[7 mai 1581 - flashback solo] - Confession d'un énième pari perdu [Terminé]

Hier soir, Virgil avait dû s’acquitter de sa dette due à l’échec cuisant de leur pari… Il ne pouvait que s’incliner : Coldris avait été meilleur que lui. Il s’était tenu à carreau pendant quinze jours. Il s’était même rendu à la messe dominicale ! Pourtant, ce n’était pas faute de l’avoir mis dans toutes sortes de situations auxquelles il savait qu’il ne résistait pas… Et c’était ainsi qu’il s’était retrouvé la veille, debout sur l’une des tables du lupanar qu’affectionnait normalement Coldris pour se montrer en spectacle. C’était là qu’il avait baissé les yeux et…

— Pardonnez-moi mon Père, car j’ai péché, récita la voix repentie du marquis dans l’obscurité du confessionnal.
— Je vous écoute, mon fils, répondit paisiblement le vicaire de Saint Eloi, habitué qu’il était à recevoir les petits délits spirituels du Maitre des lieux. Oh si tout le monde pouvait être comme lui, Saint-Pierre serait au chômage…

Virgil baissa les yeux sur ses mains entrelacées.

— Nous avons fait un pari avec Coldris...

Ah ce diable de Coldris de Fromart ! Dans quel sombre précipice avait-il encore emmené le sage Virgil d’Aussevielle ?

— J’ai parié avec lui qu’il ne pourrait jamais rester exemplaire durant une quinzaine.
— Voilà une initiative louable, mon fils, bien que la méthode soit… discutable. Vous souhaitiez simplement l’inciter à rentrer dans le giron de Notre Père à tous.

Dans la pénombre, Virgil se pinça les lèvres. Pas exactement. Enfin oui, mais ses intentions n’étaient pas complètement pures dans le fond de son âme.

— Je me suis montré mesquin afin de remporter la victoire…

Oh ! Était-ce à dire qu’il n’avait point perdu cette fois-ci ?

— Il se pourrait que… je l’aie incité à pécher en le mettant dans des situations… peu… dignes.
— Dites-moi tout.
— Vous vous souvenez la semaine dernière, au salon de la Dame d’Oriane ? Il y avait une jeune personne dont je savais l’intérêt qu’elle porterait à Coldris. Alors j’ai joué les entremetteurs, mais il n’a rien fait d’autre que de la charmer en lui récitant quelques vers de son cru. Je l’ai également invité au Lupanar, mais il a décliné. Et… J’ai payé l’une de ses domestiques aux mœurs légères pour qu’elle prenne soin du vicomte. L’intendant m’a dit que mon ami l’avait congédié si tôt qu’il avait aperçu sa gorge opulente au balcon.

Virgil releva soudainement la tête pour attraper l’éclat blanchâtre des prunelles du vicaire au travers de la cloison.

— C’est-à-dire qu’il s’est même rendu à la messe dominicale ! Et qu’il a récité à la perfection chacune des prières ! Il n’a pas même blasphémé en quinze jours !
— Eh bien, compte tenu des résultats, Notre Seigneur ne pourrait vous en vouloir de l’avoir tenté pour un but si louable. Réjouissez-vous donc de votre victoire, mon fils.
— C’est-à-dire que…
— Oui ?
— En fait j’ai perdu…
— Oh…

Virgil baissa les yeux. Ils étaient tous autour, la coupe à la main, le bras levé à attendre son interprétation, appelant au spectacle les fleurs de nuit dans leurs corolles appétissantes avec leur sourire de sirènes. Et Coldris… Qui le regardait avec ce sourire en coin qui débordait de satisfaction, les bras enroulés autour du ventre d’une des prostituées qui se trémoussait contre lui.

— Allons Virgil ! Tu n’y es pour rien si j’ai l’esprit plus chaste que la Sainte Vierge ! Régale-nous plutôt de ton chant !

La catin pouffa de rire à en renverser un peu de son champagne sur le sol. Le marquis fronça les sourcils… Il n’en ratait pas une ! C’était bien le pari qu’il aurait dû gagner et à plus d’un titre… Il ne manquerait pas de se montrer insupportable pour le mois à venir. Peut-être devrait-il s’enfermer au Parlement durant ce temps ?

— Tu manques d’inspiration, mon ami ? J’ai quelques suggestions à te soumettre si tu le souhaites… Ou peut-être pouvons-nous soumettre le forum au vote ? indiqua-t-il en daignant détacher l'un de ses bras de la créature pour englober la salle d'un geste ample.

Morbleu… Il l’avait voulu ! Cela lui apprendrait à répliquer sans arrêt ! Après tout, il n’avait pas précisé ce qu’il devait chanter, non ?

— Alors j’ai chanté un Ave Maria sur la table du Lupanar au milieu des débauchés et des catins…

Le curé toussa et… ce fut le silence durant plusieurs secondes…

— Mon Père ?

Un Ave Maria ? Au Lupanar ? Mais pourquoi diable avait-il choisi cela parmi tout le registre dont il disposait ! Oh le marquis avait une belle voix de baryton et il lui arrivait fréquemment de chanter à la chapelle pour la messe, mais par tous les Saints du Ciel ! Pourquoi !

— Mon Père ? répéta la voix inquiète de Virgil dont la tête se penchait légèrement.
— Hmm… Oh oui, pardonnez-moi, mon fils. Euh… eh bien c’est fort louable à vous d’honorer Notre Seigneur dans ce lieu de débauche et de rappeler sa grande miséricorde aux âmes égarées du Lupanar… Ont-ils… ont-ils apprécié votre performance ?

Virgil entama les premières syllabes de sa voix chaude et puissante.

— Virgil, bordel ! clama son ami outré.
— Eh bien Messire, c’est là où nous sommes il me semble… rétorqua un client un brin moqueur avant que le rire contagieux ne se propage dans toute la salle.

Le vicomte roula des yeux préférant se consoler entre les bras de la belle de nuit et ignora la jalousie qui le rongeait de le voir ainsi séduire la foule. Il ne pouvait toutefois que lui reconnaitre une certaine audace pour oser chanter un Ave Maria dans un lieu de basses mœurs.
Un peu plus loin, enivrés par l’alcool et l’atmosphère joviale, l’un des clients prit son voisin par les épaules à la mode des tavernes et s’improvisa en choeur, rapidement suivi par le reste de la foule en liesse. Coldris se passa une main sur le visage avant de descendre son verre d’une traite. C’était lui qui était normalement au centre de l’attention.

— Ils ont réclamé un bis repetita, Virgil esquissa un petit sourire en coin dissimulé par la pénombre, c’est qu’il ne voulait pas en plus se repentir d’un péché d’orgueil ! Coldris a détesté… Il ne put s’empêchait de ricaner avant de redevenir soudainement sérieux. Pardonnez-moi, mon Père…
— Ce n’est rien. Non en réalité c’est tout bonnement… prodigieux. N’avez-vous rien de plus à confesser ?

Le marquis fit une petite moue contrite avant d’avouer piteusement.

— Eh bien après tout cela, je me suis laissée aller à forniquer avec l’une de ces filles de joie…

Il soupira. Cela faisait bien longtemps qu’il avait pris la décision de laisser sa chasteté à son épouse pour la préserver d’un accident.
— Mon Père… Je sais que je n’aurais pas dû rompre mes vœux de la sorte, seulement, vous n’ignorez pas que je ne peux plus honorer mon devoir. Je m’y refuse.
— Et je ne vous dirai que la même chose qu’à chaque fois, mon fils : Notre Seigneur la protègera. C’est une femme pieuse et honorable.

Virgil grimaça silencieusement. Si c’était le cas, il aurait eu un second fils et plus encore, comme sa sœur… Pourquoi lui imposer de telles épreuves à elle qui était si dévouée ? Il secoua la tête.

— Je ne puis me résigner à lui imposer de souffrir et à la tourmenter davantage, Mon Père. Cela m’est proprement impossible. Du reste, si cela peut la préserver et préserver notre fils unique alors je préfère être celui qui pèche pour les protéger.
— Allons, mon fils. C’est oublié là que Notre Seigneur n’est qu’amour, il ne pourrait commettre de tel méfait.
— Je suis désolé, Mon Père, mais cela m’est impossible. Je me repends de mes égarements occasionnels mais je ne saurais les éviter.

Le vicaire acquiesça lentement. Au fond, ce n’était pas comme s’il visitait d’autres jupons tous les soirs. Il demeurait malgré tout des plus raisonnables. Oh, il avait bien ce petit travers d’aider parfois ce diable de Fromart à forniquer, mais jamais sans réelles mauvaises intentions. Ses autres actions rattrapaient du reste aisément chacun de ses infimes écarts.

— Autre chose?

Il secoua la tête.

— Mon Père, pensez-vous que Le Seigneur accordera un jour à Coldris la joie de retrouver le bonheur ? Il n’a jamais plus été le même depuis…
— Je ne puis m’avancer, mon fils, les voies du Seigneur sont impénétrables, mais comme je vous le disais, ayez confiance en Lui. Il le délivrera le moment venu. En attendant, efforcez-vous de l’accompagner au mieux pour qu’il… et bien… serpente sur le droit chemin. —parce que cheminer était sans doute trop demander au vicomte— et priez pour lui.

Le marquis inclina lentement la tête. Il voulait croire qu’il pourrait un jour retrouver son insouciance. Il avait sa place dans chacune de ses prières, il avait tant souffert… Ne méritait-il pas d’être un peu heureux malgré ses égarements ?

— Pourriez-vous également prier pour lui ?
— Je n’y manquerai pas, mon fils. Dominus noster Jesus Christus te absólvat : et ego auctoritáte ipsíus te absólvo ab omni vínculo excommunicatiónis, (suspensiónis,) et interdícti, in quantum possum, et tu índiges.
Deinde ego te absolvo a peccatis tuis, in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. R. Amen.
Passio Dómini nostri Jesu Christi, mérita beátæ Maríæ Vírginis, et ómnium Sanctórum, quidquid boni féceris, et mali sustinúeris, sint tibi in remissiónem peccatórum, augméntum grátiæ, et præmium vitæ ætérnæ. R. Amen.

Virgil se signa d’un geste fluide avant de baisser pieusement la tête.

— Je vous remercie, mon Père.
— Ce n’est là que mon devoir, mon Fils.