, car il l’aurait fait lui-même. Rose-Abelle pouvait être aussi charmante qu’elle le voulait, elle n’était pas elle. Il n’était là que par pure politesse. Quand avait-il eu un discours moralisateur avec elle ? Il ne s’en souvenait pas. Ou alors, il ne l’aurait pas défini ainsi. Cela n’avait pas d’importance au fond, puisqu’il faisait toujours ce qu’il décidait, avant même de soucier des éventuels avis.

— Vous auriez dû être plus ferme. Les clients comme celui-ci doivent-être éconduit aussitôt. Et ne vous en faites pas pour Isabelle, vous avez bien vu la dernière, qu’elle protégeait ses employées, quelles qu’elles soient. Elle ne vous en tiendrait jamais rigueur.

Il n’avait pas bougé de là où il se trouvait. Immobile, droit, sévère. Si elle ne voulait pas que cela se reproduise, elle allait devoir apprendre à s’affirmer un peu plus. Le lupanar n’était pas un endroit pour les petites bourgeoises en quête d’aventure. Ce n’était pas un monde de femmes contrairement à ce que l’on pouvait penser, mais un monde d’hommes, avec ses écarts, ses violences et ses abus potentiels. Et l’on pouvait dire qu’elle avait bien de la chance d’avoir Isabelle pour patronne : juste, droite et d’une morale irréprochable -quoi que puisse être décriée sa profession-. Si elle n’avait pas les épaules pour survivre dans ce monde, mieux valait qu’elle trouve un commerce plus respectable et moins dangereux. Ses yeux se baissèrent sur ses graciles doigts qui arrangèrent sa chemise. Avait-elle conscience que c’était peine perdue et qu’ils seraient bien vite de nouveau dénoués ?

— Helga et Marie sont payées pour exaucer mes désirs. Et si mon bon plaisir consiste à les laisser patienter, elles attendront impatiemment mon retour. D’autre part, il semblerait que je sois en attente d’une réponse de votre part. Avez-vous réfléchi à ma proposition ?

Coldris jaugea la jeune femme d’un œil sévère. Elle avait dit être un volcan lors de la première rencontre, il semblerait qu’elle se soit laissée bruler par sa propre lave. Il persistait à penser que tant Isabelle que lui-même avaient eu raison de la mettre en garde sur ses paroles dangereuses qu’elle pouvait avoir. Si la lumière qu’elle avait vue en entrant était celle qui consistait à trouver des proies faciles pour lui tenir compagnie, alors elle ferait sans doute mieux de se mettre à son compte. Mélanger travail et loisir n’apportait jamais rien de bon.
Chaque chose devait être rangée à sa place. L’un ne côtoyait jamais l’autre. C’était une règle élémentaire.

Coldris l’observa s’éloigna pour plier le linge et ranger la bassine qui avait été utilisée. Il était bien placé pour connaitre le prix d’une bonne information. Et oui, cela valait parfois plus que de l’or tant l’avantage retiré en était important. Être surpris au mauvais endroit au mauvais moment pouvait s’avérer fatal, mais c’était là les risques du métier. Tout métier comportait des risques et qu’elle ne s’y trompe pas, le sien ne l’était pas moins. Il avait déjà essuyé plusieurs assassinats, dont l’un d’entre eux avait bien failli réussir. Il fallait croire que les mauvaises herbes n’étaient pas si simples à éradiquer.

La confiance était essentielle, et ce n’était pas lui qui oserait dire le contraire. Léonilde, Valmar et tant d’autres pourraient en témoigner : la loyauté comme la confiance était une valeur clé à Fromart, mais elle ne devait pas oublier qu’elle allait à double sens. Quant à sacrifier des pions, l’équation était assez simple : on ne les sacrifiait que lorsque leur utilité devenait inférieure au bénéfice qui découlait de leur écartement du jeu.

— Vous ne trouverez qu’une seule personne dans tout Braktenn capable de vous offrir une meilleure protection que je ne le puis. Si vous jouez aux échecs ma chère Eve, vous comprendrez aisément, qu’il est contreproductif que d’abandonner des pions qui peuvent faire la différence. Il ne faut jamais sous-estimer une pièce du jeu, c’est la meilleure façon de perdre. Si vous craignez de finir sur le ban, alors soyez cette pièce indispensable. Quant à la confiance, vous avez entièrement raison, elle est centrale à une bonne coopération et je rajouterai même qu’elle se donne autant qu’elle se reçoit.

Il était inutile de préciser que tout écart ne connaitrait aucune pitié quant à son issue et qu’il s’assurerait de son niveau de loyauté plus d’une fois. On n’était jamais trop prudent. Cloisonner était une première étape indispensable, vérifier en était la seconde. Car il fait être un parfait nigaud pour ne pas se rendre compte qu’elle donnerait autant d’information qu’elle pourrait en découvrir sur lui-même quand bien même il restait prudent et discret.

— La balle est dans votre camp.

Ses oreilles étaient déjà en proie aux ragots et bruits de couloir. De son poste d’observation, elle entendait la plupart des conversations du salon. Et elle ne parlait pas des clients qui venaient d’eux-même à elle pour discuter ou simplement lui montrait leur importance. Des informations, il lui en tombait sans rien demander, l’ambiance de l’établissement, cette atmosphère de débauche et l’alcool y aidaient grandement. De plus, elle jouissait d’une liberté de mouvement au cours des soirées, elle avait l’autorisation de s'éclipser avec un client si elle le souhaitait et avec la bénédiction de la gérante. Dans l’état actuel des choses, les paroles entendues ne lui servaient pas à grand-chose. Elle ne connaissait pas la ville, n’y était pas assez influente pour en retirer un quelconque bénéfice. En revanche, si l’une des puissances des environs lui accordait sa protection et trouvait son bonheur en ces informations, pourquoi refuser l’offre ?

— C’est d’accord. Je serai vos oreilles dans l’établissement. Je ferai en sorte de vous être utile.

Rose-Abelle avait fini son rangement et revint face à lui. Pour la confiance, elle devrait pour le moment se contenter de le croire sur parole. Après tout, il était un client régulier des plus généreux et surtout Isabelle avait une grande estime de lui. La gérante était une personne sage et réfléchie, Rose-Abelle allait se fier à son jugement.

— Avez-vous quelques instructions à me donner ? Un client à surveiller ? Une information particulière à rechercher ?

Passées quelques secondes, elle accepta son offre. C’était sans doute plus sage si, pour des raisons qu’il ignorait encore, sa sécurité était la chose qui primait à ses yeux, plus encore que l’argent en lui-même. C’était sans doute la seule raison valable d’aller s’enterrer dans un bordel. Ça et la profusion d’hommes de passage dont Mademoiselle semblait friande à l’occasion.

— Parfait. déclara-t-il tandis qu’elle terminait d’arranger la chambre.

— Les anti-impérialistes, les rebelles, les traitres à la couronne. Toute autre information que vous pourriez juger intéressante. Vous avez visiblement une bonne mémoire et c’est un atout indispensable dans cette tâche, car ce qui vous semble aujourd’hui anecdotique pourrait bien se recouper plus tard avec d’autres informations. il marqua une pause pensif puis ajouta avec détachement je suis navré que les choses se soient passées ainsi tout à l’heure.

Même si au fond, il n’en était pas vraiment responsable. Il n’avait jamais manqué de le dire : les mots étaient importants. Il fallait les choisir avec soin, et cela était vrai en tout temps pour tout le monde. Il n’aurait jamais réagi de la façon dont elle l’avait fait, mais il était évident qu’elle n’avait pas son expérience, ne serait-ce que du fruit des ans.

— Puisque vous semblez remise de votre mésaventure, je ne vais pas laisser ces demoiselles se languir un peu plus de ma présence. Si l’envie vous prenez de discuter plus  tard, vous savez où me trouver.

Sur ce, il fit volte-face, retraversant ce dédale de couloirs qu’il connaissait désormais à la perfection afin de rejoindre le confortable canapé qu’il avait quitté depuis un bon moment déjà.