[16 janvier 1598] L'atour se coud, le cœur se raccommode [Terminé]

Un étrange mélange de peine et de joie tiraillait la demoiselle de Monthoux. Qui d'ici un peu plus d'une année deviendrait une Madame de Fromart. Avant même ce grand tournant, elle allait se fiancer et emménager au domaine d'Alduis d'ici huit jours. Son promis ne lui avait pas fait mauvaise impression. Au contraire, beaucoup de choses en lui la touchaient. Florentyna ne gardait la gorge éternellement nouée que par une chose : devoir prochainement abandonner sa chère Kalisha à Monthoux avec son indifférent mari. Au moins, elles pourraient régulièrement se voir et aller trouver Sylvère au bois.

La jeune femme était en revanche grandement réjouie des nouvelles concernant Dame Irène d'Aubeville. Elle ne l'avait encore jamais rencontrée mais n'en avait entendu que du bien. Par Bélyl, par Kalisha, par Sylvère même. Ce fut donc tout naturellement vers elle qu'elle s'était tournée pour la confection de sa robe de fiançailles. Ce serait du reste l'occasion de la complimenter pour la naissance de ses jumeaux ! Le récit de son accouchement tout à fait épique était parvenu lui aussi aux oreilles de la fille de Monthoux, par Kalisha, qui elle-même le tenait de Cassandre. Une mise au monde très compliquée, de sérieuses explications entre la petite Cassandre et son oncle, l'intervention providentielle de Joseph avec Hyriel pour faire naître les jumeaux. Hyriel qui était en sécurité elle-ne-savait-où - Dieu merci - et reparaîtrait quand les choses seraient calmées. Quant à Madame d'Aubeville, il était temps de lui présenter ses veux de bonheur pour ses nouveau-nés.

Florentyna frappa donc à la porte de la Rose Azùl. Son fiacre l'attendait un peu plu loin. Elle trépignait d'impatience à l'idée de voir sa robe ! On l'avait fait informer quelques jours auparavant que l'atour était quasiment fini et qu'il ne restait plus que les derniers ajustements - pour lesquels elle se présentait en ce jour à la boutique. La demoiselle patienta. Elle n'était pas venue sans rien : son bras gauche était chargé d'un énorme bouquet aux multiples couleurs pour honorer l'accouchée, et son bras droit d'un paquet surprise pour les jumeaux. Une manière aussi pour elle de témoigner à Irène combien elle était heureuse de la rencontrer enfin et de la savoir tirée d'affaires après de telles péripéties.

@Irène d'Aubeville

Plus concentrée que jamais, Irène s’attelait à un petit chef d’œuvre ou en tous cas, ce qu’elle espérait comme tel. Depuis qu’elle avait reçue cette commande de Monthoux, elle était plus enthousiaste que jamais. Maintenant qu’elle avait retrouvé toute sa forme, qu’Ingrid s’occupait des enfants et que les filles avaient tout leur temps pour jouer ou s’adonner à leurs activités sans qu’elle ait à s’inquiéter, elle avait l’impression qu’on lui avait soudain libéré la tête. Rien ne lui faisait désormais plus plaisir que de créer, dans son bel atelier tout nouveau qu’elle avait vite pris en main. Plusieurs dessins tapissaient les murs alors que des colonnes de tissus s’alignaient dans un coin, de même que des essais de couture sur un bureau récupéré à M. Lebrun.

Elle tournait autour de la robe. Elle avait choisi une jolie pourpre, digne de la dame qui se mariait, avec de beaux reflets. Elle avait ajouté quelques légères touches de violets dans les ombres de la robe, au centre. Irène avait également ajouté une légèrement collerette de dentelle, délicate et charmante, pour rehausser le teint de sa cliente. Elle hésitait encore pour les motifs des broderies, raison pour laquelle elle attendait de recevoir la future mariée. Elle avait réalisé quelques dessins, en espérant que cela lui plairait.

Quand on frappa à la porte, Irène sourit et descendit aussitôt pour aller ouvrir. Comme c’était pratique de tout entendre à présent depuis la mezzanine ! Cette maison lui changeait réellement la vie !

Alors qu’elle s’attendait à accueillir la jeune fille, elle eut la surprise de se retrouver surtout face à des fleurs. Elle cligna des yeux un moment avant de se reprendre, pour faire une légère révérence.

- Madame. C’est un plaisir de vous recevoir dans mon humble boutique.

Quand la porte s'ouvrit, Florentyna adressa son plus grand sourire à celle qu'elle comprit être la maîtresse des lieux. Elle s'amusa intérieurement de son clignement d'yeux surpris devant le gros bouquet - qui en effet la cachait presque, menue qu'était la demoiselle, elle s'en rendit compte. Invitée à entrer, elle promena deux secondes ses yeux au cœur du charmant atelier. Des cascades de tissus plus colorés les uns que les autres étaient çà et là déroulées. Un armada d'aiguilles, de rubans, des plans de créatrice sur la table. Florentyna trouvait toujours aussi fascinant de rentrer dans l'intimité et le processus créatif des artistes - comme avec Boréalion, dont elle appréciait de découvrir l'homme et son style de travail derrière la célébrité.

-- Merci de m'accueillir, chère Madame ! Moi aussi je suis enchantée de vous rencontrer enfin, j'ai entendu tant de bien de votre maison et surtout de la femme à sa tête.

Une femme qui dirigeait seule sa famille, ses affaires, son commerce, la demoiselle de Monthoux trouvait à cela bien des choses admirables et à saluer. Madame d'Aubeville devait avoir un caractère fort et, plus d'une fois certainement, eu à s'imposer. Son histoire était sans doute aussi belle que ses créations. Florentyna se tourna tout entière vers Irène et émit un petit :

-- Oh, mais (en se rendant compte qu'elle avait encore les bras chargés et qu'elle avait complètement oublié, avant de se reprendre) voici, Madame, en l'honneur du merveilleux événement - et plutôt deux fois qu'un - que j'ai ouï dire. Toutes mes félicitations, et mes vœux de bonheur pour ces chers enfants. Comment s'appellent-ils d'ailleurs ?

Elle lui aura tendu son bouquet de roses, tulipes et violettes ornées d'un élégant ruban dont les torsades venaient s'entremêler à une savante mosaïque de feuillages. Elle garda l'autre paquet sous le bras pour le moment, laissant à Dame Irène le temps de l'accueillir, de converser un peu - et de mettre le bouquet en vase - en espérant qu'il lui plaisait.

Demeurant surprise mais faisant de son mieux pour le cacher, Irène sourit à sa prestigieuse cliente en hochant la tête.

- Ne me remerciez pas, c’est normal.

Elle rosit quelque peu aux compliments et inclina la tête.

- C’est très aimable à vous… J’ose espérer que je serai à la hauteur !

Elle apprit avec stupeur qu’en effet, tout cela était bien pour elle, ce qui acheva de la déconcerter. Elle se mordit la lèvre. Pouvait elle dire qu’elle ne pouvait accepter ? Non, ce serait très certainement très impoli…

- Oh, je… Eh bien, merci beaucoup, c’est… c’est vraiment très aimable à vous…

Elle reçut les fleurs en inclinant de nouveau la tête. Cette dame avait une âme noble dans tous les sens du terme et très généreuse. En même temps, en tant que belle-fille de Kalisha, elle n’en attendait pas moins ! Afin que ce premier cadeau ne perde pas, elle prit un vase derrière son comptoir pour les placer dedans.

- Et voilà, elles seront parfaites ici !

Irène sourit à sa question.

- Vous savez déjà que ce sont des jumeaux. La petite fille qui est venue en premier s’appelle Anthalia et son frère est Trestinian.

Elle avait conscience que ce n’était pas bien conventionnel mais le Seigneur lui passerait sans doute cette originalité pour la laisser rendre hommage à son cher Antoine. Irène ne perdit pas toutefois son objectif de vue et sourit.

- Bien, souhaitez-vous voir votre robe à présent ?

Irène rosissait, toute émue de ses compliments vibrants d'enthousiasme et d'impatience. Oh, elle devait être assurée de son talent ! Le bouquet dans une main, Florentyna porta l'autre au cœur et affirma :

-- Voyons je suis certaine que ce que vous avez confectionné est plus qu'à la hauteur ! (Un temps, poussant un petit rire touché de voir tant d'émotion déclenchée par ses petites intentions florales) Il faut honorer une famille qui s'agrandit et la mère du foyer comme il se doit.

La demoiselle songea un instant au moment où, elle aussi, donnerait des enfants à Alduis. Dans combien de temps cette chose-là arriverait-elle ? Une année ? Un peu davantage ? Son époux serait-il... respectueux au lit, pas trop brutal, ni au contraire trop maladroit, ni tout le reste... Oh, elle voulut croire que la chose se passerait bien. Qu'Alduis ferait de son mieux sur cet aspect là également. Mais pour l'heure, Florentyna secoua discrètement la tête pour chasser ces associations d'idées et ces inquiétudes qui n'avaient pour le moment pas lieu d'être. L'heure était à se réjouir avec Madame d'Aubeville et à accueillir sa robe.
Un sourire rosé s'élargit de nouveau sur la blancheur de son visage. Elle suivit Irène des yeux, la voyant sortir un vase raffiné pour mettre le bouquet en valeur sur le comptoir. Toute émue, Florentyna croisa les doigts devant elle, avant de bondir de surprise de surprise autant que d'attendrissement à la mention des prénoms - surtout celui du petit garçon.

-- Trestinian ?! Comme le héros de Boréalion ? Alors vous aussi êtes une admiratrice de sa saga ? (Un temps, rêveuse) Les aventures de Trestinian m'ont bercée et fait rêver ces dernières années. Je ne compte pas non plus les heures que Kalisha et moi-même avons passées à nous lire chaque nouveau tome. Oh ! Comme Boréalion serait heureux, je suis sûre, d'apprendre que vous lui faites ainsi honneur ! Savez-vous d'ailleurs que je suis sa mécène ? (Puis revenant aussi tout de même sur le nom de la petite fille) Anthalia est charmant aussi, fort original ! Mes compliments pour ces beaux choix.

Elle aura approché, déposé son paquet sur un petit coin du comptoir. Elle allait l'offrir dans la foulée, mais l'oublia complètement quand sa mine rayonna en entendant Irène en venir à ce qui l'amenait et la faisait brûler d'impatience.

-- Oh oui ! Comme j'ai attendu ce moment !

Elle ne mentait pas. Quand bien même ces fiançailles et tout le reste l'inquiétaient encore, Florentyna le cachait et s'était en revanche fait une joie - les trois dernières semaines durant - de cette commande auprès de Dame Irène. Enfin, elle allait découvrir sa tenue.

-- Je vous suis.

Très touchée de la confiance que lui témoignait Florentyna, Irène sourit et se détendit un peu. Après avoir posé les fleurs dans le vase, elle hocha la tête pour confirmer ce que la dame avait entendu.

- C’est exactement cela. En effet, j’aime beaucoup les lire.

Elle prit un air un peu plus rêveur en arrangeant les fleurs.

- Mon mari aussi… Il les lisait en cachette et m’en a offert un à notre première rencontre. Malheureusement, je l’avais déjà, même si c’était le dernier. Nous avons rougi tous les deux avant de nous mettre à discuter.

C’était ce qui avait scellé leur bonne entente, en même temps que leur union. Ce simple livre avait fait comprendre à Irène qu’elle aurait droit au bonheur et pas simplement à un mariage. Cela l’avait rendu très heureuse à l’époque. Si elle avait su…

Mais rien n’était à regretter. Elle secoua la tête et se força à garder le sourire.

- Kalisha aime les lire aussi ? Cela ne m’étonne pas beaucoup cela dit, c’est le genre de livre qui plait à tout le monde et qui permet de s’évader un peu.

Et s’évader, la pauvre princesse en avait sûrement besoin, elle qui était souvent bien taiseuse et mélancolique. Elle sourit à Florentyna.

- Il le sait déjà, il l’a appris en venant ici quand je déménageais. Il me semble qu’il avait évoqué une mécène oui, mais je ne me doutais pas que c’était vous ! Le monde est bien petit.

Elle inclina la tête avec reconnaissance pour Anthalia.

- Merci, je suis également une amatrice de grec même si je me débrouille bien moins bien que mes nièces.

Irène sourit à son enthousiasme et l’invita alors à monter derrière elle vers l’atelier. Elle s’écarta près de la balustrade pour laisser à la jeune noble tout le soin d’admirer son travail et de l’observer sous tous les angles.

Déposant son paquet au coin du comptoir, Florentyna suivit Irène tout en l'écoutant parler de Boréalion. Elles avaient donc bien en commun un attrait pour les aventures de Trestinian. Voir rosir la dame d'Aubeville au souvenir de ce cadeau à feu-son époux était adorable et, toute sensible et perméable qu'elle était, la demoiselle rosit légèrement elle aussi par communication. Un détail au passage attira toute sa curiosité et la poussa à demander du tac-au-tac avec une vive curiosité :

-- Il le lisait en cachette ?! Oh ! Mais pourquoi donc ?

Elle ne se dit qu'après coup qu'une telle question était possiblement très indiscrète, et s'en voulut. Mais elle lui avait trop brûlé les lèvres... Quelle tristesse que de devoir lire dans le secret. Qui pouvait bien l'en empêcher ? Pourquoi ? Cependant... il y avait quelque chose de si romanesque et romantique à imaginer cet époux assouvissant en catimini un attrait pour les lettres. Sans compter que cela rendait encore plus beau et fort le cadeau d'Irène.

-- Oui ! Les livres de Boréalion lui procurent beaucoup de bonheur et toujours de merveilleux moment d'évasion, sourit-elle, se retenant d'ajouter à quel point son amie en avait effectivement bien besoin. Elle se réjouit plutôt d'entendre que l'auteur était donc déjà au courant de la belle nouvelle : Ah ! Voilà donc une plaisante nouvelle !

Elle imagina sans difficulté la mine surprise de l'écrivain. Ainsi que le mélange de contenance flattée et de grande émotion qui avaient dû l'animer. Il méritait ce bel hommage. Pour ce qui était du grec, Florentyna haussa les épaules avec légèreté :

-- Oh je vous rassure je ne suis pas des plus brillantes non plus avec cette langue, mais voilà qui ne nous empêche guère d'en apprécier les mythes et toutes ses autres richesses. En tout cas vous avez deux enfants chacun sous de très honorables patronages !

Elle ne se fit pas prier pour suivre la couturière à l'atelier, oubliant cette fois-ci complètement son deuxième présent qui devrait attendre la redescente. Florentyna fut beaucoup trop occupée à s'émerveiller de la création de Dame d'Aubeville. Le luisant de ces tissus, cette pourpre, le brillant de tous ces ornements qui cascadaient au gré des plis. La demoiselle fit plusieurs tours pour voir l'habit sous toutes ses coutures, apprécier le tomber de la traîne, le raffinement des baleines de ce bustier, le gonfler des manches... Ses yeux pétillaient comme rarement - comme à chaque fois qu'une œuvre d'art l'emportait... et même si ces fiançailles signaient son éloignement de Kalisha. Elle se consola en se disait qu'elles ne se perdraient pas pour autant. Et que c'était pour côtoyer Alduis. Oh, Alduis... la trouverait-il belle dans cette robe ? Elle voulait lui faire honneur.

-- Seigneur, elle est merveilleuse ! Quelle artiste vous faites ! Cette couleur, la finesse des points de ces fleurs !

Elle fit un dernier tour, admirant encore le travail d'orfèvre.

Demeurant un instant un peu rosissante comme une adolescente au souvenir d’Antoine, la figure hébétée avant de partir dans un grand éclat de rire, Irène se reconcentra cependant bien vite sur sa question. Elle secoua la tête en souriant.

- Tous ses amis moquaient ces livres en affirmant qu’il s’agissait de compte pour bonne femme. Antoine n’a jamais osé les contredire mais a continué à lire parce que cela lui plaisait.

Loin d’être offensée, Irène trouvait le naturelle de la conversation bien plaisant. Ce n’était pas habituel mais pas désagréable non plus. Elle ne put qu’approuver la jeune comtesse pour ce qui était de l’évasion, gardant une pensée silencieuse de soutien pour Kalisha. Elle sourit quand elle évoqua Boréalion. Le pauvre, elle avait bien cru qu’il allait se transformer en poisson tant sa bouche s’était ouverte.

Encore une fois, pour le grec, le naturel et la spontanéité semblait guider la jeune comtesse. Irène lui trouva quelque chose de pétillant. En tous les cas, elle était attachante, tant qu’elle se prit à penser que ce rendez-vous devrait durer plus longtemps. Il fallait dire qu’elle n’avait pas toujours des clientes agréables ou peu exigeantes, en avoir était parfois bien reposant… Irène sourit, espérant qu’effectivement, leurs noms soient pour ses enfants une bénédiction et non des fardeaux à porter. C’était bien là ce que c’était, des hommages un peu lointains, sans pour autant imposer l’ombre d’un père qui ne les prendrait jamais dans ses bras.

Sentant l’impatience les gagner toutes les deux, elle monta rapidement puis laissa la jeune femme découvrir sa robe. Parler d’Antoine la fit se souvenir de la découverte de sa propre robe, avec ses deux belles sœurs. Comme pour toutes les Cassin ou épouses de Cassin, elle était en bleu, un bleu magnifique qui reflétait la mer et le ciel. Jamais elle n’avait vu une robe si belle et, bien qu’elle s’en souvînt très bien, elle doutait de pouvoir un jour la reproduire ou faire aussi bien. Cela resterait un trésor, bien à l’abri dans une armoire du grenier. Peut-être qu’elle servirait un jour pour ses filles…

Elle fut tirée de sa rêverie par sa cliente. Elle rougit un peu de nouveau et inclina la tête.

- Artiste, rien n’est moins sûr, je fais ce que je peux pour obtenir un résultat qui vous convienne, voilà tout. Je suis heureuse qu’elle vous convienne.

Irène approcha d’un pas et montra quelques endroits en particulier.

- Voyez-vous quelque chose à ajouter ? Auriez-vous des demandes particulières pour des ornements, des broderies que vous souhaiteriez ajouter ? Je suis à votre service si vous souhaitez des arrangements ou des changements.

Elle ne put que compatir à ce qu'elle entendait d'Antoine : elle aussi, bien souvent, manquant d'énergie et de volonté de s'affirmer. Elle voulait ne pas blesser, elle voulait maintenir un équilibre avec sa famille, avec son milieu, quitte à mettre parfois ses questionnements un peu sous clé. Florentyna détestait les conflits, quitte à se renier parfois... Elle se pinça un coin de lèvre.

-- Je comprends. De tout cœur. (soupir) Et les imbéciles ! Il avait bien raison de lire ce qui lui plaisait, point. Sans compter que ceux qui traitent nos lectures de contes de bonnes femmes n'ont généralement pas des passions plus reluisantes, mais enfin, bref !

Ses mains s'étaient ouvertes devant elle dans un geste léger à ces derniers mots. Là-dessus elles se sourirent, ayant tout l'air de se comprendre sans parole nécessaires quant à la réaction de Boréalion, autant que sur l'attrait pour la langue hellénique qui donnait un si joli prénom à la petite dernière d'Irène.
Florentyna attrapa les pans de ses jupons pour se presser - mais pas trop - à suivre la dame d'Aubeville jusqu'à sa mezzanine où elle découvrit la petite merveille. Après force compliments plus que mérités.

-- Elle est parfaite ! Cette couleur sera du reste si originale ! (Un temps) Et vous qui avez ces doigts de fée, vous est-il déjà arrivé de vous coudre vos propres tenues pour certaines cérémonies ?

Irène l'invita à lui faire quelques nouvelles suggestions éventuelles.

-- Hm... (rosissant) Puis-je... puis-je l'essayer ?

Si Irène disposait du nécessaire lui permettant d'aller se changer, Florentyna ne s'en priverait pas : elle devait être parfaite le jour J, et s'assurer pour cela que la tenue avait été comme cousue sur sa propre silhouette. Sa petite tendance à la maniaquerie. Elle avait du reste réfléchi à une autre idée qui lui sembla un jeu galant - et qui, espéra-t-elle, éveillerait l'intérêt de son fiancé :

-- J'espère ne pas trop abuser de votre patience si... si je vous demande de rajouter un tout petit détail ? Oh pas grand-chose : là, tout près de l'épaule à droite, j'aimerais... un petit geai brodé.

Ses yeux guettèrent la réponse comme une enfant un peu anxieuse du caractère réalisable de ce qu'elle proposait - et de ne pas pousser trop loin par caprice. Mais le geai... serait comme une petite devinette si Alduis le remarquait et se posait la question de sa signification. Cet oiseau avait le grand talent de la discrétion. Il savait se voiler dans ses environnements. Il savait aussi imiter les bruits du monde. Mais pour mieux se protéger et protéger les siens. Voilà une symbolique lui semblant assez proche de ce qu'elle avait vu d'Alduis en ce premier repas : un jeune homme mystérieux, déguisant beaucoup ce qu'il était, fort de plusieurs talents dont lui-même n'avait osé parler - mais derrière tout cela, un grand honneur, une volonté de bien faire, un indéfectible attachement à ceux de sa famille. Famille dont elle allait être. Ce petit oiseau, ce serait son message codé pour son fiancé.

La compassion de la jeune femme fit plaisir à Irène. Elle sourit à la jeune femme, songeant qu’Antoine l’aurait adorée. Elle les aurait déjà bien vus à discuter tous ensemble dans un salon, dès le dernier livre sorti.

- En effet… Il était entier et sincère, c’était ce que j’aimais le plus chez lui. Et je suis bien d’accord, ce sont des imbéciles qui manquent quelque chose !

Combien de fois ces livres lui avait offert tout ce dont elle avait besoin ? Elle souvenait que, dans son deuil, lire une histoire où tout finissait bien, avec des amants qui finissaient ensemble et heureux.

Elles montèrent tout et deux, Irène en souriant de voir sa cliente si impatiente. Elle rosit quand elle lui dit qu’elle correspondait parfaitement à ses attentes. Comme cela lui faisait plaisir ! Elle aimait tellement voir ses clientes heureuses, plus encore avec des robes de mariée qui signaient l’entrée dans leur nouvelle vie. Elle voulait qu’elles soient le plus à l’aise possible, elle savait qu’il pouvait être délicat de porter une robe lourde et inconfortable toute une journée. Rien ne servait de la vivre si c’était un calvaire, notamment s’il s’agissait d’un mariage arrangé.

- Je pensais que la pourpre irait bien avec votre teint et la couleur de vos cheveux. Je suis heureuse que cela vous convienne.

Elle baissa la tête, rougissante de nouveau au confinement.

- Ce sont mes tantes qui ont cousu ma robe de mariage donc pas encore… J’ai simplement fait une robe pour le baptême de mon fils. Cependant, ma nièce devrait bientôt se marier et elle veut absolument que ce soit moi qui réalise sa robe et j’ai hâte !

Elle s’illumina à sa question.

- Mais oui, bien sûr ! C’est fait pour, vous aller pouvoir aller dans la cabine, en bas. Je pourrais alors faire les ajustements si cela est nécessaire.

Elle lui indiqua la direction avant d’écouter attentivement sa requête. Irène sourit en tentant de deviner ce qu’elle pouvait bien vouloir dire avec ce symbole.

- Oui, bien sûr, j’avais tout prévu pour ! Un geai sera ravissant.

Elle ne demanda bien entendu pas la raison, discrète comme elle savait le faire. Elle entreprit alors de décrocher délicatement la robe du mannequin pour la descendre.

- Venez, suivez-moi, je vais vous la passer dans la cabine !

Elle espérait qu’elle en serait encore plus contente en la portant.

Florentyna aimait la manière dont Irène parlait de cet homme. Antoine, donc, était fort d'une sincérité et d'une sensibilité dont malheureusement tant de gens manquaient à la Cour. Elle resta un temps rêveuse, semblant accompagner la dame d'Aubeville dans ses souvenirs émus. Enfin, sur une petite secousse de tête qui la ramena à l'instant présent, elle monta avec elle découvrir la robe. Un merveilleux ouvrage ! La demoiselle de Monthoux fut touchée de voir Irène rosir ainsi à son compliment : elle aimait de tout son cœur son métier et faire plaisir à ses clientes, cela se sentait immédiatement. Quelque part, Florentyna ressentait elle aussi ce genre d'émoi quand elle recevait les artistes qu'elle mécénait et percevait tout le contentement qu'elle leur apportait.

-- Votre nièce ?! Oh ! Toutes mes félicitations à elle dans ce cas ! s'illumina-t-elle à l'annonce du mariage prochain. Est-ce cette jeune femme que j'ai eu le plaisir de rencontrer en décembre à Monthoux ? La fille du Général Joseph ? En tout cas, je suis ravie d'apprendre une telle nouvelle et ne pourrai que lui souhaiter tout le bonheur possible.

Sa voix avait quelque peu faibli en prononçant ces derniers mots. Florentyna le souhaitait à cette nièce. Qu'en serait-il pour elle-même... Fiancée dans moins de deux semaines. Et dans une année, elle connaîtrait à son tour les hauts et les bas du mariage, en espérant que les joies en seraient tout de même plus forte malgré l'étrange personnalité d'Alduis. Mais pour l'heure, elle pensa surtout à adresser à son promis une galante petite devinette sur sa robe - un geai, donc, idée qu'Irène parut apprécier pour le plus grand plaisir de la demoiselle.

-- Parfait ! Je vous suis.

Silencieuse, excitée mais un peu intimidée tout de même, elle se dirigea vers la cabine et laissera Irène l'aider à ôter sa robe. Elle avait prévu jupons et prude corset par en-dessous. Florentyna y mettra aussi du sien, se dépatouillant avec les boutons puis les cerceaux, ne laissant pas les doigts habiles de la dame d'Aubeville faire tout le travail.

Un instant plongée dans ses souvenirs, Irène revint cependant rapidement à la réalité et sourit, comme à son habitude. Elle laissa sa cliente analyser le travail et lui dire ce qu’elle en pensait. Ses lèvres s’étirèrent un peu plus alors que Florentyna remettait Bélyl.

- Oui, c’est elle. C’est la seule qui est en âge de se marier, Angélique est encore un peu jeune pour y penser. Je lui transmettrai, soyez sûr qu’elle en sera ravie ! J’espère aussi qu’elle sera heureuse.

Encore fallait-il connaitre l’identité de l’heureux élu… même si elle commençait à entrevoir une possibilité de plus en plus nette. Et connaissant son frère ainsi que sa belle-sœur, cela ne les dérangerait pas.

Elle pencha la tête en la voyant soudain comme mal à l’aise. Elle aurait voulu s’approcher mais s’abstint. Elle n’était jamais qu’une commerçante, qui était-elle pour l’interroger sur ce qui allait ou n’allait pas ?

Irène se contenta donc de la conduire jusqu’à la cabine. Elle installa tranquillement la robe avec elle, avec application. Elle lissa le tissu avec application, jusqu’à ce tout soit parfait. Elle invita alors la jeune dame à sortir. Irène l’aida un peu puis lui présenta un miroir avant d’aller lui tourner autour.

- Mmh, ça me semble bien… Peut-être juste resserrer un peu la taille… Et je pense que le geai sera très bien là. Discret mais visible pour qui sera un minimum attentif.

Notamment son futur mari… Elle espérait que ce soit un homme bon et surtout attentif à ce détail. Il aurait sans doute bien de la chance d’avoir une jeune fille aussi gentille.

Bélyl, bien sûr ! La fille du Général Joseph - Florentyna avait vu juste et son sourire s'étira. Oh, elle ne se permettra pas l'indiscrétion de demander qui était l'heureux élu. Mais elle serait sans doute vite informée quand le moment viendrait : les histoires allaient bon train dans la ville, la demoiselle finirait par savoir. Toute à son enthousiasme pour cette ravissante jeune fille rencontrée en décembre, elle prit les mains d'Irène en partage de son vœu de bonheur.

-- Je prierai pour cela ! Et ma porte lui demeurera ouverte même si je vivrai prochainement à Fromart.

Elle s'empressa de passer à l'essayage et fut vite parée de sa tenue grâce à la dextérité de la couturière. Le miroir qu'elle lui tendit tout autour d'elle ne put que lui confirmer l'excellente première impression qu'elle avait eue en découvrant la robe. Florentyna prit le temps de s'observer, avant de faire gonfler le jupon dans un rapide tournoiement sur elle-même. Quel grâcieux tomber ! Elle confirma d'un petit hochement de tête la proposition de retouche que lui faisait Irène : il était vrai que le tissu baillait un peu à gauche de sa taille. Infime détail. Et trop serré, elle n'aimait pas non plus cela : les corsets faisaient déjà bien assez leur travail.

-- Je vous fais confiance ! affirma-t-elle : pour cette retouche comme, pour l'emplacement du geai. Elle se pencha un peu de ça, de là, profitant des jeux de brillants le long des motifs brodés. Vraiment ! Soyez certaine que je parlerai de vous à mes amies ! Enfin, celles qui ne vous connaissent pas déjà - je crois savoir que vous avez déjà eu le plaisir de rencontrer la princesse Kalisha ?

Il lui était tout bonnement impossible de l'appeler "belle-mère" depuis des mois. Elle était son amie, une des plus proches, et du reste Florentyna mettait un point d'honneur à lui donner son titre le plus élevé. De la détacher par la même occasion, au moins par les mots, de son statut au domaine de Monthoux où la pauvre se morfondait. Oh Dieu... pourvu que la roue tourne pour elle aussi. Il fallait que les choses changent !

Irène vit que Florentyna remettait sa nièce et sourit. Elle était certaine qu’elles pouvaient effectivement très bien s’entendre… Elle hocha la tête.

- Vous avez certainement beaucoup en commun toutes les deux… Elle sera certainement ravie d’aller vous voir et de vous tenir compagnie, il ne faudra pas hésiter à lui demander.

La pauvre se sentirait peut-être un peu seule au début dans sa nouvelle maison. Irène savait plus que quiconque l’importance d’avoir des amis et de pouvoir faire son nid grâce à cela. C’était grâce à cela qu’on pouvoir se sentir bien, surtout que Florentyna ne bénéficiait peut-être pas comme elle d’un mariage d’amour. Elle soupira malgré tout sans rien dire. C’était le lot de nombre de femmes, elle se savait bien chanceuse… Irène repoussa malgré tout ses idées, pour que le chagrin ne reprenne pas le dessus. Elle arrangea au mieux la tenue de sa cliente pour qu’elle ait tout le loisir de s’admirer.

Irène sourit en la voyant tourner et observa pendant ce temps-là tous les détails. Cela semblait assez bon, elle n’était pas mécontente d’elle ! Elle hocha la tête quand Florentyna l’autorisa à la resserrer un peu. Elle rosit ensuite au compliment.

- C’est vraiment très aimable à vous, j’en suis touchée…

Elle sourit à l’évocation de Kalisha.

- Tout à fait ! J’ai eu le plaisir de lui offrir une robe ! Je crois qu’elle en était contente. C’est une belle personne et il est d’autant plus facile de composer une robe pour ce genre d’individu. Comme pour vous !

Elle remarqua son air un peu plus attristé mais ne releva pas, la laissant dans ses pensées. Elle ne souhaitait pas trop la déranger.

Florentyna ne manquerait décidément pas de réception dès son emménagement auprès d'Alduis. Boréalion, Kalisha, Bélyl, la famille d'Aubeville. Que de monde avec qui continuer de garder les meilleures relations.

-- Je n'y maquerai pas. Kalisha et moi-même gardons un si bon souvenir de la rencontre de Mademoiselle Bélyl !

Kalisha n'était en réalité pas au meilleur de sa forme à ce moment-là... mais... c'était du passé. Les choses revenaient vers le mieux. C'était en tout cas ce qu'il fallait se dire, surtout dans des positions où l'avenir gardait sa part d'incertain aux portes de ces fiançailles. Malgré ses prières, Florentyna gardait une crainte : et si tout n'était pas reluisant dans cette union ? Elle avait encore en tête le triste exemple du mariage désastreux de son amie avec son père. La dame d'Aubeville sembla partager des pensées graves ainsi que ce soupir de compassion le laissait deviner. Elles étaient des femmes, elles se comprenaient dans ce qui toujours - ou presque - les tenait.

L'essayage se termina sur ces dernières demandes de corrections, et sur l'évocation commune de la princesse Kalisha. Ainsi donc, elles se connaissaient et Irène lui avait offert un beau cadeau comme cela ? Florentyna en fut touchée : elle avait si peu eu de relations et de marques d'attention au cours de son année à Monthoux, ce présent et ce contact avaient dû lui faire chaud au cœur - de cela, elle fut reconnaissante à la dame d'Aubeville.

-- Une de mes caméristes pourra-t-elle passer récupérer la robe aussitôt que vous y aurez apporté ces derniers petits ajouts ? demanda la demoiselle après qu'elle se sera défaite de l'atour et rhabillée. Comme elle avait hâte de se présenta dans cette robe devant Alduis !

Elle serait volontiers restée à admirer toutes les autres créations en cours, déployées ici et là en l'échoppe, les tissus, les accessoires, mais il fallait déjà s'en retourner. Elles redescendirent donc. Avant de passer la porte, Florentyna se retourna d'un bond - complètement étourdie qu'elle était, une main au front ! Elle tendit les mains vers le paquet laissé au coin du comptoir :

-- J'allais oublier ! Voici pour Anthalia et Trestinian !

Irène pourrait y découvrir deux petites peintures qui pourraient orner la chambre des enfants. Sur l'un, des bambins jouant dans un cadre champêtre sous une lumière estivale - et un bateau en pleine mer sur l'autre tableau, périple et invitation au voyage comme les romans de Boréalion en comptaient tant. Pourvu que l'imagination des deux nouveaux-nés trouve plaisir en temps voulus à trouver là de quoi s'émerveiller.

-- Encore merci pour tout, chère Irène, et je l'espère à très bientôt !

Irène sourit à Florentyna. Cela ne l’étonnait pas, sa nièce savait se faire apprécier. Elle remarqua une ombre passer dans son regard mais ne releva pas. Elle savait également quelles angoisses devait la saisir, se voyant ainsi vêtue, si près de l’autel… Elle avait connu les mêmes crainte, le même regard à ce reflet qui paraissait encore irréel à l’époque. Irène soupira doucement et se permit une brève main encourageante sur l’épaule de la jeune femme.

Elle lui sourit à l’évocation de Kalisha et de leur amitié, avant de hocher la tête pour la question pratique.

- Bien entendu, ce sera ainsi mieux pour vous ! Ce sera fait dans très peu de temps, ne vous en faites pas !

Elle la laisse se déshabiller et remettre sa tenue. Irène récupère la robe et fait déjà mentalement la liste des choses à faire pour qu’elle soit parfaite le jour J. Alors qu’elle pensait la saluer alors qu’elle partait, elle eu la surprise de la voir se retourner d’un bond, la faisant elle-même sursauter. Elle cligna des yeux en voyant le paquet. D’abord les fleurs et maintenant ceci ? Elle rosit.

- Oh mais… Vraiment, il ne fallait pas…

Elle le reçut cependant avec un grand sourire, touchée qu’on pense autant à ses enfants. Elle l’accompagna alors jusqu’au pas de la porte en serrant le paquet. Irène lui sourit avant de lui faire un salut.

- Merci à vous et je l’espère tout autant !