[23 décembre 1597, aube] Par l'eau, le feu et les fers [RP Sensible - Terminé]

Trigger warning:

Bourreaux, geôlier, juge instructeur, médecin

La nuit allait être longue, très longue…
Hyriel se laissait traîner. Que faire d’autre, de toute manière ? Faire l’imbécile à ce moment ne servirait à rien. Il ne pouvait que laisser faire et attendre, résigné, la bonne occasion. Viendrait-elle ? Peut-être. Peut-être pas. En tout cas, là, ça ne l’était pas. Alors il ne faisait rien.

On l’assit, on lui saisit les mains et on l’attacha. Puis on le laissa. Il regarda le garde qui restait avec lui mais crut comprendre à son visage que ça ne servait à rien d’essayer de tailler une bavette. Alors il ferma les yeux et s’adossa bien confortablement. Oh, il ne dormait pas, mais au moins, il se reposait l’esprit. Il repensait à ce procès, à ce qui lui avait été dit, a ce qui avait été proféré comme inepties. Il chassa Louise de ses pensées. S'il songeait à elle, l'approche de la torture et de son châtiment à elle associerait son image au fouet et il s'y refusait. Elle était son amie, pas "une condamnée au fouet". Il espérait de tout cœur que tout se passerait bien pour elle mais il s'en soucierait plus tard, quand ce sera passé. Il repensait plutôt à Lénius, son ami, à son magnifique plaidoyer et à ses marques d’affection, à la détresse qu’il avait lue dans ses yeux en le quittant. À Eugène, aussi, qui avait pu venir. Il espérait que ses trois amis avaient trouvé un endroit sûr et qu’ils ne risqueraient rien. L’une de ses craintes, qui grandissait de seconde en seconde, c’était qu’il les livre sous la douleur. Il ne se le pardonnerait sans doute jamais, s’il le faisait.

Un autre garde arriva et remplaça le premier. Tout aussi patibulaire. Hyriel lui accorda un regard avant de fermer les yeux. Il était épuisé, il devait dormir. Le temps passerait plus vite et il n’aurait pas le loisir d’avoir peur. Il devait dormir. Il s’efforça d’ignorer le monde autour de lui de repenser à des souvenirs doux, des odeurs. Il devait dormir. La lavande d’Aiguemorte, les infusions de valériane pour bien dormir… Le pavot que Lif donnait aux malades… Il… Il devait dormir… Les comptines de sa mère… La décoction que son père lui préparait pour apaiser la douleur… Il… devait…

Le grincement d’une grille.

Hyriel sursauta. Où… la prison… le sous-sol… la torture. Il cligna des yeux pour achever de se réveiller, même s’il avait plutôt bien récupéré, et suivit du regard les six arrivants. Quelles mines de déterrés… Il reconnut l’un de ses juges de la veille ainsi qu’un collègue officiel. Puis l’oiseau de feu. Toutefois, ce qui retint surtout son attention, c’était la cagoule du questionneur. En voir un de près, debout alors qu’il était assis et venu pour soi n’était pas des plus rassurant. Hyriel déglutit et eut heureusement autre chose pour s’occuper l’esprit que cette vision, à savoir le vigile qui le détachait. Il se laissa faire et se laissa guider. En voyant les outils de torture, il déglutit de nouveau, la gorge sèche, surtout en voyant le fer et le chevalet. Les étaux, aussi.

Il se laissa asseoir, ôter la tunique et attacher en essayant de contrôler sa respiration, entre deux déglutitions reflexes de sa gorge enserrée. Il tournait toute son attention vers son souffle, long, lent, comme quand il sentait brisés les os de ses jambes ou d’autres. Il connaissait la douleur, il en avait l’habitude. Il supporterait la torture. Après tout, c’était comme… comme une mauvaise chute, oui. Comme une très mauvaise chute. Ou comme ces abrutis qui n’avaient rien de mieux à faire que de le frapper entre deux lancers de pierres, quand ils étaient enfants. Ils devaient tous être morts… Lui aussi, il aurait dû. Mais il ne l’était pas. Il était bien vivant et il ne mourrait pas de sitôt, foi d’Iswylan. Il ne dirait rien. Il supporterait la douleur et ne dirait rien de compromettant. Rien. Rien. Ri…

On parla, le tirant de ses pensées. Il écouta et ne dit rien. Qu’allaient inventer ces barbares pour le faire parler et prouver ses pouvoirs magiques inexistants ?

Hyriel rendit son regard au cardinal sans animosité, ni sympathie. Il lui rendit simplement son regard. Il n’avait pas envie d’être insolent, cette fois, parce que ça prolongerait inutilement cette séance de vraie torture. Il voulait juste que ça se termine. Et puis il devait se concentrer pour résister à la douleur, pour ne rien livrer, pour ne trahir personne.

Il se mordit la lèvre à l’instruction du cardinal. La hanche. Un endroit plutôt sensible, en plus… Il serra les dents, ferma les yeux. Le bruit métallique des outils n’était pas des plus rassurants mais il n’avait qu’à s’imaginer que c’étaient là des outils pour soigner, comme les quelques siens qu’il avait. C’était tout.

Il se laissa déshabiller et s’apprêtait à prendre une grande inspiration quand l’aiguille le perfora. Malgré toute la résistance qu’il s’était promis, un cri de souris s’échappa d’entre ses dents, serrées à la hâte, tant à cause de la surprise que de la douleur. Son souffle s’accéléra, ses dents se serrèrent à s’en faire mal. Il expira tout l’air de ses poumons quand elle se retira. Son souffle s’apaisa progressivement.

Il était tout juste remis qu’une nouvelle aiguille vint le planter, au même endroit. Nouveau cri de souris. Était-ce la main du tourmenteur qu’il sentait cette fois autour de l’aiguille ? Et ce liquide… son sang ? Déjà ? Autant ?

Il se détendit un instant quand l’aiguille se retira de nouveau mais ne se relâcha pas complétement. Il allait la lui replanter, il ne se ferait pas avoir, cette fois. Il serra les dents mais aucun cri ne les passa à la troisième plantée. Respiration rapide. Ignorer cette sensation de liquide, sans doute aussi son sang, même si… ce n’était pas si chaud que ça… Alors qu’était-ce ? Pas du vinaigre, ça ne piquait pas… Quel liquide de malheur le bourreau avait-il pu mettre sur ses mains ? Il parvint à ouvrir les yeux dans sa douleur et vit… l’outil. Ce n’était pas une simple aiguille, c’était… il ne savait pas… Quel était ce liquide dont il était imbibé ?

Hyriel ouvrit de grands yeux quand il entendit, de la bouche de Matthieu, la fourberie de ce tampon. Abasourdi, il ne put que lâcher un murmure, profitant que la douleur ne soit pas encore trop forte.

« Un tampon avec une aiguille… Vous savez que vous avez tort et vous trichez pour avoir raison… »

Mais en quoi ça l’avançait de le dire, au fond ? Il allait se prendre une nouvelle claque et les tortures seront plus dures. Il aurait dû se taire. Il aurait dû se taire, vraiment.

On lui posa sa première question. Il serra les dents, banda ses muscles et ne dit rien. Rien, il ne dirait rien. Il suivit le bourreau du regard et fut en partie soulagé quand il vit qu’on allait s’en prendre à ses jambes. Bien. Il savait gérer cette douleur, ce n’était rien. Ses jambes étaient cassées depuis sa naissance. Il contracta sa mâchoire quand on appliqua le dispositif. Un cri étouffé les traversa quand le premier os se brisa. La douleur l’enflamma mais il garda les dents serrées. Il ne parlerait pas. Nouveau gémissement étouffé au deuxième coin. Il ne parlerait pas. Le magistrat pouvait s’époumoner comme il le pouvait, Hyriel fixait le plafond et il ne parlerait pas. Même pas pour les envoyer au Diable.

« Comment se rend-on à ton repaire ? Allons parle ! »

Non, Votre Honneur. Je. Ne. Parlerai. Pas.

Une gifle ! Ça ne lui avait pas manqué, tiens… La réaction autant que la réponse étaient prévisibles et Hyriel n’accorda même pas un regard au cardinal en retour. Il avait mieux à faire, comme se concentrer pour se taire.

Il serra les poings, serra les dents, ferma les yeux mais un cri réflexe écarta tout de même ses mâchoires quand ses jambes s’enflammèrent là où ses os s’étaient brisés. La brûlure remontait dans ses cuisses, dans tout son corps et l’enflammait tout entier mais ces flammes-là, il en avait l’habitude. Il était né avec, il avait grandi avec. On ne passe pas trente ans avec des os de verre sans savoir supporter la douleur d’une brisure, surtout aux jambes, tellement brisées qu’elles en étaient tordues. Peut-être que cette fois, en se ressoudant, les os redeviendraient droits ? Maigre espoir, certes, mais il avait le mérite d’occuper l’esprit de l’herboriste pendant que ses jambes se consumaient de l’intérieur.

Il attendait le coin suivant. Il ne venait pas. Il sentit du mouvement. Nouvelles réjouissances ? Non, on lui prenait la main… le médecin ! Temps de répit. Hyriel reprit une respiration longue, pour se détendre, apaiser la douleur comme il le pouvait. Longue inspiration du juge ; satisfaction mêlée de crainte de l’herboriste. Une question de terminée ? ou alors signe d’une insistance plus grande sur celle-ci ?

Non.

Nouvelle question.

Un palier de franchi.

L’identité, l’origine, non. Non, il devait se taire encore plus. Qu’ils sachent son origine, passe encore, mais il n’était pas seul. Pour le bien de ses trois amis, il devait se taire, il le devait, il le devait. Ne pas penser à sa famille, à ses origines. Monbrina. Penser à Monbrina. Ses paysages, ses chemins. Monbrina.

Un coup, un cri.

Monbrina. Ne penser qu’à Monbrina. Il ne pouvait rien dire, la douleur occupait tout son esprit, mais si quelque chose devait lui échapper, ce serait Monbrina. Mais il avait si mal, partout. Ces coups le brûlaient, les sangles le brûlaient, le sang qui s’écoulait de ses jambes le brûlait. Mais il devait s’accrocher, supporter la perte de sang supporter la douleur omniprésente, supporter les coups.

Le juge s’agaçait. Hyriel s’en fichait. Il ne l’écoutait même plus que d’une oreille, pour au moins savoir de quoi on parlait, mais toute son attention était portée sur autre chose. Des odeurs, des sons, de belles visions. Tout était bon pour occuper son esprit et le faire penser à autre chose qu’à la brûlure de ses jambes et à la sensation que celles-ci n’étaient plus deux bâtons mais une bouillie infâme.

Il ne préta pas attention aux insultes. Il évacua toutefois la tension en crachant sa salive bilieuse sur le côté, qu’importe si quelqu’un se tenait là. Il profita également de ce nouveau temps de répit pour respirer, reprendre son souffle, se détendre. Un corps détendu avait moins mal. Un corps détendu avait moins mal. Un corps détendu avait moins…

Cri déchirant. Long. Respiration haletante. Une éternité.

Sous la douleur, Hyriel se sera redressé autant qu’il le pouvait dans ses sangles. Toute autre douleur que celle qui lui enflammait réellement le torse était devenue accessoire. Poings serrés, muscles tendus.

Il retomba d’un coup, sans force, quand la tenaille s’écarta. Sa respiration redevint lente, lasse. Nouveau crachat. Paupières tombantes. Il avait mal, si mal… Les mots du magistrat lui parvenaient mais ne s’imprimaient pas. Son esprit s’employait à refuser la douleur, toute cette douleur. Il pensait à la bonne odeur des forêts qu’il avait connu, au matin. Cette fraîcheur, signe de bonheur et de bonne santé. Agréable. On n’avait pas mal, quand on s’étendait dans l’herbe.

Un bruit, une odeur acide, par-dessus celle de sa chair brûlée… Les mots du magistrat, blasé de tout cela. Pauvre secrétaire… Nouvelle voix, nouvelle question. Le cardinal. Les complices. Non, non, non, il ne devait absolument rien dire, rien, à aucun prix. Il ne devait pas trahir ses camarades, Kalisha, Sylvère, Cassandre, Lénius, rien, rien, rien… Il devait éloigner leur nom de son esprit, pour ne pas les trahir… Des plantes, il devait penser à des plantes… Thym, lavande, romarin, verv…

Douleur. Cri.

La tenaille, encore. Brûlure. Pression.