[Alternatif] Mariage d'avant-garde par le plus beau des curés

Ils avaient réussi à s'enfuir de l'hôpital général. Estienne n'en revenait toujours pas, ils avaient réussi. Cela tenait presque du miracle ! Mais une fois dehors ils n'avaient pas été au bout de leurs peines. Circuler en cachette, échapper aux patrouilles, attendre la nuit pour progresser, se cacher et ne pas faire de bruit des heures entières... Protégés par l'obscurité et par le choix de chemins peu fréquentés, le vétéran en avait profité pour soulager autant que possible les bras et les jambes de son bien-aimé : il portait Hyriel dans ses bas sur un bout de trajet. Puis l'aidait à se remettre debout quand ils approchaient d'endroits où des gens étaient susceptibles de les voir. Même de loin, pas question de laisser voir quoi que ce soit susceptible de les dénoncer comme deux hommes amoureux.

Épuisés, ils s'étaient arrêtés à l'orée des bois pour un petit somme. Avoir cavalé tout ce temps ! Estienne était en sueur, Théa traînait la patte et était de plus en plus intenable à cause de sa fatigue... Plusieurs heures de récupération ne furent pas de refus, puis le trio repartit. Ils s'engageaient à présent dans la forêt. Forêt d'Aiguemorte, d'après Hyriel. Bien reposée et réveillée, Théa papillonnait de bonheur dans tous les sens autour des deux amoureux. Cela faisait si longtemps - elle ne savait même plus combien d'années - qu'elle n'avait pas vu tant de verdure ! Elle sautillait, battait des mains, admirait les arbres immenses en levant la tête. Puis, tout en avançant, elle se mit à ramasser des noisettes dans son tablier, et à cueillir des fleurs. Au bout de sa main en balancier, un bouquet de plus en plus gros se formait. Elle n'avait même pas les mots !

Estienne, le bras à la taille d'Hyriel, l'aidait à avancer. Lui aussi profitait de l'extraordinaire spectacle de la nature, de la liberté. Ses grands yeux verts en brillaient. Ses joues souriaient comme jamais. Il s'interrompit un instant, prenant son ardoise pendue à son cou et une craie dans la poche de sa blouse rapiécée. Il montra à Hyriel :


Savoir que cet homme-là vivait dans les parages le rassurait. Ils pourraient sûrement trouver asile. Enfin... pourvu qu'ils ne fassent pas de mauvaise rencontre avant que ce Sylvère ne les voit. À quoi pouvait-il bien ressembler ? Comment seraient-ils accueillis ? Oh, sans doute bien, d'après ce qu'Hyriel avait dit de ce "roi" et ami. Et s'il... s'il croyait Hyriel mort depuis tout ce temps ? On l'avait jeté à l'hôpital en décembre, et ils étaient déjà en juin 1598...
Mais bon, ils verraient bien comment les choses allaient se passer. Il fallait avoir foi. Estienne avançait, équipé d'une longue tringle à bout pointu qu'il avait fauchée en guise de pique au cas-où. Dans son dos, sa petite besace où reposaient ses gourdes à tuyaux. Il commençait à avoir la dalle... Mais pour l'heure, ils progressaient sous les ramures verdoyantes. Quel drôle d'équipage faisaient-ils, maigres, vêtus de haillons avec les numéros 93 et 251 cousus à leurs côtés.