[5 Septembre 1597, le soir] Le pilori [Terminé]

Sur la place, il faisait déjà nuit. Torches et flambeaux avaient été allumées. Des passants continuaient aller et venir. Beaucoup s'arrêtaient, happés par le goût du sang et du spectacle.
Debout sur l'estrade, Thierry se tenait près d'Alexandre qui s'était agenouillé au sol. Sa main demeurait posé sur son épaule, essayant de lui insuffler du courage. Il serrait les dents, souffrant intérieurement de ce qui bientôt lui arriverait.

Imperméable à l'agitation qui gonflait la grand' place -- toujours redoublée par le goût des spectacles macabres qu'il avait le devoir d'assurer -- le bourreau considéra non sans étonnement le visage défait du jeune condamné. Il était livide, frêle et mort de honte. A coups sûr, celui-là n'était pas un criminel. Il le sentait pour en avoir vu défiler depuis des années. Probablement une bêtise de jeunesse.
Il passa près de lui, agenouillé avec ses béquilles à côté de lui, et salua au passage d'un hochement de tête ce valeureux prêtre qui assistait le jeune homme lors du supplice. L'exécuteur se demanda un instant ce qui pouvait motiver une telle compassion chez l'homme d'Eglise pour ce condamné précis. Il n'eut cependant pas le temps de s'y attarder. Il fallait donner lecture de la sentence qu'un commis de la prévôté venait de lui remettre :


-- Le dénommé Alexandre Bellanger, apprenti libraire, reçoit céans châtiment pour infiltration dans les archives hérétiques de la bibliothèque de la ville.


Une fraction de seconde, il eut un regard de dépit vers le garçon, empoigna sa baguette -- qui heureusement n'avait rien à voir avec le fouet réservé aux esclaves ou aux grands bandits. Alexandre était assez tétanisé comme cela pour qu'il n'ait pas à le lier. Le bourreau enchaîna mécaniquement, sur le dos du jeune homme dont on avait ôté la chemise, les dix coups imposés par le Juge.
Ceci fait, il commanda à deux assistants parmi les gens d'armes de l'aider à redresser le jeune homme. On l'entraîna vers le pilori où il fut solidement attaché. Il y resterait jusqu'au lendemain en fin de matinée. Deux soldats restaient sur place pour se relayer à la veille du prisonnier. Une fois la sale besogne effectuée, le bourreau récupéra sa maigre paie -- une simple flagellation rapportait trois fois rien -- et s'en fut.

Dès le premier coup du supplice, Alexandre eut envie de crier mais se retint à grand peine. Ses dents mordirent avec force ses lèvres, s'empêchant ainsi de hurler. Il enfonça ses poings dans le plancher, les serrant à mort, pour retenir les larmes qui lui venaient. Il ne donnerait pas à cette population cruelle le plaisir de sa déchéance. il resterait digne dans le châtiment.
Au dernier coup, le jeune homme lâcha tout et s'écroula au sol, vaincu. Les assistants du bourreau l'amenèrent à l'exposition, plus mort que vif. L'esprit chancelant, sa vision se brouillait. Sa gorge le brûlait, asséchée, sa langue pendant hors de sa bouche.

Au milieu de la foule progressait M. Bellanger, sorti quelques temps plus tôt de la taverne de l'Ours Noir très aviné. Il titubait et peinait à avancer droit. En cet instant, son fils infirme se serait mieux déplacé que lui. Cependant, quand il eut assisté au spectacle et surtout entendu l'acte d'accusation, compris le nom souillé de sa boutique, l'alcool aidant, toutes ses inhibitions se brisèrent.
Il hurla :

"Batard ! Sale batard ! Je le savais ! Je le savais ! Fils du Diable ! Mon père m'avait dit ! Il l'avait dit ! Mais ma mère me disait de pardonner ! Batard ! Batard ! Je t'ai élevé ! Je t'ai donné un nom ! Et tu me remercies en m'humiliant ! Batard ! Batard !"

Tout en s'égosillant, l'homme avait saisit un bâton ramassé au sol et attaquait malgré lui les passants qui avaient le malheur d'être trop proches de lui. Dans ses gestes, il maniait au hasard l'arme à gauche ou droite, risquant de toucher n'importe qui.


"Batard ! Batard ! Batard !"

Dans ses cris, malgré l'esprit qui lâchait, Alexandre redressa la tête, atteint en plein cœur par ses paroles. il reconnaissait aussi la voix de son père. Son père.. Mais trop faible il n'arrivait pas à penser et encore moins à répondre.

Hilde s'était fait un peu coincée dans la foule qui l'avait amené jusqu'à la scène de punition civile du jour. Un jeune homme, crut-elle comprendre d'après les rumeurs qui circulaient. Et puis l'annonce, et puis le cri d'un père en colère...
Sans savoir ce qui était réellement vrai, Hilde se sentit émue. Ce que la douleur pouvait faire taire. Ce qu'elle éclaboussait. Ce qu'elle blessait. Mensonges et silences régissaient ce pays. Jusque dans les drames de la grand' place.

Impassibles, deux gardes surveillaient le condamné. Aux effusions soudaines du père cependant, un de leur collègues fendit la foule et alla attraper l'homme au collet.


-- Monsieur, l'interpella-t-il d'un ton sans appel. Vous êtes prié de rentrer immédiatement chez vous et de décuver. Ordre du guet royal. Autrement vous aurez aussi à répondre de trouble de l'ordre public.


Le soldat adressa au passage un respectueux hochement de tête à la Sœur qui passait non loin de là. D'un regard autoritaire, il scruta la foule qui s'était amassée autour de l'esclandre, donnant sans même avoir besoin de parler l'ordre de se disperser. Il attendra que le père Bellanger se calme pour lui lâcher le col.

La masse des citadins dut s'ouvrir pour laisser passer le gros corps épuisé de Lénius, qui poussait sans énergie les roues de sa chariote. La nouvelle journée de chant et de cabrioles l'avait épuisé. Il ralentit devant le sinistre spectacle et croisa le regard peiné de Sœur Hilde, que l'homme difforme partagea bien volontiers. Puis ce furent les hurlement du père Bellanger qui captèrent l'attention de Lénius et firent naître sa colère. Et voilà ! Quand quelque chose allait mal, on accusait les invalides de tous les maux, de "fils du Diable". La gargouille serra les dents puis cracha près de l'homme ivre :


-- Redescendez un peu sur terre, Monsieur. Vous ne tenez qu'un petit commerce de livres et cette ville compte bien assez de sujet du Roi pour que vous ne soyez pas seul à être son nombril. Et diriez-vous ce que vous osez dire là si votre fils était né valide ?


Il n'attendrait même pas de réponse du vieux. Lénius avait juste besoin d'extérioriser sa révolte.

Rappelé à l'ordre par l'agent du guet, M. Bellanger se calma un peu, ayant malgré l'alcool encore une lucidité sur l'avenir de son commerce et l'image que cela lui donnait. Il finit par s'éloigner en titubant, percutant plus d'une fois un quidam qui avait le malheur de se trouver sur sa route. Sa retraite fut coupée âr l'intervention d'un infirme au visage déformé. il crut cependant à une vision déformé par la liquide pernicieux qui coulait dans ses veines. Mauvais, il lui cracha au visage.

"Ma famile tient cette librairie depuis quatre générations ! C'est un prestige, monsieur ! Nous sommes fies ! Nous sommes honnête ! Et ce batard.. Ce batard nous souilles ! Ce batard... BATARD ! Il... Ma femme est tombée enceinte à une date où je ne pouvais pas être là. BATARD ! J'aurai dû le noyer ! Ou le jeter au feu, tiens ! Ca aurait fait l'économie d'une bûche, pas vrai ? Hein, mesdames, messieurs, ça aurait fait l'économie ? Mais les accoucheuses.. Ces idiotes ont dit que ma femme auraient pu d'enfant ou elle mourrait.. Si je le gardais pas, j'avais pas d'héritier. mais... BATARD ! BATARD ! BATARD !"

Sur le pilori, Alexandre se réveillait aux cris indignés de son père. Ses paupières s'ouvraient faiblement. Il croisa en premier le regard concentré du prêtre Thierry qui continuait à lui serrer la main plus fort à chaque moment où son père criait le mot batard. le seul qui parvenait à ses oreilles lointaines. L'information atteignait cependant mal son cerveau. la soif...

"De l'eau.... De l'eau..."

Sa voix était misérable, suppliante.

Claire-Marie n'avait pas vu qu'il était si tard, aussi pressa-t-elle le pas, mais sa discussion avec Soeur Hilde avait été intéressante. Soudain pourtant, elle entendit des bruits, des cris et surtout, des coups. Elle frémit d'horreur et, d'instinct, courut vers l'origine du bruit. Deux hommes semblaient se battre et l'un cracha même. Claire réprima une grimace, mais c'est un autre bruit qui attira son oreille. Une petite voix, suppliante. Qui réclamait de l'eau.

Elle ne réfléchit pas plus longtemps. Elle prit l'un des petits bols qu'elle avait acheté et se dépêtra de la foule pour le laisser remplir à la fontaine. Une fois bien plein, elle le serra pour ne pas perdre une goutte et se remémora où elle avait entendu la voix. Quand elle sentit la foule s'arrêter, elle avança encore, sûre de son pas. Claire fit encore un pas avant de trouver l'ombre imposante d'une estrade. Elle n'avait jamais pu percevoir un châtiment public, mais les servantes parlaient entre elle. Claire frémit en se rappelant leurs ricanements malsains. Cherchant contre le bois, elle trouva une main. Elle tâcha de sourire en avançant le bol.

- Tiens.

Le visage de Lénius dégagea une parfaite froideur à mesure que le Bellanger éructait ses insultes. La gargouille ne bougea pas d'un cil lorsqu'il lui cracha dessus. Il siffla seulement entre ses dents :

-- Vous vous chargez très bien de ruiner tout seul votre réputation, cher Monsieur. Nul besoin de votre femme et des invalides pour cela.


Il vit alors sortir de la foule une frêle jeune femme, aveugle, qui cherchait vaillamment et à tâtons la provenance des supplications. Le pauvre Alexandre... Il réclamait à boire. La courageuse demoiselle avançait malgré sa cécité, mettait le pied sur la première marche, puis la suivante, puis la troisième, avant d'arriver devant le condamné. Lénius l'admira tandis qu'elle offrait un peu d'eau -- qui n'avait qu'à peine coulé du bol -- au prisonnier. Il sourit, sans même prendre davantage garde à l'ivrogne qui continuait à se répandre en insultes. Quel homme indigne des livres qu'il vendait.

Le Bellanger continuait à vociférer en pleine rue. Le garde resserra son emprise autour de sa gorge et un collègue le poussa du bout de sa lance, pour qu'il prenne la direction de son logis.


-- Plus un mot, Monsieur, grogna un des gardes. Tenez-vous tranquille et laissez-vous ramener, ou vous passerez la nuit au trou et écoperez d'une amande dont votre négoce se remettra difficilement.


Un deuxième soldat pointa son arme en direction de Lénius et avertit :


-- Et toi, aussi, ferme-la. Ce n'est pas la peine de remettre de l'huile sur le feu ! Pas d'histoire ou je te coffre !


Trop occupés à gérer les deux hommes, les gardes choisirent de laisser la petite aveugle monter sur l'estrade et apporter un peu d'eau au condamné. Les commis qui le surveillaient, cependant, lui ordonneront de redescendre et de partir aussitôt son geste charitable achevé.
La Grand' Place commençait à se clairsemer. On allait se mettre au lit. Des mères récupéraient leurs enfants et fermèrent leur porte. Un vieil homme traversa la place avec sa chèvre. Les décrotteurs entamèrent le nettoyage des allées et la garde de nuit commençait sa ronde. Le froid allai cingler, cette nuit.

Serrant toujours la main du garçon qui endurait son supplice, Thierry tressaillit en découvrant une toute jeune fille fendre la foule. Elle lui paraissait si fragile, proche de l'enfance. Il sursauta davantage en apercevant ses yeux. une aveugle. une aveugle qui accueillait en elle malgré tout la bravoure et la droiture. Il jeta un regard à Alexandre et esquissa un sourire moqueur que le prêtre fut dans l'incapacité de masquer. Les bonnes âmes semblaient s’appeler entre elles. Elle continua de s'avancer et offrit l'eau au malheureux condamné.
Pour une fois, dépourvu de toute condescendance, toute ironie, Thierry murmura :

"Le Seigneur appréciera votre générosité et saura vous le rendre."

En son for intérieur, il n'en était pas si convaincu mais espérait que celle jeune fille le serait, elle.

Hilde croisa bien les yeux de Lénius, mais malgré elle, elle détourna vite fait le regard. Sa longue discussion si honnête avec lui la fit se sentir nue. Vulnérable. Aussi, elle le salua du chef puis se dirigea plus loin dans la foule. Les punitions publiques ne la divertissaient aucunement, elle en ressortait toujours aussi enragée. Alors Hilde préférait tourner le regard, fermer les yeux sur ce qui troublait sa paix intérieure. Le monde n'était pas près de changer.

L'ordre public revenait, la foule se dissipait pour mieux se réagglomérer au matin. Hilde sentit la fraicheur de la nuit glisser sournoisement sur eux. Il était temps de rentrer. Elle ne voulut pas marcher à la noirceur et en septembre, les jours était déjà plus courts.

Aux portes de la ville, Hilde croisa un étrange chat tout blanc. Il huma d'abord le pan de sa tenue, puis suivit le chemin inverse de la religieuse. Comme s'il suivait une piste.

L'infirme vit avec une satisfaction non dissimulée le père Bellanger se faire raccompagner par les gardes. Lui-même prit soin de se calmer : il ne passerait pas la fin de la nuit en prison, cela n'était pas à son programme. Lénius adressa un dernier regard au malheureux Alexandre, qui pendouillait piteusement à son pilori après avoir bu comme un animal éreinté.
Si Claire avait pu voir Lénius -- grand bien fasse à la jeune aveugle que ce ne fût pas le cas -- elle aurait croisé dans ses petits yeux une grande admiration. Il n'eut que le temps d'adresser un rapide au-revoir de la main à Sœur Hilde avant qu'elle ne quitte la place. La gargouille partit à son tour, le cœur serré à l'idée de la nuit froide et douloureuse qu'allait passer le jeune Bellanger.

Le désordre tassé, les soldats continuèrent leur ronde mécanique. Ceux qui surveillaient Alexandre allaient et venaient, guettant les environs. Le père Thierry s'était absenté quelques instants pour aller chercher ils ne savaient quoi. Pendant ce temps, la nuit avançant, le garçon attaché perdit une première fois connaissance. Les gardes s'interrogèrent du regard : la loi leur interdisait de laisser un condamné trop longtemps inconscient, à ne pas "sentir passer" sa peine. Les deux agents choisirent cependant de prendre bien leur temps, avant d'aller ranimer Alexandre en lui faisait respirer un fond d'alcool fort.


Un très beau chat blanc se promenait sur la Grand' Place, ornant le sinistre silence de ses miaulements.

Du fait de son fauteuil roulant, Tristan resta au pied de l'estrade. Il était cependant suffisamment près pour que le condamné l'aperçoive et l'entende. Le danseur retint un haut-le-cœur à la vue de son état pitoyable. Il glissa de sa voix douce, à laquelle il essaya d'insuffler un peu de chaleur amicale au milieu de la nuit froide :


-- Alexandre... C'est moi, c'est Tristan...


Il ne sut que dire d'autre qui ne fût pas complètement idiot. Alors, il se contenta de sa présence et d'un sourire. Au passage, Tristan remarqua un joli chat blanc qui déambulait sur la place.

Thierry sourit de voir le jeune infirme si prévenant, si démuni aussi envers le pauvre garçon à son supplice. Il sentait en lui l'envie de le prendre dans ses bras pour le réconforter. Son regard se posa alors sur les agents du guet. Il devenait urgent de rattraper une erreur commise par la faute de son orgueil et goût du jeu. Il marcha vers eux, arborant un ait embarrassé :

"Je suis au regret de vous importuner pour une affaire qui n'a rien à voir avec celle-ci mais ma conscience me travaille. La fois où je suis venu pour signaler mon agression, d'après mes paroles, vous aviez rapproché le coupable au garçon infirme qui dansait près de l'église. Je.. Je pense que c'était là une erreur. Par hasard, je l'ai vu ce jeune homme. D'ailleurs, il est venu avec moi ce soir, nous sommes mêmes devenus bons amis. Il n'est vraiment pas celui qui m'a agressé. Ce devait être un autre infirme, plus sournois. Je ne sais pas. Mais ce n'est pas ce garçon-là."

Nerveux, le prêtre pria intérieurement pour que sa tentative soit utile. Si Alexandre possédait un tel allié, si loyal, si impliqué dans son sort, il ne devait pas les perdre pour une enfantillage.

Tristan avait complètement oublié la présence du père d'Anjou. Ses yeux abattus se plongeaient dans ceux, rougis, papillonnants, d'Alexandre. Mais quand il entendit le prêtre aller le blanchir devant les gardes, son cœur se souleva de bonheur. Son plan marchait mieux encore que prévu ! Thierry le lavait de son accusation, et reconnaissait même par là avoir eu tort de se laisser aller à une telle agression sur Lucrezia.
Lucrezia... S'était-elle enfin tirée de la demeure de Thierry ? Avait-elle trouvé le livre qu'elle voulait ? Il garda ces questions en tête et s'avança vers le prêtre. Loin d'aller jusqu'à se dire son ami, il devait se montrer reconnaissant pour l'honnêteté dont le religieux venait de faire preuve.


-- Merci, mon Père. Merci...

Les gardes enregistrèrent la contre-déposition du prêtre. L'un d'eux assura :


-- Nous ne manquerons pas de transmettre aux supérieurs et aux juges de la prévôté. Et...


Il fut interrompu par un collègue qui jaillissait du fond d'une rue et revenait en courant vers la Grand' Place. C'était l'un des gardes chargés de patrouiller dans les artères de la ville durant la nuit. Il interrompit son confrère :


-- Pardonnez-moi... Il y a un... Très grave... Le... Le presbytère, il vient de brûler de fond en combles.


A cette annonce, il vit le jeune invalide se tétaniser et ses grands yeux dorés s'écarquiller. Il blêmit et n'osa même pas croiser les regards de tous ces hommes autour de lui. Les émotions semblaient le submerger. Il fondit en larmes.

Alors que Thierry se réjouissait intérieurement du succès de sa tentative, il tressaillit en entendant l'annonce fait par le garde survenu en panique. Le presbytère ? Son presbytère ? Dans la panique, il se mit aussi à bégayer :

"Je... j'étais là-bas il y a peu... Je cherchais... ce manteau. Comment... j'aurai pu périr dans ces flammes. ce n'est... Que s'est t-il passé ? Il n'y avait rien qui mijotait, pas de feu dans la cheminée... ce n'est.... "

Claire-Marie se retrouva poussée, à peine avait-elle servi Alexandre. Elle choisit d'obéir, mais resta non loin un moment. Seule la voix d'un homme l'interpella. Elle hocha la tête, ne sachant quoi faire d'autre avant de vraiment redescendre.

C'est alors qu'elle l'entendit. Claire failli pleurer. Crépuscule. Elle le sentait se précipiter vers elle. Elle aussi se mit à courir... Et se prit dans quelqu'un. D'assis déduisit elle puisqu'elle sentit le bois d'un fauteuil. Elle sentit aussi une peau se cogner contre la sienne et tous deux s'étalèrent sur le pavé. Claire grimaça, sentant une douleur à ses genoux. Frénétiquement, elle chercha celui qu'elle avait renversé.

- Pardon... je suis désolée... tout va bien ? Je suis navrée...

Dans sa recherche, elle sentit des chaussures, mais elle ne savait de qui avant de rencontrer des poils. Crépuscule se lova dans les bras de sa maîtresse, bien décidée à y rester.

Tristan calmait difficilement le flot de ses larmes. Il savait très bien ce qui était arrivé... Lucrezia. Elle s'était vengée et voulait ne pas laisser de trace de son passage. Au moins, le prêtre n'était pas dans sa demeure, elle n'aurait tué personne. Mais tout de même, les incendies pouvaient si facilement se répandre de maisons en maisons et tuer des innocents. Pourvu que personne ne soit touché par ce feu là ! Oui, Thierry méritait sanction pour sa tentative de viol. Mais pas ainsi ! Tristan retint un soupir : pas ainsi... quel idiot il faisait... Personne n'aurait jamais le courage d'aller officiellement s'opposer à un prêtre en justice.


Soudain, il fut bousculé par la jeune femme aveugle et ne manqua de tomber qu'en se retenant à tant au bras du père Thierry. Tristan prit le temps de se réinstaller de façon bien stable sur son fauteuil. Il s'adressa à la demoiselle :


-- Non, non... pas d'problème... Et vous, tout va bien ? (puis, devant son bonheur à retrouver le chat qu'elle semblait connaître) Il est à vous ? Il est magnifique... C'est quoi son nom ?

-- Nous n'avons aucune information supplémentaire, mon Père... Nous sommes vraiment navrés... soupira le garde. Nous avons immédiatement fait appel à des collègues qui vont arriver au plus vite avec des camions d'eau...


Le soldat adressa au passage un regard curieux à la jeune aveugle, toute transportée dans un autre monde alors qu'elle serrait le chat dans ses bras. Elle devait y tenir fort et l'avoir perdu depuis longtemps.

Claire-Marie n'entendit pas l'appel au feu, un peu sonnée. Elle ne sentait plus que le doux poil de Crépuscule, mais tâcha de faire attention à ce qu'il se passait autour d'elle. Elle entendit alors une voix, sans doute celui qu'elle avait bousculé.

- Pardon...

Elle se releva en époussetant sa robe, son chat toujours dans les bras.

- Oui je vais bien... Oh euh... oui, c'est mon chat, Crépuscule.

Les soldats aidèrent immédiatement le prêtre à se relever et on lui proposa de quoi s'essuyer. Un des gardes cacha son air dégoûté, et s'occupa plutôt de donner des ordres à des commis : il fallait rassembler un maximum de patrouilleurs, aller éteindre le feu, et éventuellement arrêter l'incendiaire. Si du moins il y avait attentat. Un malheureux accident avait aussi pu arriver. Une enquête serait ouverte.