[13 décembre 1597] Nos voeux les plus sincères ![Terminé]

Kalisha avait accompagné Sylvère chez Irène afin de fêter l’anniversaire de Cassandre. Ce n’était pas vraiment ce qu’elle avait imaginé pour elle en ce jour, mais rien ne devait venir troubler l’heureux évènement.
D’une part, car ils avaient appris que son père est mort en prison alors même qu’ils étaient en train d’organiser sa libération. Et dire qu’à quelques jours près elle aurait pu le revoir ! La vie pouvait être réellement cruelle… Bien sûr, rien n’avait été dit à ce sujet et c’était bien lourd secret que le couple royal de la forêt porté.

D’autre part, car Ysengrin allait retourner chez lui. Oh, il était heureux, si heureux ! Mais elle… Elle tentait de masquer tant bien que mal la peine que cela lui procurait. Elle faisait son possible pour se concentrer sur ces jours qu’ils avaient eu la chance de partager ensemble malgré les conditions difficiles. Et puis Kalisha n’était pas naïve, elle savait pertinemment que ce jour-là arriverait un jour et que ce serait toujours trop tôt à son goût. Heureusement que Hyriel resterait à Monthoux, de même que Florentyna, cela lui rendait le cœur un peu plus léger en ces tristes journées d’hiver.

Elle passa la porte de la boutique suivie par Sylvère qui se rua aussitôt la fillette. La Princesse djerdanne inclina la tête devant Dame Irène et la gratifia des salutations en vigueur.

- C’est un plaisir de vous revoir. Comment allez-vous ? puis à Grâce je vous souhaite le bon jour jeune demoiselle. C’est une charmante toilette que vous portez là commenta-t-elle en souriant.

C’est avec joie qu’Hyriel s’était joint au couple royal de la forêt pour fêter l’anniversaire de Cassandre, malgré sa côte qui ne le laissait pas en reste. Il tenait à faire plaisir à cette petite. Guillaume était venu également, lui qui était très vite devenu un bon ami de Cassandre. Et puis, même s’il ne l’aurait avoué à personne, il espérait secrètement que Bélyl serait là, afin qu’en plus de voir son amie, il puisse voir aussi son amie.

Hyriel avait remarqué, sur le trajet, la morosité de leur charmant couple mais avait mis cela sur le dos de la vie à Monthoux et du départ prochain de Sylvère ignorant le reste de l’affaire. Il sortit à leur suite avec ses béquilles. Plus que d’habitude, il fit l’effort de se reposer sur ses jambes pour marcher plus que sauter, afin de soulager sa côte. Pour Cassandre, il le ferait. Guillaume marchait à côté de lui, prêt à le soutenir si jamais, et entra à sa suite.
À l’intérieur, tous deux admirèrent la belle table mais, surtout, Hyriel reconnut leur hôtesse et il en sourit.

« Madame. Je suis honoré de vous revoir et de rencontrer la fameuse Dame Irène dont notre jeune amie m’avait parlé. Je suis, pour ma part Louis, modeste jardinier de Dame Kalisha, et le jeune Guillaume est un de mes assistants et camarades. »

Celui-ci inclina la tête avec respect en soufflant un « Bonjour, Madame. ». Hyriel préférait ne pas trop en dire, ignorant ce que savait leur hôtesse. Il s’assit là où elle lui indiqua, ravi de soulager sa côte, et sourit à la jeune Grâce, dans les bras d’Irène. Il la salua de la main avec un grand sourire.

« Bonjour, jeune fille ! »

Guillaume la salua d’un sourire tout en regardant un peu autour d’eux. Peut-être que Bélyl accompagnait Cassandre quelque part, pendant qu’eux arrivaient ?

Tout en souriant de l’échange entre Sylvère et la petite, Hyriel fut rassuré et même amusé en entendant Irène. Il imaginait bien la jeune fille bavarder et bavarder. Il hocha la tête pour la remercier.

« C’est bon à savoir et très gentil à vous. »

Il la remercia pour la chaise avant de s’amuser de la question à Guillaume. Il le regarda alors se débrouiller comme il le pouvait, avec une certaine délectation. En effet, le jeune homme inclinait la tête, calmement, mais se figea.

« L…Le… Le fameux Guillaume ? On… C’est Cassandre qui vous a… parlé de moi ? »

Oh, il le voyait d’ici, elle avait dû lui parler du marché et de sa rencontre avec Bélyl… Oh là là là là là là… Il fut tiré de son embarras par l’arrivée d’une adorable petite fille. Il lui sourit, ravi.

« Bonjour, toi ! Tu es la petite Grâce, c’est ça ? Moi, c’est Guillaume et lui, c’est mon ami, Hyriel. »

L’intéressé inclina gracieusement la tête avec un grand sourire. À la question de leur hôtesse, il approuva joyeusement les deux autres.

« La surprise me convient parfaitement !
— À moi aussi ! »

Mais ils étaient tous là ? Où était donc Bélyl ? Elle ne viendrait pas ?

Guillaume, 16 ans, apprenti herboriste

Naturellement, quand sortit de la bouche de leur hôtesse le mot « mariage », Guillaume vira au pivoine avant même d’avoir eu le temps de déglutir. Il hocha simplement la tête, timidement, et baissa la tête vers la petite en s’efforçant de sourire de manière souple et fluide. Il prit une grande inspiration, terrifié, à la fin, et remercia Irène du regard à la fin en hochant de nouveau la tête, incapable de prononcer un mot. Hyriel le gratifia d’une tape amicale sur l’épaule, se retenant visiblement de rire, et Guillaume agrandit de nouveau son sourire, tout de même très, très, très gêné. Il se ragaillardit en écoutant le plan de cache et hocha la tête en tendant sa main à Grâce.

« Parfait. Tu viens avec moi ? »

Il capta ensuite le sourire d’Irène. Avait-elle compris ? Que signifiait-il ? Bélyl allait-elle venir ? Ces questions en tête, tandis qu’Hyriel se débrouillait seul pour gagner la cuisine, il alla se cacher derrière le comptoir avec Grâce et se permit de passer ses mains autour de ses petites épaules pour qu’elle ne soit pas tentée de filer. Il se pencha également à son oreille avec un petit air réprobateur.

« Tu sais, il ne faut pas toujours écouter ce que dit Cassandre. Parfois, elle dit des bêtises. Mais maintenant, chut ! »

Il posa son doigt sur ses lèvres avec un regard impérieux. Leur petite marieuse arriverait bien vite…

De l’autre côté du pare-vent, Kalisha écoutait Guillaume et Grâce en retenant un petit rire. De toute évidence, le petit cupidon avait une nouvelle cible ! Elle adressa un sourire malicieux à Sylvère qui l’aidait à se changer avant de déposer un furtif baiser. Tant mieux, elle ne viendrait plus se mêler de ce qu’il se passait dans leur lit. Elle compatissait cependant pour ce pauvre Guillaume.

À force d’enfiler chaque jour ces inconfortables robes, Ysengrin était devenu maitre dans l’art de l’aider. Alors que tout le monde se cacher, elle se blottit contre son roi charmant, main sur son épaule. Elle posa sa tête contre son épaule, oubliant qu’ils étaient censés se cacher pour surprendre Cassandre. Ces moments étaient si rares malgré leur proximité qu’elle ne pouvait s’empêcher d’en profiter. Sylvère trépignait déjà d’impatience. Ne pouvait-il pas juste apprécier cet instant paisiblement ?

Cassandra entra et paniqua rapidement en ne voyant personne. Ce n’était peut-être pas l’idée du siècle après tout quand on la connaissait. Elle se mordit l’intérieur des lèvres, culpabilisant de l’avoir effrayée. Elle avait sans doute cru qu’il était arrivé quelque chose à sa tutrice. Irène hulula et tout le monde surgit en s’exclamant « Surprise ! ».

Sylvère l’entraina et elle manqua de trébucher sous l’impulsion. Elle effectua une gracieuse révérence pour saluer la jeune fille.

- Joyeux anniversaire, Mademoiselle Cassandre d’Aiguemorte.

Guillaume se laissa guider plus qu’il ne guida Grâce derrière le comptoir et s’y installa. Il hocha vigoureusement la tête aux consignes d’Irène, de même q’Hyriel, avant de faire gentiment la leçon à Grâce. Il sourit, attendri, et secoua la tête.

« Pas toujours, je m’en suis rendu compte en grandissant. Et puis théoriquement, je suis son aîné aussi donc voilà. »

Quand entra Cassandre, Hyriel se mordit la lèvre en l’entendant, effrayée. Pauvre chérie, ils n’avaient pas prévu ça… Elle devait avoir perdu l’habitude des surprises… Il s’empressa de se lever et sortit à la suite d’Irène, à vitesse réduite, lui aussi.

« Surprise ! »

Guillaume laissa filer Grâce et sortit la tête juste après.

« Surprise ! Bon anniversaire à toi ! »

Hyriel s’approcha d’elle avec un sourire tendre, malgré sa douleur.

« Que cette journée soit pour vous la plus belle, jeune Altesse ! »

La surprise se peignit sur le visage de Cassandre. Elle n’avait pas souvent dû fêter son anniversaire pour être si étonnée. Pour un peu, on aurait cru que cela n’était jamais arrivé. Kalisha se souvenait surtout de celui de ses quinze ans. Une date importante et une fête dans tout le palais. L’une des rares fois où elle avait pu sortir du quartier qui lui était réservée. On l’avait particulièrement apprêtée ce jour-là (ou décorée, question de point de vue), car plus qu’un simple anniversaire, c’était l’occasion de se montrer en public et les notables de tout le pays se pressaient pour admirer la petite fleur tout juste éclose. A cette époque pas si lointaine, elle était bien loin de ce genre de considérations. Elle se souvenait surtout des pierreries, des jeux de lumières du soleil à travers les moucharabiehs, de la musique entrainante, des palmiers et des gerbes de fleurs suspendues qui tombaient du haut du plafond en une luxuriante cascade verdoyante. Bref, le faste et l’opulence. Tout cela pour finir par épouser, un gros cochon étranger. Quelle ironie.

Kalisha était désolée pour Guillaume. Elle donnait moins d’une heure à Cassandre avant que celle-ci ne le harcèle pour savoir quand est-ce qu’ils auraient un bébé. Irène les invita à passer à table et elle suivit sans discuter, jusqu’à sa place.

La surprise teintée de peur de Cassandre n’échappa ni à Guillaume, ni à Hyriel et tous deux se firent un devoir de lui sourire pour la rassurer. Celui d’Hyriel s’étira quand il la vit venir et l’enlacer. Il s’efforça de s’appuyer sur ses jambes pour lui rendre son étreinte d’une main, tout en contenant la grimace que voulait lui faire faire sa côte. Il se détendit à son murmure et secoua la tête pour répondre sur le même ton.

« Ce n’est rien, ne t’inquiète pas. »
Il se redressa ensuite, souriant sincèrement.
« Je vais bien, et toi donc ? »

Inutile qu’elle sache ses douleurs, surtout que Guillaume lui en avait peut-être dit deux mots. Il souffla de rire au rappel des événements du marché et regarda son élève.

« J’avais cru comprendre pour la rencontre mais je ne savais rien de l’épisode de la grenade. »

Le principal intéressé avait quant à lui blanchi avant de rougir.

« Ce n’est pas du tout ça ! Nous… Nous avons partagé une grenade mais… entre amis, voilà tout, et… nous ne sommes qu’amis.
— Bien évidemment… »

Guillaume hocha nerveusement la tête, même s’il savait qu’Hyriel n’était pas dupe et qu’il allait tout dire à Florentin qui ne le lâcherait plus. Rha, quand il pourrait, il trouverait le moyen de faire le même coup à cette petite chipie, visiblement satisfaite de son coup. Bon. Il comprenait pourquoi, il le faisait bien avec Hyriel et Phaïdée, mais là… ce n’était pas pareil ! Il prit une grande inspiration, s’attendant au pire, quand il vit Grâce s’illuminer et expira tout l’air de ses poumons quand Irène l’empêcha de faire davantage de dégâts. Il s’empressa de hocher nerveusement la tête, de nouveau, ce qui fit sourire Hyriel qui approuva Irène.

« Avec grand plaisir ! »

Il devait bien avouer que sa côte ne dirait pas non à une chaise… Il suivit donc Irène dans la cuisine pour retrouver sa chaise, sans manquer d’adresser un sourire moqueur à Guillaume qui lui retourna un sourire crispé autant qu’amusé. Il se rassura comme il put avec le regard de Kalisha. Au moins, il n’était pas tout seul dans ce grand moment de solitude… Il ne put toutefois retenir un regard éphémère vers la porte en suivant leur petite assemblée, triste à l’intérieur même s’il s’efforça de le cacher. Tant pis, sa chère Bélyl ne viendrait pas…

Oh des  grenades ! Kalisha eut un petit sourire : elle adorait les grenades, c’était comme ouvrir un petit coffret rempli de délicieux rubis. Ce qu’elle préférait, c’était les déguster un à un, en prenant le temps d’admirer les jolis reflets du soleil faire scintiller le petit grain grenat. Pauvre Guillaume, elle le plaignait sincèrement, ce n’était pas méchant certes, c’était juste… Pénible.
Malgré tout, elle devait admettre qu’elle était heureuse de ne plus être la cible des taquineries permanentes, enfin presque plus, puisque Cassandre se décida enfin à la saluer pour revenir avec ce sujet terriblement gênant. Le rouge lui monta aux joues en songeant au corps nu d’Ysengrin contre le sien et elle s’empressa d’ajouter :

— Cela ne regarde que nous, jeune fille.

Son beau roi renchérissait derrière et Kalisha put laisser échapper un léger soupir de soulagement. Enfin, ils s’installèrent à table et Irène annonça le repas. Elle jeta un regard en coin au plus beau des brigands et constata toute l’espièglerie qui brillait dans ses yeux. Elle aussi se souvenait bien de cette histoire de poulet et se demanda si Irène l’avait fait exprès. Elle l’interrogea du regard, cachant difficilement ce petit rire étouffé qui étirait ses lèvres. Sous la table, l’une de ses mains se posa brièvement sur la cuisse de Sylvère, et comme un petit oiseau s’envola aussitôt pour rejoindre l’autre sur la nappe, prête à écouter le bénédicité.