[24 décembre 1597, au soir] Jouez hauboits, résonnez musettes

Après avoir suivi les instructions du jeune homme pour tenter de réveiller la sœur du cardinal par des moyens classiques, et nullement diaboliques, elle en était sûre, Cecilia se mit à prier. Il fallait que la Sainte Vierge leur vienne en aide, qu’elle vienne en aide à cette femme qui donnait naissance à son enfant le même jour qu’elle. Il le fallait.

Elle fut tirée de ses prières par la voix tonnantes du cardinal et croisa le regard du jeune homme. Elle hocha la tête et se leva, comprenant qu’il avait eu la même idée qu’elle. Après un regard encourageant à son égard, elle souleva sa robe et descendit les marches, inquiète.

« Vous revoilà ! Avez-vous pu trouver de l’aide ? »

Elle jeta un regard inquiet à l’étage, espérant vraiment qu’ils aient une solution pour aider la jeune mère.

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans ; Général Joseph Cassin, 33 ans

Joseph considéra les paroles d’Hyriel, la tête penchée. Encore un intellectuel ! Il allait finir par se sentir vexé… Enfin, il avait grandi entre trois gros têtes, voire quatre si on comptait sa sœur qui se défendait aussi, il avait l’habitude…

Alors qu’il descendait, il se retourna vers Hyriel à sa remarque. Il se lissa à la moustache.

- Ah, oui… Hum…

Non, ils n’allaient pas s’embêter. Il le souleva d’un bras par les aisselles et l’embarqua à l’intérieur alors que Tassin et les autres se mettaient en place.

Pendant ce temps, Matthieu commençait à en avoir ras-les-oreilles. Il se figea à l’accusation de Cassandre. Cette fois, il n’y tint plus.

- Ça suffit, tais-toi ! Tu ne comprends rien, tu ne sais rien ! Tu n’es qu’une gamine et une esclave de plus alors reste à ta place !

À peine eut-il prononcé ces mots qu’il les regretta. Le visage de Jean lui revint à l’esprit, comme un peu trop souvent en ce moment. Ses cicatrices, causées par le fer, le sang qui coulait de ses lèvres mais son sourire, toujours.

Décidément, cette petite, il n’y en avait pas deux comme elle ! Ils arrivèrent toutefois à leur destination avant qu’elle n’ait le temps de rajouter un couplet à la chanson de ses mérites. Il fit part de ses petits inconvénients de déplacement au général, un sourire gêné aux lèvres en attendant la réponse. Il s’attendait à être pris par un garde quand le général lui-même s’y colla. C’était original. Mais pas le temps de penser trop à la cocasserie de la chose. Hyriel passa un bras autour des épaules du général et se fit le plus léger possible, comme il en avait l’habitude avec Florentin. Il eut tout juste le temps d’entendre Cassandre commencer à discuter théologie avec le cardinal, et une théologie agressive. Il lui adressa un regard disant clairement « pas maintenant, par pitié » avant de saluer Bélyl d’un hochement de tête et la jeune sœur d’un sourire innocent en montant.

Guillaume, 16 ans, apprenti guérisseur

Guillaume ne savait plus quoi faire. Dame Irène était toujours endormie, il était seul, il ne savait pas quoi faire. Il n’était pas prêt. Il avait besoin d’aide, d’appui. Il ne savait pas quoi faire. Il était trop jeune pour aider une femme à accoucher seul…

Il releva la tête en entendant des pas qui montaient dans les marches. Ses yeux s’écarquillèrent alors en découvrant le père de Bélyl, et Hyriel dans ses bras.

« Hyriel !
— Guillaume ! Reprends courage, je suis là. »

Il demanda à Joseph de le poser sur une chaise à côté de son apprenti et passa un bras autour de ses épaules, ignorant la douleur.

« Comment va-t-elle ? Et toi ?
— Moi, ça va. Elle… elle ne se réveille pas mais vit toujours. Mais j’ai touché son ventre comme tu le faisais et… il arrive par le siège.
— Les deux ?
—  LES DEUX ? »

Guillaume ne pouvait pas avoir physiquement les yeux aussi écarquillés. Hyriel comprit que son élève avait encore quelques progrès à faire pour les diagnostiques de grossesse… Il lui sourit pour le rassurer et se rinça les mains dans un petit pot prélevé de la vasque avant de tâter à son tour le ventre d’Irène pendant que Guillaume continuait de lui humidifier le front. Hyriel se rassura.

« L’un des deux seulement. Et comme elle a déjà accouché, deux fois en plus, ça le fera. »

Il soupira, soulagé, mais se refusa à se détendre. Il leva les yeux vers Joseph, neutre.

« Pourriez-vous aller nous chercher de la menthe, s’il vous plaît ? »

Cecilia arriva juste au moment où la jeune Cassandre terminait son discours et où le cardinal lui répondait sèchement. La jeune sœur porta une main à sa bouche, effarée. Comment pouvait-il dire cela ?
Et les réponses de la petite… Cecilia n’y tint plus et elle s’approcha d’eux.

« S’il vous plaît, je vous en prie, ne laissez pas la colère dicter vos mots ! Nous sommes tous nerveux ce soir et vous ne pensez pas ce que vous dites, tous les deux, j’en suis sûre. S’il vous plaît… »

Elle leur adressa à tous deux un regard aussi suppliant que ses mots.

La réponse de la petite sur le guérisseur lui fit se mordre la lèvre. Le meilleur guérisseur du monde… Un sorcier condamné… Elle se signa. Quoi qu’il arrive, elle espérait que cela fasse effet, que cette femme survive. Et après… Après, elle espérait que le Seigneur les aide également pour discerner le bien. Elle laissa Bélyl répondre à son oncle et acquiesça à sa proposition en souriant. Ce serait une bonne idée. Et eux resteraient pour aider comme ils le pouvaient. Elle se recomposa comme elle le put un air encourageant pour son amie mais sans trouver quoi dire. Elle appuya également d’un hochement de tête la demande de la jeune Cassandre, étonnement calme. Si ça pouvait l’aider, c’était une bonne chose.

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans ; Général Joseph Cassin, 33 ans

Matthieu aurait soudain voulu revenir en arrière et se gifler lui-même pour qu’il ne laisse plus passer une telle énormité. Mais c’était fait. C’était trop tard… Il serra ses bras, soudain tremblants. Qu’est-ce qui lui était passé par la tête ? Alors que sa carapace se fissurait de plus en plus, la voix de Clarence vint encore comater la fissure.

Hyriel vit le regard noir du cardinal et le lui rendit bien. Pendant ce temps, Florentin laissa Grâce sauter de ses genoux et Eugène et lui échangèrent un regard inquiet en voyant la gêne de Bélyl. Ils la laissèrent faire et saluèrent les deux filles avant de se regarder de nouveau, sans savoir quoi faire. Ils ne pouvaient pas vraiment sortir à cause du cardinal mais ils avaient cru comprendre qu’Hyriel était là. Ils en étaient soulagés. Florentin leva les yeux vers le plafond. Il espérait qu’il pourrait faire quelque chose…

Hyriel haussa un sourcil aux demandes de Cassandre mais n’insista pas. Il avait d’autres chats à fouetter. Il rejoignit alors Guillaume et était à peine installé, après un remerciement du menton au général, qu’Irène bougea. Il la laissa se réveiller, préférant laisser son frère faire pour lui éviter un choc. Toutefois, choc il y eut parce qu’il sembla à Hyriel qu’il était paradoxalement le seul à savoir ce qu’il se passait. Il ne put que sourire, bien embêté.

« Je déduis que vous ignoriez donc attendre deux enfants… »

Après un bref salut de la tête, il l’examina d’un geste rapide et expert, sous l’œil attentif de Guillaume, mais se figea à l’ordre d’Irène. Il leva les mains pour la rassurer, l’expression calme, et laissa le général expliquer la situation en se retenant de sourire. Le vainqueur de Mornoy vaincu par sa sœur. Guillaume, lui, alla de l’un à l’autre, stupéfait. C’était… intense… Ils se firent toutefois sous les deux oublier.
À la fin, quand il fut question de « ses feuilles, là », Hyriel sourit et remercia Joseph d’un signe de tête. Puisqu’Irène était réveillée, ça ne servirait plus pour l’instant mais au cas où, c’était toujours utile. Ils le regardèrent partir et Hyriel se retourna vers Irène, tête inclinée.

« Pardonnez-moi de vous avoir fait peur, Madame. Je viens d’arriver, ramené par cassandre vos frères pour vous aider, afin que tout se passe bien. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient… »

Guillaume retint sa respiration. Il espérait qu’elle n’en verrait pas. Il avait retrouvé son ami, son maître, il ne voulait pas le revoir partir…

La réaction du cardinal frappa la jeune sœur au cœur. Pourquoi s’emmurait-il dans la colère, lui qui était d’ordinaire si bon ? Et lui en voulait-il ? Elle n’espérait pas, pas pour ça… Elle n’eut toutefois pas le temps d’y penser que la jeune fille s’approchait d’elle. Elle écouta sa réponse, fermée, la gorge tremblante, et secoua la tête quand elle eut fini, triste.

« La colère est la plus tentatrice, la plus mensongère et la plus traîtresse des conseillères. »

Elle ne trouva rien de plus à dire et baissa la tête quand elle se détourna d’elle. Et elle redevenait angélique… était-ce seulement sincère ? Elle jeta quelques regards au cardinal, inquiète, et retint sa respiration en entendant la dernière pique de Cassandre. Elle déglutit difficilement et se tourna de nouveau vers le cardinal, désolée et incertaine. Elle ne voulait pas voir la flamme de sa colère se raviver.

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans ; Général Joseph Cassin, 33 ans

Stoïque, Matthieu encaissait les insultes de cassandre, les unes après les autres, en se raccrochant à l’idée qu’elle changerait peut-être d’avis quand le sorcier serait brûlé et ses maléfices avec lui. Il secoua la main vers Cecilia pour lui intimer de ne pas s’acharner davantage. Personne ne lui ferait entendre raison…

Joseph l’observa en se pinçant les lèvres. Matthieu avait l’air sérieusement blessé, il le connaissait assez pour le savoir. Cependant, il ne dit rien et soupira à la justification de Cassandre. Elle avait toujours un argument, ça en devenait même inquiétant…

- Très bien, alors, va mais ne tarde pas à rentrer, qu’on ne s’inquiète pas.

Et puis, ça restait Noël… Même si c’était un Noël bien singulier…

Matthieu restait cloîtré dans un coin quand il entendit de nouveau la pique. Il se recroquevilla. Il aurait voulu se lever, aller la prendre dans ses bras et lui dire qu’il n’en pensait pas un mot, qu’il avait été idiot et en colère. Il n’en fit rien et resta prostré sans un regard pour l’entrée. Matthieu finit par se courber en deux et joignit ses mains. Qu’au moins, il prit pour sa sœur… C’était le mieux qu’il pouvait faire pour le moment.

Après son annonce, Hyriel fut attentif aux réactions d’Irène pour lui laisser le temps d’encaisser la nouvelle mais pas assez non plus pour paniquer. Il hocha légèrement la tête à la réponse avec un sourire indulgent.

« Je comprends. Mais rassurez-vous, tout ce passera très bien. »

Il sourit aussi avec calme au général, calme que Guillaume admirait. Comment faisait-il ? Y arriverait-il, plus tard ? Il espérait. Un guérisseur plus paniqué que son client, ça faisait mauvais genre. Ils suivirent du regard le général quand il partit avant de reporter leur attention à Irène. Hyriel se pinça les lèvres en la voyant grimacer et sourit à sa réponse. Guillaume ne cacha pas un soupire de soulagement qui lui valut une tape amicale dans le dos.
À la demande d’Irène, Hyriel souffla de rire.

« En effet, et ce sera sans doute plus agréable pour nous tous. Va pour ça, alors, Irène ! »

Guillaume l’aida à se réinstaller tandis qu’Hyriel examinait plus précisément son ventre. Il hocha la tête.

« Ils vont parfaitement bien. Pour celui qui ne s’est pas retourné, je devrai faire une petite manœuvre mais pour l’heure, tous deux se préparent au grand moment ! »

Aldéric Tassin, 22 ans

Quand les soldats virent revenir la fillette, ils commençaient à être bel et bien gelés. Les deux compagnons de Tassin grognaient un peu en se demandant pourquoi ils avaient été s’embarquer dans cette galère.

Tassin pour sa part demeurait songeur. Il espérait que tout se passe bien… Il avait quelques vagues souvenirs de la naissance de sa petite sœur et il lui semblait que ça avait été bien plus court…

Il baissait les yeux en entendant une petite voix et revit la fillette qui avait bavardé avec eux près de la prévôté. Les deux autres se réjouir aussitôt et prirent la flasque avec reconnaissance. Ils commencèrent à la vider de façon bien goulue avant de se souvenir que Tassin était là aussi. Le jeune homme esquissa une moue boudeuse mais en prit un peu.

- Merci beaucoup, petite !

Il prit le vin chaud avec reconnaissance et fut ravi de se réchauffer un peu.  

Cardinal Matthieu Cassin, 31 ans ; Général Joseph Cassin, 33 ans

Du temps s’était écoulé. Ni Hyriel ni Guillaume ne sauraient toutefois dire combien exactement. Ils avaient autre chose à s’occuper que compter les minutes. La jeune sœur était remontée pour rassurer Irène et Guillaume s’efforçait de faire de même en discutant de tout et de rien pendant qu’Hyriel examinait Irène et attendait la venue du premier. Les deux hommes sentaient qu’Irène fatiguait et espéraient que les enfants arrivent vite. Guillaume, pour sa part, s’efforçait de serrer la main d’Irène dans la sienne en l’encourageant du regard, de même que la jeune sœur en face.
Hyriel, de son côté, voyait les pieds du petit. C’était pour bientôt. Il releva la tête à la question d’Irène et acquiesça.

« Oui, tu vas pouvoir commencer à pousser quand tu sentiras les contractions. Je m’occupe du reste, tout se passera bien ! »

Il lui sourit pour la rassurer à ce sujet avant de rebaisser la tête en s’approchant, prêt à accueillir les jambes du premier petit.

Eugène, 23 ans

Assis sur les marches qui menaient à l’étage, Eugène attendait. Qu’on l’appelle, qu’ils entendent des cris, qu’il se passe quelque chose. En attendant, il triturait sa cape en regardant le général tourner en rond.

Du bruit lui fit lever la tête. Il suivit Cassandre du regard et laissa le général lui répondre. La réaction de Cassandre l’étonna et il secoua la tête mais sans rien dire. La question ne s’adressait pas à lui, ce n’était pas à lui de répondre. Surtout pas avant le général frère du cardinal qui voulait leur peau à tous les quatre.

Le temps passait, s’écoulait, continuait son cours. La seule évolution était que la sœur du cardinal peinait de plus en plus à garder de l’énergie. Pourtant, Dieu savait qu’elle en aurait besoin pour mettre deux bébés au monde ! Les deux guérisseurs – sorciers ? – s’efforçaient de la tenir éveiller en discutant calmement et elle s’y employait également, tout en priant en elle-même. Ce faisant, de même que le jeune apprenti, elle serrait la main de Dame Irène dans la sienne et lui souriait tout le temps, même si elle était inquiète au fond d’elle.
À la question, elle tourna la tête vers le sorcier, pleine d’espoir, et s’illumina en entendant la réponse. Elle resserra sa main autour de celle d’Irène.

« Votre peine touche à sa fin, Madame ! Courage, faites-vous confiance, et vous pourrez bientôt serrer vos deux bébés dans vos bras ! »

Général Joseph Cassin, 33 ans

Joseph se mordit la lèvre en voyant l’inquiétude de Cassandre. Il baissa la tête puis la secoua d’un air navré avant de se mettre à sa hauteur.

- Je suis désolée mais non. Et si tu veux tout savoir, je suis au regret de te dire que tu as des cousins jumeaux et que notre mère à nous avait une sœur jumelle… Bref, ça existe… Mais ce n’est pas insurmontable ! Notre grand-mère l’a très bien réussi et Madeleine est encore là, en pleine forme ! Irène ne risque rien.

Il tentait dans le même temps de se rassurer lui, il en avait bien conscience. Mais toutes les femmes de leur famille s’en était toujours sorties… Alors même avec des jumeaux, il n’y avait aucune raison que ça change maintenant.

Fort heureusement pour elle, Irène n’était pas seule, même si son humeur commençait à dangereusement osciller, au point qu’elle pouvait se sentir agacée au moindre mot de travers.

Elle souffla profondément en tenant les mains de ses deux accompagnateurs pendant qu’Hyriel continuait de surveiller. Elle espérait seulement avoir assez de force pour aller au bout et donner naissance aux deux enfants.

Pour Antoine.

Pour ces deux vies qui dépendaient entièrement d’elle.

Elle respira un grand coup, puis, quand elle eut sa réponse, attendit une contraction.

Douleur.

Pousser.

Elle s’engagea de toutes ses forces dans cette bataille, le visage déjà déformé par l’effort.

Allez, mon trésor, viens… On va réussir ça tous les deux, viens…

Elle hocha vaguement la tête vers Cecilia mais se concentrait surtout sur sa tâche.

Inspirer.

Douleur.

Pousser.

Inspirer…

Douleur…

Pousser !

Guillaume faisait tout son possible avec la religieuse pour égayer Irène et lui faire oublier sa douleur et ses angoisses. Quand elle commença à pousser, ils lui tinrent la main, bien fort, en l’encourageant. À chaque poussée, Guillaume félicitait Irène, le sourire aux lèvres, tout en gêtant avec inquiétude et impatience son mentor. Celui-ci encourageait aussi Irène et la tenait informée des progrès du bébé. Ses jambes sortaient peu à peu et Hyriel les accueillait et les accompagnait. Une petite fille. Quand il vit arriver la pointe de ses omoplates, il prit une grande inspiration. Ç’allait être à lui.

« Il ne reste plus que les bras et la tête. Je vais l’aider à se dégager. Courage, tu y es presque ! »

Il attrapa pour sa part l’enfant avec délicatesse et le fit tourner sur le côté pour libérer un bras. Il le tourna ensuite de l’autre pour libérer le second bras. Il sourit, enchanté.

« Plus que la tête ! »

Il laissa Irène pousser et celle-ci parvint à sortir. Hyriel posa alors le nourrisson sur le lit et coupa le cordon avant de le nouer pour éviter l’hémorragie. Il releva ensuite la tête avec joie.

« Ta petite fille est née ! »

Guillaume étouffa un hoquet de joie, enchanté. Il l’avait fait ! Hyriel avait réussi à faire naître ce bébé qui l’inquiétait tant !

Eugène, 23 ans

Silencieusement, Eugène laissa le général expliquer. Il s’en sortait très bien ! Il aurait pu intervenir pour l’aider si jamais mais il n’en avait en fait pas besoin. Il continua donc de triturer le bas de sa cape en observant l’échange. Au moins, la petite semblait se rassurer. C’était bien, ça. Et c’était beau de croire autant en Hyriel. Il devait être flatté.

Cecilia s’efforça d’être pour Irène un soutien calme et encourageant, de pair avec l’apprenti sorcier et son maître. Ils ne semblaient pas si cruels que ça, en fin de compte ! Quand le bébé commença à arriver, Cecilia se sentit parcourue par un frisson d’excitation. Elle avait beau avoir eu plusieurs frères et sœurs plus jeunes qu’elle, elle n’avait jamais assisté à leur naissance. Elle continua d’encourager Irène avec plus d’entrain, tout en regardant les mouvements du guérisseur.
Quand elle entendit que c’était une petite fille, elle s’illumina, une larme d’émotion sur la joue.

« C’est merveilleux ! Vous avez réussi, Madame ! »

Général Joseph Cassin, 33 ans

Mal Assuré, Joseph tentait tant bien que mal de lui expliquer tout ce bordel. Pourquoi ça tombait sur lui ? Et ils étaient planqués où tous les autres là ? Il se gratta la tête. Irène n’avait peut-être pas précisé les noms ou alors, la petite ne les avait pas retenus ce qui pouvait être logique.

- Hem… Irène ne t’a pas raconté l’histoire ?

Quand elle avança son hypothèse, il secoua la tête.

- Non, non, c’est Ange et Angélique qui sont nés ensemble. Théodène, c’est l’aîné.

Et Dieu, qu’il portait bien leurs prénoms ces deux-là ! C’était d’ailleurs assez amusant pour Angélique quand on connaissait la tornade qu’était sa mère… Joseph préférait certainement se retrouver sur un champ de bataille que se faire enguirlander par sa belle-sœur… Joseph sourit à sa nièce par la suite et hocha la tête.

- Absolument ! Des générations et des générations d’épouses ou de femmes Cassin se sont mises sous la protection de la Vierge et, selon la légende familiale, depuis notre ancêtre, Isabelle, la femme du premier Cassin qui a fondé la compagnie, pas une seule femme n’est morte en couche. Nous prions toujours Notre Dame depuis.

Il crut alors voir qu’elle était plongée dans ses réflexions mais n’osa l’interrompre. Il se contenta de hocher la tête avec un sourire.

- Tout à fait ! Irène n’a aucune raison de s’en faire. Elle est très forte, tu sais ? Tu n’as pas du tout à t’inquiéter pour elle, même dans les pires situations, elle s’en sortira.

Il n’y avait qu’à voir comment elle avait surmonté la mort d’Antoine. Elle avait perdu l’amour de sa vie, s’était retrouvée du jour au lendemain presque à la rue, tout ses biens arrachés et pourtant, ni Marc, ni lui ne l’avait vue pleuré. Elle avait tout gardé pour elle, s’était concentrée sur ses enfants, avait monté son projet, sans une plainte, en partant de presque rien. S’il y avait bien quelqu’un qui avait la tête dure dans cette famille, c’était elle.

Inspirer.

Douleur.

Pousser.

Inspirer.
Douleur.
Pousser.

Inspirer. Douleur. Pousser…

Encore !

Irène commença à crier, à faire sortir toute la force qu’elle contenait en elle.

Elle hurla pour se libérer, pour donner de la force à son enfant, pour le conduire vers la lumière. Elle se concentra sur les paroles d’Hyriel, sur ses conseils…

Sainte mère de Dieu, aidez-moi…

Enfin, ce fut la délivrance.

Irène se laissa retomber sur les coussins, le souffle court mais heureuse. Elle porta une main à sa bouche au compliment de Cecilia puis les larmes vinrent à ses yeux quand elle entendit un cri. Elle avait beau connaitre ce moment, c’était pour elle une joie toujours aussi immense. Irène se redressa un peu, rayonnante.

- Elle va bien ? Je peux la voir ?

Guillaume serrait la main d’Irène pour l’encourager. Il serrait aussi les dents, inquiet, à chaque fois qu’elle criait. Il savait que ce n’était pas forcément une marque de douleur mais… tout de même. Toute sa peur disparut toutefois quand le bébé naquit et il s’illumina. Il passa aussitôt un linge humide sur le front d’Irène pour la rafraîchir. Mais n’osa rien dire pour ne pas briser ce moment.
Quand elle se redressa, il l’aida et Hyriel se pencha vers elle, la petite dans les bras.

« Elle va très bien. Et bien sûr que tu peux la voir. Tiens, elle n’attend que toi. »

Avec une grande délicatesse, il déposa l’enfant dans les bras de sa mère et s’écarta pour la laisser à ce moment. Ils auraient tous le temps de laver et d’emmaillotter la petite après.

Eugène, 23 ans

Le général semblait avoir des difficultés à répondre. Toutefois, il s’en sortait très bien. Et puis de toute manière, Eugène n’aurait rien su répondre quant à la famille Cassin. Il haussa légèrement un sourcil en entendant la critique de Cassandre envers Grâce. C’était méchant, ça.
Pour oublier les cris, même s’il demeurait attentif au cas où on l’appellerait, il écouta avec attention la légende familiale. C’était une belle légende ! Et effectivement, de ce qu’il avait vu, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Et puis Hyriel était là.
Il écouta également avec amusement – perceptible par un coin de lèvre légèrement réhaussé – les récits de Cassandre. Effectivement, Louise était quelqu’un de bien. Quant à l’autre, Alduis, il ne le connaissait pas mais le retard n’était pas à son avantage. La fin toutefois le fit esquisser un très léger sourire. Ça, c’était envoyé.

Il releva la tête en entendant un cri de bébé et, une fois n’est pas coutume, son visage s’illumina et son cœur s’enchanta. Ils avaient réussi !

La jeune sœur se crispa aux cris mais se rappela ce que ses frères et sœurs lui avaient dit. C’était normal de crier pendant un accouchement, pour évacuer la douleur. Toutes les femmes depuis Ève le faisaient. Heureusement, cela finit bien vite et la petite vint au monde.

Les larmes aux yeux, Cecilia observa la petite rejoindre les bras de sa mère. Elle se signa alors et croisa les doigts pour remercier Dieu d’avoir permis la naissance de cet enfant et pour la lui confier.