[3 Avril 1598] Tout partant d'une discission entre un frère et une soeur
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[3 Avril 1598] Tout partant d'une discission entre un frère et une soeur
Depuis un mois, Zacharie avait pris sous son aile ce jeune homme paresseux parti sur la vie d’un bien mauvais pied, mais ne se désespérait pas de le transformer en honnête homme. Souvent, il rechignait à faire ses tâches, mais finissait toujours par céder. Contrairement à ce que le ministre affirmait dans sa dernière lettre, il ne regretterait jamais de tendre la main à un pêcheur, surtout à un garçon ayant autant souffert. Certes, certains, mauvais éléments rechignaient à saisir la main tendue, mais dans la vaste majorité des cas, tous espéraient être sauvés. Seuls les imbéciles, au cerveau noyé par l'alcool, se détournaient du chemin divin pour prendre tôt ou tard celui vers la corde. Quentin n'appartiendrait pas à cette catégorie. Il le sauverait.
Après sa prière, il retrouva son protégé dans sa chambre et grimaça en constatant que celui-ci n’était une nouvelle fois pas levé.
“Quentin, je t’ai demandé d’être prêt pour la messe de sept heures.”
Le garçon se redressa dans le lit et bailla longuement avant de tourner la tête vers l'évêque. Il la baissa et murmura, honteux :
“Pardon. Hier soir, j’ai beaucoup prié. Je n’arrivais pas à dormir.”
Zacharie se radoucit et s'avnaçan n lui souriant avec bienveillance.
“ Qu’est-ce qui te préoccupe cette fois ?”
“Ma mère. J’ai eu la sensation qu’elle était triste depuis le Paradis. Triste de voir ce que je suis devenu. Un misérable. un..”
L'évêque l’arrêta en lui touchant l'épaule.
“Mais non, mon garçon, tu es une personne qui a souffert et qui cherche sa voie. Je suis trè fier du chemin que tu as déjà parcouru et ta maman doit l’être plus encore.”
“Vous en êtes sûr ?”
“Bien sûr. Une maman est toujours fière de ses enfants.”
Quentin sourit, apaisé, et se leva en chemise pour marcher vers la chaise. Alors qu’il commençait à revêtir sa tunique, Zacharie lui donna ses directives pour la journée. En premier, les ablutions, puis assister à un office avant d’aller étudier. Après le déjeuner, il s’occuperait du ménage ou du linge selon ce que les servantes décideraient. Une fois ces corvées faites, il aurait son temps libre à condition de ne pas quitter la cathédrale. Il n’avait pas encore assez mérité sa confiance pour sortir. Sans être aussi médisant que le ministre, Zacharie n’était pas non plus stupide. Dehors, de mauvaises personnes n’attendaient que cela : rencontrer un être vulnérable pour le soumettre à leur volonté.
“Bonne journée, mon garçon.”
De son sourire bienveillant, Zacharie le salua et sortit.
***
Re: [3 Avril 1598] Tout partant d'une discission entre un frère et une soeur
Quentin soupira.
Depuis le haut escalier de la cathédrale, le parvis s’apparentait à un Paradis inaccessible. Il aurait rêvé de se mélanger à ces gens et d’entendre leurs différentes histoires. Cet encens nauséabond et ces autres substances censées être purifiantes lui portaient aux nerfs. Ce stupide évêque aussi ! Devenir un honnête homme, voilà les seuls mots qui sortaient de sa stupide bouche ! Lui aspirait à retrouver une place dans la société, une place importante, mais cet imbécile le freinait. Ces corvées stupides l’énervaient. Passer la loque par terre, épousseter… Il n’était pas une femme ! Un bref instant, Quentin se raidit, tourna la tête et soupira. Cassandre n’était heureusement pas là. Si elle l’aurait entendu tenu ces propos, elle aurait hurlé. Ou l’aurait balancé au bas des marches.
Quentin releva la tête pour observer la place et quelques marchands ambulants hélant des badauds. Un second soupir lui échappa. L'idée de s'enfuir le tiraillait dans son ventre et dans sa tête. Il se l'interdisait. Chacune de ses tentatives s’était soldée par un échec. Il avait rencontré un démon sous des airs charmants, puis avait menti en croyant protéger son mariage et sa situation. S’il quittait la cathédrale, l’évêque ne le reprendrait plus. Cassandre ne voudrait sûrement plus lui parler non plus. il serait à nouveau seul, inapte à se trouver une place sûre. Au moins, dans son malheur, le vieux prêtre croyait à ses mensonges. Quand le soir, il prétendait être fatigué, celui-ci souriait et acceptait de le laisser se reposer jusqu’au souper. Après tous ces matins à traîner au lit, il croyait même encore à ces fables sur sa mère triste.
Soudain, une petite silhouette agile monta rapidement les marches. Le visage maquillé de sa soeur le surprenait encore, ainsi que sa robe simple mais étonnamment élégante. Elle ressemblerait presque une femme et elle n’était pas désagréable à regarder. Une fois, il avait surpris le regard d’un garçon se poser sur elle quand elle traversait la nef en longeant les murs et s’était avancé pour lui chuchoter être son grand frère. Il savait que celle-ci se serait défendue sans mal, mais il aurait été difficile de justifier de sortir une dague en plein milieu d’une messe, et plus encore de l’enfoncer dans une poitrine. Elle ne l’aurait pas regretté, mais contrairement à ce vicelard, elle ne méritait pas la corde.
Le pied à peine posé au sommet des marches, elle le dévisagea, sévère.
“Je croyais que tu ne devais pas quitter la cathédrale.”
Dès son arrivée, comme autrefois, elle commençait ses reproches, mais étonnamment, désormais cela ne l’agaçait plus. Son visage lui rappelait d’anciens souvenirs. Ceux où sa mère le grondait quand il faisait une bêtise. Avant, ce n’était pas clair pour le voir, mais maintenant, il le remarquait. Cassandre possédait un visage semblable semblable à celui de Sophie. Sophie qui ressemblait à leur mère. Il baissa la tête incapable de lui mentir à elle.
“J”étouffe à l’intérieur. et puis, tant que je suis là, que je descends pas, c’est encore la cathédrale, tu ne crois pas ?”
Sa réponse parut la satisfaire. Elle s’installa sur la même marche que la sienne mais en laissant toujours le même intervalle de distance. Elle ne lui pardonnait pas encore. Elle s’obligeait à lui rendre visite au moins une fois par semaine, mais ils ne partageaient jamais de grandes confidences. Elle lui parla rapidement de sa vie au château de Freen, de ses études… Parfois, il répondait, surtout qu’il pouvait expliquer un problème mathématique qui l’avait agacé ou une règle de grammaire que la fillette considérait être entièrement absurde. Il riait encore de ce moment où celle-ci s’était violemment exclamée que c’était bête que les accords se fassent en considérant que le masculin l’emportait sur le féminin. Plusieurs fidèles s’étaient retournés sur eux et un prêtre avait commencé à intervenir de manière timorée. Cassandre avait longtemps pesté contre l’infériorisation des femmes en usant d’exemples bibliques pour démontrer ses paroles. Son intonation avait étonnamment été calme, mais elle ne voulait jamais abandonner. Le vieux s’était finalement bougé de sa chaise, installée près de l’autel, pour l’appeler au confessionnal. Malgré les deux heures passées à l’intérieur, elle avait refusé de reconnaître ses torts ou de présenter des excuses. Ainsi était-elle restée jusqu’à la fin de la dernière messe à genoux sur les marches de l’autel, forcée de réciter ses prières, avant d’être reconduite au domaine de ses maîtres.
“C’est une bonne excuse, oui.”
Son sourire le libéra. Elle ne le gronderait pas. Après une courte hésitation, il reprit :
“Tu es très jolie aujourd’hui.”
“La flatterie est aussi mal que le mensonge.”
Il s’agaça de son air légèrement méprisant alors qu’il essayait d’être sincère et gentil.
“Je ne te flattais pas. Tu es très jolie, Cassandre. Bientôt, tu seras sûrement aussi belle que l’était Sophie.”
“Moi ? Non ! Non ! Moi, je suis moche ! C’est ce qu’Agathe disait. Je suis moche comme elle. Et elle disait que c’était mieux comme ça. qu’il ne fallait pas ressembler à Sophie.”
Quentin l'observa avec surprise trembler. Il n’avait jamais entendu ces histoires à la ferme, mais elles ne l’étonnaient pas. Agathe jalousait mortellement Sophie et avant le décès de leur mère, elle aimait raconter au village des histoires fausses sur la personnalité manipulatrice de sa cadette. Elle avait poursuivi après mais sur une victime plus candide. Cassandre, si jeune, ne pouvait remettre ses paroles en question.
“Agathe détestait Sophie. Depuis toujours. Tu n’as jamais remarqué qu’elles ne restaient que rarement dans une même pièce ? Quand elles descendaient au village, tout le monde adorait Sophie. Elle était belle, gentille… Et moi, une fois, j’avais même demandé à Agathe pourquoi elle n’était pas aussi belle. C’était bête, mais dans mon esprit de petit garçon, je croyais que les frères et sœurs se ressemblaient.”
La fillette secoua nerveusement la tête.
“Non…”
“Je t’assure que tu es très jolie, Cassandre;”
Elle inspira lentement et reprit la parole d’une voix à peu près calme :
“Tu es mon frère. Tu n’es pas objectif.”
Son déni l’amusait beaucoup. Elle si raisonnable, si maîtresse de ses nerfs, paniquait entièrement. Quentin rit en baissant le regard vers le bas du parvis. Jacques, l’un des fils du charcutier installé dans une rue adjacente, se tenait adossé au mur. Un bon garçon, qui regardait souvent les filles, mais sans paraître vouloir les importuner. Une idée lui traversa l’esprit.
“Dimanche, il y a un bal. Chiche que t’ose pas inviter le gars là-bas !”
“Les bals ne m'intéressent pas !”
“Bah, de toute façon, si tu n’es pas jolie, il va te dire non !”
“J’ai pas envie de me faire humilier !”
“Moi, je pense surtout que t’as pas les couilles d’y aller !”
La provocation résonna à ses oreilles comme une insulte. Il se délecta d’apercevoir son visage blêmir, puis se contracter. Elle refusait de s'exposer ainsi, mais refuser un défi, elle le supporterait encore moins.
“Eh bien, petite soeur, aurais-tu peur ?”
“J’ai peur de rien !”
“Alors, descends inviter ce garçon ! Il se nomme Jacques au fait."
***
Re: [3 Avril 1598] Tout partant d'une discission entre un frère et une soeur
Comment en était-elle arrivée là ?
En s’arrêtant au milieu de ce long escalier, Cassandre fixa le jeune homme adossé au mur et le moment fatal se rapprocher. Elle se sentait comme une condamnée marchant vers la potence. Même le pilori ne lui avait pas causé une frayeur comme ça. Son ventre s’était noué et elle se sentait proche de vomir. Parler à un garçon de son âge, ou de quelques années de plus, ça allait. Tant que le sujet restait léger. Mais inviter un garçon. Inviter un garçon au bal. Son frère voulait la tuer. Elle ne voyait aucune autre explication. Si seulement elle n’était pas aussi orgueilleuse… si seulement elle n’était pas si bête…
Lentement, Cassandre se remit à avancer et parvint au bas des marches. Le dénommé Jacques n’avait pas encore relevé la tête. S’il pouvait partir tout de suite… Quentin ne lui reprocherait pas l’échec si le garçon qu’elle devait inviter s’en allait de lui-même. Malheureusement, il resta bien là et elle dut marcher, le cœur tambourinant dans sa direction. De la sueur lui coulait à présent dans le cou et dans la paume de ses mains. Il se redressa à son approche et sourit en se découvrant pour la saluer.
“Bonjour, est-ce que je peux quelque chose pour toi ?”
“Je…”
Elle ferma les yeux. Autant s’achever tout de suite et le plus rapidement. Quelques personnes proches seraient témoins de son humiliation. Après ça, elle n’oserait plus quitter le château pendant des semaines. Kalisha aurait sans doute besoin d’aide pour un tas de services. Ou alors elle assisterait Eldred à l’écurie.
“Dimanche. toi et moi. Au bal.”
Le regard étonné de Jacques lui fit prendre conscience de l’intonation sèche avec laquelle elle venait de lui aboyer dessus. CCassandre rougit et bégaya:
“Pardon : Je… Je voulais dire. Je voulais savoir si tu accepterais de venir au bal avec moi. Je voulais pas le dire comme ça ! Pardon ! Pardon !”
Son interlocuteur sourit et elle baissa la tête, déjà honteuse. Toute la place allait se moquer d’elle. Elle serait la risée générale. Le pilori ! Elle voulait revenir au pilori. Quand sa tête était enchâssée, exposée aux vices de la population. Au moins, ça, elle l’avait mérité. Soudain, Jacques toucha un instant sa joue et retira sa main quand la fillette sursauta.
“Je serai ravi d’être ton cavalier.”
Cassandre balbutia, le cerveau trop perdu pour réussir à prononcer des mots corrects qui formeraient une phrase cohérente. Elle entendit Jacques proposer de se retrouver ici vers dix heures et d’aller ensemble au bal après la messe. La fillette bredouilla un timide oui avant de réussir de retrouver un début de lucidité.
“Pardon. Je.. mon frère !” Je dois retourner auprès de mon frère !
Immédiatement, elle partit encourant, sans saluer, et remonta les escaliers à toute vitesse. Au sommet, la fillette s’écroula à terre, essoufflée, alors que Quentin, hilare, se tenait les côtes. Désespérée, Cassandre se releva en le fixant d’un air sombre.
“Et je fais quoi maintenant, crétin ?”
“Ben, tu vas danser Dimanche !”
“Mais non ! Mais… Mais…”
“Tu l’as invité, Cassandre, il t’a dit oui. c’est pas poli de pas y aller.”
“Mais je ne veux pas un prétendant ! Je…”
“Ce n’est qu’une danse ou deux. Si tu ne veux plus le voir après, tu lui diras.”
Alors que son frère continuait à rire de ses airs perdus, Cassandre se calma peu à peu. Puis, elle songea à ce soir, quand elle raconterait à Kalisha sa sortie et devrait avouer cette invitation. Elle était perdue. Sa maîtresse allait en rire des heures.
Afin de ne pas rester aussi passive, Cassandre choisit de reprendre la main et demanda d’un sourire narquois :
“Dis donc, toi, tu n’as pas envie de vivre une véritable expérience amoureuse, avec un homme ou une femme. Moi, je te juge pas !”
Son sourire s’étira, savourant d’avance le visage défait qui s’offrirait bientôt.
En s’arrêtant au milieu de ce long escalier, Cassandre fixa le jeune homme adossé au mur et le moment fatal se rapprocher. Elle se sentait comme une condamnée marchant vers la potence. Même le pilori ne lui avait pas causé une frayeur comme ça. Son ventre s’était noué et elle se sentait proche de vomir. Parler à un garçon de son âge, ou de quelques années de plus, ça allait. Tant que le sujet restait léger. Mais inviter un garçon. Inviter un garçon au bal. Son frère voulait la tuer. Elle ne voyait aucune autre explication. Si seulement elle n’était pas aussi orgueilleuse… si seulement elle n’était pas si bête…
Lentement, Cassandre se remit à avancer et parvint au bas des marches. Le dénommé Jacques n’avait pas encore relevé la tête. S’il pouvait partir tout de suite… Quentin ne lui reprocherait pas l’échec si le garçon qu’elle devait inviter s’en allait de lui-même. Malheureusement, il resta bien là et elle dut marcher, le cœur tambourinant dans sa direction. De la sueur lui coulait à présent dans le cou et dans la paume de ses mains. Il se redressa à son approche et sourit en se découvrant pour la saluer.
“Bonjour, est-ce que je peux quelque chose pour toi ?”
“Je…”
Elle ferma les yeux. Autant s’achever tout de suite et le plus rapidement. Quelques personnes proches seraient témoins de son humiliation. Après ça, elle n’oserait plus quitter le château pendant des semaines. Kalisha aurait sans doute besoin d’aide pour un tas de services. Ou alors elle assisterait Eldred à l’écurie.
“Dimanche. toi et moi. Au bal.”
Le regard étonné de Jacques lui fit prendre conscience de l’intonation sèche avec laquelle elle venait de lui aboyer dessus. CCassandre rougit et bégaya:
“Pardon : Je… Je voulais dire. Je voulais savoir si tu accepterais de venir au bal avec moi. Je voulais pas le dire comme ça ! Pardon ! Pardon !”
Son interlocuteur sourit et elle baissa la tête, déjà honteuse. Toute la place allait se moquer d’elle. Elle serait la risée générale. Le pilori ! Elle voulait revenir au pilori. Quand sa tête était enchâssée, exposée aux vices de la population. Au moins, ça, elle l’avait mérité. Soudain, Jacques toucha un instant sa joue et retira sa main quand la fillette sursauta.
“Je serai ravi d’être ton cavalier.”
Cassandre balbutia, le cerveau trop perdu pour réussir à prononcer des mots corrects qui formeraient une phrase cohérente. Elle entendit Jacques proposer de se retrouver ici vers dix heures et d’aller ensemble au bal après la messe. La fillette bredouilla un timide oui avant de réussir de retrouver un début de lucidité.
“Pardon. Je.. mon frère !” Je dois retourner auprès de mon frère !
Immédiatement, elle partit encourant, sans saluer, et remonta les escaliers à toute vitesse. Au sommet, la fillette s’écroula à terre, essoufflée, alors que Quentin, hilare, se tenait les côtes. Désespérée, Cassandre se releva en le fixant d’un air sombre.
“Et je fais quoi maintenant, crétin ?”
“Ben, tu vas danser Dimanche !”
“Mais non ! Mais… Mais…”
“Tu l’as invité, Cassandre, il t’a dit oui. c’est pas poli de pas y aller.”
“Mais je ne veux pas un prétendant ! Je…”
“Ce n’est qu’une danse ou deux. Si tu ne veux plus le voir après, tu lui diras.”
Alors que son frère continuait à rire de ses airs perdus, Cassandre se calma peu à peu. Puis, elle songea à ce soir, quand elle raconterait à Kalisha sa sortie et devrait avouer cette invitation. Elle était perdue. Sa maîtresse allait en rire des heures.
Afin de ne pas rester aussi passive, Cassandre choisit de reprendre la main et demanda d’un sourire narquois :
“Dis donc, toi, tu n’as pas envie de vivre une véritable expérience amoureuse, avec un homme ou une femme. Moi, je te juge pas !”
Son sourire s’étira, savourant d’avance le visage défait qui s’offrirait bientôt.
***
Re: [3 Avril 1598] Tout partant d'une discission entre un frère et une soeur
Quentin rentra les épaules pour ne pas apercevoir le sourire cruel de sa sœur.
Il aurait dû prévoir que celle-ci se vengerait et elle frappait toujours fort, mais la farce avait été si tentante.
Vivre une véritable expérience amoureuse. Ces mots lui donnaient la nausée. Il se revoyait dans une des chambres avec l’un de ses clients se soumettre à chaque exigence. Un meuble. il n’aurait été qu’un meuble. Un trou. Un trou à remplir. Ses muscles tremblèrent en revivant cette première fois. L’homme l’avait poussé et agi sans lui fournir aucune explication. Il avait pleuré, supplié, mais cet être s’était délecté de sa souffrance. Il ne se laisserait plus toucher par ceux de son sexe. Pour une fois, le vieux avait raison. Cette pratique était répugnante et il se sentait inapte à séduire véritablement une femme. Une main seulement posée sur son bras suffisait à réveiller ses angoisses.
Après une longue intérieure, Quentin lâcha abruptement :
“Je vais devenir curé.”
Cassandre l’observa, un instant surprise, puis pouffa.
“Toi ?”
Quentin se redressa en adoptant une posture hautaine avant de lui répondre.
“Monsieur Ratiez affirme que c’est l’unique position possible. Si je me refuse au mariage, ce qu’il comprend au vu de mes antécédents, il n’y a d’autre voie que la prêtrise."
“Ou tu peux lui dire que tu resteras célibataire et d’aller bien se faire foutre !”
“Cassandre !”
=“Ben quoi ? Personne n’a le droit de dire comment tu dois vivre, et surtout la manière dont tu vis, ben ça décide pas si tu veux baiser ou pas !”
Un long soupir las lui échappa. Comme autrefois, elle ne le comprenait pas. Avant, du fait de son jeune âge, elle le blâmait de son manque de motivation et l'accusait de paresse. Elle répétait alors ces paroles que son père ou d'Agathe qui l’abreuvaient de leurs reproches malsains. Désormais, rien ne changeait. Elle affirmait en fonction de sa personnalité mais elle ne se mettait pas à sa place.
“Tu ne comprends pas…”
“Alors, explique-moi !”
“Je… Dans cette société, il est admis que pour avoir réussi sa vie, il fallait être marié. Homme ou femme, personne n’échappe à cette règle. Ou alors, c’est le couvent ou la prêtrise. Je… Je ne veux pas vivre un autre mariage, Cassandre. Je ne pourrais pas.”
“Ben, te marie pas alors !”
“M’a-tu écouté ? Tout le monde doit se marier. Sinon tu seras critiqué. on se posera des questions sur toi.”
“Ben, laisse-les dire ! Les gens, ils aiment parler, et surtout raconter des rumeurs. Si c’est pas sur ton célibat, ils trouveront autre chose.”
“Ils…”
Devant l’air buté de la fillette, il préféra ne pas poursuivre. Elle ne comprenait pas. Sans doute était-elle encore trop jeune. Malgré ses mésaventures, elle n’avait pas eu encore à réfléchir sur sa future vie d’adulte. Sa survie primait. S’il pouvait être encore si innocent…
Soudain, la main de Cassandre se posa avec prudence sur sa jambe et le sourire étonnamment doux sur son visage l’intrigua.
“Je sais que tout ça, c’est compliqué à remettre en question. Que tu veux être comme les autres, mais parfois, il faut accepter qu’on ne sera pas entièrement comme eux. Et en aucun droit, ça n’autorise à ce que tu forces dans le choix d’un métier ou d’un mariage. Ou tu en seras malheureux."
“Malheureux ? “
“Comment imagines-tu ta vie de curé ?”
“Bah, je… Monseigneur Ratiez a dit qu’il m'appuiera. Qu’il m'aidera à devenir évêque, puis cardinal.”
“Mouais… Ou alors, il va se servir de toi comme d’un marchepied”
“Se servir de moi ?”
“Ben, oui, les gens qui placent une personne à une certaine place, il est bien rare qu’elles fassent ça juste pour faire plaisir. Souvent, elles attendent un retour et toi, conscient que tu lui dois ta place, ben tu accepteras la faveur. Surtout que ça commencera par de petites choses. Tu ne remarqueras rien.”
Quentin bégaya :
“Mais…C’est un homme si gentil ! Jamais…”
Cassandre éclata aussitôt de rire.
“Parce que tu crois encore que le monde se divise en gentils et méchants ?”
“Euh.. ben… oui. Et puis, des hommes d’églises, ils incarnent la vertu. Ils ne peuvent….”
“Il n’y a rien de plus ambitieux qu’un homme d’église, pourtant. Si tu savais tout ce que j’ai vu sur eux au lupanar. Oui, oui, ils fréquentent les bordels. Tu veux parler de leur voeu de chasteté, peut-être alors ?”
Cassandre baissa alors le son de sa voix et commença à lui confier le souvenir de soirées pendants lesquelles prêtres, évêques et cardinaux buvaient le meilleur vin de la maison, courtisaient les filles et préféraient chanter les chansons paillardes que les hymnes chrétiens. Quentin l’écoutait, de plus en plus défait. Chaque nouvelle histoire creusait un peu plus profond la tombe de ses désillusions.
“Alors… On ne peut se fier à personne.”
“Non. Même si le lupanar a été une période terrible, je suis satisfaite de l’avoir vécu. Au moins là-bas, j’ai vu ce que c’était cette société. De son hypocrisie. Si tu veux t’en sortir, sois indépendant. Tu ne peux pas vivre seul, tu auras besoin des autres de temps en temps, mais tu ne dois pas non plus être dépendant d’eux.”
“Alors, qu’est-ce que je dois faire ?”
“Ben, euh, je suppose que tu ne veux être ni artisan ni commerçant ?”
“C’est assez fatiguant. et puis, je ne sais pas travailler de mes mains.”
“Feignasse.”
“Non, je suis économe de mes moyens.”
“Tu peux l’envelopper comme tu veux, mais pour moi, ça voudra toujours dire que tu as des œufs de dragon sous les bras.”
Quentin baissa la tête en constatant que le jugement de sa cadette n’évoluerait jamais. même éloignée de l’influence de leur père, elle continuait de le voir comme un profiteur. Elle garda toutefois son calme et reprit quelques minutes plus tard :
“Et si tu écrivais des histoires comme Boréalion ? Les romans d’aventure, ça plait à plein de gens, et la camériste de ma maîtresse lit souvent des passages, c’est plutôt intéressant à entendre. Toi, qui rêvais de vivre des aventures, tu n’as qu’à les écrire !”
“Mais je n’ai pas les compétences pour !”
“Tu sais écrire, non ? Tu sais même rédiger ? Et en plus, c’est pas fatiguant de rester assis à écrire, alors t’en dis quoi ?”
“Ben… et comment je vis d’écrire ?”
“Tu n’as qu’à rester ici ! Tu dis à l’évêque que tu veux profiter des lieux pour ta retraite. Tu lui obéis, comme un bon toutou, puis quand tu as un temps libre, tu écris ! Ou alors, tu lui dis concrètement que tu aimerais essayer d’être écrivain !"
“Mais s’il veut me voir curé, il sera furieux ! Et s’il me jette dehors ?”
Cassandre pouffa aussitôt.
“Lui, te jeter à la rue ? A part si tu baises sa soeur, il ne te fera rien ! Et encore, pour sa sœur, il faut la baiser pendant deux ans avant qu’il réagisse !”
“Tu crois ?”
“Mais oui ! Qui c’est qui connaît les hommes d’église de cette ville, selon toi ? “
“Eh bien, tu en as effectivement observé beaucoup, oui.”
“Donc, mes avis sont fiables, tu vois !”
Quentin baissa à nouveau la tête, désespéré par toutes ces épreuves qui semblaient encore l’attendre. Rien dans la vie n’était simple. Il aurait dû l’avoir compris, mais son esprit semblait refuser d’apprendre cette leçon. Quelques minutes plus tard, Cassandre se leva, résolue à se retirer. Elle lui souhaita toutefois un “bon courage” sincère qui le toucha. Il se redressa pour la remercier et l’observa descendre l’escalier avant de se laisser tomber en arrière.
Que la vie pouvait être complexe !
***
Re: [3 Avril 1598] Tout partant d'une discission entre un frère et une soeur
En atteignant l’avant-dernière marche, Cassandre se figea alors que son regard se posa vers le maudit mur. Le fameux Jacques y était encore adossé. Par chance, lui n’observait pas dans cette direction. Le coeur tambourinant, elle sauta sur les pavés et se dépêcha de slalomer entre les badauds pour atteindre une autre sortie du parvis. La fillette ralentit l’allure en arrivant dans une rue plus calme et s’appuya à la façade d’une maison.
Un bal.
Elle avait invité un garçon.
Elle avait invité un garçon à un bal.
Si la situation n’était pas aussi désespérée, elle aurait hurlé de rire tant c’était ridicule. Tout ça à cause de son stupide orgueil ! Une fois de plus, elle n’avait pas su refuser à un défi lancé, et cette fois, elle allait en payer les conséquences.
Aller à un bal.
Aller à un bal avec un garçon.
Si seulement elle pouvait en discuter avec quelqu’un qui la comprendrait, qui pourrait l’aider. Mais si elle racontait cette histoire à Kalisha, elle s’exclamerait que c’est une bonne idée etréfléchirait avec sa camériste à une toilette. Or, elle ne voulait pas y aller. Vraiment pas ! Alors, à qui pourrait-elle parler ? Eldred ? Il lui proposerait une manière de régler le problème trop brutale. Ce Jacques n’avait pas l’air méchant et ne méritait pas une frayeur si Eldred imaginait l’intimider. Sylvère ? Cassandre pâlit immédiatement en songeant à l’expression hilare de son grand frère dès l’instant où elle prononcerait le mot bal, surtout suivi de garçon. S’il ne s‘étouffait pas, il se rappelerait sûrement de sa phrase moqueuse sur la saison des amours. Elle ne lui dirait rien. Jamais. Plutôt mourir ! Plutôt marcher vers la grande place et mettre elle-même sa tête dans la corde de la potence !
D’un coup de pied colérique, Cassandre frappa un caillou sur le chemin.
Si seulement elle pouvait en parler…
Soudain, le visage joyeux d’Angélique lui traversa l’esprit. Son amie, de son âge, la comprendrait, elle ! Immédiatement, la fillette courut pour rejoindre sa maison. La porte à peine passée, elle salua vaguement la famille présente, sans voir qui était réellement et saisit le bras de la jeune fille pour l'entraîner à l’étage. Dans la chambre des enfants, Cassandre referma la porte brutalement la porte, marcha vers le lit qu’Angélique partageait avec sa cadette et s’effondra dedans, les bras en croix.
“C’est la catastrophe !”
“Que se passe-t-il, Cassie ?”
Angélique, posée, la rejoignit en marquant sa surprise et l’interrogea sur les causes de sa panique. Cassandre bafouilla pour s’expliquer et mit longtemps avant d’avouer qu’elle venait d’inviter un garçon au bal de l’église Saint-Jean-Baptiste. Son amie l’écouta patiemment, puis battit joyeusement des mains.
“C’est merveilleux !"
“Quoi ?"
Cassandre se redressa, perdue, cherchant à noter une expression moqueuse, mais Angélique paraissait sincèrement enthousiaste.
“Mais… Angie ! Angie, je ne peux pas y aller !”
“Pourquoi ? Moi aussi, je vais y aller ! Un de mes oncles m’emmène souvent à ces bals que les curés organisent ! On s’amuse bien ! Et au retour ou au lendemain, c’est encore plus drôle !”
“Pourquoi "
“On critique les robes des autres filles, les paroles que certaines ont eu, certaines femmes qui se croient encore à vingt ans… On rigole toujours bien de tout ça !”
“Mais se moquer, c’est pas méchant ?”
“Mais non ! Tout le monde fait ça ! Et puis, quand tu me racontes les bêtises de cet esclave, t’es pareil !”
“Oui, mais bon, lui c’est un cas désespéré.”
“De toute façon, maman, elle m’a expliqué que tout le monde se moque un pu de tout le monde. alors, bah, autant le faire aussi ! Et puis, la personne dont tu te moques pas n’entend pas, c’est pas méchant :!”
Cassandre esquissa un faible sourire. Plaisanter en secret de ceux qui se rendaient ridicules, elle agissait comme ça avec Eldred ou parfois même Coldris. tous les matins, en retrouvant le zarkotien à l’écurie, la fillette lui rapportait les derniers faits d'armes de monsieur Wagner. Hier, celui-ci avait été persuadé que l’une des servantes souffrait d’anémie devant la pâleur de son teint. Il avait dépêché un médecin qui avait conclu que la jeune femme jouissait d’une excellente santé. L’intendant n’avait pas rougi de zèle et s’était exclamé que c’était rassurant à entendre. La comptable, au contraire, avait grincé des dents une heure plus tard et avait reproché à monsieur Wagner sa dépense inutile. Une étrange dispute avait suivi, sur un ton toujours poli, sans jamais lever le ton pour essayer de persuader l’autre.
“D’accord, je vois. Mais le bal… Pendant le bal. Angie, comment on fait avec les garçons ?”
“Ben, tu danses avec ceux qui t’invitent ou que tu invites.”*
“Mais… S’ils essaient de faire des choses ?”
“Ben, tu mets une claque à celui qui se comporte mal et tu vas voir ailleurs !”
Cassandre rougit de cette réponse évidente. Elle aurait pu le deviner seule, mais se savoir dans cette situation, face à un garçon qu’elle venait d’inviter lui faisait perdre tout sens commun. La fillette baissa la tête, encore incertaine.
“J’ai peur…”
Angélique se releva en lui souriant et la prit dans ses bras.
“Je serai là, Cassie. Si tu as un problème, tu n’auras qu’à me rejoindre. Et si ton cavalier est pénible, nous nous arrangerons pour le fuir."
Alors que Cassandre demeurait encore incertaine, perdue par cet événement improbable, Angélique sautiller pour lui proposer de tester quelques essais de coiffure.De bon gré, la fillette laissa son amie exercer ses talents et sourit de temps en temps en remarquant son reflet dans le petit miroir de poche de la jeune fille. Les tresses qu’elle formait servait ensuite à tisser une couronne. Pour une rare fois de sa vie, elle se sentait jolie.
“Tu seras ravissante, ma Cassie “ souffla Angélique. “Si tu te coiffes comme ça pour le bal.”
Dans la petite chambre voisine à celle de Kalisha, Cassandre gardait les yeux ouverts alors que celle-ci s’était couchée depuis plus de deux heures. Demain, elle se rendait à un bal. Demain, elle se rendrait à son premier bal. La phrase tournait en boucle et menaçait de la rendre folle. Les explications légères et enthousiastes d'Angélique avaient disparu et seule l'angoisse et la peur l’entouraient au milieu de l’obscurité. Au château, depuis deux jours, plus personne n’ignorait l’événement. Même les commis de cuisine ou les préposés à vider les pots d’étrons en discutaient Sa vie privée s’était changée en jardin ouvert.
Au soir de son retour, Cassandre avait rapporté, la mine basse, à sa maîtresse les échanges avec son frère et son stupide défi. Kalisha en avait ri et l’avait bien sûr encouragé à y aller en lui proposant même une nouvelle robe. La camériste avait gloussé tout le long de la discussion et celle-ci avait dû nourrir les premières rumeurs le lendemain.
Hier matin, après son cours, Cassandre avait cru bavarder normalement avec Eldred, mais en arrivant à l’écurie, celui-ci lui avait spontanément demandé si elle aimait danser. Ele avait dû tout raconter à lui aussi, avec plus de gêne encore qu’avec Kalisha. la suite, Cassandre préfèra oublier. Cela avait été si ennuyeux de l’entendre multiplier les recommandations. Comme si elle n’était pas assez grande pour savoir seule comment frapper une couille qui n’avait pas à être là ! Elle s’était retenue plus ou moins poliment de soupirer et n’avait cessé de rouler des yeux. Et il avait insisté pour l’accompagner ! Elle ! Comme si elle avait cinq ans ! Elle avait eu beau supplier, cette tête de mule n’avait rien voulu entendre, hormis la minuscule concession de lui accorder une distance de quinze pieds minimum.
Cassandre soupira.
Elle était trop énervée : elle n’allait pas dormir de la nuit. Demain, elle serait dans un état lamentable et ce serait bien une catastrophe.
Cassandre descendait lentement la pente qui la menait à Braktenn et observait la porter se rapprocher avec une anxiété croissante. Finalement, à sa surprise, elle avait su s’endormir avant minuit. Monsieur Wagner l’avait forcé à bien manger, puis elle s’était habillée d’une jolie robe avant de refaire la coiffure qu’Angélique lui avait montré quelques jours plus tôt
Plus la cathédrale approchait, plus elle se sentait terrifiée. c’était sans doute stupide, mais elle avait l’impression que toute sa vie allait se jouer en un seul instant. Si cela se trouvait, Jacque lui avait répondu un oui pour lui faire une farce et ne serait pas là. Cassandre arriva sur le parvis, nauséeuse, et distingua le garçon adossé au mur, comme l’autre jour. Elle jeta un rapide regard en arrière à son garde du corps trop têtu pour lui signifier de ne pas approcher et s’avança.
“Euh… bonjour.”
Jacques se décolla du mur et répondit d’une salutation aussi maladroite que la sienne, le regard fuyant, les mains dans les poches. Contrairement à la dernière fois, Cassandre releva la tête pour mieux l’observer et nota que son cavalier était jeune. sans doute un an de pus qu’elle, mais certainement pas plus. De petite taille, elle touchait ses épaules du sommet de sa tête. Il avait un teint pâle et une tunique pour le moins soignée. Il ne pouvait être le fils d’un bourgeois.
“Euh au fait, je me nomme Cassandre. Cassandre Velasquez. désolée, la dernière fois, j’ai oublié. J’étais un peu nerveuse.”
“Je comprends. je.. moi aussi, j’étais intimidé. et je ne me suis pas présenté non plus. Moi, je m’appelle Jacques. Jacques Frayer. “
Un silence assez long suivit pendant lesquelles ils ne trouvaient quoi ajouter. Cassandre se décida finalement avec timidité à proposer d’aller à l’église Saint-Jean-Baptiste rejoindre ce fameux bal. Si elle n’allait pas au bout Frenn entier, et Eldred allaient en rire des semaines ! Le long du chemin, Sacha garda la tête baissée, encore mal à l’aise, et la fillette, hésitante, commença à faire la conversation en discutant de sa vie au château. Elle n’évoqua pas directement son travail, mais rapportait des anecdotes insignifiantes sur des domestiques. Peu à peu, son cavalier se détendit et finit par éclater de rire.
Ils arrivèrent aux abords de l’église et le son de violon faisait danser les participants. différents jeunes gens et des enfants enchaînaient des tourpions ou des gavottes. Quelques femmes se mélangeaient à ces groupes, mais comme pour les hommes de leur âge, elles préféraient bavarder ou séduire. Une d’elles semblait d'ailleurs prête à embrasser un malheureux qui se dirigeait à grand pas vers un curé. Angélique n’était pas là, mais sans doute avait-elle été avalée par cette foule immense.Cassandre hésita, puis se tourna Jacques.
“Alors, on…”
Son cavalier avait reculé, livide, et secoua la tête.;
“Tu as peur ? Tu sais moi non plus, je ne sais pas danser. Promis, je moquerai pas !”
“Je… j’aime pas ça. Ce monde.”
Il se recula encore et elle le suivit dans la ruelle. Eldred ne manquerait pas de passer la tête.Aucun respect pour son intimidé ! Cassandre observa Jacques s’afaisser le long du mur et soupirer.
“Pardon. je… Je n’ai pas la foule. Le monde.”
“Pourquoi tu es venu alors ? Pourquoi tu m’as dit oui ?”
“Je ne savais pas quoi dire. Et après, après, mon grand frère m’a dit que ce n’était pas poli de ne pas répondre à une fille qui m’avait invité. je suis désolé”.
Malgré elle, Cassandre éclata de rire.
“Moi, c’est mon grand frère qui m’a dit de venir t’inviter.”
“Et pourquoi tu l’as fait ?”
“Parce qu’il disait que j’avais peur. Ce qui était vrai, mais je ne pouvais pas lui montrer. alors, je l’ai fait.”
Il garda la tête baissée. La fête promise, contrairement à ce qu’Angélique lui décrivait, avait tout du fiasco. Ce n’était même pas sa faute. Ni même celle de Jacques. Ils n’auraient dû juste ni venir l’un et l’autre. Elle l’avait invité pour une mauvaise raison et lui avait cédé pour une autre mauvaise raison.
“Rentrons.”
“Tu n’es pas déçue de moi ?”
Elle lui offrit un sourire tendre.
“Non, pas du tout et je ne veux pas être le genre de personnes qui force les gens à se dépasser. Si tu ne veux pas y aller, eh bien tant pis, on y va pas !”
Jacques se releva en la remerciant d’une voix tremblante et s’éloigna. Cassandre se retourna pour fixer le bal lointain et entendre le son des violons qui s’excitaient. Cet événement, ce serait pour une autre fois. Angélique le lui raconterait. Pour aujourd’hui, elle se contenterait de rendre visite à Louise et de contenir son amusement quand celle-ci jugerait sa robe bien élégante et sa coiffure particulière. Et si Elded continuait à la suivre, eh bien, il attendrait jusqu'au crépuscule au bas de l’immeuble ! Il apprendrait peut-être la leçon…
Un bal.
Elle avait invité un garçon.
Elle avait invité un garçon à un bal.
Si la situation n’était pas aussi désespérée, elle aurait hurlé de rire tant c’était ridicule. Tout ça à cause de son stupide orgueil ! Une fois de plus, elle n’avait pas su refuser à un défi lancé, et cette fois, elle allait en payer les conséquences.
Aller à un bal.
Aller à un bal avec un garçon.
Si seulement elle pouvait en discuter avec quelqu’un qui la comprendrait, qui pourrait l’aider. Mais si elle racontait cette histoire à Kalisha, elle s’exclamerait que c’est une bonne idée etréfléchirait avec sa camériste à une toilette. Or, elle ne voulait pas y aller. Vraiment pas ! Alors, à qui pourrait-elle parler ? Eldred ? Il lui proposerait une manière de régler le problème trop brutale. Ce Jacques n’avait pas l’air méchant et ne méritait pas une frayeur si Eldred imaginait l’intimider. Sylvère ? Cassandre pâlit immédiatement en songeant à l’expression hilare de son grand frère dès l’instant où elle prononcerait le mot bal, surtout suivi de garçon. S’il ne s‘étouffait pas, il se rappelerait sûrement de sa phrase moqueuse sur la saison des amours. Elle ne lui dirait rien. Jamais. Plutôt mourir ! Plutôt marcher vers la grande place et mettre elle-même sa tête dans la corde de la potence !
D’un coup de pied colérique, Cassandre frappa un caillou sur le chemin.
Si seulement elle pouvait en parler…
Soudain, le visage joyeux d’Angélique lui traversa l’esprit. Son amie, de son âge, la comprendrait, elle ! Immédiatement, la fillette courut pour rejoindre sa maison. La porte à peine passée, elle salua vaguement la famille présente, sans voir qui était réellement et saisit le bras de la jeune fille pour l'entraîner à l’étage. Dans la chambre des enfants, Cassandre referma la porte brutalement la porte, marcha vers le lit qu’Angélique partageait avec sa cadette et s’effondra dedans, les bras en croix.
“C’est la catastrophe !”
“Que se passe-t-il, Cassie ?”
Angélique, posée, la rejoignit en marquant sa surprise et l’interrogea sur les causes de sa panique. Cassandre bafouilla pour s’expliquer et mit longtemps avant d’avouer qu’elle venait d’inviter un garçon au bal de l’église Saint-Jean-Baptiste. Son amie l’écouta patiemment, puis battit joyeusement des mains.
“C’est merveilleux !"
“Quoi ?"
Cassandre se redressa, perdue, cherchant à noter une expression moqueuse, mais Angélique paraissait sincèrement enthousiaste.
“Mais… Angie ! Angie, je ne peux pas y aller !”
“Pourquoi ? Moi aussi, je vais y aller ! Un de mes oncles m’emmène souvent à ces bals que les curés organisent ! On s’amuse bien ! Et au retour ou au lendemain, c’est encore plus drôle !”
“Pourquoi "
“On critique les robes des autres filles, les paroles que certaines ont eu, certaines femmes qui se croient encore à vingt ans… On rigole toujours bien de tout ça !”
“Mais se moquer, c’est pas méchant ?”
“Mais non ! Tout le monde fait ça ! Et puis, quand tu me racontes les bêtises de cet esclave, t’es pareil !”
“Oui, mais bon, lui c’est un cas désespéré.”
“De toute façon, maman, elle m’a expliqué que tout le monde se moque un pu de tout le monde. alors, bah, autant le faire aussi ! Et puis, la personne dont tu te moques pas n’entend pas, c’est pas méchant :!”
Cassandre esquissa un faible sourire. Plaisanter en secret de ceux qui se rendaient ridicules, elle agissait comme ça avec Eldred ou parfois même Coldris. tous les matins, en retrouvant le zarkotien à l’écurie, la fillette lui rapportait les derniers faits d'armes de monsieur Wagner. Hier, celui-ci avait été persuadé que l’une des servantes souffrait d’anémie devant la pâleur de son teint. Il avait dépêché un médecin qui avait conclu que la jeune femme jouissait d’une excellente santé. L’intendant n’avait pas rougi de zèle et s’était exclamé que c’était rassurant à entendre. La comptable, au contraire, avait grincé des dents une heure plus tard et avait reproché à monsieur Wagner sa dépense inutile. Une étrange dispute avait suivi, sur un ton toujours poli, sans jamais lever le ton pour essayer de persuader l’autre.
“D’accord, je vois. Mais le bal… Pendant le bal. Angie, comment on fait avec les garçons ?”
“Ben, tu danses avec ceux qui t’invitent ou que tu invites.”*
“Mais… S’ils essaient de faire des choses ?”
“Ben, tu mets une claque à celui qui se comporte mal et tu vas voir ailleurs !”
Cassandre rougit de cette réponse évidente. Elle aurait pu le deviner seule, mais se savoir dans cette situation, face à un garçon qu’elle venait d’inviter lui faisait perdre tout sens commun. La fillette baissa la tête, encore incertaine.
“J’ai peur…”
Angélique se releva en lui souriant et la prit dans ses bras.
“Je serai là, Cassie. Si tu as un problème, tu n’auras qu’à me rejoindre. Et si ton cavalier est pénible, nous nous arrangerons pour le fuir."
Alors que Cassandre demeurait encore incertaine, perdue par cet événement improbable, Angélique sautiller pour lui proposer de tester quelques essais de coiffure.De bon gré, la fillette laissa son amie exercer ses talents et sourit de temps en temps en remarquant son reflet dans le petit miroir de poche de la jeune fille. Les tresses qu’elle formait servait ensuite à tisser une couronne. Pour une rare fois de sa vie, elle se sentait jolie.
“Tu seras ravissante, ma Cassie “ souffla Angélique. “Si tu te coiffes comme ça pour le bal.”
***
Dans la petite chambre voisine à celle de Kalisha, Cassandre gardait les yeux ouverts alors que celle-ci s’était couchée depuis plus de deux heures. Demain, elle se rendait à un bal. Demain, elle se rendrait à son premier bal. La phrase tournait en boucle et menaçait de la rendre folle. Les explications légères et enthousiastes d'Angélique avaient disparu et seule l'angoisse et la peur l’entouraient au milieu de l’obscurité. Au château, depuis deux jours, plus personne n’ignorait l’événement. Même les commis de cuisine ou les préposés à vider les pots d’étrons en discutaient Sa vie privée s’était changée en jardin ouvert.
Au soir de son retour, Cassandre avait rapporté, la mine basse, à sa maîtresse les échanges avec son frère et son stupide défi. Kalisha en avait ri et l’avait bien sûr encouragé à y aller en lui proposant même une nouvelle robe. La camériste avait gloussé tout le long de la discussion et celle-ci avait dû nourrir les premières rumeurs le lendemain.
Hier matin, après son cours, Cassandre avait cru bavarder normalement avec Eldred, mais en arrivant à l’écurie, celui-ci lui avait spontanément demandé si elle aimait danser. Ele avait dû tout raconter à lui aussi, avec plus de gêne encore qu’avec Kalisha. la suite, Cassandre préfèra oublier. Cela avait été si ennuyeux de l’entendre multiplier les recommandations. Comme si elle n’était pas assez grande pour savoir seule comment frapper une couille qui n’avait pas à être là ! Elle s’était retenue plus ou moins poliment de soupirer et n’avait cessé de rouler des yeux. Et il avait insisté pour l’accompagner ! Elle ! Comme si elle avait cinq ans ! Elle avait eu beau supplier, cette tête de mule n’avait rien voulu entendre, hormis la minuscule concession de lui accorder une distance de quinze pieds minimum.
Cassandre soupira.
Elle était trop énervée : elle n’allait pas dormir de la nuit. Demain, elle serait dans un état lamentable et ce serait bien une catastrophe.
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Cassandre descendait lentement la pente qui la menait à Braktenn et observait la porter se rapprocher avec une anxiété croissante. Finalement, à sa surprise, elle avait su s’endormir avant minuit. Monsieur Wagner l’avait forcé à bien manger, puis elle s’était habillée d’une jolie robe avant de refaire la coiffure qu’Angélique lui avait montré quelques jours plus tôt
Plus la cathédrale approchait, plus elle se sentait terrifiée. c’était sans doute stupide, mais elle avait l’impression que toute sa vie allait se jouer en un seul instant. Si cela se trouvait, Jacque lui avait répondu un oui pour lui faire une farce et ne serait pas là. Cassandre arriva sur le parvis, nauséeuse, et distingua le garçon adossé au mur, comme l’autre jour. Elle jeta un rapide regard en arrière à son garde du corps trop têtu pour lui signifier de ne pas approcher et s’avança.
“Euh… bonjour.”
Jacques se décolla du mur et répondit d’une salutation aussi maladroite que la sienne, le regard fuyant, les mains dans les poches. Contrairement à la dernière fois, Cassandre releva la tête pour mieux l’observer et nota que son cavalier était jeune. sans doute un an de pus qu’elle, mais certainement pas plus. De petite taille, elle touchait ses épaules du sommet de sa tête. Il avait un teint pâle et une tunique pour le moins soignée. Il ne pouvait être le fils d’un bourgeois.
“Euh au fait, je me nomme Cassandre. Cassandre Velasquez. désolée, la dernière fois, j’ai oublié. J’étais un peu nerveuse.”
“Je comprends. je.. moi aussi, j’étais intimidé. et je ne me suis pas présenté non plus. Moi, je m’appelle Jacques. Jacques Frayer. “
Un silence assez long suivit pendant lesquelles ils ne trouvaient quoi ajouter. Cassandre se décida finalement avec timidité à proposer d’aller à l’église Saint-Jean-Baptiste rejoindre ce fameux bal. Si elle n’allait pas au bout Frenn entier, et Eldred allaient en rire des semaines ! Le long du chemin, Sacha garda la tête baissée, encore mal à l’aise, et la fillette, hésitante, commença à faire la conversation en discutant de sa vie au château. Elle n’évoqua pas directement son travail, mais rapportait des anecdotes insignifiantes sur des domestiques. Peu à peu, son cavalier se détendit et finit par éclater de rire.
Ils arrivèrent aux abords de l’église et le son de violon faisait danser les participants. différents jeunes gens et des enfants enchaînaient des tourpions ou des gavottes. Quelques femmes se mélangeaient à ces groupes, mais comme pour les hommes de leur âge, elles préféraient bavarder ou séduire. Une d’elles semblait d'ailleurs prête à embrasser un malheureux qui se dirigeait à grand pas vers un curé. Angélique n’était pas là, mais sans doute avait-elle été avalée par cette foule immense.Cassandre hésita, puis se tourna Jacques.
“Alors, on…”
Son cavalier avait reculé, livide, et secoua la tête.;
“Tu as peur ? Tu sais moi non plus, je ne sais pas danser. Promis, je moquerai pas !”
“Je… j’aime pas ça. Ce monde.”
Il se recula encore et elle le suivit dans la ruelle. Eldred ne manquerait pas de passer la tête.Aucun respect pour son intimidé ! Cassandre observa Jacques s’afaisser le long du mur et soupirer.
“Pardon. je… Je n’ai pas la foule. Le monde.”
“Pourquoi tu es venu alors ? Pourquoi tu m’as dit oui ?”
“Je ne savais pas quoi dire. Et après, après, mon grand frère m’a dit que ce n’était pas poli de ne pas répondre à une fille qui m’avait invité. je suis désolé”.
Malgré elle, Cassandre éclata de rire.
“Moi, c’est mon grand frère qui m’a dit de venir t’inviter.”
“Et pourquoi tu l’as fait ?”
“Parce qu’il disait que j’avais peur. Ce qui était vrai, mais je ne pouvais pas lui montrer. alors, je l’ai fait.”
Il garda la tête baissée. La fête promise, contrairement à ce qu’Angélique lui décrivait, avait tout du fiasco. Ce n’était même pas sa faute. Ni même celle de Jacques. Ils n’auraient dû juste ni venir l’un et l’autre. Elle l’avait invité pour une mauvaise raison et lui avait cédé pour une autre mauvaise raison.
“Rentrons.”
“Tu n’es pas déçue de moi ?”
Elle lui offrit un sourire tendre.
“Non, pas du tout et je ne veux pas être le genre de personnes qui force les gens à se dépasser. Si tu ne veux pas y aller, eh bien tant pis, on y va pas !”
Jacques se releva en la remerciant d’une voix tremblante et s’éloigna. Cassandre se retourna pour fixer le bal lointain et entendre le son des violons qui s’excitaient. Cet événement, ce serait pour une autre fois. Angélique le lui raconterait. Pour aujourd’hui, elle se contenterait de rendre visite à Louise et de contenir son amusement quand celle-ci jugerait sa robe bien élégante et sa coiffure particulière. Et si Elded continuait à la suivre, eh bien, il attendrait jusqu'au crépuscule au bas de l’immeuble ! Il apprendrait peut-être la leçon…
FIN
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