[26 Septembre 1597] Un contact sous surveillance [Terminé]

C’était le jour des écrits, ou plutôt le jour où les quatre compères s’étaient dit qu’il fallait peut-être gagner un peu d’argent honnêtement. Hyriel avait donc prit sa besace avec lui contenant son support d’écriture et tout ce qui lui fallait pour mener à bien son honnête profession. Il s’était ensuite rendu en ville et s’était trouvé un rebord de muret tranquille pour s’asseoir et… écrire, écrire, écrire.

Tout en écrivant à un petit-fils pour le renseigner sur la santé du chien et des trois oiseaux itinérants de sa grand-mère, Hyriel réfléchissait à la question de l’éducation et, plus particulièrement, à celle des personnes âgées. En effet, il était primordial pour la santé mentale des écrivains publics que celles-ci apprennent à écrire ou alors, elles ne pourraient, à force d’usure de l’écrivain, ne plus envoyer de lettres du tout. Cela serait pourtant bien dommage et priverait les contrées lointaines de renseignements essentiels et vitaux sur la vie quotidienne des animaux de compagnie de la capitale !

La grande place était noyée de monde et Thierry avançait péniblement entre toutes ces grappes de badauds qui commentaient leurs doléances. Par bonheur, personne ne l'importunait ! Comme il regrettait devoir jouer au bon curé débonnaire. Si ces trois soldats ne lui filaient pas le train, il aurait abusé de son autorité et ordonné à cette masse de le laisser passer.Mais il fallait se montrer courtois, aimable, effacé... Quel ramassis de bêtises !

Finalement, dans un coin apparaissait le dénommé Hyriel, comme l’appelait les nombreuses rumeurs qui couraient à son sujet. Il était installé sur le rebord d'un muret à rédiger une lettre pour une grand-mère, appuyée sur sa canne, le dos vouté, qui dictait une lettre pour un de ses petits-fils. Un élan de compassion le saisit aussitôt. Il se rappela de toutes ces heures perdues en confession à entendre des histoires insipides : jalousies mesquines, querelles de voisinage, envies.. Rien ne manquait à sa panoplie. Pourquoi aucun ne comprenait l'ennui qu'apportait leurs paroles creuses ? Lorsque l'on s'exprimait, cela devrait être pour captiver d’auditoire et le divertir et non susciter des envie de mort.

Il était temps d'offrir à Hyriel un meilleur spectacle que cette grand-mère insupportable.

D'un pas lent, dissimulant un sourire d'amusement pour feindre un débonnaire,le prêtre s'approcha et fit mine d'étudier la prose que traçaient les lettres. il s'exclama en minant l'ahurissement :

"Que le Seigneur nous soit loué ! Mon fils, comme vous écrivez bien ! Quel soin ont vos lettres !"

Il se signa dans un grand signe démonstratif et poursuivit :

"Et vous êtes infirme ! Infirme ! Vous entendez cela, vous autres ?"

Il se tourna vers le reste de la place et débuta un sermon d'une voix autoritaire.

"Entendez-vous vraiment cela, vous autres ? Toi, là-bas, je t'entendais à l'instant te plaindre que ton fils s'est estropié la jambe et risquait de ne pas savoir remarcher ! Et alors ? C'est ton enfant et tu dois l'aimer et le soutenir dans toutes les épreuves qui lui tombent dessus. Observe cet homme. Ses parents auraient pu le rejeter lui aussi. Et pourtant, pourtant, ils ont préféré l'éduquer et lui donner une instruction solide. De ce fait, il se rend utile à notre société par ses manières à lui. Chacun de nous est complémentaire, le comprendriez-vous enfin un jour ?"

Thierry décida de s'arrêter là. Les meilleurs sermons étaient ceux les plus courts. Après plusieurs phrases, l'esprit humain décrochait. Il se retourna vers Hyriel et simula l'illumination.

"Ah, mon fils, mon cher fils, je vous remercie de cette merveilleuse leçon de courage et d'intégrité que vous nous offrez par votre simple existence"

Il lui fallait à présent une petite accroche codée pour lui indiquer que sa présence revêtait d'une toute autre raison. dans les rumeurs triées, il avait naturellement entendu parler celle d'un homme en béquilles et attelles qui se serait rendu avec sa femme chez le vil Dyonis pour livrer Ulysse de Rottenberg ou plutôt celui qui se faisait passer jusque-là pour lui. Hyacinthe Galtym si sa mémoire était toujours aussi bonne, ce qu'il ne doutait bien sûr pas. Un petit sourire flotta sur ses lèvres.

Il demanda dans une intonation innocente :

"Par moments, vos jambes doivent vous faire souffrir, non ? J'ai entendu dire que les infusions de thym soulageaient de  nombreux maux. il paraitrait même que le thym atténue les démangeaisons de la gale."

Hyriel remarqua qu’un prêtre venait vers lui. Misère, qu’allait-il dicter, lui ? Il fit mine de ne rien voir et continua d’écrire la fin de la lettre de la charmante mamie. Il releva le visage, étonné, au compliment, et ne sut vraiment quoi dire. Il n’eut de toute manière rien à répondre que l’autre continuait déjà. Oui, il était infirme, et alors ? Allait-il le crier sur tous les toits ? Apparemment oui… Il écouta son sermon, sceptique, et finit par sourire. L’intention était bonne mais y avait-il vraiment besoin d’en faire autant ? Surtout que ce n’était sans doute pas cela qui allait changer les mœurs de tout un pays… Il sourit, crispé, au prêtre sur la fin et hocha la tête.

« Je vous en prie, ce n’est rien… »

Littéralement. Il commença à avoir un doute en voyant le prêtre sourire. Pourquoi ? Et, oui, le thym, mais quel rapport avec la gale ? Et entre la gale et les jambes ? Avait-il lui-même l’air galeux ? Non… Il eut soudain un éclair d’idée, même s’il ne montra rien. La gale et le thym pouvait être liés, de même que le poulet et le thym… Il esquissa à son tour un léger sourire.

« En effet, le thym sert à beaucoup de choses, de ce que l’on m’a dit, mais il faudrait plutôt poser cette question à un guérisseur. »

Il le regarda innocemment. Il n’était pas à l’abri d’un piège, malgré tout…

Thierry réprima un sourire en contemplant l'écrivain infirme qui le jaugeait sans savoir comment interpréter. Cette sensation d'emprise que sa fonction exerçait sur les gens était une ivresse si douce. D'un mot, il pouvait les réduire au silence ou leur apporter satisfaction. Quel incroyable talent que possédait une banale soutane et une croix en bois ordinaire ! Qui avait inventé ces idées révolutionnaire ? Un génie, à n'en pas douter !

Son regard croisa les pupilles de l'homme quand il eut évoqué le fameux thym combiné la gale. Il sut que ce dernier avait compris. C'était un homme intelligent et subtil. Les choses n'en seraient que plus intéressantes.

"C’est décidément Dieu qui aura guidé mes pas vers vous, mon fils !"

Il se prit le poignet droit et le massa en simulant une légère douleur.

"Je me suis fait une foulure hier après-midi et j'ai besoin d’envoyer une lettre à l'évêché. J'ai bien essayé de faire des efforts mais..."

Le prêtre sortit de sa main gauche trois feuillets de sa soutane et les tendit au guérisseur. Des inscriptions sérieuses couvraient la première et la dernières dont les lettres étaient tracées en majuscules et relataient une note pour l'évêque. En revanche, sur la page du milieu avait été écrit une lettre bien plus personnelle dans des caractères petits et resserrés.


   

   

Mon cher guérisseur,
J'ai entendu parler de vos exploits chez le sieur Dyonis et j'en ai beaucoup ri. Je salue votre ingéniosité et votre sens de la justice à vous moquer d'un homme pourvu d'un honneur de façade. J'ai aussi connu vos talents qui feraient de vous un bon guérisseur. J'ai une fille qui a eu récemment un regrettable accident avec carrosse. Elle m’assure aller bien mais cette enfant est d'une nature un peu trop volontaire pour son bien. Serait-il possible de nous rencontrer afin que vous l'examiniez ?

J'ai déjà réfléchi au moyen d'une rencontre discrète. Le 28, pourriez-vous rendre à la rue des Potiers, à la maison des Telliers ? J'ai payé cette famille pour louer leur logis. ils resteront à l'étage, loin de nous, pendant que nous discuterons en bas. Mon vicaire conduira ma fille là-bas. Je vous rejoindrai en dernier sous le prétexte d'une visite à un malade. J'espère vous y voir.

Thierry d'Anjou

   

   

   

Thierry observa avec appréhension l’écrivain  public et espèra ne pas avoir commis une erreur en signant cette lettre de son nom. Il fallait cependant donner un gage de bonne volonté. De cette manière, ce Hyriel se renseignerait sur son compte, comme lui-même avait fait préalablement sur celui du guérisseur.

"'Arrivez-vous à me lire ? J'aimerais ne pas dévoiler le contenu de ce courrier officiel à voix haute. Nous pourrions aller dans un lieu moins ouvert si cela ne vous gêne pas."

Il jeta un regard rapide aux deux soldats postés quelques mètres plus loin, collés à ses basques. Ils ne pourraient rien soupçonner. Le mensonge était crédible, surtout qu'il avait simulé hier matin, pendant une de ses messes, de s'être foulé le poignet droit. Ses fidèles avaient dû en discuter sur le retour et ces hommes devaient en être informés. Il retint un sourire de satisfaction. Son plan ne comportait aucune faille.

Hyriel se laissa aller à un souffle de rire. Si Dieu guidait des gens vers lui, c’est qu’il devait être bien désespéré… Il s’étonna de la suite en haussant un sourcil. Finalement, il voulait voir l’écrivain public ? Allons bon. Il prit les papiers pour les parcourir rapidement et se figea un court instant en lisant l’accroche. Il parcourut le reste avec nonchalance, comme s’il n’avait rien remarqué de particulier, même s’il commençait à comprendre. Il nota dans un coin de sa tête que le prêtre parlait de sa fille. Il n’en était peut-être pas un, donc, ou alors… ou alors pas un des plus dévots…
Quand il eut fini de lire, il sourit et acquiesça.

« Bien. Oui, ne vous inquiétez pas. Quant à votre demande, oui, pourquoi pas, je termine simplement la lettre de madame. Allez-y, je vous rejoindrai. »

Ce disant, il replia les feuillets pour les glisser dans son habit. Il regarderait où irait le « prêtre » et, si ce n’était pas trop risqué, il le suivrait.

Thierry observa attentivement d'un air sérieux l'infirme étudier les documents qu'il venait de lui confier. Il eut un très court instant une surprise, sûrement en tombant sur sa missive secrète mais son visage reprit un air naturel. Par prudence, le prêtre se déplaça légèrement et utilisa son corps comme écran entre lui et les deux soldats qui le surveillaient à quelques mètres de là. Il donna l'impression d'avoir les jambes engourdies à force de rester immobile et insista un peu pour marquer une légère fatigue.

L'écrivain public sembla recevoir sa requête mais voulut s'acquitter de sa tâche première, avec cette grand-mère inutile, pour ne pas attirer l'attention. s'ils se précipitaient les soldats jugeaient cela suspect.

"Bien sûr, mon fils. Il faut respecter les ordres d'arrivée. Je vous attendrai dans l'église là-bas alors. a tout à l'heure."

Il le salua poliment d'un hochement de tête puis s'éloigna pour entrer effectivement dans le bâtiment religieux qui se dressait au bout de la grande place. Un sourire de satisfaction orna sa face au moment où sa main trempa dans le bénitier. Au moins, ici, ces diables de soldats cesseraient de l'agacer.


Thierry était gêné.

Contrairement à ses prévisions, l'église se trouvait être au beau milieu d'une messe et de nombreux fidèles étaient sagement alignés sur les dizaines de bancs, à réciter bêtement leurs prières. Il les maudit de déranger un plan si superbement huilé. Ne pouvaient-ils pas aller boire à la taverne ? On y était quand même mieux qu'à respirer dans une bâtisse froide un encens entêtant ! Pour couronner le out, un vicaire venait de lui apprendre que la salle de réunion était occupée par plusieurs évêques pour une discussion importante et s'en excusait bien sûr. Bien sûr ! Thierry eut du mal à rester poli avec lui et retournait attendre dans l'entrée.
Comment allait-il s'entretenir avec le guérisseur ?
Son regard se posa alors vers le confessionnal et une idée tentante lui vint. Ce serait drôle de tromper tout le monde et de prétendre à une confession alors qu'lds aborderaient sûrement des sujets interdits ! Quelle bonne plaisanterie !

En attendant, il espéra que le guérisseur vienne bien et accepte l'idée.
Thierry soupira.
il détestait les incertitudes.

Hyriel salua le prêtre d’un hochement de tête souriant.

« C’est parfait. À tout à l’heure, mon père. »

Dans l’église ? Vraiment ? Après tout, c’était un prêtre… Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour s’occuper un peu ! Hyriel expédia la rédaction de sa lettre, rangea son matériel et se leva de son muret. Appuyé sur ses béquilles, il remonta les rues et atteignit l’église. Il ouvrit de grands yeux en voyant les fidèles à la messe. Il baissa les yeux vers ses béquilles au bout claquant. La discrétion, c’était fichu… Il tourna la tête et repéra le prêtre. Il haussa un sourcil à son intention.

« Dois-je assister à la messe pour être digne de retranscrire votre courrier ? »

Le tintement particulier des béquilles fit comprendre à Thierry que son invité particulier venait d'entrer dans l'église. Il vint à sa rencontre et eut pour le jeune homme un regard sincèrement compatissant. Son esprit ne pouvait s'empêcher de voir à sa place son petit Alex. Il vint à sa rencontre pour fermer la porte derrière lui et lui épargner cette peine.

"Votre existence ne doit pas être facile."

Ce n'étaient pas que des banalités, des choses qui ne méritaient pas d'être formulées à haute voix mais le prêtre était pris par une émotion et imaginait à la place de Hyriel son fils. Il serait si démuni si lui aussi n'avait plus aucun appui. De quoi aurait-il vécu ? aurait-il su trouver une place ou gagner un peu d'argent ? Il relégua ces questions douloureuses loin et invita Hyriel à le suivre.

"Il va vous falloir encore un peu de courage, mon fils, je le crains et je le regrette. Non, non non, nous n'assisterons pas à cette messe. Mon courrier est trop urgent pour être retardé et je n'ai perdu déjà que trop de temps avec cette maudite blessure. Nous allons cependant devoir nous isoler. Vous comprenez ? Cette lettre pour l’évêque ne peut être audible à toutes les oreilles."

Il fit quelques pas et indiqua le confessionnal qui se dressait heureusement pour ce pauvre infirme près de l'entrée.

"Nous serons bien à l'intérieur. Et puis, de cette manière, après le travail, vous pourrez vous confesser. Autant joindre l'utile à l'agréable !"

Le prêtre s'amusa de cette petite pique puis s'avança vers le confessionnal avant de se tourner vers Hyriel.

"Puis-je vous aider à vous installer ?"

Hyriel s’étonna de la remarque de Thierry. Depuis quand les gens s’inquiétaient-ils pour infirmes ? Il haussa simplement les épaules.

« J’y suis habitué… »

Il remarqua toutefois que le prêtre semblait songeur. Des préoccupations de curé ? Si jamais il lui proposait la voie du Seigneur pour avoir une vie plus heureuse parce qu’Il lui tiendrait compagnie ou une fadaise de ce style, il allait pouvoir l’écrire tout seul, sa fausse lettre. Il retrouva toutefois le sourire en apprenant que – n’importe-quoi soit loué ! – il n’assisterait pas à une messe. Moins il en suivait, mieux il se portait. Rester assis, se lever… ce n’était pas pour lui. Il plissa toutefois les yeux à la suite, au cas où ce serait un piège, et suivit le prêtre se figea en voyant le confessionnal. Oh non… Et se confesser après le travail, mais bien sûr ! Il força le sourire et se dirigea vers le clapier. À la proposition du prêtre, il secoua la tête et manœuvra habillement pour s’asseoir.

« Je vous remercie, mon père, mais, comme je vous l’ai dit : j’ai l’habitude. »

Il se cala tant bien que mal dans cette cage à poule évidemment pas faite pour les béquilleux dans son genre et déposa ses béquilles en attendant que le prêtre prenne sa place pour lui parler de son affaire.

A la réponse du guérisseur, Thierry comprit que celui-ci tenait à sa liberté et sa dignité. Il le laissa s'installer seul, à sa convenance et l'attendit dans sa partie du confessionnal.

Lorsque son interlocuteur fut enfin face devant lui, face à cette grille qui les séparait, Thierry se tourna dans sa direction et arbora un sourire légèrement moqueur.

"Quelle belle comédie, n'est-ce pas ? Je suis navré pour l’esclandre causé en public tout à l'heure mais on ne pouvait évoquer les choses dont je voudrais vous parler devant toutes ces oreilles indélicates. Vous savez, je ne suis que prêtre catholique que du nom de ma fonction."

Il leva les yeux instant vers le plafond du confessionnal et eut un sourire amusé.

"Je déteste être enfermé dans cette cage et dès fois j'y passe des heures pénibles à endurer les idioties de grenouilles qui s'accusent d'avoir mangé une tartine de trop ou d'avoir médit sur une voisine. Comme si le Seigneur pouvait faire le compte de leurs tracasseries stupides ! Mais cela peut parfois donner lieu à de bonnes farces. Hier encore, j'ai demandé à une femme de rentrer chez elle à quatre pattes pour se laver du péché d'avoir eu un rapport charnel avec son époux dans une autre position que celle du missionnaire. Et cette sotte l'a fait jusqu'au parvis de l'église jusqu'au moment où tout le monde s'est moqué d'elle. Un curé, c'est décidément commander des moutons idiots."

Cette introduction commençait à traîner et le prêtre se décida à poursuivre :

"J'ai entendu parler, comme beaucoup de monde, de cette rumeur comme quoi deux paysans auraient livré l'usurpateur au baron de Frenn. En recoupant avec d'autrs informations, j'ai pu établir que c'était fou. Un guérisseur, qui plus est. Tout d'abord, me permettez-vous de vous adresser mes félicitations ? Je haïs ce maudit Dyonis et tout personne qui se joue de lui a ma sympathie. Cet homme..."

Il poussa un grognement en serrant les poings à faire blanchir les jointures de ses doigts.

"Cet homme a fait asservir mon fils. Un infirme, comme vous, qui plus est. Pour une bêtise qui méritait la seule bastonnade, il l'a fait asservir. Parce que dans son égarement, il a vu des choses dans son domaine. Je vous remercie ainsi vous et votre complice pour ce merveilleux tour que vous lui avez joué."

Il s'obligea à quelques instants de calme puis poursuivit :

"Comme je l'expliquais dans la lettre que je vous ait laissé tout à l'heure, j'ai aussi une fille. Aussi innocente que mon fils. Elle a eu il y a une quinzaine de jours un accident avec un carrosse. Elle dit aller mieux amis je m'inquiète quand même. Par ailleurs, après cet accident, elle est... Ma fille était aveugle. Elle n'a jamais vu. Mais depuis l'accident, elle voit. Avez-vous une explication scientifique du phénomène ? Ou est-ce.. un miracle de Dieu ?"

Dans la fin de sa phrase s'entendait toute l'incompréhension qui l'agitait devant la singularité de l'événément. Il avait beau accepter que des forces surnaturelles existaient, que Dieu existait, cela le dépassait. Il avait besoin de comprendre le pourquoi et le comment.

Hyriel se retint de lever les yeux au ciel en voyant le sourire de ce prêtre. Quel mariole… Il l’écouta ensuite, sans broncher. Effectivement, il n’était pas vraiment un prêtre… rangé. Il souffla toutefois de rire en l’entendant parler des confessions. Il pouvait compatir… Il ouvrit de grands yeux en entendant sa « blague » et secoua la tête.

« Vous êtes tout de même cruel, non ? User de son pouvoir pour ridiculiser les gens ne vous rend-il pas semblable à tous ceux qui, comme la plupart des nobles, prennent du plaisir à exploiter la faiblesse d’autrui ? »

Il écouta la suite sans rien dire, hochant simplement la tête aux félicitations. Il soupira au récit qui suivit. Décidément, tous les nobles se valaient dans leur cruauté… Il ouvrit toutefois de grands yeux à la suite. La petite aurait retrouvé la vue ? Il était si étonné lui-même qu’il ne releva pas qu’un prêtre s’étonne de la présence de Dieu. Il fronça les sourcils en réfléchissant.

« Qui sait si l’accident n’a pas, par une quelconque manière… Réveillé la vue en elle ? Et si c’est un miracle de Dieu, n’est-ce pas vous l’expert ? »

Il assortit la fin d’un immense sourire.

Contrairement à ce que les gens qui les avaient vu entrer, c'était le prêtre qui se confessait et non l'homme qui se tenait en face de lui. Thierry n'éprouvait aucune honte à relater ces frasques auprès de cette population inculte qui croyait bêtement à tout ce qui sortait de sa bouche. Il entendit que Hyriel le jugeait et le trouvait cruel. Le curé haussa les épaules.

"Cruel ? N'avez-vous pas remarqué que le monde est cruel ? Etre cruel, c'est la seule manière qu'il y a pour vivre à peu près correctement. Ce monde a horreur la gentillesse et la rejette comme la plus violente des faiblesses."

Il jeta un regard amer vers la croix pendu à son cou.

"Aimez-vous les uns les autres dit-on, n'est-ce pas ? Une belle connerie ! Des récits utopiques pour endormir la plèbe et mieux l'exploiter. Mais dans la réalité, ce sont les puissants qui dominent et écrasent les faibles. A quoi bon lutter ? Tout ce qu'on récolte sont les ennuis et au pire la mort. La nature humaine ne changera pas, quoique on fera. Alors satisfaisons-nous de notre sort quand on en avons un bon et tentons de le garder."

Cela le choquerait sans doute. Peu importe. Il avait passé l'âge des leçons et assumé le cynisme appuyé qui se dégageait de sa philosophie

Par la suite, Thierry aborda avec plus d’amabilité la voix débordante de curiosité, quand il aborda le cas de sa fille. Hyriel restait cependant sur ses gardes et n'évoquait que l'oeuvre de Dieu. Il soupira.

"Ma foi en Dieu est quelque sorte vacillante. J'aime à comprendre les choses et à pouvoir les expliquer avant de me décider que peut-être ce doit être l'intervention divine. Ainsi vous supposerez que l'accident aurait débloqué sa vie ? C'est vraiment possible ? Cela me parait... incroyable."

Plus son esprit réfléchissait à la question, plus il échouait et cela l'agaçait.

"Vous accepterez de l'examiner alors ? Après-demain, après la messe des sixte, à la maison des Telliers. C'est dans le quartier des potiers.. Cela vous ira ? Ma fille sera là en premier et vous aurez un moment pour discuter avec elle de son état. Je vous rejoindrai ensuite.

Hyriel arqua un sourcil à la réponse de Thierry. Cet homme était infect. Il le laissa débiter son credo, impassible, le visage tourné vers le grillage du poulailler. Il laissa une seconde avant de répondre, neutre.

« Ce n’est pas le monde mais certains de ses habitants qui sont cruels. »

Il écouta la suite et le laissa cogiter. Lui, de toute manière, ne pouvait rien dire avant d’avoir vu et entendu cette fille alors que le bon père se creuse la cervelle, si cela lui chantait et lui permettait de tuer sa patience. Il le laissa fixer tout seul le rendez-vous et nota bien d’arriver en avance, pour pouvoir discuter le plus longtemps possible avec la jeune fille. Il reprit en main ses béquilles à la fin.

« J’y serai. »

Il tira alors le rideau pour voir dehors et sortit de ce clapier diabolique.

La conversation entre le prêtre et le guérisseur se révélait tendue et il pouvait sentir le jugement que le second laissait peser sur les pensées et les actes du premier. C'était plus prudent d'en rester là. Il en allait de la sécurité de sa fille et n'avait pas de plan de secours pour la faire examiner.

Son regard le surprit en train de regarder à l’extérieur par la fenêtre grillagée. Thierry eut un petit rire.

"Je sais. C'est très long d'attendre. Et encore, imaginer dès fois là-dedans, seul, presque une heure, avant que quelqu'un ne se décide à entrer. Je suppose que c'est pour donner habitude aux curés aux cercueils qu les enterrera après leur mort."

Sur ces paroles, le silence s'installa et le prêtre posa la tête contre le bois, fermant les yeux. Cela allait être long d'attendre le temps normal d'une conversation mais au moins c'était mieux que de le afire en écoutant des imbécillités dont il se fichait bien.

Lorsque Thierry eut jugé qu'assez de temps se fut écoulé, il se leva et ouvrit la porte en proclamant d'une voix forte :

"Je vous remercie pour votre aide, mon fils ! Et cessez de vous tracasser pour ce que vous m'avez confié ! Si seulement tout le monde avait autant de scrupules que vous, le monde se porterait mieux !"

Le prêtre qui disait la messe de l'autre côté lui jeta un regard de travers de le voir briser le sceau de la confession. Il n'y avait pourtant que peu à lui reprocher et il n'avait dévoilé aucun secret véritablement. Il s'amusa intérieurement des fidèles qui tournaient la tête et qui verraient bientôt l'infirme se dégager du confessionnel avec ses béquilles. Voilà de quoi leur laisser une belle image !

Sur ce dernier exploit, Thierry quitta l'église d'un pas rapide.