[21 décembre 1597] Expédition nourricière

La journée s’achevait, le corbillon aussi. L’ennui revenait. Les gardes ne disaient rien, Louise se détendait, la ville s’endormait. Hyriel s’adossa au mur et reposa sa tête contre la pierre. Il s’abandonna à regarder le plafond. Une journée de plus… et après ? Après… une nouvelle journée. Et puis une autre. Et une autre. Et un jour, le procès. Et puis les interrogatoires. Et puis… le bûcher ? Peut-être…

Dans le silence de la nuit, il entendit une voix… Cassandre ? Oui, c’était elle… Que faisait-elle là ?

Une autre voix s’était jointe à celle de Cassandre mais il n’arrivait pas à déterminer s’il la connaissait ou non. La voix de Louise le surpris – il ne l’avait pas entendue s’éveiller – et il acquiesça. Il se redressa quand elle reconnut celle de leur jeune amie mais ne put que lui retourner un regard tout aussi confus.

« Je l’ignore… Et oui, c’est ce qu’elle m’a dit. Peut-être a-t-elle appris pour nous et vient-elle nous voir ? »
Il baissa les yeux et haussa les épaules d’un bref mouvement.
« Ou peut-être est-ce un simple hasard et qu’elle passe par ici pour rentrer… »

Dans tous les cas, il ne souhaitait surtout pas qu’elle, et la femme qui l’accompagnait, car elles semblaient s’entendre, aient des ennuis pour eux.

Les voix s’approchèrent. Hyriel se redressa en entendant son nom. Il reconnut la voix : Claire-Marie !

« Oui, c’est moi ! Claire ! Cassandre ! Mais que faites-vous là ? »

Il n’eut pas le temps de dire qu’il n’était pas seul que la petite reconnaissait aussi son amie, malgré l’obscurité. Il l’approuva.

« Il ne faut pas qu’on vous voit, partez… »

Il voulait les revoir mais pas au prix de leur arrestation… Un sourire triste étira ses lèvres à la réponse de Cassandre. Bien sûr, elle ne se laisserait pas faire… Il sourit à la petite modification dans le nom et parvint même à rire – sans voix – à la suite.

« Vous êtes adorables… Et tout ce qui vient de vous est forcément meilleur que le ragoût d’ici… »

Hyriel crut distinguer un panier devant Claire-Marie et il ne cacha pas sa surprise en entendant sa justification.

« Tu es une sainte… »

La réponse de Cassandre le fit rire.

« Et c’est tout à ton honneur, jeune Altesse ! »

Il remarqua l’air interloqué de Louise et lui sourit, amusé. Effectivement, elle n’avait pas dû la voir souvent depuis sa libération du Lupanar… Un mouvement plus vif attira le regard de l’herboriste et un ronronnement ne tarda pas à se faire entendre. Hyriel s’illumina en se penchant vers le félin.

« Bonjour, toi ! Comme je suis ravi de te revoir ! Viens donc par ici, joli Crépuscule… »

Il tendit ses bras pour le caresser, le cœur réchauffé, tout en observant avec étonnement le manège de Cassandre. Eh bien ! Il rit à son intérêt pour le félin.

« Oh oui, très gentil et très doux ! »

Il regarda Claire, lui laissant l’honneur de présenter son cher chat.

Même s’il ne pouvait en être sûr dans l’obscurité, Hyriel crut voir que Claire était touchée par son compliment. Il sourit pour confirmer ses dires, espérant qu’elle le verrait, et s’amusa de la réponse de Cassandre, puis de son explication à Claire. Cette petite, décidément…

« Le roi doit être fier de voir sa publicité ainsi faite. »

Il espérait qu’il allait bien, comme tous les autres… Mais il n’osait pas demander à Cassandre, de peur de trahir ses amis si l’on venait à les entendre. Il reporta son attention sur Crépuscule et le prit dans ses bras en souriant, pour lui gratter le cou.

« Tu sais que tu es adorable, toi ? »

Il acquiesça à la présentation de Claire, pour le confirmer à Cassandre, tout en continuant de gratouiller le cou du félin. Ce faisant, il ne manquait pas de sourire à Louise, qu’il voyait perdue.

« Tu voudras le caresser aussi ? »

Il regarda également le panier qui descendait, prêt à le récupérer pour en prendre le contenu, sans manquer de sourire à l’enthousiasme tout juvénile de Cassandre.

Pauvre Claire, elle ne comprenait rien à leurs images… En soi, c’était bon signe car cela signifiait que les gardes n’y entendraient rien non plus, si jamais ils les surprenaient. Il espérait toutefois que Cassandre lui explique tout ça plus tard… Pour le moment, il écoutait sa fable. Quitter le royaume pour la colonie hostile… Sylvère était à Braktenn ? Et il cherchait un moyen de l’aider ? Il ne fallait pas qu’il se mette en danger, lui qui était déjà recherché, même si les poursuites avaient été abandonnées…
Son épouse, Kalisha et le prince ennemi, Monthoux. La délivrer ? Alors elle était toujours enfermée ? La suite le confirmait. Et le dragon, c’était sans doute la chouette… Oui, avec les chardons, ça ne pouvait être qu’elle. Et Mademoiselle Florentyna était avec Kalisha. Au moins pouvaient-elles se tenir compagnie…
L’ambassadrice… Il ne connaissait qu’un ambassadeur, c’était l’Espagnol. Phaïdée, donc ? Les trois cousins, c’étaient ses trois comparses. Oh, il comprenait. Le jeune qui conte fleurette à la nièce de l’ambassadrice, c’était Guillaume, avec Bélyl et donc l’ambassadrice était Dame Irène. Alors si les trois avaient trouvé refuge chez elle, ils étaient saufs. Mais il la mettait en danger s’il parlait sous la torture. Il ne parlerait pas.
La fin de l’aventure du cousin et de la nièce le laissa sceptique et il haussa un sourcil amusé. Allons bon, la conteuse y mettait de son cru, là… La suite redevint plus sérieuse et un sourire naquit sur les lèvres d’Hyriel, surtout quand il accrocha le regard déterminé de son ami. C’était gentil. Mais que pourraient-ils faire en plus de leur donner de la nourriture ? Il était déjà condamné… Il n’y avait que le roi qui pourrait le sauver, et encore… Il ne voulut toutefois pas briser les espoirs de Cassandre et lui retourna un visage ému.

« Ce roi et ces amis sont vraiment d’excellentes personnes, dont leur ami doit être très heureux. Si je les avais moi-même pour amis, je les remercierais du fond du cœur. »

Il espérait qu’elle transmettrait…

Crépuscule, lui, était des plus heureux et cela réjouit Hyriel, qui continua de le caresser. Il le laissa toutefois aller donner du réconfort à son amie en souriant, ravi qu’elle puisse en avoir aussi, à défaut de comprendre la fable, elle aussi, et il en profita pour vider le contenu du panier. Il fronça toutefois les sourcils en voyant Claire s’effrayer et interrompit spontanément son mouvement pour écouter. Quelqu’un venait ?

Cassandre reprit une attitude de jeune fille qui fit sourire Hyriel, même si elle signifiait un danger. Il se dépêcha de sortir le reste pour que Claire ne se fasse pas prendre avant de sursauter en réentendant Cassandre. Phaïdée… Non, c’était impossible… Elle venait elle aussi ? Au fur et à mesure que Cassandre parlait, tous les doutes de l’herboriste s’envolèrent et son cœur se mit à battre. Il s’illumina quand Cassandre lui confirma et sourit en l’entendant appeler une princesse. Il ne réagit même pas au rire de Cassandre, tant il était réjoui de revoir son amie… même si elle avait désormais une nouvelle vie, loin de lui, en sécurité. Il ne voulait pas qu’elle se mette en danger pour lui mais, en même temps, il voulait la revoir. Il la saluera donc par un sourire ému quand elle s’approchera.

Hyriel et Cassandre avaient l’air de comprendre qu’elle ne sache pas de quoi ils parlent. Bon, tant mieux, ça voulait dire qu’elle ne faisait pas trop de bêtises… Elle continua alors son histoire mais, sans les références, elle n’y comprenait rien. Elle la laissa alors faire, discrète, en s’assurant que le panier arrive à destination et en observant le petit tour de Crépuscule qui était ravi de trouver autant de caresses. Il se frotta contre la main de Louise en ronronnant de plaisir. Claire le regarda avant de tourner la tête quand Phaïdée arriva.

Elle l’observa arriver et se poussa pour faire un peu de place. Cela semblait être quelqu’un d’important et aussi une amie. Quand elle observa Hyriel, Claire crut bien voir qu’il était très heureux de la voir elle en particulier. C’était adorable… Elle pencha la tête à la présentation de Cassandre. Une autre princesse. Mais une fausse aussi ? Sans doute… D’ailleurs, la dame en joua un peu. Claire baissa la tête. Elle s’y perdait un peu quand même… Mais bon, autant être polie.

- Bonjour…

Elle aussi semblait avoir apporté à manger. Claire s’en réjouit aussitôt. Hyriel allait pouvoir reprendre des forces et Louise aussi ! Elle s’écarta cependant un peu plus en voyant qu’elle souhaitait voir le prisonnier. Ils avaient l’air vraiment très proches… Cela lui rappelait un peu cette sensation, quand elle discutait avec Lénius, sur le chemin du retour… Elle se frotta le bras, un peu rougissante. Ca voulait sûrement dire qu’ils étaient aussi amis qu’eux deux… Elle sourit en tous cas en voyant le panier.

- Oh oui, formidable !

Elle se rendit compte à son regard qu’elle ne s’était pas présentée et rosit de nouveau.

- Je… Je m’appelle Claire-Marie. Enchantée…

Une silhouette s’agenouilla près du soupirail et le cœur d’Hyriel s’accéléra. C’était elle, c’était Phaïdée. Il distinguait ses traits, malgré la pénombre, et son sourire s’étira de lui-même. Sa plaisanterie eut l’effet escompté et, aidé par l’émotion, un rire soufflé lui répondit avant de laisser de nouveau la place à un large sourire.

« La plus belle et la plus gentille des princesses. »

Les compliments n’avaient jamais été son fort mais il espérait que celui-ci, qui venait du cœur, plairait à son amie, à défaut de pouvoir faire plus dans sa position. Toutefois quand elle tendit la main vers lui, il n’hésita pas, s’approcha et tendit la sienne en retour, dans l’espoir d’au moins lui frôler les doigts. Il parvint à les toucher et à refermer légèrement les siens. Ce simple contact eut l’effet de tout le réconfort possible, même s’il aurait voulu plus en cet instant. Pouvoir refermer ses doigts sur son dos, sur sa taille, dans ses cheveux.

« Toi aussi, tu me manques… Mais je serai bientôt dehors, n’est-ce pas ? On finit toujours par se réveiller d’un cauchemar. »

Il n’y croyait pas. Il n’avait aucune chance d’être libéré. Esclave, peut-être, mais il lui faudrait beaucoup de chance pour la revoir. Toutefois, là n’était pas la question pour le moment. Il voulait juste oublier un instant la suite des événements et faire sourire son amie, même s’il se doutait qu’elle ne serait pas dupe non plus.
Il sourit également à Louise quand ils se saluèrent et lâcha un rire en voyant qu’elle aussi avait apporté un panier.

« Effectivement, nous sommes gâtés ! »
Il le récupéra et le posa avec les autres, touché.
« Vous êtes toutes les trois des amies en or. Des princesses de bonté ! Merci beaucoup à vous. »

Cassandre s’écarta alors avec Claire. Hyriel comprit l’intention et l’en remercia intérieurement, touché. Il leva une main pour les saluer.

« Prenez bien garde à vous, et encore merci pour votre venue et vos cadeaux ! »

Il avait essayé de chuchoter mais un peu fort pour qu’elles l’entende, sans pour autant risquer de se faire prendre. Quand elles furent parties, il releva la tête vers Phaïdée, un peu inquiet.

« Et toi, ça va ? L’ambassadeur... te traite bien ? »

Même s’il était rassuré par sa présence, il craignait plus que tout qu’elle soit forcée de faire avec lui des choses dont elle n’aurait pas envie. Elle méritait d’être libre.