[14 Septembre 1597] Le duel [Terminé]

Dyonis serre, serre de toutes ses forces. Mais sa blessure lui fait en plus en plus mal et il a donné déjà tant d'énergie dans le duel ! Ulysse, plus jeune que lui, plus vigoureux, trouve la vaillance de repousser malgré tout son crochet, pourtant bien entortillé dans la chemise de l'adversaire. Le vêtement du Rottenberg est déchiré mais le voilà délivré, il a repoussé Dyonis au grand effroi de celui-ci.
Le baron essaie de charger à nouveau... lorsqu'il sent l'essoufflement le gagner. Ses efforts seront bien vains du reste : son adversaire parvient entre temps à repousser les gardes. Il ose au passage rappeler la mort du malheureux Simon (décédé la veille dans l'exercice de ses fonctions soldatesques, et dont Dyonis a encore la mort sur la conscience !), s'en vanter, puis détaler. Le baron ne sait à cet instant s'il est le plus fâché après le Rottenberg ou après deux de ses gardes : trop peureux, ils arrêtent les poursuites ! Quels imbéciles ! Seul un dernier prend encore en chasse le fuyard, avant de se trouver bien trop vite distancé. Ulysse est décidément un vrai animal ! Le voilà déjà disparu.

Le Premier Conseiller grogne de rage. Puis il se redresse, reprend son souffle, malgré ses jambes de plus en plus flageolantes et la plaie saignante à sa gorge. Pas profonde mais assez pour l'étourdir. D'ailleurs deux de ses hommes s'empressent d'approcher pour lui nouer à la gorge un tissu en urgence, au moins pour arrêter le sang. Encore sous pression et plein de fureur, Dyonis reste figé, sans un signe ou un mot de remerciement. Il contemple les bois par lesquels s'est enfui ce misérable.
Soudain, il se rappelle du témoin d'Ulysse et ne peut pas se retenir de lui adresser un regard à charge. Il darde ses yeux courroucés sur l'individu et siffle :

"Quelle honte j'espère que cela doit être pour vous que de servir un individu de la sorte."

Servir. Car oui à en croire la froideur que le témoin a affiché durant le duel, ce n'est en aucun cas un ami d'Ulysse. Le baron déglutit, lutte contre la douleur et se tient droit... lorsque soudain un nouveau cri jaillit d'un des buissons voisins. Dyonis n'a donc pas rêvé ?! Et cette petite voix qu'il l'appelle... c'est... Le seigneur de Frenn n'a pas le temps d'aller au bout de la déduction, qu'il voit Alexandre surgir de derrière l'arbre et s'écrouler dans l'herbe, près de lui, en sanglots. Le garçon s'inquiète pour la mort de Dyonis ou de ses soldats, mais ils ne risquent plus rien maintenant que l'infâme Ulysse est loin. A la vue du béquilleux, le baron accuse le choc de quelques secondes d'immobilité et tout se mélange trop vite dans sa tête, il ne sait pas s'il est furieux ou juste sidéré, de le voir encore là à lui coller une nouvelle fois aux chausses. Depuis quand donc l'esclave est-il caché ici ? Et pourquoi ?
Toute la tension commençant seulement à retomber (celle de la peur de la mort, l'adrénaline du duel, puis la fureur générée par la fuite d'Ulysse... un parfait cocktail explosif) c'est malheureusement sur Alexandre que ce flot d'émotions va couler. Dyonis en aurait lâché son épée au sol si elle n'était pas fixée à sa prothèse par des vis. Il est pâle comme un linge. De son autre prothèse, il plaque d'un coup Alexandre à la gorge, puis il la lève comme pour lui asséner une claque bien sentie. Heureusement il se retient à temps et éructe :

"Toi ? Toi, encore toi ! Par tous les Saints, de quel droit es-tu ici ?! Et ton maître, le sait-il ? T'imagines-tu que je vais pouvoir à chaque fois te ramener et essayer de demander l'indulgence pour ton cas ?!"

La colère palpite dans la voix du baron. Mais en vérité c'est surtout de la fatigue nerveuse, et un peu d'inquiétude pour le petit esclave, même si en l'occurrence elle prend la forme d'une rude engueulade. Dyonis ressent aussi un certain agacement à être collé ainsi par ce garçon sans bien comprendre. Il faudrait que cela cesse !

Spoiler:

Alexandre sanglotait toujours, la tête écroulée au sol, reniflant dans l'herbe. Messire... les gardes... Pourquoi des drames s'abattaient-ils encore ? Il portait malheur. ce devait être cela. Brusquement, au milieu de ses sanglots, le jeune homme se sentit décoller du sol. Le seigneur de Frenn venait de se pencher pour l'attraper d'une de ses prothèses. Il faillit ensuite lui donner une gifle violente... Les yeux polaires du baron désapprouvait sa présence. Alexandre baissa la tête, honteux de le décevoir une fois de plus.

"Pardon !"

Il murmura d'une voix chevrotante, toujours en train de pleurer :

"Je mourais de peur pour vous. Messire... et tout ça, tout ça, c'est encore ma faute. Si je n'avais pas été impliqué dans l'incident du Lupanar, vous n'auriez pas... le duc ne vous aurait pas vu. il ne vous aurait pas provoqué. Ce duel n'aurait pas... eu lieu. Alors je voulais voir. Je voulais vous encourager à distance. pardon..."

Il renifla, misérable.

"Mon maître... il ne saura pas. Il.. Il m'a dit d'aller chercher Tristan à l'aube. Mais Le Lupanar... Il est fermé. Tout le monde dort. Alors... Alors comme j'avais rien à faire, que je ne pouvais pas rentrer... Et j'avais peur. J'avais peur pour vous. Alors je suis venu. Pardon ! Pardon ! Pardon !"

Ses sanglots se poursuivirent, continuant à lui casser la voix.

"Je sais que je ne sers à rien en ce monde. je suis un boulet. mon maître le dit sans arrêt. Je ne cause que des ennuis à tout le monde. mais c'est normal, non ? Un enfant de prêtre... Un enfant né de l'adultère.... Je n'aurais jamais dû exister. Je suis... une erreur."

Alexandre renifla et croisa le regard furieux de Dyonis, opposant le sien larmoyant.

"Ils auraient dû vous écouter au procès l'autre jour... Si j'avais été pendu... Si j'avais été pendu, tout le monde aurait été tranquille."

Spoiler:

En retrait de toute cette scène épouvantable, William avait contemplé les dernières basses de l’usurpateur sans la moindre surprise. Il ne s'attendait pas moins de cet individu égoïste qui tirait jouissance de al souffrance des autres. Le baron de Frenn était naturellement en colère de cette fuite. Autant envers le duc que ses soldats qui l'avaient laissé s'échapper par peur de la lame. Il se tourna soudain sa direction et déplorait la honte à servir un pareil homme. William haussa les épaules et répondit d'un ton désabusé :

Lorsque vous connaitrez tous les secrets de cet homme, vous comprendrez aisément, messire, que la honte est un sentiment que j'ai dépassé depuis longtemps.

Il cherchait un moyen de présenter les informations sans que cela ne soit trop choquant. C'était peine perdue ! Apprendre que l'on a livré duel contre un esclave... Le baron s'étoufferait. Cela était certain.
Brusquement, au milieu de ses pensées, William sursauta. Il leva la tête et le vit passer ses nerfs sur un pauvre esclave en larmes. Suppliant. Que faisait-il là ? Peu importait ! Il ne méritait pas que l'on se décharge sur lui !

Courroucé, William accourut et s'interposa :

Messire, je vous interdis de vous en prendre à ce garçon ! Agir comme ça ! Si c'est ainsi, vous ne valez pas mieux que l'homme que vous venez d'affronter en duel !

Indifférent à la colère que pourrait manifester Dyonis, William se tourna vers le garçon et prit avec douceur son visage entre ses mains.

Peu importe ce pour quoi tu as été condamné, peu importent les conditions de ta naissance, tu mérites de vivre. Moi, je lis en toi ta belle âme. tu te souciais des conséquences de ce duel, tu pleurais pour ces soldats... Tu es un garçon merveilleux et tu mérites d'être de ce monde. Ne laisse personne t'en faire douter.

Alexandre gémit à ses pieds. Dyonis l'entend confesser sa peur immense pour lui (tient-il donc à lui à ce point ?) et, alors que sa tension commence enfin à redescendre, le baron retrouve l'ascendant sur ses nerfs. Il se rend compte qu'il a été violent et injuste avec le petit esclave, alors que ce dernier a eu un geste de cœur. De plus, Alexandre lui révèle que le Cardinal ne sera pas au courant de ce petit détour que vient d’effectuer le garçon. C'est rassurant. Il approuve d'un très sobre :

"Bien. Tant mieux, tu ne risqueras rien." (Puis en entendant Alexandre s'accuser de nouveau de tout, comme il l'a déjà fait la veille, Dyonis entreprend de le raisonner d'une voix moins sévère) "Encore une fois, non : le seul coupable dans cette affaire est le sieur de Rottenberg. Tu n'as été qu'au mauvais endroit au mauvais moment. De même tu n'as pas à payer les écarts de conduite de ton père. Allons, debout garçon et que je ne t'entende plus te dénigrer ainsi."

Son ton a même été plus doux sur les derniers mots. Et il tend sa main métallique en direction d'Alexandre pour qu'il la serre et s'appuie ainsi sur le bras du baron pour se relever.
Entre temps, le domestique du Rottenberg s'est approché. Il ose adresser au noble des paroles qui pourraient valoir cher à un simple domestique, mais Dyonis admet que sur ce coup il n'a pas tort et donc ne dit rien. Il l'écoute rassurer Alexandre et hoche la tête pour approuver ses doux mots de réconfort. Comme pour appuyer à sa façon, le seigneur de Frenn ajoute, en ouvrant légèrement le col de sa chemise pour révéler la petite médaille offerte par Alexandre :

"Merci encore. Le ciel fut avec moi et je saurai lui en rendre grâce."

Arrive alors un sujet encore plus grave et Dyonis se tourne vers le domestique d'Ulysse en haussant le sourcil :

"Des secrets ?"

Grâce au Ciel, le baron revenait à de meilleurs esprits et cessait d'importuner ce malheureux petit esclave. Son air miséreux brisait le cœur d'Ulysse. Quelle vie il avait dû avoir pour que si jeune celui-ci puisse juger acceptable de mourir ! Ce seigneur devenait même bien plus amical et réconfortant, bien avant son intervention. Il mit ainsi son emportement sur un passage des nerfs à vif. Entre le duel et la fuite de l'usurpateur, il y avait de quoi perdre effectivement son calme ! Quelle tristesse qu'une tierce personne en ait justement fait les frais.

Le baron tendait à présent la main pour aider l'esclave à se relever. le geste tétanisa William. Si peu de nobles accepteraient une telle générosité ! Il regretta aussitôt sa colère et tint à s'en excuser.

Je vous prie, messire, de me pardonner le ton dur que j'ai eu pour vous. Mais je ne puis tolérer qu'on soit injuste et méprisant avec un esclave. Même si je n'ai rien contre la hiérarchie et je la trouve parfaitement naturelle, elle ne doit pourtant pas à mon sens tolérer les excès et les mauvaises conduites.

Bien des nobles auraient pris ombrage de son intervention et attiré au domestique des ennuis. William n'en avait cure. Que pouvait-il lui arriver de pire que toutes ces terreurs perpétuelles éprouvées depuis des semaines à espionner son maître et tenter d'aider de son mieux les malheureux esclaves qui s'échouaient aux Enfers ? Depuis cette rencontre avec l'usurpateur, non vraiment, il ne craignait plus grand chose.

Ces dernières paroles attiraient l'attention de Dyonis. William s'accorda un temps de réflexion. Le sujet à aborder était... complexe. Le baron allait encore vivre de rudes bouleversements.

Commençons par le commencement, voulez-vous ? Je me nomme William Wagner. Il y a longtemps, ma mère Josette Wagner travaillait déjà au service du duc de Rottenberg. Le père, bien entendu. J'ai grandi au château et développé une amitié avec les deux aînés. Morgane et... Ulysse. Puis, il y a cet incendie.. terrible. Je ne vous ferai pas l'affront de le narrer. Tout le monde connait cette tragique histoire. Les domestiques restés à la capitale ont été renvoyé. Ulysse était parti au collège puis pour des voyages à travers le monde. Lors de son retour, quelques semaines plus tôt, j'ai tenu à postuler pour travailler moi aussi à l'hôtel particulier. Il me tardait de revoir l'ami que j'attendais depuis si longtemps même si je devinais que les choses auraient changé, nous deux étant devenus des adultes...

William marqua une pause pour laisser son interlocuteur digérer cette première partie. L'introduction était importante mais le développement allait être pire.

J'ai cependant découvert que mon ami était devenu... un monstre. Il aime acheter des esclaves. Beaucoup d'esclaves. pour son... plaisir. Oh, ne pensez pas à ce que vous pensez ! Son plaisir est... bien plus pervers. Il s'amuse à terroriser ces esclaves, les bat quotidiennement, les affame, leur propose parfois une sucrerie ou une bonne chose pour mieux le retirer quand le malheureux a fini par se persuader qu'il pouvait le prendre. Quand ce fou se lasse de ses... jouets, il les casse. La plupart du temps, soit d'un coup d'épée dans le ventre, soit en les rouant de coups de sa maudite canne ou soit... ou soit en le faisant décapiter par un autre esclave. La cruauté a été repoussé dans ses pires limites.

William s'arrêta à nouveau et attendit cette fois un peu plus longtemps pour que Dyonis assimile bien les informations et s'imprègne de ses idées répugnantes.

Je croyais mon ami devenu fou. Je l'ai véritablement cru. Mais j'espérais un miracle. J'ai prié et attendu en silence un miracle. Je suis resté pour soutenir de mon mieux les esclaves. Je voulais croire que mon ami puisse un jour revenir à de meilleurs sentiments. Une telle chose n'arrivera pas. Ulysse... Ulysse est mort il y a dix ans.

La dernière phrase sonna assez fort. William la laissa reposer un bref instant.

J'ai rencontré il y a quelques jours un esclave que le maître a acheté à la prévôté. Le jour même, messire, où vous avez combattu contre lui pour acquérir une jeune fille du nom de Aud. Elle va bien. je m'occupe de son sort du mieux que je puisse. Cet esclave a été témoin en cellule d'une scène plus qu'étrange. Le duc venait pour interroger une femme accusée de sorcellerie et d'un incendie. Elle a soudain attaqué le duc et dévoilé son épaule. dessus figurait une marque. La marque des esclaves. Le duc, soucieux de taire cet incident, a molesté la malheureuse et acheté l'esclave témoin. Il se nomme Jérémie Torrès.

William marqua une pause et songea qu'il devait à présent avancer prudemment. Ne pas trop en dire au sujet de Jérémie.

Jérémie a été enfermé dans une pièce du domaine, plusieurs fois molesté. Lors de la nuit de son arrivée, quand le duc est monté se coucher, je suis allé le trouver pour le soigner et le nourrir. Là, il a révélé le terrible secret. Ulysse... Tout s'explique dans cette révélation, messire. Cela a été un choc mais si cet usurpateur a profité de l'incendie pour prendre la place d'Ulysse, toutes les incohérences peuvent ainsi s'expliquer. Je sais que cela peut paraître fou, messire, mais pourquoi l'esclave Jérémie aurait raconté un tel mensonge ?

Il laissa Dyonis digérer ce gros morceau avant de poursuivre :

Ce Jérémie et moi avons fait quelques recherches dans la bibliothèque. Feu le duc de Rottenberg était un homme scrupuleux, qui consignait tout. Absolument tout. il interrogeait personnellement chacun de ses esclaves et retraçait leur vie. Quel homme généreux ! Il ne méritait pas de finir assassiné, brûlé ! Dans les registres, il ne contenait que de vieilles femmes, quelques hommes âgés, des infirmes.. Feu le duc préférait acheter ce qu'on nomme communément les invendus et leur donner une nouvelle chance. Mais dans les registres nous avons découvert la présence d'un garçon, un dénommé Martin, arrivé au domaine trois avant le drame. Cela ne peut être qui se cache sous le masque d'Ulysse.

William fixa avec tristesse Dyonis qui devait être abasourdi.

Je comprends votre sidération, messire, et la respecte. mais il et temps enfin qu'une véritable justice soit rendue.

Alexandre déprimait et les belles paroles de William ne l'atteignaient pas. Il jugeait même sa conduite cavalière et peu respectueuse vis-à-vis du seigneur de Frenn. le garçon murmura, penaud :

"Vous ne devriez pas agir comme cela, monsieur. Prendre la défense d'un esclave devant un noble... Ne connaissez-vous pas votre place ? Le Roi, notre père à nous tous, incarnation du pouvoir christique sur terre, délègue de son pouvoir à la noblesse qui sait mieux que nous, roturiers et esclaves, ce qui convient de faire. Si le seigneur de Frenn estime que je doive être grondé, c'est que je dois l'être. "

Peu après, le seigneur de Frenn s'adoucissait. sa colère était passée. Alexandre eut un sourire timide. Il avait eu un emportement passager. au moins, c'était plus rapide et bien moins violent que ceux de son père adoptif. Il le dédouanait même de toute responsabilité dans cette sinistre affaire qu'avait été ce duel ou même des conduites de son père adultérin. le sourire du jeune homme s'étira. Son père adoptif n'aurai jamais agi. lui, au contraire, trouvait tout prétexte pour lui enfoncer la tête sous l'eau e la maintenir le plus longtemps possible. Le seigneur de Frenn était bon. Si bon.

"Merci, messire."

Le baron dévoila la médaille à son cou. Alexandre sourit davantage, ému.

"Dieu ne sera jamais du côté des mauvaises personnes."

Il lui tendait la main métallique pour l'aider à se relever. Alexandre s'émerveilla de cette initiative, touché, et s'y agrippa. Alors que le garçon se redressait, le domestique, prénommé William Wagner, commença à évoquer l'histoire de son ancien ami. Son cœur se serra en entendant que celui-ci l'avait aussi connu intimement. Le malheureux devait en souffrir de l'avoir vu se transformer en monstre. Il tressaillit quand William révéla que Ulysse serait mort dix ans plus tôt et dut s'accrocher à la main métallique de Dyonis pour rétablir son équilibre.

William racontait une entrevue dans une cellule de la prévôté avec une incendiaire et un esclave nommée Jérémie. Alexandre connaissait ces deux personnes. Cette maudite incendiaire ! Quand cesseraient-ils d'en entendre parler ? Il jugea prudent de glisser un indice comme quoi Dyonis et lui connaissaient le cas, mais sans plus.

"Ah oui ! Cette mystérieuse incendiaire qui a mis le feu au presbytère ! Eh bien, au moins, si Dieu a rappelé à Lui son âme après son tabassage, la justice fera au moins l'économie d'un procès et d'une condamnation."

Le dialogue semblait parfaitement naturel. A part le baron, personne ne soupçonnerait leurs liens. Et Alexandre pensait réellement que ce serait mieux que cette Sorcière soit morte. Que ce fou ait au moins servi à quelque chose ! Il se tut et écouta la suite du récit. Jérémie Torrès narrant les faits, les recherches dans les registres. Ulysse était en réalité l'esclave Martin comme il l'avait soupçonné hier mais qui lui paraissait pourtant bien improbable. Alexandre ne se félicitait pas d'avoir eu raison. Au contraire. Son cœur pleurait la mort de son ami dont aucune messe n'avait eu lieu pour commémorer son nom et son honneur. Son âme était tombée dans l'anonymat, comme s'il n'était qu'un misérable.

Afin de s'éloigner de ces pensées qui le peinaient, Alexandre se raccrocha au récit et repensa à la présence de Jérémie. il l'avait vu hier à l'auberge. En compagnie de la petite Cassandre. Elle lui avait donné un faux nom et le faisait passer pour son frère. Il fixa à nouveau William et se demanda si celui-ci ne cachait pas des informations. Ne pas dire qu'un esclave était en fuite était une faute grave. En plus, il était compréhensible d'avoir voulu sortir Jérémie du domaine pour préserver sa vie de l'usurpateur. Pourquoi ces cachotteries ?

Relevant la tête, le bras serrant toujours la main métallique, Alexandre appela Dyonis.

"Messire... Hier matin, j'ai vu ce Jérémie Torrès."

Lancer de dés : Qu'est-ce qu'Alexandre révèlera de ce qu'il sait :

1 ou 2 : Il dit seulement avoir vu Jéémie à l'auberge
3 ou 4 : Il dit l'avoir vu à l'auberge et que Jérémie se fait nommer Achille
5 ou6 : Il raconte absolument tout de la scène à l'auberge, incluant le lien avec Cassandre

Le membre 'Alexandre' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

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'Dé à 6 faces' :

Alexandre méditait sur les informations à révéler au seigneur de Frenn. L'honnêteté voudrait de tout dire. Néanmoins, s'il contait toute la scène, la petite Cassandre aurait des ennuis. De gros ennuis. Elle en avait assez vu comme cela. Et puis, elle n'avait rien fait de mal, uniquement aider Jérémie, le nourrir. Ce n'était pas un crime. Son jeune âge excusait sa candeur.

Pour Jérémie, Alexandre comprenait sa terreur. Sa vie ne tenait qu'à un fil depuis que ses yeux s'étaient posés sur la marque de l'usurpateur. Son unique désir était de mettre le plus de distance entre eux. Cela était humain.

Sa décision était prise.

"Cela s'est déroulé hier, messire, quand je me suis rendue à la taverne de l’Ours noir pour vous savez quelle raison. Il mangeait une soupe à une table de l’établissement. Nous nous connaissons un peu. J'ai voulu lui parler mais cela s'est un peu mal passé. Je comprends aujourd'hui. Sa fuite est mal. Assurément. Il aurait été plus inspiré de se rendre à la prévôté et de révéler les informations. Surtout que les soldats ont été témoins du tabassage de cette femme. mais la peur nous fait souvent prendre de mauvaises décisions."

"Et je vous rejoins parfaitement en cela." répond il simplement à William pour approuver ses paroles sur la hiérarchie à respecter, mais qui doit être juste.

Dyonis est satisfait de voir Alexandre lui prendre la main pour se redresser puis retrouver une meilleur humeur. Il hoche la tête avec un léger sourire à ses remerciements. William s'engage alors dans les explications tant attendues par le baron. Le début ne l'étonne pas : bien évidemment qu'il a entendu parler de l'incendie chez les Rottenberg. De la mort de toute la famille sauf du jeune Ulysse. Le seigneur de Frenn marquera un temps de respect à l'évocation de ces morts et se signera avec piété, avant d'entendre la suite des aveux qui, elle, est beaucoup plus étonnante.
D'abord, ces esclaves massacrés à la chaîne. Dans l'illégalité la plus totale et une cruauté sans nom qui en effet ne ressemble pas à ce que William a décrit juste avant du véritable Ulysse. Dyonis fronce les sourcils. Il aurait pu être bien que quelqu'un aille dénoncer ces actes à la police, mais réflexion faite il peut comprendre que personne n'ait osé : un noble aussi riche, aussi puissant, aussi violent... Il aurait été capable de passer ses nerfs sur l'intégralité de la maisonnée en représailles !
Puis le seigneur se fige complètement quand la vérité tombe. Il pâlit. Le vrai Ulysse serait mort. Assassiné par un esclave à lui, avant que cet esclave ne prenne sa place ! Le baron en reste pantois, médusé, immobile. Cette chose est si incroyable... Mais cela explique beaucoup d'indices suspects : le mauvais comportement d'Ulysse à la Cour, les soupçons des uns et des autres à son sujet. Dyonis en a les bras qui pendent piteusement dans le vide. Il est horrifié, fasciné, égaré, un peu tout cela à la fois. Un esclave a donc dupé pendant des années tout Monbrina ! Et exercé sa cruauté sur d'autres esclaves.

"Par tous les Saints..."

William explique alors qu'il sait tout ça grâce à un autre esclave, dénommé Jérémie, lequel a découvert la vérité en prison en voyant la marque à l'épaule de l'usurpateur. Là-dessus Alexandre ajoute des précisions sur le parcours de Jérémie : un esclave à présent en fuite. Mais il y a tellement d'informations choquantes à tomber d'un coup que ce n'est même pas cette évasion qui retient longtemps l'intérêt de Dyonis.

Après un long moment sidéré, il remue un peu la tête. Se tourne vers Alexandre. Il le fixe avec hébétude et se rappelle de ses renseignements de la veille, à la sortie du Lupanar. Dyonis ne l'avait pas cru et l'avait grondé. Il bafouille :

"Alors t... tu savais bel et bien. Tu avais raison." (Long silence. Le temps de digérer tant d'horreurs. Puis la fonction de Premier Conseiller reprend peu à peu le dessus et Dyonis essaie de prendre les choses comme elles viennent, un peu dans le désordre.) "Soyez sûrs tous deux que toutes les polices du roi seront mises à la chasse de cet esclave usurpateur. Quant à ce Jérémie... vus les renseignements qui ont été révélés grâce à lui, nous dirons pour cette fois que je n'ai rien entendu au sujet de sa fuite." (Un temps.) "Monsieur Wagner, de quelle façon pourrais-je vous récompenser pour toutes ces révélations et pour votre protection auprès des esclaves de Rottenberg ? Nous serons par ailleurs amenés à nous revoir très bientôt : croyez bien que dès demain, une perquisition intégrale sera effectuée dans le domaine de Rottenberg afin de récolter toutes les preuves des horreurs que vous me dites."

Alors qu'il parle, Dyonis vient de prendre conscience du bouleversement que va causer une telle nouvelle à la Cour : un esclave dans leurs rangs ! Pendant des années, un usurpateur... Cela dépasse l'entendement. Ce faux Ulysse méritera un châtiment pour le moins mémorable ! Enfin, le baron réalise qu'il vient d'affronter en duel... un esclave. Si ça se sait à la Cour, les mauvaises langues ne manqueront pas de se moquer avec cela ! Dyonis serre les dents. Ah ! S'il avait su plutôt ! Il aurait montré à Ulysse qu'il n'avait pas été dupe et lui aurait envoyé pour le combat un de ses propres esclaves. Eldred par exemple. Qui n'en aurait sûrement fait qu'une bouchée encore plus vite que lui.
Un autre nom a frappé Dyonis dans le récit de William : Aud. La petite esclave du marché... Pourvu qu'en l'espace de ces trois jours, Ulysse ne lui ait pas encore trop fait de mal. Apparemment, William l'avait protégée. Le cœur du Premier Conseiller s'émeut au souvenir de l'adolescente. Demain, pendant la perquisition à laquelle il va assister, il devra faire quelque chose pour elle.

Les paroles du petit esclave peinaient William. Il était soumis à l'ordre que son esprit cautionnait les violences. Quel déchirement !

Tout au fil de ses révélations, William prêta attention aux réactions de Dyonis et le fit réellement choqué par toutes. Son esprit prenait conscience des horreurs perpétrés au domaine et du fait qu'un petit esclave ait su infiltrer les rangs de la noblesse. Son sang aristocratique devait se révolter et bouillir. Le petit esclave prit peu après la parole et mentionna la présence de Jérémie dans une taverne. William jura intérieurement. Peste ! Pourvu que cela n'aide pas à remonter ses traces !

Dyonis se tournait vers lui et déclarait qu'il avait eu raison. William écarquilla les yeux. Comment ce garçon aurait pu savoir ? Cela était bien intriguant. Le baron revint vers lui exposer les mesures qui suivraient bientôt. Il lui proposait même une récompense. William en fut ébranlé.

Une... Récompense ? Mais je n'ai pas agi... Je ne souhaite que protéger des esclaves d'un sort terrible. Et servir la justice. Et venger mon pauvre ami cruellement assassiné avec les siens. Une récompense... A moins...

La pensée de Aud surgit dans son esprit. Avec la perquisition, les esclaves risquaient tous de débarquer au marché. Aud... et s'il parvenait à la placer chez un bon maître, sans stress de la vente ?

Oui, il y a une chose que vous pourriez faire, messire. L'autre jour, vous avez disputé une esclave avec ce fou. Une dénommée Aud. Elle a été sensible à votre attitude et beaucoup apprécié. La malheureuse enfant, je ne voudrais pas la voir connaitre à nouveau le marché. Pourriez-vous la prendre avec vous lors de cette perquisition ? Je ne vous demanderai que cela.

A la suite de ces informations livrés, Alexandre garda le silence. Son cœur se serrait cependant en sentant le désespoir et la tourmente qui agitait l'âme du seigneur de Frenn. L'empathie formidable du jeune homme devenait faiblesse. Il étouffait de recevoir les sentiments tumultueux du baron qui ne savait pas pour une fois les masquer. La nouvelle était bien trop terrible.

Soudain, le seigneur de Frenn baissa la tête dans sa direction et reconnaissait qu'il avait eu raison la veille. Alexandre s'assombrit.

"J'aurai voulu avoir tort. Si vous vous souvenez, c'est mon ami Ulysse qui est mort. Ulysse... Depuis tout ce temps, il n'aura reçu ni sacrement ni hommage. Ulysse... Où est parti son âme ? Vous croyez qu'elle erre dans ce monde ? Ou elle est prisonnière des limbes ? Oh, messire, il faudra organiser prochainement une messe et lui rendre enfin sa dignité !"

Il se força ensuite à sourire à son interlocuteur même si le cœur n'y était pas.

"J'ai eu la chance de deviner, messire. Et contrairement à vous, comme n'importe quel membre de la noblesse, j'ai connu intimement le véritable Ulysse. Et encore... Même moi je doutais hier encore. quand je vous ait parlé de mes soupçons, au fond de moi, j'étais soulagé que vous les réfutiez. Je ne voulais pas y croire non plus. Je ne voulais pas croire que mon ami soit un monstre. Je ne voulais pas croire que mon ami soit mort. C'est un sentiment terriblement ambivalent. Assassiner toutes ces personnes... s'introduire si facilement dans les cercles de la noblesse... Cela parait si absurde. Non, messire, cessez de douter, vous n'avez rien à vous reprocher. Ni vous, ni aucun autre noble ayant approché cet usurpateur sous le masque d’Ulysse."

Ses mains serraient toujours la prothèse du seigneur de Frenn. Il gardait en même temps son sourire doux et réconfortant.

Il se tut à nouveau puis écouta le baron évoquer les prochaines directives afin de gérer cette sinistre affaire. William opinait. Ce dernier sursauta quand Dyonis proposa une récompense. Il y semblait totalement désintéressé. Et quand son esprit l'accepta, c'était en faveur d'une tierce personne. Alexandre en était ému.

"Vous étiez bien l'ami d'Ulysse. Ulysse... Ulysse aurait été si sensible à ce geste."

Dyonis hoche la tête à la réponse très digne de William, dans le mouvement il aura même incliné légèrement le buste. Cet homme a quelque chose d'héroïque. D'ailleurs, que va-t-il devenir maintenant qu'il ne sera plus au service d'Ulysse ?

"Accordé. Aud repartira avec moi." (Un temps, il promet aussi concernant Messire Wagner) "Nous parlerons aussi, demain, de votre propre situation lorsque je viendrai."

Ses yeux retombent alors sur Alexandre. Il rappelle l'horreur de cette situation, où il a perdu un ancien ami, avant de justifier qu'aucun des nobles n'aurait pu se douter d'un drame aussi énorme. Le baron est très ému par les demandes inquiètes du petit esclave au sujet de feu-Ulysse, le vrai. Touché, il baisse un regard plein de compassion vers Alexandre et se met à sa hauteur pour porter doucement la main à son épaule.

"C'est une bonne idée. Je pourrai demander qu'une messe soit dite pour accompagner l'âme du malheureux héritier de Rottenberg. Par ailleurs, je ne suis pas prêtre et ne prétendrai donc pas avoir la réponse précise à ta question, mais si feu-Ulysse a été baptisé... et il ne fait aucun doute qu'il l'ait été à sa naissance... alors non, son âme n'est pas dans les limbes. Il faut certes une sépulture chrétienne pour le repos optimal d'un être, mais les circonstances ont été si particulières que je pense que Notre Seigneur n'aura pas permis que l'âme de ce garçon erre malgré son absence de sépulture."

La blessure que Dyonis a à la gorge se rappelle alors à lui. Il cille et serre les dents. Il ne faut pas qu'il traîne davantage : de légers tremblements commencent à parcourir ses membres. L'urgence à présent est de rentrer à Frenn et de faire appeler le médecin personnel de la famille. Le baron se relève. Il fait signe à un garde de venir terminer de lui retirer son équipement de combat : son épée encore tâchée de sang est retirée de sa prothèse et rangée. Dyonis se tourne une dernière fois vers William Wagner et Alexandre et achève :

"Il me faut rentrer. Au revoir."

Sur ces paroles pur le moins laconiques, il remonte à cheval avec l'aide de deux de ses hommes, puis prend le chemin du retour.

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William s'écarta légèrement pour laisser le baron converser avec cet esclave. A son étonnement, malgré le coup de sang de tout à l'heure, ils semblaient amicaux et bien se connaitre. Il était encore plus surpris de constater que ce garçon avait pu être un ami d'Ulysse. Quelle coïncidence. Quoique...  Ulysse adorait quitter l'hôtel en cachette pendant que lui occupait sa chambre, sous prétexte que personne ne le dérange pendant une étude. Il s'amusait de découvrir la vie extérieure, les rues, les commerces... Son cœur se chagrina en songeant au merveilleux noble qu'il aurait pu être si cet usurpateur n'était apparu.

William releva la tête quand la discussion porta sur la religion et le devenir de l'âme d'Ulysse. Il sera les dents. Il ne pouvait rien dire. Mais Ulysse... Ses parents. Ils étaient huguenots. Les enfants de Rottenberg avaient-ils véritablement reçu le baptême chrétien ? Cela n'était pas certain. Il devait se taire. Surtout que lui, comme sa mère, savaient que des messes  secrètes interdites étaient régulièrement organisées au sein de l'hôtel particulier. Avec un prêtre réforme. et d'autres membres. Ii devait taire ces informations. Les enfouir. Ou sinon... Sinon leur assassin pourrait  recevoir un appui de l’Église. Cela était hors de question. le monstre devait être puni.

Soudain Dyonis annonça rentrer. William salua poliment.

Je vous attendrai demain alors, messire. Un conseil avant de venir, ne prenez pas de petit-déjeuner. Croyez-moi. Vous m'en remercierez.

Il salua ensuite le petit esclave puis s'éloigna, pressé de retourner au domaine.

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Alexandre sourit en écoutant le seigneur de Frenn accepter de donner une messe en mémoire du véritable Ulysse. Il s'inclina.

"Je vous remercie, messire. Je viendrai y assister. D'ailleurs, à ce sujet, je pourrais me rendre aux funérailles du pauvre Simon. Mon maître m'y a autorisé. il m'a même demandé de le représenter."

Afin de laisser son interlocuteur partir, Alexandre lâcha enfin sa prothèse et alla récupéra d'un pas lent et incertain ses béquilles dans les fourrés. Il salua les deux hommes puis se retira aussi. A présent l'esclave devait se mettre en chemin vers le Lupanar. Sa gorge se serra. Il n'avait pas envie d'y aller.