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[21 janvier 1598 - nuit] La nuit tous les coeurs sont gris de pluie [Terminé]

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Message par Bérénice d'Aussevielle Mar 18 Mai - 12:33








Elle ne savait bien quelle heure il était. Tout ce dont elle avait conscience, c’était que le soleil avait tiré sa révérence face à la lune depuis un long moment déjà, qu’elle avait lu un petit peu avant de s’installer à son secrétaire le cœur lourd. Elle avait pris une plume pour écrire.
Quoi ?
À qui ?
À Démétrius peut-être. Parce qu’elle voulait lui raconter tout ce qui se passait en ce moment à Fromart.

Mon doux ami,

Tout ce que faisait Adéis -et tout ce qu’il ne faisait pas également-. Elle commença par écrire des banalités.

Nous nous sommes promenés dans le parc ce matin avec Adéis. Il ne cessait de me demander quand la neige disparaitrait enfin car il souhaitait pouvoir retourner jouer sur les pelouses sans se geler les pieds.

C’était idiot. Elle essayait juste de gagner du temps. Elle n’osait pas lui demander des nouvelles de lui. Comment aurait-elle pu lui demander ce qu’il avait fait ? Elle avait sans doute déjà la réponse : « rien ».

Il est très fier de pouvoir sortir avec mon père et a fait de grands progrès en équitation ces derniers jours.

Elle suspendit la pointe dans les airs. Comment pouvait-elle écrire cela ? Et une lourde tache d’encre noire heurta le papier. Elle ne pouvait pas lui dire cela alors qu’il devait se languir de pouvoir sortir… Ses yeux brulaient si forts qu’elle ne pouvait plus retenir ses larmes dont l’une acheva de se mêler à l’encre. Elle essuya ses yeux d’un revers de sa main en reniflant. Sa lettre était désormais fichue. Elle n’aurait plus qu’à recommencer. Elle lâcha la plume et éclata en sanglots entre ses bras croisés.

Elle n’y arrivait plus. Elle se sentait tellement impuissante. Tout le monde avait besoin d’elle, mais elle s’écroulait sous leur poids. Tout le monde la disait si parfaite, mais elle n’était pas différente des autres. Tout le monde la croyait si forte, mais c’était juste qu’elle se cachait mieux que les autres.
Ses pleurs redoublèrent.
Elle avait l’impression de se noyer, lentement mais surement sans pouvoir faire quoi que ce soit. Pouvait-on se noyer dans ses larmes ? Elle sentait ses joues humides et les manches de sa chemise de nuit se coller contre.


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Message par Coldris de Fromart Mar 18 Mai - 12:33




Comme à son habitude, Coldris ne parvenait pas à fermer l’œil. Il n’y prêtait d’ailleurs plus réellement d’attention, attendant que Morphée daigne l’emporter ce qui arrivait inévitablement à un moment ou un autre. Lorsqu’il n’avait pas mal à la main ou au bras, il préférait écrire tout ce qui lui passait par la tête. Que ce soit ordonné ou parfaitement désordonné.

Il se souvenait parfaitement des mots prononcés par Adéis au sujet de sa fille. Le soir, elle pleurait, avait-il dit. Il n’avait pas encore eu le temps de venir lui parler. Ces deux dernières soirées avaient été fort occupées. C’était sans doute le bon moment pour s’acquitter de cette tâche. Il se leva et quitta son bureau pour les appartements de Bérénice.

Il frappa quelques coups secs à la porte et entra sans attendre. Elle était là, à son secrétaire, relevant son visage ruisselant de larmes dans sa chemise de nuit. Son cœur se serra.

— Bérénice ? s’enquit-il le regard inquiet en refermant derrière lui.

Tout cela lui rappelait cette funeste nuit où Alduis était assis sur le rebord de cette fenêtre grande ouverte. Il déglutit péniblement, alors que paniquée, elle essayait vainement de faire disparaitre toute trace de larmes de ses joues. Il fit quelques pas pour la rejoindre.

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Message par Bérénice d'Aussevielle Mar 18 Mai - 12:34

Son père… C’était son père. Pourquoi lui ? Elle s’était laissée persuader que c’était Alduis qui venait pour une raison ou une autre, mais c’était son père. Il ne pouvait pas la voir comme ça. En se retournant, elle culbuta l’encrier qui se vida sur la lettre, définitivement inondée d’une sombre rivière. Elle frotta ses yeux et ses joues vigoureusement et tenta même de sourire alors qu’il s’approchait.

— Tout va bien… Tout va bien, Papa… Ce n’est rien… Je t’assure… tenta-t-elle de se justifier alors qu’il continuait toujours de se rapprocher.

Etait-ce de l’angoisse qu’elle percevait dans le fond de son regard aigue-marine ? Non, elle devait se tromper. C’était juste parce que ses propres orbites débordaient toujours de larmes qu’elle croyait discerner cela. Son père ne s’inquiétait pas. Pour s’inquiéter il fallait avoir peur et son père n’avait jamais peur de rien. Il avançait toujours, aussi solide et fort que le Colosse de Rhodes.

— Non, non, Papa, ne te dérange pas pour moi. Je te dis que tout va bien articula tant bien que mal Bérénice.

Il fit encore un pas. Pourquoi ne partait-il pas ? Il ne devait pas la voir comme ça. Il ne devait pas la voir comme ça en train de pleurer. Il saurait bien qu’elle était faible et tous ses efforts seraient ruinés juste parce qu’elle avait trébuché et cette simple idée suffit à faire jaillir de nouvelles larmes.

— Ou… Ou… Tu voulais peut-être me parler de quelque chose. C’est cela... tu as quelque chose à me demander ?

Oui c’était cela. Ce ne pouvait être que cela après tout. Pourquoi serait-il venu ce soir sinon pour quelque chose de particulier. Il n’avait pas pu l’entendre pleurer derrière la porte. Et elle n’avait fait que s’enfoncer un peu plus.

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Message par Coldris de Fromart Mar 18 Mai - 12:36

La voir ainsi pleurer lui brisait le cœur. Pire encore, l’entendre nier et essayer de le rassurer, lui, ne faisait qu’accroitre l’étau qui serrait ses entrailles. Sa petite princesse, effondrée et terrifiée à l’idée de le voir. Parce qu’il en était sûr, elle ne s’attendait pas ce que ce soit lui derrière cette porte. Comment aurait-elle pu ? Il ne se souvenait plus de la dernière fois qu’il était venu ici. Cela devait remonter à avant son mariage, et peut-être même des années auparavant.

Elle était toujours si souriante, si joyeuse. Elle était le soleil de Fromart. Elle était celle qui apportait la joie entre ces murs et l’avait empêché de sombrer toutes ces années durant quand rien n’allait comme il le voulait. Elle était un modèle de douceur et de gentillesse, et pourtant elle semblait traverser les épreuves avec autant de fluidité et de force qu’un navire. Les tempêtes et la houle ne faisaient jamais rien d’autre que d’éclabousser tout au plus le pont avant de se retirer. Il avait souvent admiré sa résilience autant que la résistance dont elle faisait preuve.
Il ne lui restait guère plus qu’un pas tandis qu’elle s’enquérait du motif de sa venue.

— Je suis juste venu… voir comment tu allais.

Et il avait vu. Mal. Plus mal qu’il n’aurait jamais pu l’imaginer en la voyant chaque matin rayonnante. Il s’accroupit et passa ses bras autour de ses épaules.

— Ma petite nymphe chérie... sa main coula le long de sa chevelure blonde pardonne-moi de ne pas avoir passé plus de temps avec toi et de n’avoir rien vu.

Et il n’aurait rien su si Adéis n’avait pas laissé échapper cela avec sa candeur d’enfant. Avait-on idée d’être un si mauvais père ? Cela semblait désormais plus qu’évident, qu’elle ne pouvait pas aller bien avec tous ces évènements. Ses dernières lettres le laissaient d’ailleurs présumer. Quel idiot faisait-il ! Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle avait semble-t-il hérité de son talent pour la comédie. Dans d’autres circonstances, il en aurait certainement souri.

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Message par Bérénice d'Aussevielle Ven 21 Mai - 15:41

Bérénice renifla. Voir comment elle allait ? Mais pourquoi ? Elle n’eut pas le temps de se poser plus longtemps la question, son père accroupi la prit dans ses bras et elle s’abandonna complètement à son étreinte, éreintée qu’elle était. Elle n’aurait pas dû lui causer tant de soucis. Entre ses bras, elle secoua la tête. Il n’avait rien à se reprocher, il était si occupé avec ses affaires professionnelles, c’était plutôt elle qui était en tort dans l’histoire. Ses sanglots redoublèrent.

— Pardon… Pardon, Papa

Autour de son corps, elle sentit ses bras se resserrer.

— Tu n’as  rien à te reprocher. Pleure si tu en as envie.

À son tour, Bérénice glissa ses mains dans son dos, tandis que son corps tressautait toujours. Elle s’agrippa à lui autant qu’elle le pouvait, comme s’il était le seul à pouvoir l’empêcher de se noyer. Durant de longues minutes, elle ravala ses mots qui de toute façon refusaient obstinément de franchir ses lèvres.

— Je n’y arrive pas… je n’y arrive pas… sanglota-t-elle finalement c’est trop… difficile…

Comment faisait-il, lui, pour rester debout en permanence ? Et il devait supporter tellement plus qu’elle. Sa vie, sa famille et même un empire tout entier. Elle n’osait même pas imaginer ce que cela représentait. Elle ne faisait que l’entrevoir par le trou de la serrure qui n’offrait qu’un champ de vision extrêmement restreint. Comment faisait-il ?

— J’ai essayé… J’ai essayé… d’être aussi forte que toi… Mais je n’y arrive pas.

Combien de larmes faudrait-il avant que l’humidité ne transperce finalement son velours aussi sombre que ne l’était son propre cœur en ce moment ? Elle avait essayé. Vraiment essayé, d’être tout ce qu’il aurait voulu qu’elle soit et plus encore. Elle avait essayé d’aider Démétrius et elle n’y était pas arrivée.

Elle essayait de faire ce qu’il fallait pour Adéis et elle était complètement dépassée. Elle voulait aussi aider Alduis et son père. Elle le voulait vraiment depuis toutes ces années, mais elle n’y arrivait jamais non plus. Elle essayait de se faire une place devant son regard, mais elle était toujours sa petite fille, même si, ce soir elle était ravie de n’être que sa petite princesse qu’il pouvait cajoler.

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Message par Coldris de Fromart Ven 21 Mai - 15:42

Il se sentait terriblement impuissant face à cette cascade de larmes. Il ne savait même pas quoi lui dire pour l’apaiser. Il n’était même pas sûr de savoir la cause de cette effusion de larmes. Il ne pouvait que la serrer dans ses bras et la bercer comme il avait pu le faire à de sans doute trop rares occasions dans sa jeunesse. Comment pouvait-elle en plus s’excuser ? Il secoua lentement la tête avant de la rassurer. Du moins l’espérait-il. Il avait toujours la désagréable impression de marcher sur des œufs dans ce genre de moments. Et ce n’était rien par rapport au jour où il avait trouvé son fils sur le rebord de la fenêtre.
Ses sanglots semblèrent se calmer après quelques minutes, lorsqu’elle parvint à articuler quelques phrases. Elle n’y arrivait pas ? Elle n’arrivait pas à quoi ? Qu’essayait-elle de faire ? La réponse ne tarda pas à arriver d’elle-même. Fort ? Oh si seulement elle savait… Il n’avait de fort que ce qu’il voulait bien montrer. Au fond, il n’était rien d’autre qu’un vieux pot brisé et rafistolé comme on pouvait. Il avait trop honte de lui avouer qu’il sombrerait définitivement si l’on finissait par l’empêcher de noyer ses démons dans l’opium. Il repensa à Alduis ce soir-là. Entendait-elle des voix, elle aussi ? Est-ce que de petits rongeurs grattaient et grignotaient son esprit ? Est-ce qu’il lui avait transmis sa propre folie ?

— Tout le monde à ses propres faiblesses, tu n’as pas de honte à avoir… Tu fais de ton mieux et…
— Et ce n’est pas assez ! coupa-t-elle avec autorité entre deux sanglots. Essayer ne sert à rien, c’est bien ce que tu dis non ? Seule la réussite compte.

Coldris se recula un bref instant, foudroyé par ses propres paroles. Il ne pouvait nier les avoir prononcées à Alduis. Jamais à Bérénice. Il fronça légèrement les sourcils. Avait-elle écouté tout ce temps, tout ce qu’il lui disait et lui demandait de faire et d’être ? Il la serra fort contre lui. Sa petite princesse… Que pouvait-il répondre qui ne soit pas un mensonge ? Il ferma un instant ses paupières.

— Alors essaye encore. Et encore. N’abandonne pas. Tu finiras par réussir. Les Fromart n’échouent jamais. affirma-t-il avec conviction avant de reprendre dans un murmure Te souviens-tu de ce jour, où tu essayais d’avancer sur la terrasse verglacée ? Tu glissais sans arrêt et tu tombais. Encore et encore. Tu voulais rentrer. Mais tu t’es relevée autant de fois qu’il le fallait pour atteindre l’allée du jardin. Ce n’est pas parce que tu n’y arrives pas aujourd’hui que tu ne réussiras pas demain. Quoi que tu veuilles faire, je sais que tu y arriveras. Je le crois sincèrement.

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Message par Bérénice d'Aussevielle Ven 21 Mai - 15:44

Peut-être que tout le monde avait ses propres faiblesses, même lui, mais lui ne les montrait pas, contrairement à elle, et c’était tout ce qui comptait à ses yeux. Il l’avait surprise à se laisser aller. Et si une part d’elle appréciait de pouvoir se perdre dans ses bras, une autre lui ordonnait de s’éloigner immédiatement et d’arrêter de jouer les petites filles. Elle n’y arrivait pas, elle n’arrivait à rien dans toutes les choses qui lui tenaient à cœur. Et surtout, elle ne risquait plus d’avoir la moindre chance de le convaincre du contraire. Et celle-ci était peut-être la pire de toutes les défaites, parce qu’elle essayait depuis si longtemps déjà. « Faire de son mieux », il n’aurait jamais dit cela à Alduis, parce qu’il était un homme et elle une femme, voilà la réalité.

Elle avait toujours quelques soubresauts résiduels mais le plus gros de la tempête était désormais derrière elle. Elle but les paroles de son père, plus avidement que le vin de messe. Essayer encore ? Comme ce jour sur le perron ? Elle soupira, tête posée sur son épaule, puis inspira profondément les effluves de romarin et d’agrumes qui la transportèrent instantanément dans les restanques d’Aussevielle, relançant ses larmes de plus belle. Était-il toujours à la fenêtre à observer le paysage qu’il ne pouvait plus parcourir librement ? Elle ne savait même pas à quoi il pouvait penser durant ces longues heures de mutisme…

Je veux mourir au combat. Pas crever comme un chien

C’était ce qu’avait dit Alduis. Est-ce que lui aussi regrettait d’être toujours en vie ? Voyait-il le miracle qui l’avait gardé en vie comme une malédiction ?

— Mais je ne sais plus quoi d’autre essayer... Je ne peux pas rendre lui ce qu’il a perdu. admit-elle en ravalant un sanglot. Une main passa entre ses boucles blondes.
— Le coursier avec ma lettre devrait avoir atteint Aussevielle désormais.
— Et s’il ne la lit pas ?

Elle leva des yeux inquiets vers ceux de son père. Avait-il reçu le carnet avec les dessins d’Adéis ? Les avait-il appréciés ? Avait-il ne serait-ce que sourit ? Rien qu’un maigre sourire, lui qui avant souriait tout le temps et était plein d’une confiance inébranlable. Layla pourrait certainement lui dire. Est-ce qu’il lui parlait à elle, maintenant qu’elle était partie ?

— Il est si bon, Papa, il ne mérite tellement pas tout cela.
— Je sais, mais nous allons trouver. Il faut simplement qu’il accepte de venir à la capitale. Ensuite nous verrons.

Elle soupira et se blottit entre les bras réconfortants de son père. Ses pensées vagabondèrent vers le passé. Toutes ces fois, où elle avait essayé d’endosser un rôle qu’on ne lui destinait pas et qui était de toute évidence trop lourd pour ses fluettes épaules.

— J’aurais voulu être l’enfant que tu désirais. murmura-t-elle d’une toute petite voix mal assurée.

Elle ne savait pas trop si elle espérait qu’il ait entendu ou au contraire l’inverse.

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Message par Coldris de Fromart Ven 21 Mai - 15:45


Pauvre Bérénice complètement perdue qui tentait désespérément de faire de son mieux. Il le voyait désormais, tout ce qu’elle endurait stoïquement, sans jamais se plaindre. Pour eux, pour Adéis, pour lui aussi. Il la berça lentement dans ses bras et embrassa le sommet de son crâne blond comme les blés d’été. Lui non plus n’avait aucune idée de comment l’aider, mais il devait forcément exister une solution. Il se souvenait de son propre désespoir à la mort d’Aurélia. C’était Virgil qui l’avait littéralement tiré de la fosse dans laquelle il tentait de s’enterrer. Il se souvenait également de cette discussion avec Alduis, dans son bureau.

Une raison de vivre.
Un sens à sa vie.
C’était ce qu’il devait trouver.

Est-ce que la direction de l’institut l’aiderait à tourner la page ? Est-ce qu’il accepterait cette place ? Viendrait-il seulement ? Il n’en avait pas la moindre idée et lui dire le contraire aurait été un mensonge effronté. Elle ne méritait pas qu’on lui mente y compris pour adoucir sa peine, elle valait bien mieux que cela. Tout ce qu’il pouvait affirmer c’est qu’il ferait tout ce que ce qui était en son pouvoir pour l’aider à retrouver son chemin. Pour Démétrius, pour Bérénice et pour Virgil. Il n’était pas question de laisser dépérir seul dans le sud du pays quand bien même il savait l’attachement qu’il nourrissait à son fief depuis tout petit.

S’il avait réussi à s’en sortir, lui aussi le pouvait. Il n’y avait pas de raison. Il en était intimement persuadé. Il ferma les paupières. Contre lui, il pouvait sentir la respiration de sa fille s’apaiser. La tête posée contre son torse, elle devait sans doute écouter son cœur battre lorsqu’un discret chuchotis de petite souris rompit le silence nocturne.

Être l’enfant qu’il désirait ? Était-ce bien là ce qu’elle avait dit ? Mais ?

— Mais enfin Bérénice, qu’est-ce que tu racontes ? Je n’aurais jamais pu rêver meilleure fille que toi. Tu es magnifique, douce, intelligente, sociable, forte. Tu es devenue femme merveilleuse, une épouse accomplie et une mère dévouée. Comment pourrais-je ne pas désirer avoir une telle fille ?

Un sanglot s’échappa, étouffé contre lui. Avait-il dit quelque chose qu’il n’aurait pas dû ? Qu’avait-il bien pu dire encore qui la mette dans cet état ? Il avait beau se repasser ses derniers mots, il n’y voyait rien d’autre que des paroles rassurantes.


— Bérénice ? questionna-t-il, soucieux.

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Message par Bérénice d'Aussevielle Mar 1 Juin - 20:36



Pourquoi avait-elle dit cela ? Elle regretta dès l’instant où elle réalisa que son père avait distinctement perçu les mots qui s’étaient échappés de ses lèvres. Elle ne voulait pas être une source de problème supplémentaire pour lui, il avait suffisamment à faire avec son propre quotidien et tout était déjà si compliqué avec Alduis. C’était pour ça qu’elle avait essayé de prendre sa place. Parce que son frère n’en voulait pas et que ce qu’on lui demandait était comme portée un costume mal taillé. Parce qu’il voulait juste rester tranquillement assis dans l’ombre et qu’il fuyait la lumière.

Son père tenta de la réconforter, elle le savait, cela partait d’un bon sentiment. N’importe quelle femme en aurait été soulagée et n’aspirait à rien de plus. Elle était une fille parfaite, oui. Mais ce n’était pas ce qu’elle voulait. Elle sanglota de plus belle en s’agrippant à ses manches.

— Bérénice?

Elle frotta doucement sa tête contre son torse en guise d’acquiescement pour le rassurer puis porta sa main à ses yeux rougis.

— Ce… Ce n’est pas ce que je voulais dire… Elle soupira
Tu ne peux pas comprendre…

Bérénice se perdit dans ses pensées. Comment pouvait-elle lui expliquer ce qu’elle ressentait en ce moment ? Nouveau filet d’air expiré avant qu’elle n’inspire profondément.

— Je pensais… J’espérais que si je faisais tout ce que tu attendais d’Alduis… Tu serais fier et que tu le laisserais.

Elle leva la tête pour croiser son regard de glace intrigué.

— Je voulais être celui que tu voulais. Quand tu parlais à Alduis, j’étais toujours là, mais tu ne me voyais jamais. Je me disais que si je brillais assez pour que tu me remarques, alors ce serait moins lourd pour lui. Une larme roula le long de sa joue qu’il essuya avec douceur. Mais je n’ai compris que plus tard cela ne t’intéresserait jamais parce que j’étais une femme et que je ne pourrais jamais prendre ta succession.

Elle reposa sa tête contre son cœur qui battait lentement. Elle ferma les yeux.

— Je le voulais vraiment... Je le veux toujours. avoua-t-elle.

C’était injuste. Simplement parce que le hasard l’avait fait naitre du mauvais côté. Elle aurait pu être ministre, elle aussi, elle en était persuadée.

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Message par Coldris de Fromart Mar 1 Juin - 20:37




De toute évidence, il n’avait pas dit ce qu’il fallait. Pourtant c’était non seulement élogieux, mais en plus il le pensait vraiment ! Il leva les yeux vers la fenêtre aux rideaux tirés tandis que sa main passait dans ses cheveux. C’était décidément bien compliqué. Il n’était pas fait pour être père. Même lorsqu’il faisait des efforts, il arrivait à tout faire de travers. Il pouvait gérer un empire, mais était incapable de mener convenablement une discussion avec ses enfants. Pathétique. Il détourna le regard et se retint de soupirer.

Que pouvait-il faire de plus ? Qu’aurait-il dû dire ? Il n’en avait pas la moindre idée. Pouvait-il être à ce point idiot ? Il se sentait bien impuissant à pouvoir faire quoi que ce soit et même son acquiescement ne parvenait pas à lui retirer ce sentiment d’inutilité qui venait de s’installer. Il laissa Bérénice sécher ses larmes puis lui répondre. Au moins, sa fille lui parait facilement contrairement à Alduis.

— Tu ne peux pas comprendre…

Essaye tout de même voulut-il lui dire. Il ferait de son mieux pour essayer de comprendre. Pourquoi était-ce si compliqué de parler avec ses enfants ? Puis Bérénice reprit enfin la parole. Fier ? Mais il était fier d’elle. Il venait de lui dire et… Et que voulait-elle dire par « laisser à Alduis ». Cela n’avait pas de sens. Elle avait peut-être raison après tout. Peut-être qu’il ne pouvait pas comprendre. Il croisa son regard encore humide et rougeoyant de ses larmes. Il se sentait affreusement bête. Il passa une main sur sa joue, petit sourire triste au bord des lèvres pour se faire pardonner de son ignorance.

Tout ce temps, elle avait été là, à les observer. Bérénice avait toujours été une enfant modèle. Son précepteur vantait régulièrement son esprit (excepté pour l’arithmétique), elle n’avait jamais peur de l’accompagner à la chasse, elle était toujours d’humeur rayonnante, douée en société. Bonne musicienne. Curieuse de tout. Elle était forte. Alors tout ce temps, elle avait essayé de devenir son frère ? Il essuya la larme qui dévala sa joue et embrassa son front. C’était donc cela, elle aurait voulu prendre sa suite. Coldris la serra fortement contre lui.

— J’aurais voulu que ce puisse être le cas, Bérénice, crois-moi. murmura-t-il Mais ce n’est pas possible. Cela n’a rien à voir avec tes compétences. Seulement, tu ne peux plus porter notre nom et il doit perdurer. Adéis doit hériter du marquisat et Alduis, de Fromart. C’est la seule solution. Tu comprends, ma petite nymphe ?

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Message par Bérénice d'Aussevielle Mar 1 Juin - 20:38

Bérénice était épuisée par les émotions successives. Faire de son mieux. Prendre sur elle. Nager à contre-courant. Elle s’abandonna complètement entre les bras de son père. Partager son fardeau et ouvrir son cœur l’avait apaisée. Cela n’avait pas résolu ces problèmes, mais elle se sentait mieux entourée -au sens propre comme au sens figuré- que jamais. Bien sûr elle comprenait tout ce que son père lui disait. Un nom c’était important et elle portait désormais celui d’Aussevielle. Elle opina donc en silence, parce que tout était joué -et perdu- d’avance, et que cela n’avait rien à voir avec ses compétences. Elle ne savait pas si elle devait être déçue que cela tienne à si peu ou si le savoir l’aidait à prendre du recul.

— Je t’aime Papa, tu sais ? Tu n’es pas parfait, c’est vrai, mais qui l’est ? Je sais maintenant que rien n’est aussi simple et je trouve que tu as beaucoup de mérite. Merci d’être venu, mon petit papa.

Alduis regrettait sans arrêt maman, mais Bérénice voyait surtout désormais que son père les avait élevés tous les deux comme il avait pu. Il n’avait peut-être pas été aussi présent qu’elle aurait voulu et cela n’avait pas été facile, mais elle pouvait désormais dire, maintenant qu’elle se trouvait de l’autre côté de la barrière à son tour, que les choses étaient loin d’être aussi aisées que l’on pouvait l’imaginer.

Elle en profita pour se blottir un peu plus, un sourire sur ses lèvres. Il méritait tant d’être heureux. D’ailleurs, il allait beaucoup mieux ces derniers jours. Elle n’avait pas revu Éléonore, mais d’après sa lettre, elle lui avait parlé. Son cœur s’emballa. Cela ne la concernait pas mais…

— Est-ce que tu l’aimes ?

Coldris sursauta à sa question.
— Pardon ?
— Est-ce que tu l’aimes, Éléonore ?

Elle releva la tête et croisa le regard troublé de son père qui se noyait dans le sien.

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Message par Coldris de Fromart Mar 1 Juin - 20:39

Coldris serra fort contre lui sa petite princesse de Fromart et fut rassuré de la voir accepter les faits. C’était injuste mais c’était ainsi. Si cela avait pu être possible, elle aurait hérité et il l'aurait prise comme secrétaire. Elle aurait tout à fait eu les compétences requises pour accéder à de hautes fonctions, il n’en doutait pas un seul instant. Seulement voilà, dans leur monde la place des femmes n’était pas de jouer à des jeux politiques. Elle ne pouvait que demeurer dans l’ombre de leur mari. C’est ainsi, et il n’y pouvait pas grand-chose. Peut-être n’aurait-il pas dû lui donner à accès à une telle éducation.

— Parfois je me dis que tu es trop intelligente pour ton propre bien. murmura-t-il à moitié pour lui.

Il embrassa le sommet de son crâne, lorsqu’elle lui avoua l’aimer. Ce n’était rien par rapport au plaisir que lui firent ses mots suivants. Il ne répondit rien, simplement car il était trop ému pour dire quoi que ce soit qui soit à la hauteur. Il aurait pu lui dire qu’elle était si courageuse et qu’elle traversait toutes les épreuves qui s’offraient à elle avec une apparente facilité, mais tout cela, ne lui avait-il pas déjà dit ? Il était fier d’elle et de la femme qu’elle était devenue. Il cherchait toujours quelque chose qui en vaille la peine de lui répondre lorsqu’elle posa une question qui le foudroya sur place laissant apparaitre un visage familier dans son esprit.

Seul un « Pardon ? » s’échappa de ses lèvres, parce qu’il avait nécessairement mal entendu. Ou tout du moins mal interprété. Elle devait faire référence à quelqu’un d’autre.

— Est-ce que tu l’aimes, Éléonore ?précisa-t-elle.

Son cœur s’arrêta alors qu’elle se raccrochait à ses yeux. Il entrouvrit la bouche, hagard.

— Je...

Je… quoi? Il y eut comme un grand vide, comme une faille qui s’ouvrit sous lui, prête à l’engloutir tout entier. Il avait déjà l’impression de tomber à l’intérieur dans une chute sans fin. Il chercha à se raccrocher à quelque chose. N’importe quoi. Il attrapa ses mains.

J’aimerais qu’il sache.

Comment était-il censé lui dire une chose pareille ? Alors même que la tâche lui semblait impossible devant Bérénice. Bérénice qui avait deviné. Bérénice qui voulait simplement avoir confirmation. Il secoua la tête pour se remettre les idées en place et sa fille pencha légèrement la tête. Il rassembla tout son courage dans une grande inspiration.

— Je l’aime, oui, mais…

Trop tard, elle lui sautait déjà au cou, oubliant toutes ses larmes.

— Je le savais, j’en étais sûr depuis que tu es revenu… Je lui ai dit tu sais mais elle ne voulait pas me croire. elle se recula soudainement le visage sévère Tu lui as dit au moins, j’espère ! Tu ne l’as pas laissée douter, n’est-ce pas ?

Coldris soupira faussement vexé. En même temps, elle avait raison de s’inquiéter…

— Je lui ai dit, mais…
— Ah ! C’est bien Papa, je suis soulagée ! Tu aurais dû la voir quand elle est venue à Fromart pendant ton absence ! Elle…
— Bérénice, laisse-moi parler nom d’un chien ! coupa-t-il, mais ne dis rien à Alduis, s’il te plait, je lui dirais moi-même.
— Oui bien sûr. Je serai muette comme une tombe. fit-elle le regard brillant enfin de la joie qu’il lui connaissait d’ordinaire.

En fait... Il lui dirait demain pour être exact. Même s'il n'avait aucune idée de comment faire. Il pourrait peut-être en profiter pour demander à Bérénice?

FIN

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