[22 novembre 1597] L'habit ne fait pas le moine [Terminé]

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'Dé à 6 faces' :

Cassandre se retint de rire de la réponse que Kalisha lui adressa suite à son commentaire. Elle ne croyait pas que les bâtiments puissent mériter qu'on se contienne ou on. Qu'on soit dehors ou dedans, Dieu les entendait de n'importe où ? Alors ne pas jurer ou tenir des propos ici, sous prétexte que c'était une église, c'était juste une règle stupide voulue par la bonne morale. Elle songea aux réflexions intéressantes que Achille lui avait faite à ce sujet et elle les partageait. Les humains, ils n'étaient finalement que des êtres hypocrites à se fixer tous ces interdits sans aucun sens.

Sur ces pensées, la fillette décida de s'éloigner pour laisser à nouveau de l'intimité au couple. ils méritaient bien de rester un pu encore ensemble avant de se séparer. Elle s'éloigna vers l'entrée et s'adossa contre le mur. Elle n'avait pas envie de prier pour le moment.

Kalisha s’éloigna à un moment de Sylvère et alla s’installer sur un prie-Dieu. Que se passait-il ? Elle était trop loin d'eux pour avoir entendu la princesse parler avant de se séparer du faux curé. Brusquement, les portes s'ouvrirent et les deux soldats entrèrent pour s'approcher, nerveux de Kalisha. Elle pesta. Ils étaient déjà là ceux-là ? Ces trois gamins n'avaient pas été si utiles !

Alors que Kalisha leur passa un salon qui amusa beaucoup Cassandre. Néanmoins, un des soldats se retourna et fronça les sourcils. Il fit quelques pas vers elle et la pointa du doigt.

"Comtesse, cette enfant nous a attaqué ! Avec des amis à elle !"

Cassandre blêmit. Elle ne pensait qu'ils auraient eu le temps de la reconnaitre. Au moins, sa grande sœur allait al défendre. Elle se précipita vers elle et s'agrippa à sa robe, simulant un visage larmoyant.

"C'est pas vrai, m'dame ! C'est pas vrai ! C'est eux qui nous ont embêté ! On faisait que jouer ! Et ils nous ont bousculé ! Ils ont même cassé deux de nos toupies ! Nous, on a rien fait, m'dame ! On n'a rien fait !"

Sur ces cris apparemment de désespoir, Cassandre dissimula son visage dans la robe de Kalisha et s'amusa intérieurement de sa bonne comédie.

La confession était bel et bien finie, cette fois-ci. Plus de roi ou de reine, simplement un curé et une fidèle venue se recueillir. C'était ce qu'il se disait en sortant du confessionnal, dissimulé à nouveau sous sa capuche. Pourtant, les mots de Cassandre vinrent à point nommé pour ruiner sa couverture. Quel curé serait devenu rouge de cette manière en entendant de tels mots ? Heureusement que personne ne pouvait le voir.

Ce fut Kalisha la première qui trouva quoi répliquer. Et il hocha la tête pour approuver les paroles de sa jolie reine. Il n'apportait guère d'importance aux églises et il se fichait bien de ce que l'on disait sous ce toit. C'étaient davantage les mots en eux-mêmes que le lieu du méfait.

Il dissimula un sourire – et sa capuche y aidait bien – lorsqu'elle ajouta ne pas souhaiter risquer sa vie. Mais malgré tout, Sylvère avait conscience des risques que cela lui faisaient encourir et c'était de bonne volonté qu'il les prenait si cela pouvait lui permettre de revoir sa reine.

Il releva les yeux vers elle, pour croiser ses prunelles une dernière fois. A nouveau si proches, mais encore et toujours séparés par cette force invisible qui les rendaient prisonniers des convenances. Ces mêmes convenances dont Sylvère s'était jusqu'à maintenant toujours défait. Mais il fallait croire que même ce genre de choses étaient amenées à changer. Il ne put s'empêcher de murmurer, juste avant qu'ils ne se séparent définitivement :

- Alors je suis fier d'être cette tentation qui vous habite, ma reine.

Il inclina la tête dans sa direction, pour lui dire adieux. Quand se reverraient-ils ? Il n'y avait aucun moyen de le savoir. Tout ce qu'ils pouvaient faire, c'était d'espérer que le sort leur sourirait. Un peu comme aujourd'hui.

La jeune femme se dirigea vers un prie-Dieu, et quand elle passa, comme il n'y avait toujours personne, il effleura sa main. A peine, mais il le fit tout de même. Elle s'y agenouilla et, mains jointes devant elle et yeux clos, elle semblait prier avec dévotion. A quoi pensait-elle en réalité ? Sylvère s'en alla allumer les cierges, alors que les gardes entraient dans l'église. Il ne regardait pas l'entrée, mais il entendit les pas lourds qui marchaient sur les dalles de pierre de la nef.

Sylvère ne bougea pas. Il continua d'allumer les cierges mais il écoutait avec grande attention sa reine, dans son dos, qui se relevait. Entendre les gardes bafouiller pour s'excuser, que c'était plaisant !

[color:e3ce=ff9933]- Vous étiez en train de compter les cloportes ou quoi ?!

Sylvère dut se mordre les joues, en continuant d'allumer les cierges de dos, pour ne pas exploser de rire.

Ne vous en faites pas, ma reine,
je transmettrais vos amitiés à nos cloportes.

De narquois, son sourire passa à attendri tandis que le souvenir de l'ascension dans les arbres, et de la rencontre avec les cloportes lui revenait en mémoire. Une brève seconde, il baissa le bras et resta pensif devant les flammèches qui tremblaient sous les assauts des courants d'air.

Il était sûr qu'elle parlait pour lui. Même séparés, même loin l'un de l'autre, ils restaient liés. Quoi qu'il arrive.

Je chérirais ce souvenir chaque jour et chaque nuit.

Il reposa le cierge et croisa les mains. Naturellement, il vint passer ses doigts sur le petit lien que Kalisha lui avait offert, lors de son premier départ. Et il continuait de l'écouter, tourné de dos.

Mais comment pourriez-vous m'avoir croisé, ma dame ?
Je ne suis qu'un prêtre, vous le savez bien...

Il se retourna au dernier moment, juste à temps pour voir son sourire. Sans larmes, cette fois-ci. Juste le bonheur d'avoir eu l'occasion de profiter de sa présence pour quelques instants.

On trouvera une solution, je vous le jure.

Mais au lieu de sortir, ils s'arrêtèrent à l'entrée. Face à Cassandre. Qui ne manqua pas de se jeter aux pieds de Kalisha pour se justifier. Qu'elle était bonne actrice, sa petite princesse !

Il ne put résister à l'envie de s'approcher. Dignement, sans rien laisser paraître sous sa capuche de soutane. Il remarqua d'une voix calme en arrivant près d'eux :

- Enfin, braves gens, que se passe-t-il donc qui provoque de tels cris ? Ne vous énervez pas ainsi dans la maison de Dieu, je vous en prie. La colère est très mauvaise conseillère.

Toutes les bonnes choses avaient une fin. Elle avait dû se résigner à faire ses adieux à son bien-aimé roi qui était redevenu un banal curé comme on pouvait tant en croiser dans les rues de Braktenn. Elle avait dû se résigner par la même à respecter cette infime barrière qui les séparer.


- Alors je suis fier d’être cette tentation qui vous habite ma reine

Elle n’eut d’autre réponse qu’un sourire. Chacun de ses mots avaient le don de faire bondir son cœur. Répondre n’aurait fait qu’alimenter un peu plus le brasier quand elle devait désormais le contrôler. Un dernier signe de la tête et elle rassembla toute sa volonté pour se diriger vers un vers prie-dieu. Sa lourde robe de velours glisser dans un son étouffé sous son pas altier.
Elle s’agenouilla et tourna toutes ses pensées vers Sylvère. Elle en vint même à réellement prier… Prier pour le revoir. Prière bien vite avorter par l’entrée aussi peu discrètes que celles de deux éléphants. Bien entendu, elle les sermonna pour leur incompétence mais elle ne pouvait s’empêcher de continuer de songer à lui.


Elle allait quitter l’église – non sans un dernier regard au plus beau prêtre de Monbrina- lorsque l’un des gardes s’immobilisa devant Cassandre et la pointa du doigt, indiquant qu’ils avaient été attaqués par la fillette. Sa respiration se coupa tandis qu’elle passait une main autour de ses épaules. Elle allait rétorquer, lorsqu’elle aperçut la silhouette de Sylvère glissant sur les dalles de pierre.


Pourquoi avait-il décidé de venir ? Pourquoi ?! Elle voulut lui dire de faire demi-tour mais c’est impossible. Elle commençait à blêmir. Et si les gardes le reconnaissaient ?! Elle décida aussitôt de se charger du problème en question afin d’en éviter un plus épineux encore.

- Non contents de me laisser seule, voilà que vous accusez d’innoncents enfants ?! Quand bien même, elle serait coupable, vous êtes gardes que diable ! Vous n’allez pas me fait croire que c’est une fillette qui a failli me couter la vie ! Soyez certains que je réfèrerai au Comte de votre comportement inadmissible.

Mais loin d’arrêter son Roi dans sa course celui-ci prit la parole et fit arrêter son cœur.

- Pardonnez-moi mon Père. Vous avez entièrement raison, puisse Dieu m’accorder sa pitié alors que j’ose pêcher à peine sortie de confession.
Elle s’inclina profondément, le frôlant malencontreusement au passage, un petit sourire sur le visage. Elle accrocha brièvement son regard sous sa capuche de laine avant de se signer et s’adressa ensuite aux gardes.

- Vous avez de la chance ma piété...


… m’impose l’humilité de reconnaitre ma faiblesse et la miséricorde de vous pardonner vos égarements. Que Dieu nous bénisse tous.

Ce n’était pas comme si elle avait réellement compté informer son mari de ses déboires. Bien au contraire, il ne manquerait plus qu’on lui affecte deux gardes bien plus zélés…

A nouveau, elle se signa, les gardes s’excusèrent bon gré, mal gré et elle quitta finalement l’église et son curé.

Cassandre feignait encore de pleurer dans la robe de Kalisha.

Que c'était drôle !
Que c'était incroyablement drôle !
Autrefois, avec ses copains des rues, elle s'amusait à insulter les soldats et à leur jouer des tours. Mais ils prenaient la suite et ne riaient qu'une fois à l'abri. Là, elle pouvait rester là, sans danger, protégée par une dame noble et un criminel qui se faisait passer pour un curé. Qui avait dit que les apparences étaient trompeuses ? Celui-là savait bien la vie ! Entre ses faux sanglots, Cassandre avait un hoquet de rire. elle l'étouffa en plaquant sa bouche contre la robe de sa grande sœur.

D'une toute petite voix, elle dit :

"Oh ! M'dame ! Comme vous êtes gentille ! Merci ! Merci de me croire !"

Puis, narquoise, Cassandre oublia pour une fois son habituelle prudence et tourna la tête pour tirer la langue aux deux soldats puis revint pleurer dans la robe.

"Comme j'ai eu peur ! Si peur ! Ils sont si effrayants ! Heureusement que vous étiez là, m'dame !"

Comme Kalisha allait se retirer, Cassandre anticipa et se dépêcha de se réfugier près du faux curé et s'accrocha à sa soutane.

"Mon, père, ils m'ont fait si peur. Si peur. Si vous saviez !"

Elle observa les soldats qui quittaient l'église derrière Kalisha et une dernière envie lui vint. Elle tira à nouveau la langue alors qu'un des hommes lui jetait justement un regard de travers. La fillette, narquoise, soutint son regard tout en s'accrochant à la tunique du faux prêtre. L'homme la fusilla, mauvais, puis finut par se retirer lui aussi. Enfin ! Cassandre n'en pouvait plus. Elle s'écroula au sol et rit tout son soûl.

"Oh ! Que c'était drôle ! Mais que c'était drôle ! T'as vu ça ? Tu l'as vu ? Ils étaient là, ils pensaient m'avoir ! Et non ! Ils pouvaient pas ! Quels bêtas ! Ils sont encore plus bêtes qu'Alexandre !"

Cassandre se releva et s'approcha de Sylvère puis détacha l'aumonière qui avait accueilli la générosité des bons et stupides citoyens de Braktenn. Elle arbora un sourire triomphal.

"A ton avis, grand frère, y a combien ?"

Une idée lui vint à l'esprit.

"On compte ? Après, on ira chez Dame Irène et avec mes sous on achètera un beau cadeau là-bas pour grande sœur ! Et j'irai lui porter demain ! Après tout, on a quêté pour les malades, pas vrai ? or, la maladie d’amour, on est bien d'accord que c'est une maladie terrible et qu'il faut soigner avec un grand sérieux !"

Oui, se rapprocher de la conversation de Kalisha avec ses gardes n'étaient peut-être pas très prudent, il le reconnaissait très volontiers. Parmi tous les citoyens de Braktenn, les gardes étaient certainement les mieux placés pour le reconnaître et il était en train d'aller au devant d'eux. Ils pouvaient faire si facilement le lien avec les affiches.

Mais il y avait là une question de rôle à tenir, avant tout le reste. Un curé qui ne venait pas rappeler à l'ordre des fidèles qui criaient dans la maison de Dieu aurait-il été crédible ? Non. N'importe lequel, sans varier, serait venu pour le faire. Alors il devait en faire autant. C'était en restant à allumer ses cierges qu'il attirait davantage l'attention.

Kalisha ne laissait de toute manière même pas le temps aux pauvres hommes d'en placer une. Quand bien même ils l'avaient reconnu, ce qui semblait peu probable, ils n'auraient même pas pu le dire. Et puis, qui s'attendrait à le voir ici ? Ils étaient sûrement tellement loin de cette réalité-là à l'heure actuelle pour qu'elle puisse seulement leur effleurer l'esprit.

La jeune femme s'excusa finalement et Sylvère sourit sous sa capuche. Elle s'inclina et, accidentellement bien évidemment, elle l'effleura par ce même geste. Elle se redressa finalement et accrocha une dernière fois, une toute dernière fois, son regard. Et elle quitta l'église. Il la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse et même alors il resta quelques instants immobile, perdu dans ses pensées.

A la prochaine fois.
Je vous attends.

Il n'avait même pas pensé à se dire que Cassandre avait été imprudente, quand elle avait tiré la langue à l'un des gardes et qu'il avait passé les mains devant elle – comme pour la protéger. Quand il n'y eut plus personne en vue, elle éclata de rire, à tel point qu'elle s'en roula presque par terre.

Sylvère jeta un regard aux alentours, inquiet que quelqu'un puisse les voir tout de même. Il ne s'agissait pas de tout gâcher maintenant. Heureusement, il ne vit personne. Alors qu'elle riait, il l'entraîna un peu à l'écart, dans l'une des chapelles rayonnantes. Ce n'était pas une cachette parfaite mais c'était toujours mieux qu'au beau milieu de la nef. Alors il s'accorda un sourire, parce que cela l'amusait au moins tout autant que Cassandre.

- Ne parle pas trop fort, conseilla-t-il tout de même.

Pour toute réponse, elle récupéra l'urne qui contenait les aumônes des fidèles. Combien y avait-il ? Une très bonne question que voilà, à laquelle il ne pouvait pas répondre à moins de compter. Ce qui était sûr, c'était qu'elle était bien plus lourde qu'à leur arrivée.

Elle lui expliqua alors ses idées pour la suite, souriante, et il répondit :

- Il me semble que c'est un bon programme. Mais nous compterons plus tard.

Il y avait une différence entre prendre des risques et faire durer les risques. Cela dit, passer chez Dame Irène pour manger lui faisait drôlement envie. Quant à acheter un cadeau à Kalisha... ses yeux se mirent à briller à cette idée. Son sourire s'aggrandit.

- Allez. Allons-y, petite princesse.