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[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé]

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Message par Hibiki Jeu 18 Fév - 16:21

[le petit Tristan est attendu à l'accueil.]

"L'observateur est l'observé." déclarait le philosophe indien du 20ème siècle Krishnamurti dans son militantisme pour l'éveil des consciences. Je l'emploie plus prosaïquement ici pour décrire la réciprocité d'attitude entre l'ambassade japonaise et leurs hôtes mombrinien. A chacune de leurs escales dans les différentes colonies placées sous l'égide du roi Der Ragascorn, ils consignaient les informations pertinentes sur ces ethnies barbares avec lesquels ils commerçaient tandis que lesdits barbares leur rendaient la faveur en envoyant des missives vers les services de renseignement appropriés. Hô-Yo, Zakros, et enfin Monbrina, enchâssée dans l'écrin dévorant d'une ambition qui ne briguait rien de moins qu'un empire pour laisser rutiler ses lumières sur ces peuples qu'elle avait plongé dans l'obscurité.

Quant à notre ami Hibiki, à force de se trouver sur un bateau, on l'entendait parfois plaisanter "je devais être poisson dans une vie antérieure pour me trouver si souvent aujourd'hui au contact des flots." Je vous laisse traduire en japonais. Vous avez une heure.

Trêve de plaisanterie, abordons ces rivages où l'ambassade japonaise jetait l'ancre pour un nouveau dépaysement où ne change fondamentalement que le décor. Ils avaient quitté par voie maritime ce petit pays d'irréductibles qui résistait à l'envahisseur pour frayer avec le futur belligérant de leur dernier amphitryon. Et toujours la même activité faîte d'embruns et de cris de matelots, les mêmes manœuvres d'amarrage, le passage d'un monde maritime à un monde terrestre sous un ciel immuable où certains placent un paradis quand bien même il lui arrive de déverser l'enfer à travers ses ouragans et ses nuées. Un certain nombre de curieux étaient venus au port ce jour là à l'annonce du débarquement de ces samouraïs d'outre-mer, ce qui, additionnant tous ces appétits de curiosité, produisait une certaine somme de gourmands; les uns d'y trouver ravissement, les autres d'écarquiller les yeux devant tant de bizarreries. Quant à l'insensibilité, elle semblait épargner ces rives où l'exotisme n'était pas encore devenu le banal d'une planète aux cultures mêlées dans un grand potage mondialisé.

Tout cela ajoutait à l'agitation naturellement régnante en ce domaine dédié aux activités de pêche et de négoce qui sont, comme chacun sait, des activités où l'on remue beaucoup. Il y en a qui suaient certes un peu moins, en kimonos d'hiver, des chaussettes tabi épaisses et des getas en bois aux pieds, mais il fallait faire bonne figure et laisser la blancheur de la neige imprégner ces sourires que les rares dames de la compagnie ne brunissaient plus à la mode japonaise depuis qu'elles avaient découvert que les barbares n'appréciaient guère l'esthétique des dents noires très en vogue dans leurs contrées natales. Hibiki de son côté regrettait le doux climat de Djerdan et ses danseuses lascives, entraîné entre les malles et les servantes vers ces contrées inconnues en proie aux frimas de janvier. Janvier issu de Janus, regardant l'année écoulée et se tournant vers la nouvelle. L'année écoulée avait été belle dans le giron hospitalier de ce pays baigné de légendes où les mythes se dansent et où les croyances coexistent. Quant à l'année à venir, que réservait-elle? Mystère et boule de gomme.

Si la gomme à mâcher avait existé, il l'aurait mastiquée d'un air confiant, à peu près certain qu'il jouissait d'une relative sécurité auprès de l'ambassadeur. J'insiste sur le "relative". A défaut de chewing-gum, il mâchait le décor, digérant toutes les gourmandises que parvenait à avaler sa prunelle, entre brouhaha et mélange de cultures donnant à l'ensemble une saveur particulière à laquelle il lui faudrait s'habituer. Surtout, il goûtait ces parfums qu'on lui demanderait de distiller en doses savantes dans ses œuvres afin d'apporter un brin d'ivresse gorgée des rayons du soleil levant où se situaient les décors de ses bouffonneries.

*Adieu kurtas, saris, pantalons bouffants, temples ciselés de mythes étranges et fastueux, vertige de couleurs dont je regrette déjà les saveurs.* songeait l'eunuque mystificateur.

Ici, la note dominante était... comment dire... aussi appétissante qu'un kloug roulé sous les aisselles. Ah, ça lui rappelait Paris! D'ailleurs, s'il s'éloignait présentement du cortège, c'est justement car il était pris par le même haut le cœur qui l'avait assailli lors de son arrivée à la capitale française. Peut-être écrirait-on un jour sur son épitaphe "ci-gît Hibiki qui a passé la moitié de sa vie à dégueuler chez des barbares pour rehausser le fumet de leurs tas de merde. Bon séjour à lui au royaume des morts."
Pour le moment il ne vomissait pas encore _pardonnez le, ce n'est pas quelque chose qu'il fait sur commande_ mais il traînait sa pâleur sur un ponton en cherchant sa contenance perdue. La fois précédente, on lui avait conseillé de respirer; très mauvaise idée, il avait pris une grande bouffée d'arômes marinés aux intestins locaux et avait gerbé de plus belle. Notez que ne pas respirer n'est pas une bien meilleure idée en soi, quoique la mort mette fin de manière assez radicale à ce genre de désagrément. Il alternait entre apnée et inspirations courtes, se refusant de plonger dans une flasque de whisky pour donner de son peuple l'image d'alcooliques notoires; pour ça on attendrait au moins d'avoir passé la réception officielle. Non, ils étaient simplement bien trop raffinés et civilisés pour recevoir sans faillir le cadeau des émanations autochtones de ces primitifs. Nouveau haut le cœur.

*Allons reprends toi mon vieux!*

La mer avait cela de commode et d'inconvénient qu'elle produisait chez lui une certaine amnésie de la terre. On se nettoie les nasaux à grand renfort de bourrasques d'air pur, et puis on renifle les effluves terrestres citadines et rien ne va plus. Du côté de ses compatriotes, on savait qu'il était eunuque, avec une constitution proche de celles de ces dames qui n'en menaient pas bien large non plus après ce temps passé en mer, de sorte que personne ne s'affolait pour lui. Elle est belle la parade japonaise! Heureusement il restait les samouraïs pour rehausser l'éclat de leur suite, ce dont ils ne se privaient pas, graves comme des jansénistes et fiers comme des gosses à la remise de leur premier sabre.

Quant à Hibiki, on pourrait résumer sa situation en quelques mots: ils venaient de jeter l'ancre et voilà qu'il ne parvenait plus à lever le pied. Il restait près du galion et regardait les flots pollués, comme si la solution à son problème pouvait émerger de ceux-ci. Peut-être des cours à prendre auprès des populations maritimes régionales qui semblaient s'être accoutumées aux offrandes humaines que l'on déversait dans leur demeure dansante et houleuse? Et mince, il avait oublié de prendre l'option ichtyologie à l'école. Tant pis... Il trouverait bien une bonne âme dont il parlerait la langue pour le guider dans les méandres putrides de cette cité après coup.


[Ps: pour une idée des habits de voyage de l'époque pour les gens du commun: ensemble 1)
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Message par Le Cent-Visages Lun 22 Fév - 13:51

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Une fois encore, ses maîtres bénéficiaient de toute la reconnaissance du garçon : Bélyl et son père Joseph l'autorisaient à prendre son temps sur le port. Et pour cause, au gré des rues où le jeune infirme avait coutume de cueillir les nouvelles de Braktenn tel un oiseau ses petites miettes, il lui était parvenu aux oreilles une actualité comme il s'en faisait rarement : l'arrivée de voyageurs venus de très loin ! Des Japonais, avait entendu l'esclave. Japon... quel beau nom ! Rien que celui-ci lui parut caressant dans la bouche, coloré sous les doigts, ainsi qu'à chaque fois qu'un nouveau mot lui émerveillait ses sens mélangés tous ensemble. Il irait les voir ! Il profiterait de sa permission !

Aussi Tristan comptait-il, maintenant, parmi les nombreuses silhouettes dont les ombres d'encre coulaient au sol ou le long des piles de cageots. L'invalide s'était cueilli un humble coin à l'abri de la plupart des regards. Discret dans un angle. Là, profitant d'un sol à peu près plat - favorable donc aux mouvements de son chariot de fortune - il se décida à s'occuper corps et esprit en attendant l'arrivée des hôtes. Fidèle à son habitude, Tristan alternerait observation des alentours et entraînements esthétiques.
Enfin, les pointes d'un bateau pas comme les autres se découpèrent au milieu des brumeuses hauteurs. Pâleur hivernale du ciel comme de la mer, qui venaient s'embrasser sur le trait de l'horizon. Les mats piquaient, fières aiguilles. Peu à peu le bâtiment en approche cessa de ressembler à un spectre, pour former une vaste forme noire dans les entrailles de laquelle s'agitaient des dizaines de silhouettes. Les marins au travail. Le jeune esclave les contemplait entre deux torsions de ses membres. C'était à se demander, entre les tous petits hommes et le gros navire, qui servait qui. Qui faisait vivre qui. Ces corps-charpente grimpaient, frottaient, portaient, se perdaient dans les innombrables cordages du vaisseau qui appareillait. On abattit le ponton. On déchargea. Des docks monbriniens vinrent proposer leur aide aux arrivants. De temps en temps une lame de lumière glissait le long des puissants muscles à l'effort. Les pupilles dorées de Tristan retombèrent ensuite sur l'eau – quelque peu capricieuse. Le ressac portait son lot de sel et il en huma le parfum. Des odeurs qui changeaient de la puanteur habituelle des rues autant que des gens en plein travail.
L'effervescence de cette arrivée recueillit beaucoup de son intérêt, lui faisant ralentir ses entraînements de danse. L'air frais soulevait les voix, le vent en décuplait les vibrations : cela parlait avec un accent si particulier. On s'échangeait des mots d'une langue inconnue. Et ces habits ! Cascades de tissus noués de façon exotique autour des corps ! Le petit invalide avait déjà pu voir en maint occasions les vêtements des gens riches, marquant les tailles, coulant ensuite jusqu'à terre. Les tenues des Japonais le faisaient aussi, mais d'une  autre manière. Singulière alliance de courbes soulignées en certains endroits... tandis qu'en d'autres, les corps disparaissaient sous de larges manches gommant toute direction du mouvement, des jambes, des bras. Et des cols en V jaillissaient des gorges comme tiges. L'œil esthète contempla. Serait-il surpris à faire cela ? Il oublia de se le demander.

Les bruits de l'activité portuaire finirent par le ramener en son corps, dans l'ici et maintenant. Le temps était frais, toutefois le jeunot voulut encore profiter de ce poste discret, de ce sol conciliant pour sa chariote, de cette tranquillité, pour travailler encore un peu ses prochaines danses tout en continuant de jeter de temps à autres ses œillades félines au débarquement.
L'invalide continua de débobiner le fil de son numéro en préparation. Aux rares personnes qui, au détour d'un coup d'œil, le repéreraient dans son petit coin, il apparaitrait fragmenté, aspiré entre deux cageots qu'on déplaçait, ou flottant quand il prenait ses élans sur ses roues. L'on pourrait se dire qu'il menaçait à chaque instant de disparaître, corps-souffle qu'il était aux allures si courbes et faussement fragiles. Installé au creux d'un landau composé d'une piètre caisse en bois et d'un châssis usé, tout son être effilé ondoyait au rythme de sa chaise. Ses longues mains auraient été blanches si elles ne partageaient pas la saleté des roues qu'elles actionnaient, à force de traverser des voies pleines d'immondices. Mais les doigts en l'occurrence jouaient dans les airs telles feuilles au vent, pianotaient çà et là, éphémères. Fuseaux qui cousaient avec l'air. La chariote, elle, tournoyait seule parfois, quand elle profitait d'un élan donné par son propriétaire via une impulsion sur ses roues. Une tignasse châtain-rousse, assortie aux larges yeux ambrés, batifolait avec les mouvements alertes de sa danse esquissée.
Au milieu des tracés de son corps, il ralentit pour sortir, de derrière son dos, deux fins couteaux étincelants. Il les fit valser. Les armes tintèrent en un sifflement sonore. Elles dessinèrent des cercles vifs dans lesquels elles semblaient devenir le prolongement de la silhouette féline. Le môme tantôt donnait au véhicule de brusques impulsions, tantôt jouait des lames. Au-dessus de sa tête, ses bras s'enroulaient ou se croisaient en couple de serpents joueurs. Les jeux des membres et du bassin répondaient à la rondeur des roues. Tristan ne faisait qu'un avec son siège, le temps d'un tableau fugace : transcender l'estropié. Ses doigts s'écartaient, se refermaient, avalant les couteaux avant de les laisser rejaillir comme des griffes. Il les lança. Les rattrapa. Et il riait en silence, ivre de ses efforts flirtant avec la douleur quand il poussait certaines courbes au maximum. Ne comptait que le plaisir de sentir l'énergie aboyer dans ses veines contre le frais hivernal. Son dos plongea en arrière. Ses vertèbres s'enroulaient. Il apprécia le délié de chacune d'elles : coquille à l'arrondi parfait ou vague en pleine course. Puis le flux se redressa, serpenta, se pencha de nouveau pour planter ses pointes au sol avant de se relever encore. À son cou maigre, un enchevêtrement de bijoux faits main sautait, claquait, tournait en spirale.
Il s'arrêta soudain en se voyant arrivé tout près d'un des voyageurs... à mois que ce ne fut lui qui était arrivé près de lui ? Lui ou elle ? Hm, cela n'avait somme toute pas beaucoup d'importance pour Tristan une fois qu'il s'était posé la question. La personne semblait pensive. Et observatrice. L'invalide se pinça la lèvre et reprit immédiatement à pleine poigne le manche d'un de ses couteaux qui était encore, jusqu'alors, en équilibre au bout de deux de ses doigts ! Il rangea ses couteaux. Avait-il heurté l'homme - la femme ? Du rose lui monta aux joues, faisant deux taches sur l'ovale blanc de son visage. Dans le doute, il fallait être poli... L'esclave croisa les mains devant lui, sur la pointe de ses genoux, et son nez retroussé plongea une seconde vers l'en-bas dans un timide salut. En se redressant, il put regarder un peu l'étranger. Cheveux d'un noir intense, noir de corbeaux, en arrière. Des yeux très étirés, comme deux virgules sur le blanc d'une feuille - et deux billes noires au milieu. Un visage qui n'était pas sans lui rappeler celui des poupées.
Tristan porta les mains aux roues de son fauteuil et le fit reculer dans un de ses caractéristiques petits couinements. Il observa le remue-ménage de l'arrivée. Où allaient aller les Japonais ? Leur avait-on un peu présenté la ville ? Et parlaient-ils la langue ?
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Message par Hibiki Mar 23 Fév - 19:35

La beauté ne connaît ni langue ni frontières. Elle les transcende.
Dans le jeu perpétuel où elle livre bataille aux préjugés cavaliers, à l'opinion reine et au conservatisme fou, l'encre de chine lui tissait un damier d'ombres et de lumières. Dans le spectacle qu'on donnait, à deux pas de la scène où Hibiki épandait son mauvais numéro, à défaut de ses tripes, il y avait de la beauté. Elle transcendait les frontières de ce corps malmené, brillait sous l'éclat dansant des lames et jetait des ponts entre les cœurs sans emprunter au langage cette science qui sait si bien ternir la force brute d'un sentiment en l'enfermant dans des mots.

La beauté est émotion. De l'émotion, il y en avait, indubitablement.
De la peur, pour ce jeune inconscient, méprisant les limites de son propre corps et envoyant tournoyer les couteaux comme de vulgaires hirondelles sans craindre ces becs acérés qui, à la faveur d'un mauvais piqué, pouvaient fondre sur celui qui leur prêtait des ailes.
De l'émerveillement pour ce jeu d'étincelles, ces miroirs flamboyants sous le soleil, constellant le jour de regards étoilés; pour cette danse étrange et envoûtante entre un fauteuil, un homme et des lames dont le tranchant épargnait miraculeusement ce temps suspendu.
Et un monstre, un de ces minotaures qui naissent à la rencontre de deux entités non vouées à l'unisson mais dont le hasard, sinon le destin, se joue. Une fascination macabre, un voyeurisme morbide. Le plaisir de voir un éclopé jouer sa vie pour... pour quoi d'ailleurs? Il faudrait lui poser la question.

Vous noterez peut-être le glissement prodigieux opéré depuis le débarquement d'Hibiki, ses nausées, et cette curiosité fleurissante. Capté et captivé, son esprit s'encageait dans  les entrelacs scintillants de ces oiseaux de stymphale, refermant sur lui-même les barreaux d'une jouissance enfantine qui en oubliait d'être malade.

La féérie s'arrêta, et l'étranger _car "l'eunuque" l'était, sinon à lui-même du moins aux autres, et doublement en ce nouveau pays_ applaudit. Ces poignards avaient momentanément tranché le cocon de crasse où se débattait sa dignité, il fallait bien les remercier pour cela. Maintenant, que faire? Payer peut-être, apposer sur sa joie le lustre mort de l'argent ou de l'or...

L'or non plus ne connaît ni langues ni frontières. Il les méprise.
Mais Hibiki, lui, ne méprisait pas l'or. Il venait d'un monde où un marchand peut devenir plus important qu'un noble samouraï s'il a de quoi acheter ses fastueux plaisirs. Il connaissait son pouvoir, sa musique, et la folie où vont se noyer les hommes en bons petits rats envoûtés par ce savant joueur de pipeau. Alors, combien? Combien donner pour cet aimable impromptu? Il avait déjà la main à la ceinture, cherchant dans sa bourse une obole pour ce chirurgien indolore de l'hôpital Providence lorsque ce dernier le... salua. Il devait s'agir d'un salut, cela ressemblait tant à ses propres coutumes. Mais comment savoir, puisque dans certains pays s'inversent les signes que d'autres utilisent pour leur non et leur oui?

Dans sa langueur nauséeuse, qu'augmentait la fatigue du voyage et l'effervescence decrescendo du défilé oriental s'enfonçant, ô les fous, dans les entrailles de Braktenn, la Très Sainte Pestilence, l'androgyne optait pour la faiblesse du commode. Commode aux nombreux tiroirs, qu'il ne prit pas même la peine d'ouvrir mais dont il prit sur le dessus le miroir pour mieux singer son vis-à-vis. Autrement dit, il le salua de la même façon, quoique debout et posant sa main droite sur son cœur avant d'incliner le buste, à la mode japonaise.

Et maintenant, que faire?
L'infernale question qui ne connaît pas d'aller sans retour. Lui parler peut-être? Mais que dire?

"Bonjour."

Tiens, ça parlait le mombrinien, avec un accent typique fâché envers les "r". Mais en parlant, "ça" ouvrait la bouche et respirait plus fort le parfum suave de putois moisi qu'exhalait la cité. Baste, ce soir "ça" dormirait sur le galion avec les hommes auxquels on en avait confié la garde, sa maîtresse se garderait fort bien sans lui. Enfin, "ça" reprit courage avant d'ajouter:

"Comment faîtes-vous pour respirer dans un endroit pareil?!"

Pour illustrer son propos, un nouveau haut le cœur vint le secouer avec l'élégance d'une vague dont le reflux, jugulé à grand peine, laissait dans sa gorge le belliqueux parfum de sa propre fermentation intestinale. Et pour information: non, ça ne sentait pas le whisky.
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Message par Le Cent-Visages Ven 26 Fév - 22:37

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

La blanche main jaillie d'une de ces larges manches s'apprêta à cueillir obole à la bourse. Tristan en surprit le mouvement aussitôt qu'il avait cessé sa danse. Il arqua un sourcil : voulait-il le payer ? Mais... il n'y avait pas de quoi et le jeune infirme ne s'était pas abandonné à son numéro pour cela. Pour lui même seulement. Décrocher un moment d'art et d'intimité au milieu de cette journée, cependant ma foi... tant mieux s'il avait fait plaisir à quelqu'un d'autre.
Le voyageur se ravisa lorsque Tristan le salua. Salut qu'il lui rendit, dans un quasi miroir soucieux - comprit l'esclave - de faire à Rome comme chez les Romains. Comment saluait-on, là d'où il venait ? Alors qu'il se posait la question, la voix du vis-à-vis résonna. Elle portait un singulier accent où tout coulait tel un filet d'eau, sans aucun R qui auraient été ces petites pierres parsemées ici et là sur le trajet des gouttes. C'était surprenant. Et plutôt beau. Pourtant, le garçon n'était pas le dernier à apprécier les puissants R quand, dans d'autres bouches, ils vibraient, roulaient pareils à des rochers. Une chose pouvait être belle autant que son absence, se dit-il une nouvelle fois - tout dépendait du motif autour et de qui était l'artiste. Tristan s'accoutuma à cette musique qu'il découvrait. Il s'en imprégna. De même qu'à chaque fois qu'il rencontrait un de ces gens des pays voisins qui, sur le sol monbrinien, apportait dans sa voix les cadences et sonorités de sa terre natale.

-- Bonjour, répondit-il, achevant sur un suspend de sa voix en l'air - celui de l'hésitation à ajouter "Monsieur" ou "Madame" ainsi que l'aurait exigé la politesse. Il ne savait pas et préféra ce seul mot.

Une vague sembla alors rouler sous la poitrine du voyageur, pris par un début de nausée. Le mal de mer qui peinait à disparaître ? L'odeur du port ? Tristan comprit vite que les senteurs étaient bien en cause quand vint la question de son vis-à-vis. Surprenante question. Ses sourcils se rehaussèrent légèrement et ses lèvres s'entrouvrirent. Il fallait bien respirer pour ne pas mourir quelque puisse être la qualité de ce qu'on inhalait. Les odeurs de son pays étaient-elle si différentes ?

-- Euh... b'en... c'est naturel. Et y faut bien. Il haussa les épaules, penaud. Ses longs doigts y remontèrent un pan de son habit, tombé au cours de sa danse et qui jusqu'alors laissait un bout de sa peau nue. Pas assez heureusement pour qu'apparaisse le rouge M d'infamie. Cette marque au fer, signe de sa caste et que l'invalide souhaitait le plus possible loin de sa vue. Un sourire curieux fleurit à ses lèvres et il ne put s'empêcher de demander : Pourquoi ? Est-ce qu'il sent toujours bon, de là que vous venez ? Effusion spontanée et véritablement curieuse. Rien d'insolent dans la bouche du jeunot. C'est comment d'ailleurs, chez vous ?

Si vaste, si naïve question ! Comme si l'on pouvait y répondre là, instantanément, en quelques petits mots sur un pont d'arrivée. Toutefois les premières impressions jetées en disaient déjà souvent long. Celles prises d'instinct, sur le vif, en coup de pinceau irréfléchi. Ce que dirait le voyageur, ce serait le premier son, la première image ou la première idée de fragrance que Tristan associerait à "Japon". Certaines lettres avaient pour lui une couleur. Le nom de ce pays serait bientôt en son esprit une première petite bribe sensorielle.
Il regarda en même temps que le voyageur l'animation du port. Influencé par sa question, l'attention du jeune esclave se concentra un peu plus que d'ordinaire sur l'âcre bouillie d'odeurs difficile à démêler. Oh, vaguement. De l'alcool bas de gamme. Les auréoles de transpiration. Le ressac et les fruits de mer. De la merde. De la pisse. Et tout ce qui pouvait passer en terme de déchets, au gré de marcheurs et des véhicules qui laissaient dans leurs sillages leur emprunte pour les nez.
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Message par Hibiki Dim 28 Fév - 14:45

"- Euh... b'en... c'est naturel. Et y faut bien."

Certes. Même quand la crasse du monde s'insinue dans vos poumons et, vous rongeant de l'intérieur, vous accommode au bouillon local pour agrémenter votre figure d'un joli teint de navet trop cuit. Il faut bien. Alors il respira un peu, le temps de faire des infidélités au navet pour se rapprocher un peu du vert poireau. Mais nooon, je caricature...

"Pourquoi ? Est-ce qu'il sent toujours bon, de là que vous venez ?"

A cela, il répondit par un balancement de la tête, comme un pendule hésitant entre deux contraires; balancement qu'il ne soutint que quelques instants.

"C'est comment d'ailleurs, chez vous?"

Chez vous.
Chez vous...

"Chez moi. Chez moi, c'est si loin. Si loin dans le temps, si loin dans l'espace que je ne suis même plus sûr de pouvoir reconnaître ma terre. Chez moi c'est... bouarg"

Il s'était écarté de justesse, le temps d'une petite trophallaxie inopinée avec la faune maritime du port. Voilà, fallait que ça sorte. Remède façon médecine chinoise: on ne retient pas ce dont le corps ne veut plus. Maintenant il avait l'air un peu groggy, mais un peu mieux aussi. Un peu mieux, quoique en un peu plus ridicule. Mais il ne s'inquiétait pas pour ça, le ridicule, ça faisait partie de son métier.

"Désolé" dit-il en revenant vers le petiot. Il lui fallut bien quelques secondes pour se repasser le fil de leur conversation afin d'y raccrocher son wagon. Un wagon tiré par un fil, ça, c'est du progrès technique avant l'heure ou je ne m'y connais pas.
"Non, évidemment, chez moi ce n'est pas "bouarg"." Il appuya sa poésie par une légère pantomime, juste une esquisse tracée par le pinceau de sa main qui pouvait aussi bien laisser penser à son interlocuteur qu'il le prenait pour un nécessiteux linguistique en mal d'explications _bouarg étant un mot charriant avec lui foultitude de sens, assurément_ que lui permettre de croire... He bien de croire que son vis-à-vis aux yeux bridés était le dernier des derniers parmi les virtuoses du langage, ou un énergumène aux singeries maniérées, ou ce qu'il lui plairait encore. "Chez moi c'est..."
Il soupira. Autant par lassitude, nostalgie que par déception de ne pas parfaitement maîtriser cette langue nouvelle qu'il avait découvert parée des accents exotiques de Djerdan. Puis il extirpa un petit calepin, glissé à l'intérieur de son kosode, sur son cœur, dont il tourna quelques pages avant de s'arrêter sur l'une.*

"Urashima Taro" traduisit-il, en désignant le texte sibyllin à côté de la tortue suspendue. "C'est un conte de chez moi. Toi, moi, une bouteille et je te raconte cette histoire. J'offre la bouteille et le récit. Alors, partant?"

Il y avait quelque chose de lapidaire dans ses phrases, à la manière d'un ruisseau dont le cours entravé hoquetait contre les masses minérales ou ondoyait autour des obstacles dressés. C'était sa manière de traiter les difficultés d'une langue dont il commençait à maîtriser la structure sans pouvoir la vêtir d'ornements subtils. Cela viendrait peut-être, en fonction de la durée de leur séjour; c'est d'ailleurs cette durée qui déterminerait les efforts à consentir. En attendant, il se tenait à la disposition du jeune garçon en fauteuil; et si ce dernier refusait, l'histoire et la bouteille, ce serait entre ses deux lui-même.




*J'ai écrit en français pour le partage et la compréhension, mais le texte est en japonais dans le carnet, of course _écrit-elle en anglais, c'est à en perdre son patois.
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Message par Le Cent-Visages Mer 3 Mar - 17:35

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Après avoir tangué sur le navire, le voyageur tangua de sa tête à la question naïve de Tristan. Est-ce que cela tanguait aussi en son ventre ? Restait que le petit infirme se demandait si le Japon jouissait à ce point de senteurs si éloignées de celles des grandes villes de Monbrina. Il plussa les veux et laissa un sourire étirer ses lèvres au début de réponse - si loin d'espace et de temps... comme ce qu'on disait des lieux de contes... - quand soudain il fut surpris par la gerbe arrivée sans crier gare ! Tristan s'écarta après un sursaut et ne reçut rien. Son premier réflexe fut de s'esclaffer de son clair rire d'enfant à la cocasse réponse que cela donnait : son pays, c'était la gerbe ? Oh non, ce n'était pas ce qu'il voulait dire ! Le pauvre... La tambouille de son estomac et de ses humeurs lui jouaient ce tour alors qu'il cherchait à décrire cette contrée qui était sienne.
Le garçon rentra la tête dans ses épaules, se mordilla la lèvre, craignant que son rire fût mal perçu... Le soulagement remplaça vite sa honte en voyant le voyageur s'en revenir auprès de lui, sembler aller mieux, et en entendant son petit "Désolé" auquel Tristan acquiesça d'un mouvement léger de tête. Oh, il n'y avait rien à excuser, ce n'était pas grave - c'était même plutôt gênant pour le principal intéressé : pourvu que son séjour à Braktenn ne soit pas trop longtemps parsemé de ce genre de petites surprises...

"Non, évidemment, chez moi ce n'est pas "bouarg"

Tristan rit de nouveau, cette fois-ci avec complicité : oh sûr, il avait compris que ce ne devait pas être cela. Petit jeu verbal passager comme il pourrait s'en trouver sur la scène de quelque théâtre de rue. Les odeurs, la puanteur, les excréments, les déjections de tous ordres : les pièces populaires en faisant volontiers leur beurre en jeux de mots et le petit infirme ne put s'empêcher d'y penser. D'autant que son interlocuteur accompagnait son explication d'un geste tel qu'en aurait un comédien, ou un mime. Loin de vexer Tristan, il s'en enthousiasma : joindre le signe à la parole, lui aussi le faisait souvent. Plus souvent même bougeait-il qu'il ne parlait, ayant toujours préféré le tracé du corps à celui des mots avec lesquels il ne sentait pas habile. Il apprécia cette théâtralité découverte chez le voyageur : elle lui rappelait celle de Lénius, flamboyant dans sa disgrâce aux carrefours de Braktenn lors de ses numéros. La disgrâce en moins, dans le cas de son interlocuteur.
L'amusement toutefois céda à la nostalgie, soufflée dans un soupir assez éloquent. Tristan devina et compatit, de ses petits yeux et de sa tête légèrement penchée. Lui-même n'était jamais parti très loin, cependant il pouvait s'imaginer ce que cela faisait. L'arrachement, l'inconnu aussi intriguant qu'inquiétant, le manque d'une terre comme d'une part de soi. A plus mince échelle, il avait connu ce genre de moments quand il fut forcé de quitter le paisible ermitage de ses trois mères. Pour se retrouver jeté au milieu de la ville et ses agitations parfois plaisamment tournoyantes, parfois nauséeuses.

Un calepin lui fut tendu. Le garçon se pencha - émettant un nouveau couinement de son siège. "Oh !" lâcha-t-il émerveillé par ces couleurs vives, d'abord. Puis par la sobriété géométrique, la beauté épuré que lui donnaient à voir ces deux estampes comme fenêtres ouvertes sur un ailleurs ! Des maisons toutes percées d'air ! Enfin, par l'incongruité - mais poétique - de la tortue en envol. Comme si elle nageait dans l'air plutôt que dans les eaux. "Alors chez vous, c'est... grand et plat comme ça, avec des eaux aussi bleues ! Et ces montagnes ! Et toutes ces couleurs fortes !" Contraste saisissant avec les rues poisseuses des bas quartiers. Maisons grises, vêtements bruns salis par le travail. C'était chez les plus riches qu'on trouvait les teintes vives. Comme ses maîtres. Comme chez la dame de Monthoux, et au palais royal où le cardinal l'avait un jour traîné pour une démonstration. "C'est votre écriture ?" pointa-t-il vers les idéogrammes. "Qu'est-ce que c'est chaque signe ? Une lettre ? Un mot ? On dirait chacun un petit tableau ! Oh lala, et moi qui trouve déjà compliqué d'apprendre à lire nos lignes toutes simples à côté !" s'amusa-t-il, songeant à ses débuts dans le déchiffrage grâce à Mademoiselle Bélyl.

"Oui, oui avec plaisir, merci !" s'enjoua Tristan à la proposition. "Une bouteille et un récit, c'est très généreux !" s'inclina-t-il, honteux soudain de n'avoir pas tant à offrir. Quoi que... "Eh b'en moi, j'vous sers de guide alors et j'pourrai vous renseigner !" Joignant le geste à la parole, il empoigna ses roues et commença à rouler, aux côtés du voyageur. Ses yeux pianotèrent aux environs à la recherche de la rue qu'ils allaient emprunter. Tristan en choisirait une moins puante. Une à peu près correcte afin que le comparse ne réitère pas son "bouarg". Et un établissement où l'on servait de bonnes choses. Du reste : un établissement vierge de superstitions contre infirmes et gens typiquement colorés, si possible. Accessible d'esprit et d'architecture : de trop nombreuses adresses présentaient une marche à l'entrée, une porte trop étroite, un intérieur impraticable. Tristan se mit à scruter tout en avançant. Oh, il trouverait. Il commençait à bien connaître les adresses de la cité après des années à y marauder. Il s'accommoda tant bien que mal, comme d'habitude, des secousses des pavés sous sa chariote. Des petits cahots qui le faisaient sautiller, remontaient le long de ses bras, de ses épaules. Tac. Tac. Tac. Tac.
"Au fait ? Z'aurez quelqu'un pour vous renseigner et bien vous déplacer dans Braktenn ? C'est pour aller où que vous v'nez de si loin ?" (Un temps, petit hoquet confus) "Oh que j'me suis même pas présenté... Tristan, j'm'appelle. Et vous ?" Sa petite voix était essoufflée par les muscles de ses bras à l'effort, en permanent balancier pour qu'avance sa chariote.
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Message par Hibiki Mer 3 Mar - 23:11

Ce petit avait le sens de l'humour, ce qui était indéniablement un bon point pour lui. Hibiki lui sourit et, entraîné par l'enthousiasme curieux de son comparse, se laissa attendrir par cette verve juvénile qui envoyait virevolter les questions comme autant de couteaux afin de déchirer le voile d'ignorance qui habille chaque âme des langes au linceul. Il se revoyait lui-même à cet âge, avide du monde, crânement dressé à la proue du navire de son histoire qu'il croyait naïvement diriger. Les voyages forment la jeunesse, dit-on, c'est à dire qu'ils la font perdre: avec l'expérience, on devient vieux, et chez beaucoup, ce mot fait plus volontiers la paire avec "con" qu'avec "sage". Pour notre ami japonais, il n'avait pas l'excuse de la vieillesse ni celui de la prime jeunesse pour excuser ses préjugés ou sa méconnaissance de ce nouvel univers: autrement dit, il cumulait les défauts des anciens et des blancs-becs sans cheveux blancs ni figure outrageusement juvénile pour les faire mieux accepter. Baste, ça ne l'avait pas empêché d'arriver jusqu'ici, et il continuerait de danser sur le fil de la planète bleue, dans le dédale de cette vie où n'existe qu'une seule sortie, définitive et fatale.

"Ne vous fiez pas totalement non plus à ces images... C'est la poésie des peintres."

Il aurait voulu dire "ne vous fiez jamais à rien", mais il avait des scrupules de gourgandine à l'idée de briser des illusions aussi fragiles que des bulles chez son jeune interlocuteur. A ce stade, après deux allers-retours de réponses, une chose vous aura peut-être surpris: le passage du tutoiement au vouvoiement, de manière quelque peu chaotique, du moins du point de vue de la langue française. Je plaiderai pour une conception assez personnelle de la langue par le comédien nippon, une sorte de mélange entre la hiérarchie rigide et codifiée de la langue japonaise et le "you" anglais plaçant sur un pied d'égalité, sinon réel, du moins linguistique, les divers protagonistes d'un dialogue.

"Il y a de ça en effet: un mot peut être écrit de différentes façons, et selon les caractères employés, le sens peut changer... et puis la calligraphie est un art important dans mon pays natal." Il ajouta après un temps: "Vous apprenez à lire?"
Cette information esquissait des contours, et soulevait, par son étincelle, des ombres nouvelles. Ce garçon, avec son infirmité et ses poignards, avait quelque chose de tragique comme le héros d'un drame, et de léger par son rire aérien. Il soupçonnait une certaine force de caractère, doublée de cette curiosité qu'il avait déjà remarquée. Ce jouvenceau n'était pas qu'un échappé de la cour des miracles vendant ses spectacles aux carrefours... A l'âge des premières amours, n'importe qui ne se lance pas à l'assaut d'une langue qu'on couche, morte, sur le papier, peut-être faute de l'avoir trop bien pendue.

"Tristan" (entendez quelque chose entre "Tilistan" et "Tlistan") répéta-t-il, pour mieux savourer ce nom nouveau. "Je serais... heureux de vous avoir pour guide." Son hésitation pouvait passer pour un manque d'assurance quant au vocabulaire; mais à dire vrai, elle reflétait surtout une forme d'aversion envers l'expression des sentiments personnels qui avait cours sur l'archipel oriental dont il était issu. Le monde du théâtre lui-même n'en était pas exempt, et il avait bien fallu le choc culturel d'un Shakespeare et de contrées nouvelles pour donner quelque latitude à sa parole et permettre, parfois, que son coeur s'exprime par sa bouche. Mais pour l'heure, il s'agissait plus de politesse que de sentiments profonds, de ces phrases éculées qui, brassées par tant de lèvres, en deviennent presque inconsistantes comme mousse. "J'aurais plaisir à vous avoir pour guide" aurait davantage reflété son opinion actuelle. Qu'importe, l'avenir ne le ferait peut-être pas mentir, surtout qu'il y a des niveaux dans le bonheur comme il y en a dans les mers et l'on n'est pas obligé de plonger immédiatement dans les abysses de l'extatique béatitude.

"Je m'appelle... Hibiki. Mais tu as le droit toi aussi de m'appeler comme ça. Ce serait pas marrant si j'étais le seul à m'appeler." Les joies des formules de présentation bizarres. Il trouvait l'anglais plus logique avec son traditionnel "My name is..." "Je compte donc sur toi pour me faire découvrir Braktenn."
Il en verrait certainement bien davantage avec cette Ariane miraculeuse qu'avec un guide conformiste et bien policé envoyé par le pouvoir. Loin de se douter des problématiques avec lesquelles jonglaient son interlocuteur, il se concentrait très égoïstement sur ses propres tracas; à savoir que plus ils s'enfonceraient dans les boyaux de la cité, et plus il aurait besoin d'un fort tord boyaux pour anesthésier son nez.
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Message par Le Cent-Visages Mer 10 Mar - 14:24

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Tristan, esclave, 15 ans

Serait-ce un regard attendri que Tristan venait de surprendre dans les prunelles du voyageur - logées en leurs deux fentes ? Il en eut le cœur chaud : quand il partait au rythme de sa cavalcade de questions, tant de gens le trouvaient pénible... Ou toqué lorsque lui venaient ses paroles promptes à brasser les cinq sens pour renter de décrire sa réalité. Aussi le mêlement de poésie et de peinture que lui fut répondu lui plut-il - transgression des frontières et union des genres. Il avait raison : Tristan s'emballait vite mais ne devait pas oublier que c'était là une réalité telle que sortie de l'œil singulier d'un artiste.
L'esclave s'arrêta en même temps sur un petit détail - mais tant de choses pour lui : son interlocuteur lui disait "vous" après l'avoir d'abord tutoyé. Il semblait funambuler entre l'un et l'autre, ou bien par jeu ou bien par ignorance ? Comment était-ce dans sa langue ? Et puis, il ne savait pas quelle était la caste du petit invalide qu'il avait en face de lui. Tristan préféra ne pas poser la question, ne pas attirer la vigilance de son interlocuteur sur ce point : autant ne pas le gêner, le contraindre dans des efforts à faire ce qui ne lui était pas habituel s'il était du genre scrupuleux dans le respect des protocoles. Non, les choses seraient entre eux comme elles venaient : le garçon trouvait cela bien plus léger. La pesanteur viendrait bien assez tôt... elle revenait toujours bien assez tôt au fil des jours. Alors Tristan s'arrangeait à faire durer ce qu'il trouvait, au hasard, d'instants-papillons. Certes éphémères mais plaisants dans leur légèreté.

"Plusieurs façons d'écrire un mot ?" s'étonna Tristan. "Mais alors y doit y avoir une infinité de signes ! Et si... et si vous avez une idée, un mot, mais que vous connaissez pas le dessin pour l'écrire ?" Il aura accompagné ses paroles de gestes pas si éloignés de ceux par lesquels il dansait : un cercle au-dessus de sa tête pour seconder "infinité", un doigt au joli arrondi comme un crochet à sa lèvre pour la question... Ce système le surprenait tellement. Lui, il pensait "bracelet", il savait, au son, devoir user de telles et telles lettres parmi vingt-six. Mais que se passait-il si on avait pas appris le signe "bracelet" ? "Et est-ce qu'il y a des gens qui connaissant absolument tous les dessins de tous les mots ? Et qui c'est qui décide ce dessin c'est ce mot ?" L'étranger pourrait comprendre ce que Tristan savait avoir d'infernal : une question à laquelle on lui répondait en générait quatre autres ! Une branche dont naissaient trois autres branches, et cela poussait, poussait ! L'esclave lui-même s'en aperçut en cet instant précis et rosit, avant de se pincer la lèvre comme une promesse de s'arrêter après ces questions-là. Tristan promis juré ! Il répondit à son tour : "Oui, depuis trois mois. Mes maîtres sont très généreux, y m'laissent me balader entre mes moments de travail, et puis Mademoiselle en personne m'apprend la lecture !"

Ses petites paumes se croisèrent sur son cœur à cette explication et sans faire attention il aura arqué du bassin, s'enroulant un peu sur lui dans un mouvement de tendre reconnaissance à Mademoiselle et les autres. Mais là-dessus on décida de se mettre en quête d'une bouteille et Tristan quitta cette posture pour rejaillir de tout son enthousiasme, bras débobinés, doigts aussitôt arrimés au rayons de ses roues et en route !
Tilistan ? C'était drôle et beau. Son prénom ainsi approprié par le voyageur... tintait comme une bouteille sur laquelle on donne, d'une pichenette, un bref coup d'ongle. Alors une seconde il s'amusa à s'imaginer ainsi. Le corps en longue bouteille - car après tout il en avait la forme élancée. Restait à se remplir et ce serait pour très bientôt ! Il cilla, tout sourire, flatté, au compliment et espéra être à la hauteur des attentes reposant sur ses épaules de guide. L'esclave nota sa brève hésitation. Suture au tissu de ses mots et que le garçon ne prit pas pour lui : après tout, sin vis-à-vis utilisait une langue qui devait lui être encore quelque peu étrangère. Oui, ce devait être ça. "Heureux" releva-t-il aussi : un homme, donc.
Enfin, il entendit à son tour le prénom du voyageur : Hibiki. Tous ces I ! Tristan bougea les lèvres pour le prononcer et en profita pour se concentrer sur les sons dans la matérialité de ce qu'ils faisaient à son visage : trois I, cela lui étirait triplement la bouche, aussi décida-t-il que ce prénom ressemblait à un sourire. "Hibiki." (un temps) "Enchanté !" Puis Tristan ne comprit d'abord pas pourquoi il lui donnait "le droit" de l'appeler aussi... avant finalement de saisir ce qu'il pointait par ce bon mot ! De nouveau, le rire franc du garçon pépia. "Oh b'en oui, pas marrant. Et ce s'rait triste un mot qui s'partage pas. Mais c'est vrai qu'c'est drôle maint'nant que vous le dites, cette tournure. En plus, c'est nos parents qui décident les premiers d'nous appeler comme ci ou comme ça ! Même pas nous." Et ses parents, Tristan ne les connaissait qu'à peine... Que de la fois où son père lui avait collé une rouste quand il avait retrouvé l'identité de sa famille, et s'étant enfui de l'institut où ils l'avaient abandonné pour voir qui ils étaient. Juste une fois. Pas une réussite. Les bras comme des tonneaux du paternel l'avaient reconduit manu militari à la case départ. Tristan... qui du père ou de la mère avait choisi ça ? Était-ce prémonitoire ?

Tristan se sera empressé - autant que le permettait son fauteuil - de rejoindre sans hésitation des quartiers plus ragoutants. Ses prunelles ambrées régulièrement relevées vers Hibiki, le long du trajet, maintenaient le contact et voulaient s'assurer que tout allait bien. Autour, des ensembles de maisons plus ou moins hautes, habillées dans de petits restes de neige. Aux coins des toitures pendaient de fines dents de glace : c'était amusant ! Tristan imaginait que les maisons avaient mis leurs boucles d'oreilles. Et sur certains pavés encore un peu gelés, des enfants emmitouflés dans leurs épais châles riaient à faire de la glisse. Certains dirigèrent inévitablement les yeux vers Hibiki, intrigués de loin par son singulier vêtement.
On arriva sous la lourde enseigne qui affichait en lettres colorées À la bombance ! "J'vous propose ici, c'est bien !" sourit Tristan. Quand ils entrèrent, les yeux étonnés des clients les détaillèrent. L'un, comme d'habitude, pour son infirmité. L'autre, pour l'exotisme de son allure. La lumière déclinante esquissait les silhouettes attablées. Tandis que des voyageurs épuisés dormaient déjà à moitié, bras croisés et menton posé sur leurs balluchons, d'autres attendaient les serveuses aux plateaux garnis de mets. On riait ici, on chantait là, on ronflait au fond. De toutes parts, les bouteilles de vin se vidaient, se renversaient sous les gestes brusques de buveurs écarlates. Tristan appréciait l'ambiance dynamique et la succulente nourriture de l'endroit, mais surtout le fait que - hormis les clients, dont les patrons du lieu ne pouvaient être responsables quand ils avaient des regards déplacés à l'encontre de son infirmité - les gérants de l'endroit avaient désormais l'habitude du garçon atypique. On le traitait ordinairement.
La tenancière repéra dans la foulée les deux entrants. Elle approcha et, dans un geste devenu une habitude quand paraissait Tristan, elle ôta une chaise loin de la table massive afin de libérer la place au siège roulant. Pour la personne qui l'accompagnait - et sur laquelle ses yeux curieux ne manquèrent pas de s'arrêter - elle tira seulement un peu en arrière un autre siège.

-- Bonjour Tristan ! Que voilà un moment que j't'ai pas vu ! Et qu'ça me fait plaisir là ! (Il sourit de toutes ses dents. Oui... un moment... depuis qu'il avait été condamné à devenir un esclave. Mais il ne le dirait pas.) Bonjour à vous, ajouta la patronne pour le sieur ou la dame - dur à dire - aux côtés de l'infirme. Je vous en prie, installez-vous ! Qu'est-ce que je vous sers ?

Tristan fit, d'un regard, faire ricochet à la question vers Hibiki. De quoi aurait-il envie ?
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Message par Hibiki Mar 16 Mar - 20:19

"Pas vraiment une infinité. Juste quelques milliers... Certains viennent de Chine,on les appelle kanjis, d'autres ont été créés chez nous, par des femmes savantes. Quant à savoir qui décide de figer ces petits traits d'encre dans une attitude, je serais bien en peine de le dire. En voyageant à travers mon archipel natal, j'ai découvert de nombreux dialectes... Même si le pouvoir central impose ses codes pour la bonne marche de son administration."

Il sombra un instant dans la stupeur de songer à tout ce qu'un langage avait de miraculeux et d'arbitraire, pour émerger sur le rocher dressé au-dessus de ces eaux grouillantes de mystères. Des maîtres? Tiens donc, ce garçon n'était pas un saltimbanque ou un va-nu-pied... De quel genre de maîtres s'agissait-il? Il avait eu écho des pratiques de ce pays barbare, où les vaincus sont faits esclaves au lieu de se suicider proprement comme de nobles samouraïs; un pays où la honte s'ajoutait à l'infamie. Mais ce jouvenceau semblait bien jeune pour avoir perdu ses jambes à la guerre. Peut-être un serviteur ou un apprenti? Plutôt un serviteur s'il y avait une mademoiselle... Mais qui prendrait la peine d'apprendre à lire à un serviteur? Et qui d'ailleurs emploierait un infirme?

Hibiki esquissa un sourire, à peine un léger ourlet parmi les plis de son visage, en observant le corps leste se replier comme un roseau amoureux. Il soupçonnait un lien inhabituel entre cette "Mademoiselle" et le jeune handicapé sans en deviner précisément la nature. De la pitié, de la "charité chrétienne", une tendresse de grande sœur ou une romance interdite? Peut-être un mélange de tout cela.

"Ce ne sont pas toujours les parents qui appellent les enfants."
Difficile à dire en regardant sa figure s'il jouait à l'érudit tatillon énonçant un fait, au mystique sibyllin ou évoquait quelque blessure personnelle; il tâchait de rester le plus neutre possible en abordant ce que d'autres auraient considéré comme un sujet sensible. Et puis il n'avait pas bonne mine, on pouvait attribuer cela à ses nausées récentes, même si le changement de quartier semblait plutôt lui réussir; il respirait mieux du moins.
"Et parfois certains choisissent leur nom. Au théâtre par exemple..."

Il suivit l'infirme dans une taverne qui saurait peut-être compenser le manque d'originalité de son enseigne par la qualité de ses boissons; précisons tout de même que, illettré en ce pays, le comédien pénétrait en ce lieu dont il ne savait lire le nom tout pétri d'une curiosité à la fois méfiante et bon enfant, qu'on lui rendait bien d'ailleurs. Il salua l'hôtesse avec une déférence toute japonaise, et laissa son regard embrasser les détails de ce nouveau tableau. La chaleur succédait aux dentelles de givre, et dans ce foyer se retrouvaient les habituels ivrognes et voyageurs dont il faisait partie malgré l'étrangeté de sa mise. L'établissement ne ressemblait pas à l'un de ces bouges propices aux traquenards; d'ailleurs, pas un instant il ne s'était imaginé que la petite crevette à roulettes qui l'accompagnait aurait pu vouloir lui tendre un piège. Et c'est bien ce qui en aurait fait un excellent espion: une personne sympathique que l'on juge faible et diminuée peut trahir sans trop de difficultés.

Il s'attabla à la droite de son guide, préférant une disposition en quinconce plutôt qu'un face à face trop frontal. Et puis cela lui permettait d'embrasser du regard tout à la fois l'entrée et la moitié de la salle. Diable de matrone qui leur assignait d'office l'une des places les plus... non, à bien y réfléchir, ce serait parfait. Si fuite il y avait, mieux valait se trouver près de la sortie. Qui est aussi l'entrée. L'entrée est la sortie, c'est à en perdre son latin _pour peu qu'on en ait un. Maintenant, pour quelle raison Hibiki songeait-il à une fuite potentielle, c'est une autre question.

"Servez-nous quelque chose de fort et parfumé. Une bouteille de vin de mûres si vous avez. Sinon, de l'hydromel. Cela te convient Tristan? Ah, et deux verres. S'il vous plaît."

Inutile de préciser qu'il prenait le "vous" de la tenancière pour la deuxième personne du pluriel plutôt que pour une marque de politesse. Il regarda la bonne femme s'éloigner pour rebondir de son postérieur dodu vers le cul d'une bouteille qu'un homme éméché venait de faire tomber. Propret comme établissement. Pas de "filles", son comparse handicapé y était bien reçu et il flottait autour de la patronne comme un parfum de sollicitude maternelle. Pas le genre d'endroits pour participer à une bagarre générale ou capter de folles rumeurs (quoique...); mais idéal sans doute pour entendre des nouvelles rapportées des 4 coins du pays (pourquoi 4 et pas 5 ou 6, puisque Monbrina n'avait rien d'un carré?) Si le vin était bon et la fille jolie, il lui faudrait se souvenir de cette adresse.

"Tu venais souvent ici?" Ses doigts pianotaient mécaniquement sur la table, dans l'attente d'une mélodie qui grincerait peut-être un peu, ou sonnerait étrangement du moins sous les accents de cette langue qu'il ne maîtrisait pas totalement encore. D'ailleurs, ces doigts et ses mains surtout le trahissaient en partie: elles exprimaient _pour l’œil averti_ un mélange de musculature nerveuse que l'on rencontre chez les adeptes de l'arme blanche et la délicatesse d'un mode de vie raffiné. Cela participait à l'ambiguïté de son personnage...
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Message par Le Cent-Visages Jeu 25 Mar - 14:02

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Quelque milliers, c'était déjà énorme ! Il se représentait à peine le chiffre. Et dire qu'il lui avait fallu quelques mois pour assimiler déjà toutes les combinaisons sonores et écrites d'une trentaine de signes. Tristan se pinça la lèvre à la réflexion finale : oui, ici aussi on essayait d'unifier les territoires autour d'une langue prédominant sur les dialectes. Au moins à l'écrit. Et encore ! C'était sans compter sur le latin, réservé plus que tout le reste aux élites et à chaque démarche juridique, érudite, religieuse... Curieux double mouvement : centraliser d'un côté, par une illusion d'unité, ségréger et diviser d'autre part. Un détail surtout l'accrocha et l'illumina dans le discours de son vis-à-vis : des femmes savantes ? Seigneur ! Ces deux seuls mots le firent mourir d'envie de connaître comment elles avaient percé, imposé ce savoir et tout le reste. Mais il s'était promis : plus de question supplémentaire pour l'instant. L'occasion ne manquerait pas pour y revenir. Oh, il y en avait aussi à Monbrina, de grandes dames de la Cour, ou dans les abbayes, savantes, influentes, toutefois elles demeuraient minoritaires... Et lui-même s'estimait être re-né grâce à trois femmes. Ces nonnes-gitanes si indépendantes qui l'avaient tiré de murs-étaux d'un hôpital général.
Autant dire qu'une stupeur égale à celle d'Hibiki ralentit quelques instants les mouvements de Tristan alors que lui aussi se sentait traversé de mystères : celui d'une langue aux mille signes, celui de femmes créatrices de signes au bout du monde. L'esclave ne fera qu'à peine attention à le circonspection générée chez le voyageur par "maîtres" et "Mademoiselle". Il les disait naturellement. Il n'y avait que devant les bonnes connaissances à qui cela ferait peine que Tristan évitait d'invoquer des événements qui l'avaient amené à cette condamnation judiciaire.

"Ce ne sont pas toujours les parents qui appellent les enfants." Hm. Effectivement. Il n'y avait pas pensé sur le vif, envisageant le cas le plus fréquent, mais d'autres cas devaient arriver. Des singularités où un autre membre de la famille, voire la communauté, voire la personne elle-même choisissait ce petit mot et le signe qui traçaient ensuite les contours de quelqu'un pour tout le reste de sa vie. L'avantage, c'était qu'on pouvait gommer, esquisser de telle ou telle façon, jouer aussi avec ce nom par la suite.

-- Souvent, mais pas toujours, oui. Maint'nant que vous le dites, y a même des fois où les parents, y donnent même pas d'nom. Quand ils laissent l'enfant, que c'est quelqu'un d'aut' qui doit l'baptiser ou quoi... (L'idée soulevée ensuite le réjouit et il rebondit) Oh oui ! J'connais des gens là en ville, y ont un nom de scène ! C'est eux qui se l'sont donnés, et nous aut' on saura jamais le nom qu'ils pouvaient avoir avant ! C'est quelque chose, ça, de choisir soi ! Vous, vous l'avez choisi ou reçu ?

Il songea à tous ces artistes des boulevards, des itinérants, ou encore aux brigands qui s'attribuaient un nom par lequel ils se faisaient légende. Et bien évidemment - sans n'en rien dire puisque la chose était un secret - à son ami Lénius, qui s'était lui-même attribué ce nouveau nom quand les circonstances l'avaient obligé à enterrer son premier lui.

En entrant dans la taverne, Tristan vit les échanges de curiosités entre les clients déjà présents et Hibiki qui le leur rendait bien. Une mine intriguée mais tout de même méfiante de l'étranger, qui mettait pour la première fois les pieds dans un établissement de cette nature sur le sol monbrinien. D'autant qu'il était seul. Seul en sa roulante et féline petite compagnie. Et si des gens voulaient du mal à un voyageur si exotique ? Et si l'invalide ne savait pas réagir ? Il s'inquiéta ainsi durant les quelques secondes de battement avant que la tenancière n'arrive pour les accueillir de ses gestes avenants, de son habituel timbre chaleureux.

-- Oh oui, ça m'va très bien ! Merci ! s'enjoua Tristan aussi bien pour le vin aux mûres que l'hydromel, les deux lui iraient. Et puis juste un verre. Il ne tenait pas bien l'alcool. Dose raisonnable et qu'il boirait tranquillement. Pas question de rentrer pompette.

-- On a ça, acquiesça la femme pour le vin de mûres. C'est noté, je vous fais envoyer ça de suite !

Sur un dernier sourire, elle partit à la collecte de ses autres commandes aux alentours. Tristan pouffa discrètement, la tête entre ses épaules malicieusement roulées et le regard espiègle, à la roulade théâtrale sur la bouteille un peu trop vite vidée par un client. Oh, celui-ci n'était encore pas trop soûl, mais son voisin commençait à faire du bruit. Beaucoup de bruit avec un chanson désarticulée et ses gestes de bateau ivre. Bon, tant qu'il n'était agressif. Et que ses amis trouvaient cela assez drôle pour l'accompagner de mains frappant en cadence. Amusé, Tristan ouvrit devant lui les bras dans un théâtral "bienvenue" avec un regard entendu à Hibiki. Puis il répondit :

-- Oui de temps en temps. Quant la semaine avait été généreuse en aumônes pour mes numéros. Assez généreuse pour que j'me prenne pas juste à manger, mais en plus une p'tite chambre pour changer de d'ssous les ponts, et cerise sur le gâteau des p'tits verres ici avec des amis !

Alors qu'ils parlaient, ses yeux s'égaraient sur le clavecin que s'improvisait Hibiki avec cette table, comme si ses doigts au geste à la fois fin et sûr y jouaient sa mélodie sans notes. Mais pas moins vivante par les gestes. Est-ce qu'il devait en déduire qu'il était musicien à ses heures ? Ou peut-être mime ? D'ailleurs, c'était pour quoi qu'il venait ? Aussitôt pensé, aussitôt l'occasion de demander dans un large sourire :

-- J'suis curieux mais... c'est pour quoi que vous faites un si long voyage jusqu'à Monbrina ? Vous v'nez voir quelqu'un d'précis ou organiser quelque chose ? (Et il n'oubliait pas cette histoire de la tortue volante, rangée en un coin de son esprit ! Oh sûr que ça l'intriguait, et que Tristan relancerait de ce côté-là dès qu'il le sentirait.)
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Message par Hibiki Ven 26 Mar - 18:06

Parlant de son prénom:
"J'ai choisi de le recevoir."
Il lui sourit malicieusement mais ne rajouta rien jusqu'à l'instant où nous nous trouvons, savoir celui où je reprends ma narration; celui où Hibiki répondit au jeune garçon:

"Je fais partie de la suite de l'ambassadeur du Japon. Il parlait bas pour éviter la publicité indésirable et les possibles guet-apens qu'auraient pu vouloir monter des auditeurs mal intentionnés. Il ajouta rapidement, pour éviter toute gêne ou sentiment d'infériorité chez son présent camarade de bouteille: "Je sers de divertissement à mon maître et à sa femme ainsi qu'à leurs illustres invités. En dehors de cela, je travaille parfois avec des troupes de théâtre locales."

Parlant de troupes de théâtre, il repensait à son vœu de réunir une troupe hétéroclite mais talentueuse composée d'artistes venus d'horizons divers pour proposer des œuvres magistrales capables de toucher tous les cœurs. Tristan aurait-il pu y avoir une place?

"Pardonnez-moi si la question est déplacée mais... que préférez-vous, entre votre ancienne vie de liberté et d'incertitudes et votre condition de domestique actuelle?"

La question n'était pas tout à fait innocente venant de quelqu'un dont le rapport à la liberté était si... compliqué. Lui-même se faisait peu d'illusions et savait entrer dans les rangs de la valetaille, auxquels il supposait qu'appartenait son interlocuteur. Sa plume côtoyait parfois les cimes, sinon du génie, de l'indécence politique et sociale du moins, quoiqu'elle trempât par ailleurs dans l'encre de la plus crasse servitude; cela dit, c'était précisément cette encre dont il employait les restes à d'autres types d'entreprises plus personnelles. L'absurdité de sa situation le désolait parfois, lui dont le travail consistait à défaire son propre ouvrage, ce qui en faisait du haut de ses 25 ans un individu déjà fatalement cynique et un rien désabusé. Malgré tout, sans connaître Sisyphe, il continuait de pousser son rocher; il gravissait avec peine la montagne d'absurdités que lui opposaient ces barbares d'Occident et dévalait, non sans amertume mais toujours le sourire onctueux aux lèvres, la pente vertigineuse polie par l'or des puissants de ce monde, si habiles faiseurs d'opinion. Pourquoi continuait-il, si ce n'est par damnation personnelle? Il se souvenait ces couchers de soleil, surplombant le monde sur une montagne japonaise empreinte de mystère et de sacré, les tons roses et violacés d'un ciel figé dans un temps crépusculaire qui lui semblait l'éternité, et, à ses pieds, une vallée glissant vers le repos; Il avait eu le sentiment alors de poser son fardeau.
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Message par Le Cent-Visages Lun 5 Avr - 18:16

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Il y eut une nouvelle fois un charme fascinant dans la manière dont Hibiki ballerinait sur le fil du langage. Fascinant et... intimidant, pour l'esprit simple de Tristan. Le voyageur venait de jouer avec les mots qu'il lui avait tendus : "choisi de le recevoir" - faisant un avec deux comme en un tour d'illusionnisme, ou les retournant comme un gant. Il devait résider du plaisir dans cela - exactement ainsi qu'il en trouvait chez Lénius : petit délice et fond d'orgueil à faire tinter les mots d'esprit mieux que lui-même ses lames. Si bien que le vagabond n'aura su répondre. Seulement acquiescé, avant de méditer. Alors, Hibiki s'était vu attribuer ce nom et il voulait dire qu'il avait accepté de ne pas en changer ? Ou il avait donné l'autorisation à quelqu'un de le renommer ? Ou... Oh, qu'importait ! Cela s'apparentait à de la magie : réaliser un tour de passe-passe avec la langue. Et au fond découvrir le "truc" n'avait guère d'importance, seul le résultat était beau. Connaître la vérité aurait peut-être même gâché le joli mot d'esprit. Il était ainsi, Tristan : on pouvait pardonner ou ignorer, pourvu que ce soit beau.

oOo

Tristan roula des épaules et tendit le cou en avant pour recevoir la réponse d'Hibiki - il comprenait sa nécessité de parler bas, savait-on jamais. Et lui-même à l'époque ne clamait pas sur les toits qu'il chapardait, ou encore que sa vision du divin n'était pas exactement très catholique ! Oh il sera néanmoins resté subtil dans son geste : se pencher mais pas trop - cela eut été le meilleur moyen de faire voir à de potentiels guetteurs que son vis-à-vis était en train de lui faire une confidence. Alors, c'était l'ambassadeur du Japon qu'il accompagnait - ce qui expliquait tous ces gens descendus avec lui du bateau.

-- J'espère d'ailleurs qu'si la suite nous a pas suivis, elle est au moins pas en train d'vous chercher de partout ! se demanda-t-il soudain : après tout ils étaient partis presque en catimini. De... de divertissement ? interrogea-t-il ensuite, non sans s'arrêter lui aussi sur le "maître" prononcé par Hibiki : cela recouvrait-il la même chose que pour lui auprès des Cassin ou bien une simple relation de service de l'ambassadeur où il demeurait malgré tout libre ? Oh wahou ! Le théâtre ! Y m'arrive d'en voir sur des tréteaux dans la rue. Dans les salles par contre j'peux pas trop rentrer. Et c'est quoi comme divertissement que vous faites ?

Il n'aima pas vraiment l'idée que la personne elle même "serve de divertissement" - préférant de loin qu'elle le produise. L'on était bien davantage qu'un divertissement... Son ami Lénius, jouet infirme préféré de Sa Majesté, en savait quelque chose. Et lui-même s'appliquait à faire divertissement de ses talents - non à l'être passivement par son seul corps infirme. Hibiki cependant voyait potentiellement les choses sous un autre angle...

La question que lui posa alors son vis-à-vis le plongea dans un petit moment de silence. Fidèle à sa bougeotte, il ne put se retenir de le meubler par des roulements de ses prunelles-soleil vers les hauteurs, des tapotis de ses ongles, des plissements de paupière pour concentrer son regard sur le délicat mouvement de lèvres du voyageur.

-- C't'une bonne question ça et j'crois pas que j'ai la réponse malheureusement, lâcha-t-il avant de se ponctuer d'un début de rire intimidé. En fait... j'crois que c'est l'éternel débat du chien et du loup. J'ai été content d'êt' louveteau libre dans la ville un peu comme une forêt au fond : la ville, ça a ses mille branches, mais par terre ! Mais des fois triste aussi. Y faut accepter d'êt' souvent traqué, d'avoir la faim aux os. Et vot' peau du ventre qu'est comme une gourde qu'on presse, presse, presse jusqu'à la dernière goutte d'eau. Mais j'ai fait des trucs que j'aurai jamais pu tenter autrement. (Il inspire) Maint'nant, j'suis plutôt chien. J'ai pas d'collier mais j'ai ça... (il lui découvrit - très discrètement, remontant aussitôt le pan de sa tunique après une seconde d'épaule nue - son bras droit mordu par le fer rouge y ayant tracé le M de la servitude) En fait, j'crois que je serais très, très, très malheureux si j'avais été ach'té par quelqu'un de cruel. Là, ouais, j'vous répondrais sans problème que je regrette ma vie de loup. Mais ceux à qui j'appartiens sont tellement gentils ! J'peux êt' là, dans les rues, comme en c'moment avec vous. J'peux apprendre des trucs ! Et y m'laissent danser, faire mes breloques et mes tours. C't'une drôle de farce que le destin m'a joué : je suis... ça fait drôle à dire... content même esclave. En fait, j'l'oublie souvent.

Il haussa des épaules, s'offrant le luxe de la nonchalance - et néanmoins ses yeux parurent fuir ailleurs un bref instant : serait-ce une pointe de honte ? Sentiment d'indécence à dire cela alors que pour l'écrasante majorité des esclaves, c'était une mort dans la vie. Et le dos telle une carte de l'horreur avec ses petites montagnes dont les crêtes étaient de rouge. Or ces esclaves qui souffraient le plus, on ne les voyait pas : ils étaient aux champs, dans les mines, sur les galères - ou encore à l'Hôpital Général même s'il n'y avait aucun M sur leur bras, c'était tout comme. Alors lui, avait-il le droit de dire cela ? Il secoua la tête comme pour se tirer hors du sable mouvant.

-- Et non c'pas déplacé, aucun problème, sourit-il avant de se faire beaucoup plus joueur, redevenant enfant : Oh ! Mais j'ai parlé de chien et de loup... c'est à vous maint'nant ! Vous m'aviez promis de me parler de tortue dans les airs !

Il sursauta quand - cela devait finir par arriver ! - le danseur-buveur de l'autre table se cassa la margoulette et éclaboussa une des serveuses de toute sa chope de bière. Le vomi, lui, fit heureusement feu d'artifice au sol. Autour cliquetèrent autant de rires que d'onomatopées variées. Mais aussi des grimaces. Mains portées au visage ou au nez. Deux hommes de la sécurité durent inciter avec plus ou moins l'individu à vider les lieux. Il ne fit pas trop de difficultés et un de ses amis présenta ses excuses avant de l'accompagner. Ce fut au milieu de cette animation non prévue qu'une des filles chaloupa de la taille entre les tables, enjamba le buveur avant son départ, pour arriver vers Hibiki et Tristan. Elle déposa les deux copieux verres devant chacun d'eux.

-- Et voilà pour vous ! (Petit sourire amusé lui gonflant les pommettes, pointant du nez le remous autour de l'ivrogne de la table de derrière) S'cusez pour le dérangement hein. Et ça fera quatre rilchs s'il vous plaît.

Bon. L'histoire serait pour après, et en trinquant !
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Message par Hibiki Mar 6 Avr - 19:40

Hibiki secoua la tête face aux craintes du jeune homme: il y avait peu de risques que l'on s'inquiète pour lui, surtout que ce "on" avait bien compris que ses envies de liberté augmentaient proportionnellement au raccourcissement de sa laisse. Pour risquer une anachronique comparaison, il était telle une chèvre de M. Seguin: disposée à revenir le soir pour peu qu'on lui laisse goûter librement au parfum de la montagne le jour, quoique ses virées nocturnes l'aient souvent vu rentrer tard dans la nuit voire au petit matin. Il bornait l'infini du monde à la compagnie de sa "meute" actuelle, qui lui offrait un confort et une sécurité toute relative face à la peur et au rejet de la société occidentale, tout en lui permettant de s'abreuver à la fontaine de mélancolie qu'irriguaient leurs cœurs pulsant à l'unisson de la nostalgie. En outre, voilà déjà une décade qu'il arpentait cet infini dont il tirait à la fois émerveillement et dégoût sans plus ressentir aussi vivement la grisante ivresse des temps premiers: il était devenu un vieux pilier au comptoir du monde.

Plein de sortes. Comment expliquer cela... Au départ, j'étais spécialisé en théâtre kabuki, puis j'ai appris l'art de raconter des histoires, soit drôles, soit éducatives, avec l'aide de dessins notamment. Et maintenant, j'alterne entre ces bouffonneries et d'autres rôles sur les planches.

Il n'évoquait pas son rôle de dramaturge, préférant aux lauriers d'une gloire tapageuse et suicidaire l'anonymat des noms de plume, même si cela ne lui évitait pas les noms d'oiseaux. Il se faisait parfois l'impression d'un général qui envoie ses troupes se faire massacrer en faisant circuler certains de ses textes les plus contestataires dans des lieux à l'écart des institutions religieuses. Toutefois, il se risquait à présenter certaines de ses œuvres à de nobles auditeurs, pour peu qu'il les jugeât réceptifs à telles de ses idées nageant à contre-courant de la morale établie; Et puis, il fallait bien être piquant, la veule flagornerie n'étant pas vraiment son gagne-pain.

Leur conversation prit un autre cours, déviée par le récit tragique de ce jouvenceau aérien et souriant. Hibiki l'écoutait avec sérieux et une forme de simplicité qui ne lui était pas coutumière. Il n'avait jamais vraiment conversé avec un esclave, et se sentait soudainement aussi gauche qu'une jeune ingénue au soir de ses noces, à cela près qu'il épousait les ombres d'une histoire triste qui, même dite avec beaucoup de douceur, n'en jetait pas moins sa fraîcheur sur eux dans ce lieu chaleureux.

L'ivrogne voisin fit des siennes, puis la serveuse _joli déhanché_ le tira hors du morne bain où il s'enfonçait, la tête toute enroulée dans sa serviette de mélancolie.
"Merci bien."
Il défit son manteau et sortit les pièces demandées d'une petite bourse qu'il gardait à sa ceinture pour les poser sur la table. La serveuse s'en saisit et repartit, toute en courbes dansantes, vers d'autres assoiffés.

"A la vôtre!"
Ils trinquèrent et, après la saveur d'une première gorgée, d'autant plus bienvenue qu'elle chassait l'arrière-goût de son propre reflux de tantôt, le saltimbanque enchaîna.
"La tortue volante alors... Bien, voici l'histoire promise.
Il était une fois un homme nommé Urashima Taro. Il vivait dans un petit village de pêcheurs avec sa vieille mère, qui était veuve. Lui-même, comme tout bon pêcheur, respectait la loi de la nature: il vivait du produit de sa pêche, attrapant juste ce qu'il fallait pour manger ou vendant quelques prises à la ville, de quoi varier leurs repas ou acheter du riz."
En aparté: "Chez nous, le riz est une céréale sous forme de long grains blancs qui sert de base à tous nos menus."Fin de l'aparté
"Urashima aimait ramasser de jolis coquillages nacrés depuis qu'il était petit. Il les ramenait à sa mère qui les arrangeaient à sa manière pour décorer leur petite maison. Ce jour là, il en cherchait justement; il en avait déjà trouvé de forts beaux, dont une magnifique conque toute en spirale et aux bords en dentelle. Soudain, il aperçut une petite bande de gosses qui s'agitaient et criaient sur le sable. Urashima s'approcha et découvrit au milieu de leur cercle une tortue renversée sur le dos.
-Quelle idiote, même pas capable de se retourner!
-Vous avez vu comme elle remue les pattes? On dirait une mémé qu'arrive pas à se relever!
-Vous croyez que sa carapace est aussi dure en dessous qu'au-dessus?
L'un des garnements s'apprêtait à lancer un caillou sur le pauvre animal lorsque Urashima lui agrippa le bras et le stoppa dans son élan.
-Vous n'avez pas honte de vous en prendre à cette pauvre bête? Déguerpissez!
-Toi va t'en! Tu nous embêtes! C'est pas tes affaires d'abord.
Urashima réfléchit rapidement et répondit.
-Je vous échange cette tortue contre cette conque.
Il sortit le coquillage de son baluchon et les gamins ouvrirent de grands yeux tant elle était belle dans sa dentelle blanche et rose.
-Si vous la mettez contre votre oreille, vous entendrez le bruit de la mer. Ou vous pourrez toujours la vendre à la ville...
-Trop bien! Allez, venez les gars, laissons cet idiot avec sa tortue.

Les enfants partirent et Urashima tira la tortue vers la mer, ce qui n'était pas une mince affaire car elle était aussi grosse que cette table et bien plus lourde. Une fois dans l'eau, elle commença à flotter et il put l'aider à se remettre à l'endroit. Alors, il la regarda partir vers le large tout en agitant la main pour lui dire au revoir.

Les jours passèrent et rien ne changeait dans la vie d'Urashima. Ce jour là, comme à son habitude, il avait pris sa barque et ses filets et était parti en mer. Mais voilà soudain que le vent se lève, les vagues gonflent, les nuages s'amoncellent. L'orage menace et la tempête se prépare... Urashima rame de toutes ses forces, lutte contre les éléments, mais le courant l'entraîne toujours plus loin du rivage. Les vagues se font de plus en plus hautes et l'une d'elle s'élance comme un oiseau d'écume et de sel et retombe sur le frêle esquif, emportant le pêcheur avec elle. Urashima se débattait au milieu des vagues, il croyait déjà sa dernière heure venue lorsqu'il se sentit soulevé et porté vers la surface. Surgissant des flots, la mer ruisselant autour d'eux, il découvrit sous lui la tortue qu'il avait sauvée.
-Bonjour Urashima. Je te dois la vie, et à mon tour je viens te porter secours. Pour te récompenser de ta bonne action, ma souveraine la princesse, fille du dragon des mers, souhaite t'inviter en son palais. Je t'y amène donc.
Urashima, trop faible pour répondre, se laissa porter. Il sentit l'eau le recouvrir mais, étrangement, il parvenait à respirer. Il reprenait peu à peu ses esprits, et pourtant il croyait rêver... La tortue s'enfonçait, toujours plus loin dans le ventre de la mer. Au début, il ne régnait que l'obscurité puis une lueur apparut, comme un halo lointain qui devint lumière d'argent. Urashima découvrait des algues ondulantes qu'il n'avait jamais vu, des coraux orangés dansant comme des flammes, tout un sol de sable et de galets. Des poissons des profondeurs les frôlaient et saluaient la tortue en nageant gracieusement; des raies, semblables à des oiseaux, survolaient les étoiles de mers dans ce ciel maritime; des crabes zigzaguaient sur le sol en un curieux ballet. La tortue continua sa route jusqu'à un palais de nacre et de corail rehaussé de perles, au parterre d'algues rouges buissonnantes et d'oursins colorés. Il régnait un grand silence sous les eaux, troublé seulement par des vibrations, de petites bulles légères ou de lointains chants de baleines.

La princesse les attendait devant les portes de sa demeure aquatique. Elle ressemblait à une jeune fille mais dont la peau était si pâle qu'elle semblait ne jamais avoir vu le soleil. Elle avait des cheveux de jais, ruisselant comme une cascade d'ébène sur sa peau d'albâtre, des yeux d'un bleu aussi profond que l'océan et un sourire qui fit immédiatement chavirer Urashima. Elle avait une beauté qui ne se raconte pas car elle n'appartient pas à ce monde mais qui bouleversait le cœur du jeune homme. Elle, de son côté, elle découvrit un homme gorgé de soleil et de grand vent, les yeux rêveurs et aux gestes tendres et sûrs malgré ses mains rugueuses.

Auprès d'elle, il visita les merveilles de son palais, goûta aux plats les plus raffinés et aux musiques les plus ensorcelantes. Il lui racontait sa vie sur la terre, le chant des oiseaux, le souffle de la brise, le grondement du tonnerre, le parfum et les goûts de la terre. Épris l'un de l'autre, chacun s'émerveillait d'un monde lointain qu'ils partageaient à travers leurs récits. Ensemble, ils connurent des bonheurs de toutes les couleurs. Des bonheurs aux bleus aquatiques et changeants, des bonheurs rouge passion, des bonheurs jaunes et chauds comme le sable d'été. Puis, sans crier gare, vint un bonheur gris, lancinant comme le ciel avant qu'éclate la pluie. Urashima se languissait de la terre; il s'inquiétait pour sa vieille mère: comment vivait-elle, sans lui?

Il émit le souhait de repartir chez lui. Il promit de revenir après avoir vu celle qui l'avait mis au monde et sut par ses mots apaiser l'inquiétude de la princesse. Celle-ci lui remit une petite boîte et lui dit:
-Cet écrin contient ce qu'il y a de plus précieux. Prends en bien soin mais surtout, ne l'ouvre sous aucun prétexte. Lorsque tu voudras revenir, rends-toi sur la plage et appelle la tortue, elle te ramènera auprès de moi. C'est elle qui te portera jusqu'à ton rivage également.
Une larme perla aux cils de la belle et elle ajouta:
-J'aimerais te dire au revoir, mais un mauvais pressentiment me fait craindre que ce ne soit notre dernier moment.
Ils échangèrent un baiser et Urashima partit sur le dos de la tortue. Il se sentait à la fois peiné par la tristesse de sa belle, et impatient de revoir sa mère. Il avait tant à lui raconter!

Urashima avait remis ses vêtements de pêcheur avant son départ. Il émergea de la mer, titubant comme un homme ivre, ruisselant d'eau salée. Le soleil agressait ses yeux et les bruits des mouettes et des vagues frappaient ses oreilles comme des coups. La tortue le salua puis replongea, le laissant sur le sable, hébété. Il se leva au bout d'un temps et se dirigea vers le village mais... tout avait changé. Les habitations n'étaient plus les mêmes, ainsi que les gens. Il ne reconnaissait personne, et... comme ces hommes et ces femmes parlaient bizarrement! Ils avaient un accent inconnu et employaient des mots qu'il ne comprenait pas, parlant bas et le regardant étrangement tandis qu'il cheminait par les rues. Il parvint finalement à sa maison mais faillit ne pas la reconnaître tant elle aussi avait changé. Une angoisse sourde lui étreignait le cœur et il appela, tremblant:
-Mère!
Une dame inconnue ouvrit la porte et, à ses questions, lui répondit qu'elle ne connaissait personne de la famille d'Urashima Taro. Elle lui conseilla de se rendre au cimetière, le doyen du village y fleurissait la tombe de sa femme, peut-être pourrait-il lui répondre.

Urashima suivit ce conseil. Au cimetière, le vieillard regarda longuement le jeune homme venu le trouver et dit:
-J'ai entendu parler d'Urashima Taro. J'étais un enfant lorsqu'il a été emporté par une tempête. Sa mère refusait de croire à sa mort: elle venait tous les jours sur la plage, guettant son retour. Elle a fini par mourir de chagrin. Tiens, vois sa tombe, c'est celle un peu plus loin; il n'y a guère que moi pour m'en occuper encore. Cela s'est passé il y a bien longtemps... Et toi, tu dis que tu es cet Urashima?

Le jeune homme, frappé par cette nouvelle qui s'abattait sur lui comme la foudre, se mit à errer dans le village. Là-bas, les gens le prenaient pour un fou, avec ses habits et ses manières d'une autre époque, lui qui disait être ce pêcheur noyé en mer. On lui donnait de quoi manger, par charité. Un jour, il se souvint du coffret de la princesse. Dedans, il y avait quelque chose d'infiniment précieux... de quoi refaire sa vie ailleurs, loin d'ici! Dans un endroit où on ne lui jetterait pas ces regards de pitié! Sur le sable du rivage, il sortit le coffret de sa tunique et l'ouvrit, le cœur battant. Du coffret, il s'échappa une fumée; Au fond, il y avait un peu d'eau où son visage se reflétait comme dans un miroir. Puis, dans le miroir apparut le visage de son père... celui de son grand-père... Il jeta un regard sur ses mains qui tremblaient: elles se ridaient, se ratatinaient comme de vieilles pommes. Il les porta à son visage dont la peau s'effritait et n'eut que le temps de pousser un soupir avant de disparaître en cendres, emporté par le vent."


Il laissa passer un court moment, le temps de prendre une nouvelle gorgée et acheva:
"Telle est mon histoire."

Il se sentait toujours un peu étrangement flottant à la fin d'un récit. L'atterrissage était souvent délicat et, dans cette taverne, il était pour le moins abrupt. Il laissait également le temps à Tristan de se remettre de ses éventuelles émotions avant de répondre à de probables questions.
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Message par Le Cent-Visages Sam 17 Avr - 22:32

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Il se sentit rassuré à la suite du geste d'Hibiki : s'il estimait que rien de menaçant ne pointerait le bout de son nez dans les parages, et qu'il ne lui serait pas fait problème pour s'être séparé du groupe, alors le garçon lui fit confiance. Son comparse savait mieux. Tristan croisa donc les doigts et y appuya son menton, tout disposé à écouter les nombreuses codes à l'arc de son vis-à-vis. Certaines au sens inconnu - "Kabuki" ? - et d'autres qui lui allumèrent immédiatement le regard. Raconter des histoires avec des dessins et jouer des rôles, donner des bouffonneries, également. Autant d'activités qu'il raffolait de voir faire à son ami Lénius, à d'autres saltimbanques, et que lui-même pratiquait en une certaine mesure : même danser et faire le magicien, c'était tenir un rôle quelque part. Il ouvrit les paumes en arc-en-ciel autour de son visage et :

-- Tout ça ! Wow ! Eh ben j'espère que j'aurai l'occasion de vous voir faire un jour ! Sûrement pas au palais royal, à moins que mes maîtres y aillent et m'emmènent un jour - pas impossible, vus le particuliers attraits du roi... Et sinon je sais pas... p'têtre ailleurs dans Braktenn ? Oui ce s'rait bien !

Quelques secondes durant, il se rêva lui aussi faire des numéros avec des artistes comme Hibiki. Ce serait passionnant. Il découvrirait d'autres manières de faire du théâtre. Et sûrement aussi d'autres façons de danser, ou que savait-il encore, de même que leur écriture était si différentes. Puis Tristan apprécia de se sentir écouté en toute simplicité quand il révéla un pan de sa vie. Simplicité, et sérieux à la fois. Nulle question trop engageante ne lui fut posée. Nulle trace de gêne non plus, ou de pitié. Il s'en réjouit : cette partie de la discussion avait simplement coulé au milieu du reste, s'y était brodé et fondu. Après tout, c'était ainsi et lui-même se faisait le plus possible un devoir de ne pas s'appesantir sur sa drôle d'histoire.

Mais déjà arriva la serveuse avec leurs boissons, que Tristan accueillit en se redressant de tout son long - comme tiré par un fil invisible. Et d'offrir son plus enthousiaste "Merci !" à la femme autant qu'à Hibiki qui lui payait aujourd'hui le coup. Après son départ, le bras de l'infirme-danseur se déroula et il donna un petit coup de son verre dans celui du voyageur. Duo de tintements. Deux paires d'yeux se rencontrant et, de la bouche de Tristan à son tour, un sautillant :

-- Santé !

Il se délecta de quelques premières gorgées, mais reposa vite le breuvage pour se délecter - en toute politesse - de quelque chose qui l'attirait plus encore. L'histoire promise par Hibiki. Il se mit bien au creux de son modeste chariot, croisa les mains, prit appui sur la table et plongea dans le récit si gentiment offert. "Taro" ? Oh ! Comme les cartes qui disaient le passé et l'avenir ! Cette association d'idées le fit déjà sourire, tout comme cette vision de ce que l'humain devait cueillir aux mains de la nature : le nécessaire. Tristan arrondit un sourcil à l'aparté du conteur, tentant de se représenter le riz. Il vit de petits flocons, mais en plus allongé. D'un bref hochement de tête le garçon se concentra de nouveau sur le récit.
Il rit d'abord de bon cœur quand l'acteur lui fit entendre si bien les intonations des garnements moqueurs, mais grimaça rapidement, pris plutôt par la peine, et ne put se retenir de glisser un empathique :

-- Mais la pauvre tortue... elle a pas choisi d'être empêché de re-bouger...

Sur une adorable petite moue, la tête rentrée dans ses épaules alors qu'il se souvenait lui-même de quelques quolibets relatifs à son impotence, Tristan retrouva son sourire à la suite : Urashima avait bien fait d'arrêter le vilain geste. Lui aussi en avait déjà reçu des pierres, c'était vraiment très douloureux. Arrivèrent le départ de la tortue, puis la tempête dont Tristan accueillit la description de ses propres petits gestes - doigts ondoyants ; mains et poignets en lignes coup-de-fouet... Lèvre pincée, il guetta ce qui allait pouvoir sauver Urashima. Ce serait bien sûr la tortue, il s'en doutait, mais comment aiderait-elle à son tour son sauveur ? Il s'émerveilla de ce que le conte lui laissa entrevoir de la population marine avec toutes ses formes, ses rayures, ses couleurs. Et leurs nageoires comme des volants, leurs queue comme des vertugadins, des bulles à la place des colliers de perles : la mode de dedans l'océan, en somme. De la princesse il retint un visage aussi blanc que ses cheveux étaient noirs, mais s'intrigua du fait qu'une beauté pouvait être au-dessus des mots. Sa bouche s'arrondit : ne serait-ce pas là un superbe défi pour un manieur de mots ? En mettre sur ce qui ne se disait pas ! Quoi que... et si cet indicible même la créait, cette beauté hors de l'ordinaire ? Qu'il suffisait juste d'avoir le mot "Beau" - l'idée - et pas besoin de davantage...
Mais il reprit le cours du récit. Avec toutes ces émotions exprimées par autant de couleurs, ce qu'il ne put qu'apprécier. Mais vint la grise et avec elle, le mal du pays. Et de la famille. La suite lui fit étrécir les yeux dans un mauvais pressentiment tout aussi fort que celui de l'histoire : ah ça, il le sentait, que malgré toutes ses qualités, Urashima allait l'ouvrir, l'écrin interdit. Comme Pandore. Comme les amis d'Ulysse avec le sac des vents dans leurs histoires d'ici. Pour Urashima cependant, ce n'était pas que de la vilaine curiosité : il ne se sentait vraiment plus chez lui et l'avait fait en désespoir. Et pauvre princesse qui pleurait...  Et d'un autre côté ce n'était pas bien gentil, se dit Tristan, d'être resté tout ce temps loin de sa mère qui l'aimait. A moins qu'il n'ait pas senti le temps passer ? Toujours était-il qu'il sentait venir quelque chose de triste quand enfin, Urashima voulut revoir son village. Ce qui ne manqua pas. N'être reconnu de personne devait être horrible.

-- Que c'était beau ! Merci ! déclara-t-il d'abord, après avoir respecté lui aussi un temps de silence en remerciement pour ce récit. Voilà bien longtemps qu'il ne s'était pas entendu dire un conte - hormis de la bouche de Lénius. Puis plus songeur, il souffla un doux : C'est grand peine de se sentir étranger chez soi alors qu'on rentre pour revoir les gens qu'on aime... Mais Urashima aimait aussi tellement la princesse... Le choix est dur entre un ici et un là-bas. (Un temps) Alors il... il s'est donc envolé retrouver ses ancêtres à la fin ? C'était ça la chose très précieuse ?

L'histoire lui laissait un sentiment énigmatique, diffus, un peu triste. Urashima devait il payer le prix d'avoir ouvert l'écrin... et pourquoi sa princesse lui avait donné une chose aussi risquée en ayant déjà le sentiment - et la larme - de ce qui allait arriver. "Mon histoire" dit Hibiki. Tristan hocha lentement la tête. Il s'aventura à demander :

-- La vôtre... aussi dans l'sens que ça parle d'vous ?

Vrai qu'il était loin, très loin de chez lui. Venu en bateau certes, faute de tortue. Et pas sûr que ce qu'il trouverait à Monbrina serait aussi somptueux que les fonds marins et la princesse de son récit. Le garçon toutefois établissait naturellement certains ponts. Ou alors Hibiki serait la tortue, dans son récit, davantage qu'Urashima ? Celle qui aide à faire les voyages, traçant volontiers ces aller-retours entre différents univers pour peu qu'on soit bon avec elle ?
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Message par Hibiki Mer 21 Avr - 15:03

Hibiki, après ce long monologue, savoura avec délice une rasade de vin de mûres, fruité et sucré comme il l'appréciait, tout en l'assortissant d'un long soupir de bonheur virilo-alcoolique. Touché par le compliment, il inclina légèrement la tête afin de montrer qu'il y était sensible. Écoutant Tristan, il opinait du chef en assentiment à ses propos avant de s'arrêter, surpris par l'interprétation qu'en faisait le garçon.

"En effet, l'histoire d'Urashima raconte, entre autres choses, la réunion impossible de ses deux amours: celui pour la princesse des mers et celui envers sa mère. Par contre, j'ai toujours considéré que la chose la plus précieuse pour l'humain est le temps. Mais vous avez raison, ma façon de raconter cette histoire prêtait à confusion... dans certaines versions de ce conte, la princesse dit à Urashima que la boîte contient le temps passé à ses côtés... ce qui laisse à penser que le jeune homme ouvre la boîte en connaissance de cause, sans doute par désespoir. Peut-être également pour retrouver finalement sa mère parmi les ancêtres."

Il s'abîma un temps dans des réflexions sur l'art oratoire et la manière dont il pouvait s'améliorer, puis but une nouvelle gorgée et ajouta.

"Quoiqu'il en soit, j'interprète ce récit comme une mise en garde contre le temps qui s'écoule si vite lorsqu'on le passe en plaisirs et qu'on oublie ses devoirs. D'ailleurs, je vous remercie de ne pas avoir mentionné l'enfer et le paradis mais d'avoir évoqué les ancêtres; Tant de vos pairs en Europe sont prêts à calquer leur vision occidentale sur notre culture, quitte à la déformer, que ça en devient parfois lassant."

Une nouvelle gorgée et finalement il répondit à la question la plus personnelle du joli infirme.

"Disons plutôt que cette histoire illustre ma... curiosité autant que ma crainte. Je me demande comment évolue mon pays pendant que je suis loin et je crains de m'y sentir étranger si j'y reviens un jour, car dans ce cas... he bien je ne serais chez moi nulle part."

Il s'abîma un instant dans la contemplation de son verre à la surface duquel jouait la lumière retenue prisonnière sur ces flots de pourpre. Il préférait passer sous silence ses amours avec la femme de l'ambassadeur _sa princesse des mers_ qui n'étaient pas censés se trouver étalés au grand jour. Et quoique au service, lui-même, d'une forme de plaisir _artistique et esthétique_ il ne fuyait pas mais accomplissait son devoir en divertissant ou en émouvant son auditoire... si tant est que l'on pût parler de devoir dans ce cas qui relevait plutôt du choix, parfois de la soumission, parfois de la révolte, en un curieux mélange de sacerdoce et d'exutoire.

"Mais peut-être est-ce une fable que l'on se raconte, de croire que l'on appartient à un pays, à une culture et qu'il faut juste apprendre à être chez soi dans son propre corps, quel que soit l'endroit. Je suppose que vous avez dû explorer la question..."

...en tant que vagabond n'ayant appartenu à nulle maison avant de se retrouver esclave, qui logeait dans une enveloppe rétive et difficile à apprivoiser.
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Message par Le Cent-Visages Jeu 6 Mai - 10:30

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Tous deux savourèrent une rasade de l'alcool fruité et la caresse du sucre le long de leurs palais. Plaisir pour le goût, alors que le charme de l'histoire opérait encore dans l'esprit de Tristan. Le garçon reposa son verre et avança la tête quand Hibiki reprit la parole pour proposer une autre lecture de ce compte. Oh, il n'y avait pas pensé. Mais à présent il sourit et déclara :

-- Oh, les souvenirs et le temps qui passe, oui. J'comprends mieux pourquoi la princesse, elle pleure. Et aussi la décision d'Urashima s'il sait. C't'un cadeau qui se donne mais disparaît à chaque instant. Il est là et il n'est pas là tout à la fois, c'est comme essayer d'attraper le vent, plutôt que de savoir simplement profiter de ce qu'il est tout l'temps autour de nous.

Pleurer sur la fuite du temps au lieu d'être capable de le cueillir chaque jour... Oh Tristan était encore bien jeune, il disposait de la vie devant lui mais parfois, il se retournait vers les cadavres de ses primes années qu'un affreux institut lui avait volées. Le regret s'installait. Toutefois il ne durait qu'un temps : il avait appris également à faire éclore au mieux chaque nouveau matin, pour rattraper tout ce qu'on lui avait fait perdre. Puis il sourit, très ému du compliment que lui adressait Hibiki quant à l'appréciation de son conte - une vision toute dénudée des grandes lectures savantes et religieuses de son environnement. D'abord espiègle, il glissa :

-- C'est l'avantage d'êt' pauvre et inculte. On a rien à imposer mais tout à recevoir. (Plus sérieux, après une dernière gorgée de la boisson ayant désormais déserté le verre tintant) En vrai, j'y avais même pas pensé en vous écoutant, à l'Enfer, à Paradis et tout ça. Vous amenez vot' histoire à vous, c't'un peu dommage de vouloir tout de suite la tordre pour la mettre dans les moules d'ici. Même si j'suis sûr qu'nos deux univers peuvent se rejoindre ensuite sur certains points. Découvrir d'abord... (Un temps, curieux) Alors si j'comprends bien, vous voyez pas l'après-vie-sur-terre comme un classement entre l'Enfer et l'Paradis ? Moi aussi j'trouve ça un peu trop... coupant et réducteur. Deux chemins, le bon, le mauvais. C'est triste de voir l'après juste comme un tri, et pour moi ça colle pas avec l'idée que Dieu est bonté.

Oserait-il dire à qui que ce fut d'autre le quart de ce qu'il venait de prononcer ? Certainement pas. Cela lui attirerait d'énormes ennuis. Avec Hibiki cependant, quelque chose d'autre s'installait et l'esclave se laissait souffler par son intuition qu'il pouvait aller funambuler sur ce genre de terrain atypique. Et en revenir enrichi. Confidence pour confidence, d'ailleurs - puisque le voyageur en retour se livrait sur ses craintes. Des inquiétudes dans lesquelles le jeunot ne pouvait ô combien que se retrouver pour d'autres raisons.

-- J'ai jamais eu vraiment d'chez moi non plus, alors je comprends. Z'avez bien raison, j'essaie moi aussi d'me dire qu'on sera au moins toujours chez soi dans son corps et que c'est lui qu'il faut commencer par habiter au mieux. Même quand il est... un peu capricieux, commente-t-il avec un coup d'œil vers ses jambes menues et ses roues. Mais bon, qui est complètement content de son corps ? Après... on peut s'attacher nulle part, et puis partout à la fois. C'est l'avantage ou l'inconvénient, je sais pas. (Un temps) Est-ce que ça fait si longtemps qu'ça qu'vous avez quitté l'Japon ? Et qu'il peut s'transformer tant que ça, pour risquer de d'venir comme un vieil ami que vous allez mettre du temps à reconnaître si un jour vous le r'trouvez...
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Message par Hibiki Jeu 6 Mai - 22:31

Qui de son pays ou de lui peinerait à reconnaître l'autre dans les contours fatigués et les rides nouvelles que le temps appose était une question qui demeurerait sans réponse pendant un long moment. Ceci dit, il appréciait l'image offerte: celle d'une terre comme un vieil ami fidèle prêt à vous ouvrir ses portes, peu importe la durée de l'absence.

"Je devais avoir à peu près ton âge quand je suis parti, si je ne me trompe pas dans mon estimation. Aujourd'hui, j'en ai 10 de plus. Ne me manque plus qu'une belle barbe blanche pour avoir l'air d'un grand sage... Mais comme elle ne poussera jamais, je devrai me contenter du rôle de fou."

Somme toute, ne dit-on pas que les fous ouvrent la voie aux sages?
Un sourire mutin éclaboussa son faciès que les flammes de la cheminée s'amusaient à prendre pour terrain de jeu dans le théâtre d'ombre sans cesse renouvelé où la lumière dispute aux ténèbres l'éclat d'un visage qui ne révèlera jamais l'obscur de sa pensée. Il se laissait envahir par une douce quiétude, bercé par le ronronnement du feu et le parfum sucré sur sa langue qui remplaçait à merveille le goût acide de sa fermentation intestinale de tantôt. Ce moment était une parfaite illustration des dires du jouvenceau infirme: une parenthèse cueillie à l'arbre des instants heureux, savourée à l'abri du froid qui ne se pressait pas mais se rappelait parfois à leur bon souvenir lorsqu'un quidam ouvrait la porte d'entrée.

Il méditait les paroles de son camarade de boisson sur l'avantage de recevoir sans rien imposer et songeait qu'il aurait pu être bénéfique d'étendre ce précepte à bien d'autres catégories que celle à laquelle appartenait sa récente connaissance. Ce gamin avait une finesse d'esprit et d'analyse un peu brutes encore, de même qu'un joyau se trouve au départ entouré d'une gangue de pierre, mais qui ne déméritait pas comparé à des proses rutilantes cachant en leur cœur des morceaux de pierre noire et dure. Il en avait rencontré, de ces courtisans faussement affables au langage ciselé mais aux arrêtes tranchantes, figés dans la posture raidie dans laquelle les maintenait une certaine idée de leur nom et de leur honneur; ça brillait au-dehors, mais dedans, c'était sombre et dur, solitaire et froid comme la bise glacée de ce mois de janvier qui faisait peur aux passants. Avec un peu de travail, des leçons de maintien et de vocabulaire, Hibiki était persuadé que Tristan avait assez de matière, d'après le peu entrevu, pour sculpter également des merveilles à partir de ses pensées; pourtant, une part de lui ne le souhaitait pas, craignant qu'en polissant le joyau, on n'en vienne à le rendre semblable à n'importe quelle pierre précieuse enchâssée dans un écrin de convenance. Cela importait assez peu pourtant, car la décision reposait entre les mains du frêle adolescent qui les employait justement à se teinter d'une encre d'érudition, et son rôle n'était certes pas de le mettre en garde contre la monotonie et l'uniformité des discours aristocratiques. Il y avait bien d'autres dangers, autrement plus risqués que celui là...

En parlant de danger, il semblait que le comédien avait l'art et la manière de déclencher des conversations hautement problématiques sur le thème de la religion, et il réitèrerait l'exploit dans un contexte relativement similaire d'ici peu, dans une autre taverne, en compagnie d'un autre infirme quoique plus jeune et beaucoup plus ignorant du monde. Lui-même craignait assez peu de parler librement lorsque son auditoire se composait d'oreilles bienveillantes, mais, pour avoir déjà croisé quelques fanatiques, il avait appris qu'il faut savoir réserver certaines paroles à des espaces privés. Il ne critiquerait donc pas leur dieu publiquement en ce pays, mais ne se gênerait pas non plus pour évoquer certains des mythes de sa terre natale.

"Pour revenir sur ce que tu disais tantôt... Je ne me sens pas... comment dire... légitime pour discuter de croyances que je maîtrise mal. Après tout, je ne suis pas un postier céleste qui effectuerait un tri post-mortem pour envoyer les âmes dénuées d'enveloppes vers la bonne adresse."

Il ne se prononçait pas sur cette question d'un dieu d'amour et de bonté, préférant s'épargner des réactions malvenues de la part de pieux dévots qui se cachaient peut-être dans leur voisinage.

"Je parlerai donc plutôt de ce que je connais mieux, à savoir les croyances de mon pays. Je dis les croyances car le Japon n'a pas une croyance unique. Les religions principales sont le bouddhisme et le shintoïsme. Pour ma part, je connais un peu plus les mythes shintoïstes, et il se trouve que, selon cette religion, il n'y a pas d'enfer et de paradis. Il y a juste le pays des vivants et le pays des morts. Tout cela est raconté dans une très belle histoire qui, paraît-il, est proche d'une de vos légendes, celle d'Orph..ée? et Eu... Eu... ah, je ne sais plus! Tu vois de quoi il s'agit?"

Il se perdait parfois quelque peu dans tous ces imaginaires parmi lesquels certains semblaient puiser aux mêmes sources lointaines, redécouvrant des motifs communs dans leurs méandres d'argent. Mais pour l'heure, il venait de passer un an sur le territoire djerdanien, et avait plus rencontré de dieux hindous que de nymphes gréco-romaines _même s'il faut l'avouer, certaines des danseuses qu'il avait croisé n'avaient rien à envier aux naïades et autres beautés antiques.
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Message par Le Cent-Visages Dim 16 Mai - 14:49

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Dix ans ! Le petit esclave arrondit les yeux : c'était déjà énorme pour lui. Il n'aurait même pas de souvenirs précis de lui-même avec dix-ans de moins - hormis quelques fulgurances et pas des plus joyeuses. Le gris d'un interminable réfectoire boyau. Des puanteurs. Des douleurs dans les épaules à force de travailler. Alors comme cela devait faire long, dix ans loin de son pays ! Tristan n'arrivait même pas à se le représenter et ne put donc rien dire, seulement acquiescer et ajouter un bref rire à l'image de la longue barbe. Mais ce fut sans compter sur la suite qui vient le surprendre en plein vol dans ses imaginations.

-- Pas d'barbe ? Genre... jamais de jamais ? Mais comment ça se fait ? questionna-t-il en toute spontanéité. Lui-même n'en avait pas encore, des poils au menton - et éprouvait encore du mal à s'imaginer avec. Et ça vous plaît d'être comme ça ou bien vous avez l'impression de... rater quelqu'chose ? Moi pour l'instant j'suis content sans, par contre je sais pas c'que je sentirai quand j'en aurai.

Naïvement, il se demanda au passage si c'était une caractéristique japonaise. Interrogation qu'il gardera pour lui, préférant écouter ce que lui répondrait Hibiki tandis que ses doigts étendus jouaient à faire tourner son verre vide entre eux. Sans faire attention, sa main droite se leva à un moment donné, entraînée par le sujet de la conversation, pour aller effleurer la pointe de son menton juvénile comme s'il y trouverait par avance quelque sensation plus précise de son futur.
Le garçon revint à une pose plus sérieuse en voyant le voyageur plongé dans ses méditations. Que pouvait-il penser de ce qu'ils venaient de se dire ? Trouvait-il cela étrange, une conversation de cette nature et un moment atypique tel que la rencontre d'un gueux roulant artiste des rues autour d'un verre d'alcool... dans un empire dont les puissants les recevraient bientôt, lui et ses compatriotes ! Tristan croisa les doigts devant lui et sourit de l'image qui lui était offerte : un postier triant les âmes et les enveloppes. Appliquée à Dieu, cela aurait le mérite de décharger au moins un peu le Seigneur de cet horrible costume de juge expédiant les bons ici, les méchants là... pour simplement l'imaginer envoyer les défunts dans mille directions possibles. En outre, le petit invalide lut entre les mots une prudence à ne pas évoquer des concepts que peut-être il découvrait seulement ? Aussi parla-t-il des spiritualités d'Orient, récultant toujours autant d'intérêt de la part du jeunot qui l'écoutait.

-- En vrai, j'me demande si chez nous aussi, y a pas des croyances, au pluriel. Genre, plein d'façons d'êt' chrétien. Ou même d'aut' chemins de pensée qui auraient pas grand chose à voir ! (Il parlait en connaissance de cause. Jésus par exemple, il aimait beaucoup le prier. Et sa vie. Son père en revanche lui faisait peur. Tout comme l'accent mis sur le péché et les martyrs, quand lui préférait penser à la Naissance ou au vin des Noces de Cana. Et puis pourquoi Dieu serait un Messire ?) Surtout quand not' roi va chercher des gens des quatre coins du continent, forcément, ils arrivent avec d'autres visions et j'suis sûr que ça imprègne. Et que c'est seulement que les gens osent pas trop en parler quand ils pensent différemment du cadre.

Mais surtout, il s'appliqua à retenir ces nouveaux mots qu'Hibiki lui faisait découvrir. Bouddhisme. Shintoïsme. Et certainement tellement d'univers à creuser derrière chacune de ces appellations telle des portes à ouvrir. Ses lèvres s'appliquèrent à bouger - quoique sans émettre de son - afin de retenir les deux noms. Quant à l'absence d'Enfer et de Paradis, simplement le lieu des mots et celui des vivants...

-- Euh... C'est, euh.... Ah oui ! (retrouva-t-il enfin en claquant des doits) C'est Orphée c'est bien ça ? Si j'me rappelle bien moi aussi de c'que m'a raconté un ami, il a voulu aller retrouver sa belle et la sortir du monde des morts... sauf qu'au dernier moment il a craqué et... voilà (éluda-t-il dans une moue triste avant de retrouver son entrain) D'ailleurs y a des p'tites ressemblances avec Urashima dans vot' conte. Mais oui, cette autre vision des choses, j'l'aime bien. Ou encore une autre, qui serait que y a pas vraiment de frontière et que si ça s'trouve, des esprits sont là et qu'on ne les voit pas. Mais que peut-être ils vivent encore autour de nous ou dans la Terre, juste... transformés ? Enfin je sais pas, c'est un truc qui m'a traversé la tête une fois en m'demandant où est-ce que les morts, ils habitent vu que leur corps est parti.

Cette fois-ci, il rosit et poussa un petit souffle de rire gêné : est-ce que ce qu'il racontait ne serait pas complètement toqué ?
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Message par Hibiki Ven 28 Mai - 23:57

"Cela se fait que l'on m'a castré lorsque je sortais à peine de l'enfance. Je n'aurai donc jamais ni voix de stentor, ni belle barbe de philosophe. Et pour tout vous dire, cela me dérange d'autant moins que cela m'assure un certain succès auprès de certaines dames. La plupart sont ravie de ne pas risquer de grossesse en ma compagnie."

Il plaisantait au-dehors, mais en son for intérieur, cette situation le lassait parfois. Cette histoire lui pesait le plus dans les moments où il aurait aimé pouvoir jouir lui-même _ou plutôt elle-même, dans ce cadre précis_ des caresses qu'il prodiguait à ses conquêtes éphémères. Il le savait pourtant: un faux pas et il serait perdu, hanté par l'angoisse terrible de voir son secret éventé et comparaître devant les autorités qui, d'un mot, pouvaient lui ôter la vie. Ce faux pas, il l'avait déjà fait par le passé, envoûté par les charmes de quelque comédienne, subjugué par les courbes d'une danseuse. Peut-être même le referait-il, probablement pour les mêmes raisons, à savoir une faiblesse de la chair et ce souhait, aussi naïf que déraisonnable, de recevoir également son lot de caresses de la part d'une de celles qu'il comblait de tendresses. Que d'aventures romantiques dont le souvenir amer lui laissait un arrière-goût de frustration, que d'ébats enfiévrés où rien d'intime n'avait été révélé afin de mieux laisser ses amantes vanter pour lui la façon dont il maniait son braquemart de bois poli. Certains jours, il en serait presque devenu mauvais avec Kimiko, sa plus fidèle compagne, celle qui depuis 10 ans supportait ses errances de chat sauvage et qui, pour profiter sans soupçons de sa compagnie, avait suggéré de "l'émasculer". Ce mensonge l'étouffait comme un vêtement trop étroit et il regrettait pour cela son pays d'origine, où comédien et comédiennes avaient le droit se prévaloir d'un autre sexe que le leur natal. Bien sûr, c'était oublier que comédiens et comédiennes, rattachés aux quartiers des plaisirs, n'étaient rien d'autre que des courtisanes et parfois guère mieux que des grisettes. Il se faisait d'ailleurs peu d'illusions lorsqu'il besognait une femme lui promettant par ailleurs d'inciter son époux à lui commander une pièce; il aurait fallu pousser bien loin l'hypocrisie personnelle pour se persuader qu'on se livrait à un simple démarchage commercial en s'adonnant à des investigations spéléologiques au mont de Vénus de ces braves marquises et autres baronnes, particulièrement lorsque ces monts féminins avaient la "fraîcheur" de vieilles cavernes renfermées.

Une gorgée aurait été la bienvenue pour faire passer ces pensées aussi appétissantes que des médecines amères. Hélas, son verre était aussi vide que son coeur était plein de fiel. Baste, chassons ces noires idées et revenons à la conversation. Ainsi ce jeunot se sentait lui-même étriqué dans un vêtement de mensonge tout parfumé d'encens et rehaussé de colliers où s'exhibait un pauvre hère crucifié autour des gorges délicates, celui-là même qui s'affichait sur tant de murs, de sculptures et de calvaires. Il aurait pu dire "Venez chez nous si vous aimez ce spectacle, nous le donnons pour de vrai avec de vrais martyrs." Mais pour sûr c'était politiquement extrêmement incorrect. Alors il ne disait rien. Pour l'heure, il écoutait. Il entendait cet esprit toquant aux portes que fermaient avec force les curés détruisant les arbres magiques des campagnes et combattant le vieil animisme rural; sans doute aurait-il voulu contempler d'autres paysages de pensée que ces couloirs arides où les baladaient des prêtres estampillés copie conforme par le pouvoir papal. Il pouvait lui en montrer, mais ce n'était ni le lieu ni le moment.

"Très bonne question... Au Japon en tout cas, nous avons beaucoup de récits à propos de fantômes, de créatures étranges et d'esprits. D'ailleurs il y a dans notre pays des chamans en charge de rituels visant à apaiser les esprits et nos légendes sont toutes emplies de yokaïs et de kamis. Considère que les yokaïs sont des créatures surnaturelles qui peuvent être bonnes ou mauvaises et les kamis représentent des forces de la nature ou des divinités. Bien sûr, je simplifie, il faudrait plus qu'une conversation due au hasard pour développer ce sujet... "
Un soupir.
"Quel regret que votre condition d'esclave. J'aurais adoré travailler avec un artiste tel que vous et vous inclure dans certains intermèdes; nous aurions alors tout loisir de comparer nos légendes. Mais je ne suis pas certain que vos maîtres accepteraient..."
Il était passé à un "vous" plus respectueux, témoignage de la considération qu'il portait envers la performance du jeune infirme. Suite à ces mots, il fit mine de réfléchir un instant.
"Remarquez, vous pourriez leur demander. Si cela t'intéresse bien sûr. Mais pour le savoir, rien de tel que de goûter à mon travail pour déterminer si tu l'apprécies... Dans ce cas, il faudrait que je sache où te trouver si une invitation à un spectacle te tente. Quoique... si tu ne veux pas d'ennuis avec tes maîtres, n'hésite pas à venir me trouver là où loge l'ambassade de mon pays; même si je vadrouille souvent, tu finiras bien par me croiser."

Cela signait-il la fin de leur échange? On s'y acheminait en tout cas, Hibiki ayant cru comprendre que le délicat adolescent disposait d'un temps de liberté limité. Peut-être même n'avait-il déjà plus le temps de le raccompagner sans risquer le courroux de ses propriétaires? Oh, il ne s'inquiétait pas outre mesure, dans le pire des cas il retournerait dormir sur le galion au port; somme toute, il préférait toujours cette solution plutôt que de s'inquiéter d'une éventuelle punition subie par le jouvenceau pour être revenu en retard.
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Message par Le Cent-Visages Jeu 17 Juin - 18:24

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Castré ? Enfant ? Un frisson galopa l'échine de Tristan. Il serra les dents avec un roulement de tête en arrière. Mais Hibiki lui-même semblait dédramatiser la chose. Par politesse seulement ? Ou était-il sincère en disant que cette situation ne l'incommodait pas plus que cela en vérité... et qu'il en tirait avantage ? Le petit esclave savait les euphémismes que l'on pouvait prononcer dans des situations difficiles, pour persuader les gens qu'on aime - et se persuader soi-même pour avancer - que "tout est bien". Il souffla de rire.

-- Boh, c'pas la barbe qui fait l'moine... euh, la philosophe. (puis dans un sourire doux et un tantinet rieur concernant ces dames) C't'un avantage, j'veux bien croire. S'faire plaisir sans la loterie derrière. Et puis z'êtes et resterez comme ça plus charmant qu'un philosophe croulant.

Tout de même... cela avait dû être épouvantablement douloureux. Le garçon se garda néanmoins - malgré ses curiosités - de poser des questions de cet ordre-là : sa propre expérience lui avait appris combien elles pouvaient encombrer, être parfois si répétitives si tout le monde lui demandait, ou réduire une personne et une conversation à un seul aspect. Comme quand son infirmité lui valait toujours à peu près le même panel d'interrogations. Quittant donc l'aspect purement technique et douloureux, il s'aventura cependant à demander :

-- Ça vous manque pas quand même des fois ? (Hibiki mettrait ce qu'il souhaitait derrière ce "ça" : des enfants, une possible descendance, les sensations qu'il aurait pu vivre dans un corps plus ordinaire, ou parfois simplement un besoin d'ordinaire. Sans compter la sécurité, tant il était clair que le moindre caractère atypique générait automatiquement son lot de problème de tous ordres auprès des autorités quelles qu'elles soient.) Et c'est... c'est pour quoi faire qu'on les coupe à certains ?

Quel était le but recherché ? se demandait le jeunot. Le même que celui qui poussait certaines bandes brigandes à créer des invalides "contrefaçon" à faire mendier ou exhiber comme phénomènes ? Ou... une volonté de conserver quelque chose d'une prétendue pureté, ou de l'enfance, songea-t-il puisque Hibiki avait parlé de sa voix qui ne deviendrait jamais vraiment celle d'un homme une fois grand. En tous les cas, cet intermède parut plonger le voyageurs dans de graves souvenirs, pour lesquels il lui fallut le secours de sa boisson dont son verre se vida finalement entièrement, à son tour.
Fantômes, esprits, yokaïs et kamis furent alors autant de figures aux noms pleins de mystères. Ainsi, le Japon laissait croire en tous ces êtres. Ici, ce serait impensable. Quoi que... L'on croyait bien aux petites créatures envoyées parfois par le Malin. On croyait aux grills. Et dans les villages, en parallèle même de la forte foi chrétienne, les traditions de bêtes et esprits locaux avaient bien toujours cours. Tristan avait eu l'occasion d'entendre certaines légendes, au cours de son vagabondage dans le bagage des trois "nonnes gitanes" qui l'avaient recueilli.

-- Oh mais oui ! Alors il faudra ! approuva-t-il vivement à la perspective d'une conversation plus organisée, plus posée, lui permettant de découvrir tout cet univers dont il lui semblait n'avoir entrevu qu'une goutte le temps de ce verre à boire.

Il se désola de concert avec Hibiki quant à son statut servile, en apprenant que celui-là pourrait représenter un frein à une coopération artistique. C'était lui proposer quelque chose de si merveilleux ! Il s'en serait réjoui sans ce petit hic. D'ordinaire, Tristan oubliait presque son esclavage. Mais s'il l'empêchait de participer à un tel projet alors... Non. Il secoua la tête. Il voulut être optimiste et renchérit donc :

-- C... C'est vrai ? Vous feriez des trucs d'art avec... avec moi ? (Ses yeux pétillèrent d'émoi mais il se mordit la lèvre pour ne pas déborder d'un enthousiasme trop fort si cela ne pouvait pas se faire ensuite... Il mettrait néanmoins toutes les cartes de son côté. A commencer par...) Oh vous savez, mes maîtres, ils sont très ouverts. Et gentils. La preuve, y m'laissent être là bas, sur le port et dans les rues quand j'veux me promener et faire mes numéros. Mes propriétaires me prêtent à moi-même vous vous rendez compte ? s'amusa-t-il, avant de reprendre, plus sérieux : Alors je sais pas, p'têtre que oui, je peux leur en parler. En tout cas, je vais leur raconter, pour aujourd'hui ! (Conscient soudain que même avec ses maîtres certains sujets qu'ils avaient abordés feraient mieux de rester discrets, il prit la peine de préciser : ) 'Fin, leur raconter juste c'qu'y faut. Japon. Vous qui v'nez avec l'ambassadeur. Spectacle.

Il balaya le reste d'un innocent petit geste des mains : le reste, ça demeurerait entre eux, aussi gentils que soient les Cassin. On ne savait jamais comment une information pouvait circuler et faire boule de neige. Tristan ne voudrait pas attirer le moindre problème à Hibiki.

-- J'viendrai si j'peux. Et bien sûr ! Hésitez pas à v'nir aussi ! Vous pouvez m'demander ou bien à la boutique de Madame Irène d'Aubeville, la Rose Azùl. Ou bien à l'hôtel de son frère, le général Joseph Cassin. (Il arrondit la bouche, encore tout renversé par une telle proposition : découvrir les arts que pratiquait Hibiki et, peut-être, s'y essayer voire s'y greffer.) Ce s'rait fabuleux ! Bien sûr que ça m'intéresse de connaître. Après, j'sais pas du tout c'que j'vaudrai... mais déjà rien que vous regarder et apprendre, ce s'rait une sacré chance. Merci !

Entre les lignes, il aura compris en outre que le moment de se séparer approchait. Il s'étaient déjà largement joués de leur temps à l'un et à l'autre, en dérobant dans le cours ordinaire de leur journée ces instants improvisés. Attrapés au vol. Mais après tout, il paraissait qu'improviser était un art - et créait des pièces uniques sur les planches. Pourquoi pas aussi en vrai ? Qu'une porte inattendue s'ouvre de la sorte laissa même Tristan encore intimidé : lui, il se voyait offrir une proposition comme celle-là. Il allait falloir le temps, au cours des prochaines heures, pour que l'information s'encre en lui et qu'il envisage les possibilité - sans non plus se monter déjà de trop grandes histoires. Un juste équilibre sur le fil. Il s'étira, remit les mains aux roues de son siège. Ils décolleraient quand Hibiki en aurait l'envie.
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Message par Hibiki Lun 28 Juin - 11:17

"Merci, tu es gentil."
Mine de rien, il aimait bien les compliments. Ce devait être son côté comédien soucieux de son image plus que son côté fou déluré qui ressortait dans ces moments là et révélait un léger fond de minauderie chez une créature qui s'évertuait à ne pas paraître trop maniérée.

"Mais je crois que nous sommes tous égaux face au temps et que, de toute façon, nous finirons tous croulants."
Il ponctua cette assertion d'un clin d’œil afin de dédramatiser quelque peu la chose.

Arrivèrent alors les questions que la curiosité de Tristan lui amenait sur un plateau d'argent. Si Hibiki avait pu prévoir alors que sa prétendue émasculation serait, dans les jours à venir, un sujet de conversation récurent, il aurait peut-être gardé ce "détail" pour lui. Mais non allons, c'était le jeu, et plus il y aurait de monde à savoir cela, moins on remettrait son androgynie en question.


"A dire vrai, on ne castre pas les gens dans mon pays. Il s'avère qu'au début de mon voyage, on m'a accusé d'être un peu trop "proche" de ma maîtresse, la femme de l'ambassadeur; pour me garder auprès d'elle et surtout avoir quelqu'un qui puisse veiller sur sa personne sans "risques" et sans soupçons, elle a donc proposé à son mari de faire de moi un eunuque à la manière de nos voisins chinois et coréens qui pratiquent beaucoup cela. D'où le résultat." dit-il en souriant un peu amèrement. Il fallait bien jouer le jeu et il ne connaissait pas beaucoup de castrats sautant de joie au souvenir de leur émasculation.
"Pour vous répondre, si nos voisins castrent certaines personnes, c'est soit pour garder les concubines du roi, soit pour occuper des postes importants en étant sûr qu'ils seront dévoués au pouvoir et ne seront pas distraits par leur famille ou tentés de comploter en vue de placer leurs enfants. Bien sûr, je vous résume cela rapidement."

Mais ça ou le reste, rien n'empêchait les humains de conspirer en vue d'acquérir richesse et pouvoir et certains eunuques s'étaient d'ailleurs illustrés par de savantes manœuvres qui, aussi bien que celles des militaires, avaient abouti à beaucoup de massacres et de sang versé. Cependant, Hibiki se montrait toujours un peu circonspect quant au fait de dévoiler ce genre d'histoires: c'est qu'il s'agissait de ne pas cracher ouvertement sur de puissants voisins avec lesquels ils commerçaient si bien.


"Maintenant, sur un aspect un peu plus personnel, je dirais qu'il est inutile de porter des regrets: on ne peut pas revenir en arrière, n'est-ce pas? Il n'y a donc plus qu'à l'accepter et à faire avec..."
Dans son cas, accepter de risquer sa vie en mentant effrontément aux puissants sur son identité, accepter parfois de servir de mignon à des douairières ou de riches commanditaires en mal de sensations, accepter le risque d'une trahison par une amante au fait de sa véritable identité... à ce sujet, il se sentait un peu plus serein sur ce nouveau continent: peu de risques qu'une ancienne amoureuse anglaise vienne jusqu'ici révéler ses menteries. Quant à Kimiko, il ne doutait guère qu'elle garde bien son secret: en cas contraire, ç'aurait été révéler son propre rôle dans cette affaire et elle n'y avait aucun intérêt. Et puis, ne partageaient-elles pas un bel amour toutes les deux, malgré toutes les entraves dressées et cette impossibilité d'être jamais un couple officiel?

Il chassa ces pensées et revint à leur conversation, ou plutôt à l'écoute de son compagnon de tablée qui lui décrivait ses minces libertés _minces vaut toujours mieux que rien. "Mes propriétaires me prêtent à moi-même vous vous rendez compte ?" Hibiki sourit de la formule, joliment trouvée; un sourire un peu triste qui charriait dans les vagues plis de sa bouche toutes les désillusions d'espoirs engloutis, autant de galions chargés de rêves à jamais brisés. Pourtant il y en avait un de rêve, frémissant comme un papillon à peine éclos, à l'idée de pouvoir collaborer artistiquement avec ce jeune garçon qui, comme lui, savait si bien farder son visage de sourires. "'Fin, leur raconter juste c'qu'y faut. Japon. Vous qui v'nez avec l'ambassadeur. Spectacle." Il était malin; s'il jouait finement, il obtiendrait peut-être gain de cause.

Tristan, saisit par l'enthousiasme, bondissait sur les mots comme sur un pont de rochers, au grand dam du japonais qui lui en était encore à vaciller sur la première pierre émergente, à gigoter comme un ver pour ne pas risquer le plongeon dans le flot rapide de l'incompréhension.
"Attends, pas si vite, laisse-moi noter tout ça."
Il saisit son carnet et son fusain et l'ouvrit à une page vierge
"Alors redis-moi où je peux te trouver..."

Hibiki nota soigneusement toutes ces informations _principalement en hiragana faute de pouvoir improviser un prénom en kanji pour ces illustres personnages sans les connaître un peu auparavant_ et remercia le damoiseau roulant pour sa patience à son égard. Enfin il se leva et lança:

"Allons-y, ne faisons pas languir nos maîtresses."
... mot qui portait en l’occurrence une double signification pour ce comédien déluré.
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Message par Le Cent-Visages Mer 30 Juin - 17:03

[25 janvier 1598] Vla le bon vent, vla le joli vent. [Terminé] Trista13

Tristan, esclave, 15 ans

Tristan rosit, heureux en toute naïveté de voir son vis-à-vis content au compliment. Il ouvrit les bras avec fatalisme - et un sourire en coin - à la juste remarque d'Hibiki : oui, barbe ou pas, ils étaient tous logés à la même enseigne. A la différence peut-être que, lui, avait la chance de posséder déjà un fauteuil grâce auquel il croulerait moins que les autres. L'esclave garda pour lui cette plaisanterie et retrouva son sérieux en écoutant les motifs de la castration. Il se pinça la lèvre, fronça un sourcil : ainsi, on émasculait par genre de précaution en cas de jalousie ? Et pour rendre ça acceptable, on associait cela à un certain prestige. Le garçon acquiesça et jugea préférable de ne pas relancer. Il avait déjà assez laissé libre cours à sa curiosité et quoi que le voyageur en disait, son visage laissait tout de même deviner que ce n'était pas tous les jours facile... Cela lui rappela son propre comportement, quand il parlait de son infirmité et de son routinier "ça va, on fait avec". Une position qu'il s'efforçait aussi à venir vis-à-vis de sa servitude : on s'y fait, la vie continue...

-- Z'avez bien raison. On est où on est, et puis comme z'avez dit avec l'histoire d'Urashima, c'est trop précieux le temps qu'on a d'vant nous ! s'enjoua-t-il avant de confier quelques nouveaux pans de sa situation, auxquels Hibiki sourit avec ce qui semblait être de la nostalgie. C'était vrai que leurs situations avaient plusieurs points communs à y bien penser.

-- Oh, pardon pardon ! miaula Tristan, le bout de ses doigts devant la bouche alors que son vis-à-vis l'interrompait gentiment dans son élan : il avait parlé trop vite, il lui fallait prendre un peu plus son temps - pour rester sur le sujet. Le pauvre Hibiki devait pouvoir noter. Aussi l'invalide reprit-il, plus tranquillement, les noms d'irène d'Aubeville, de Joseph Cassin et sa fille Bélyl, non sans donner les adresses et itinéraires de la boutique et de l'hôtel Cassin.
Il laissa tinter un rire enthousiaste au bon mot du voyageur quant à leurs maîtresses - dont il avait bien saisi le double sens... quand bien même il n'y avait rien de cet ordre pour le coup entre lui et Mademoiselle Bélyl. "Merci encore, Hibiki, pour tout c'que vous m'avez raconté, et pour le coup à boire !" fit-il alors qu'ils quittaient la taverne où les boissons étaient dûment réglées.

Et les rues de reprendre leur déroulé, sous les roues alertes du petit esclave. Les pavés lui réclamaient de nouveau son lot de sport, de manœuvres, de pivotements de sa chariote. Il guidait désormais le voyageur vers les logis de l'ambassade, dans les quartiers les plus élégants de Braktenn. Inévitablement, leur singulier tandem accrocha les regards : un exotique aux airs androgynes et un jeunot aussi fluet qu'un roseau évoluant sur sa chariote. Les bijoux cliquetaient au rythme de ses gestes. Son écharpe claquait autour de lui dans une danse avec le vent d'hiver. La vue du bâtiment aux colonnes marmoréennes signa la fin de leur rencontre. Tristan était un peu déçu... déjà... Mais heureux de l'idée que leur rencontre ne serait que le prélude à de nouvelles pages artistiques.
Avant de quitter Hibiki, Tristan le salua en se prosternant à la japonaise, comme il l'avait vu faire sur le port. Le voyageur pourrait le sentir soucieux de faire au mieux. "Au revoir Hibiki, et à bientôt alors ! J'espère que z'aimerez bien la cérémonie au palais, vous m'raconterez !" Cette réception de l'ambassadeur serait sans doute extraordinaire. Oh, sûrement pleine de faux-semblants aussi, dans tout ce nid de vipères de la noblesse... Mais au moins, les merveilles du palais et de la rencontre de deux cultures feraient un beau spectacle. En aucun cas ce ne serait la place d'un petit esclave comme lui, toutefois il se délecterait du récit.
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