[RP alternatif - ouvert] De l'autre côté du miroir ~ 2

[Principe de ce RP : votre personnage s'est soudainement réveillé dans la classe sociale opposée à celle qu'il occupe réellement en jeu]

Rarement dans sa vie Dyonis n'a autant marché, habitué qu'il fut à profiter des destriers et carrosses. Long est le chemin entre le marché aux esclaves - qu'ils ont déjà quitté depuis une bonne demi-heure - et le château qui désormais appartient à Eldred. Il semble bien que jamais il ne comprendra vraiment ce qui est arrivé et tout, sur la route, corrobore cette sensation : nul ne le reconnaît comme baron de Frenn ; chacun en revanche adresse ses hommages au seigneur qu'est devenu le Zakrotien. Petites révérences de ci, chapeau ôté de là, et un chemin qui s'ouvre de lui-même sur son passage telle une mer de corps qui se fend. Autant de signes devenus une habitude pour l'ancien seigneur. C'est en perdant parfois un privilège que l'on s'aperçoit de sa prégnance.
Occupé à de telles pensées, Dyonis en aura quelque peu oublié l'étau des gardes autour de lui et de Thierry - et plus encore la présence de ce compagnon de misère qui du reste n'a pas complètement dessoûlé. Ils vont donc être esclave ensemble. Quel coup du sort ! Quelle leçon, quel symbole peut-il y avoir à méditer en cela ?
La marche commence à se faire sentir dans les jambes de l'homme. Il se tient droit, soutient son regard bleu métal fixe devant lui, puisant en lui autant de digne indifférence que possible en dépit des vieilles chausses de toile et de la tunique élimée qu'il revêt. Saisissant est le contraste de ces oripeaux avec l'étincelant acier de ses prothèses - que son maître lui a fait restituer. Ce souvenir le rassure. Alors que les rues puis le sentier de campagne se déroulent sous les pas des deux esclaves, le noble déchu parvient à croire avec ferveur que Thierry et lui seront bien traités à Frenn.

Eldred n'en revenait toujours pas. Il était le seigneur de Frenn et venait d'acheter son ancien Maître et... Un ivrogne bagarreur.

Il repartit comme il était venu. Ou presque.

Juché sur son étalon baie (anciennement le préféré de Dyonis. Un beau sang Arabe), il adressait de discrets signes de la tête aux salutations qu'on lui adressait.



Cela sonnait étrangement. Comme ces tissus qu'il portait. Seul contact avec la réalité, la permanence inchangé du cuir entre ses cuisses et celle des flancs de l'équidé entre ses mollets.
A sa droite Dyonis marchait d'un pas lent.

- Je suis désolé. J'aurais préféré vous éviter la marche à vous, plutôt qu'à lui...

Il désigna d'un coup de menton la charge ronflante harnachée sur la délicate croupe équine.


La Cour du Château. Un lieu connu qui lui semblait soudainement étrange. Eldred mit pied à terre et déposa sans ménagement la charge sur les pavés sans lu prêter la moindre attention.
L'intendant du domaine fit son apparition et il ordonna d'apporter des tenues descentes à...-il ne sut quel mot employer- ces serviteurs opta-t-il finalement.

Il faut bien le reconnaître : Eldred dégage une grande prestance sur l'étalon arabe. Ce qui est un peu moins le cas de la masse avinée saucissonnée à l'arrière de la noble monture - cependant il n'y avait guère eu le choix. Voilà bien longtemps déjà le long de la route que Dyonis s'efforce de ne pas accorder d'attention à cette navrante image susceptible de le déconcentrer. Il relève les yeux vers le Zakrotien qui lui adresse la parole. Un souffle bref quitte le nez de l'esclave, quelque part entre le soupir de pitié pour l'état déplorable de Thierry et le rire de complicité à la remarque du cavalier - son attention du reste le touche.

"N'ayez crainte. Je préfère de loin la marche à la position du sac à patates."

Disons en outre que cela lui dégourdissait les jambes... Il préfère s'amuser un court instant de sa situation. Arrivés au château, dans lequel là encore nul ne semble se souvenir de Dyonis comme seigneur - comme si la situation actuelle avait toujours été la seule effective - mais tout le monde rendre les politesses à Eldred, il entend ce dernier réclamer des tenues correctes. Les commis partent aussitôt en quête du nécessaire. Pendant ce temps, Thierry reprend ses esprits dans un grognement soûl et encore lord de torpeur. Soudain, il crache à nouveau, et pire encore s'en prend au destrier. Dans un réflexe de sincère attachement au pauvre animal que l'ancien baron appréciait tant, il s'en approche et étend les bras avec la volonté de le rassurer. Se rappelant toutefois de sa nouvelle condition, là, sous les regards lourds de certains employés du domaine qui venaient de s'attrouper, Dyonis se retient d'achever son geste de caresse et ramène ses prothèses le long du corps. Il ne lui aura pas échappé un regard noir à l'encontre de Thierry.
Il reste silencieux, attendant la suite des événements et ce qu'on allait lui dire pendant que les commis cherchaient sans doute encore de quoi vêtir les nouveaux arrivants.

Dyonis avait beau être désormais esclave, il conservait malgré tout sa prestance naturelle y compris en guenilles. Eldred avait toujours (ou presque) eu beaucoup de respect pour le baron et cela ne changeait guère lorsqu'il le voyait endurer avec autant d'humilité et de philosophie cette nouvelle épreuve.

Il se demandait ce qu'il pensait de son Dieu qui lui avait joué un si mauvais tour mais n'osa poser ouvertement la question.

A leur arrivée l'ivrogne frappa la monture et Eldred se retourna vivement un éclair sévère dans le regard. Il aperçut du coin de l'œil Dyonis s'approcher afin de rassurer l'animal puis retenir n
son geste. Il eut un regard navré pour le baron.

Sans tergiverser, le zakrotien attrapa le soulard par le col et le traina sans ménagement jusqu'à l'abreuvoir des chevaux où il jeta sans ménagement.

- J'espère que tes idées son plus claires désormais. Ne t'avise plus de recommencer.

Lorsque le cheval se cabra sous l'effet du coup de pied Thierry réalisa, trop tard, de son erreur. Il croyait que l'anumal allait le jeter au sol dans une ruade et lui briser le cou. Cela aurait aurait peut-être mieux fallu. Comble de l'ironie, son ennemi intervenait pour calmer la bête? Rien ne lui serait donc épargné ? Il enrageait.

Assez vite, Eldred le saisit pour le plonger dans l'abreuvoir. Il en ressortit, agacé, recrachant un filet d'eau.

"Je suppose que cela ira. Mais j'ai connu des jours meilleurs."

Mais s'il fallait servir à présent cet homme, il fallait bien se mettre avec lui.

"Je suis désolé, maître de ces excès. mettez ceci sur le compte de la surprise et de mauvaises émotions. Le drame, en particulier celui avec mon fils, m'a ôté la raison?"

Il se releva et quitta l'abreuvoir.

"Que puis-je faire pour vous, maître ?"

La colère d'Eldred ne se fait pas attendre et voilà Thierry plongé les quatre fers en l'air dans l'abreuvoir des chevaux. L'animal - l'autre - semble grâce à Dieu s'apaiser après quelques hennissements et claquements de sabots. Une fois le calme revenu, l'ivrogne recrache un filet d'eau et juge plus raisonnable de changer de comportement du tout au tout. De ridicule soûlard, il se met étonnement vite dans la peau d'un esclave zélé.

Dyonis pousse un soupir discret au rappel de ce triste épisode avec Alexandre au marché : toute navrante que soit l'attitude de Thierry, il peut en revanche pour le coup comprendre la détresse qui l'anime après que son propre fils n'ait même pas voulu le tirer des ennuis. Le déchu demeure en retrait, silencieux et prothèses croisées devant lui, à attendre simplement que l'on s'adresse à lui. Il espère un temps dans l'apaisement véritable de son compagnon d'infortune.

Quand les commis reviennent avec les vêtements réclamés par le nouveau seigneur, l'infirme les prendra aussi adroitement que possible entre ses bras repliés. Il y a là un pantalon brun et une chemise blanche, des plus sobres mais propre et en parfait état. Dyonis trouve rapidement une colonne derrière laquelle se glisser et s'applique à se changer. D'ordinaire, des serviteurs l'ont toujours aidé à se vêtir en raison de son absence de mains - et plus encore de la qualité des costumes à ne pas risquer d'abîmer avec ses appendices métalliques. Loin des regards, il s'attaque seul à l'affaire. Il faut se délester des guenilles, s'accroupir pour se débrouiller des vêtements étendus devant lui, enfiler précautionneusement bas, puis haut - non sans quelques contorsions, tête baissée, avant-bras arcboutés et autres mouvements lui facilitant l'habillage sans que la pointe du crochet n'écorche le tissu. Se servir seulement de son arrondi comme levier ou appui.
En s'habillant, il aura eu un bref regard peiné vers son épaule droite, marquée à jamais de ce M au fer rouge qu'il n'arrive pas encore complètement à admettre comme faisant partie désormais de sa chair... Dyonis détourne finalement le regard et achève d'ajuster sa chemise. Enfin, après un petit souffle soulagé, il se relève, prend tant bien que mal les guenilles entre ses bras et reparaît devant Eldred et Thierry.

"Un éclopé et un ivrogne, mais de quoi qu'le seigneur a eu l'idée de s'encombrer là comme esclaves, foutrebleu..." marmonne non loin de lui un des employés du domaine. Le contremaître quant à lui suit la scène d'un air sceptique, attendant de savoir à quelles tâches affilier ces deux-là.

L'ivrogne retrouva bien vite ses esprits et sa docilité. Eldred acquiesça sans un bruit, satisfait.

On apporta des vêtements et les deux hommes se changèrent. Il était peiné à l'idée de Dyonis tentant de s'habiller seul mais il ne pouvait pas vraiment  faire autre.

Lorsqu'ils eurent terminé (et c'était toujours terriblement étrange de constater leurs places respectives) le contremaître l'interrogea du regard.

Des tâches, il était censé leur donner des tâches. Mais Eldred n'avait même pas songé à cela en les achetant. Il avait une autre idée derrière la tête. Comme toujours, il voyait grand. Très grand.

- Apportez du bois dans mon bureau ordonna-t-il à Thierry

Puis il fit signe à Dyonis de le suivre, dans les méandres d'un château qu'il connaissait parfaitement. A la base, il n'avait compté acheté que son ancien Maître mais qu'ils soient deux se révéler finalement parfait.
Le baron pouvait le guider mais Eldred ne savait ni lire, ni écrire. L'ancien prêtre ferait donc le scribe et Dyonis validerait.

En revêtant cette tunique immonde que l'on venait de lui apporter, Thierry ne cacha pas son dégoût. Comment pouvait-il avoir pu descendre aussi bas ? il aurait finalement préféré la mort à une dégradation pareille ! Comment se sortir d'affaire ? Son esprit raisonnait rapidement Il en int à songer à Coldris qui n'hésiterait pas à intervenir pour le racheter à ce diable d'Eldred. Quoique.. Les puissants semblaient être devenus esclaves. Coldris.. Où se trouvait Coldris en ce moment ? Leurs situations semblaient s'être échangées au prorata de leurs mauvaises actions. Alors... Alors son ami, son pauvre ami , devait en cet instant travailler au fond d'une mine ! malgré lui, le prêtre eut un éclat de rire. Ce n'était pas drôle. Mais quand même, imaginer le ministre enrager dans une mine avait de qui donner une scène comique.

A l'ordre donné, Thierry fit un signe de tête servile.

"Bien sûr, maître."

Il s'éloigna d'un pas rapide en direction de al réserve mais sur son chemin, simulant une réelle bousculade, il heurta Dyonis.

"Pardon. "

Thierry murmura cette excuse d'un ton contrit, dissimulant son envie de rire, fier de cette petite attaque, puis s'empressa de couri vers la réserve, comme un gamin espiègle qui venait de faire une mauvaise blague.

Le dégoût transparaît, un instant, sur le visage de Thierry quand il revient lui aussi en tenue de service. Le destin a parfois des tours qu'il faut prendre avec philosophie. L'ancien prêtre ferait mieux de se dire qu'ils auraient pu tomber chez un maître bien pire qu'Eldred. Peut-être fut-ce pour cette raison que le baron déchu avait toujours mis un point d'honneur à se montrer juste avec ses esclaves. "Le Premier un jour peut devenir le dernier" ; "Ce que tu fais au plus petit, c'est à moi que tu le fais" enseignent les Écritures. Dyonis, en tant que maître, gardait à l'esprit de ne pas céder à la facilité de l'injustice - à une exception près... - ou de la maltraitance, tant on ne sait jamais ce que l'avenir peut réserver. Alors, peut-être qu'aujourd'hui, le Zakrotien à son tour se montre bientraitant en monnaie de sa pièce : l'infirme du moins se rassure de cette hypothèse.
Quant à leur déchéance, qui peut-on en accuser ? Parfois, ne faut-il pas passer par des épreuves inattendues pour qu'en jaillisse quelque chose de beau même si à première vue la situation paraît dénuée de sens. Dans le Premier Testament, Joseph était devenu esclave - mais par cela il apporta son aide à l'Egypte qui évita une famine, et même à son propre peuple.

Il quitte ses pensées quand Eldred donne finalement ses ordres. Thierry part chercher du bois. Dyonis prend sans la moindre hésitation le chemin du bureau, tant il connaît par cœur le dédale de son domaine. C'est malheureusement sans compter sur son camarade d'infortune, qui trouve le moyen de le retenir à un moment donné sur leur chemin commun... et le bouscule. Dyonis serre les dents sur un petit grognement qu'il ravale, resserre un bras à son côté où il vient de prendre un coup. Il adresse à Thierry un regard froid. Neutre - mais de cette neutralité qui parfois est plus impressionnante encore qu'une émotion de colère. Regard qui semble dire "Êtes vous sérieux ? Avez-vous vraiment prévu de vous comporter comme un enfant en bas âge ?" Il n'attend cependant nulle réponse de l'autre esclave, se désintéresse de lui et rejoint le bureau.

Du coin de l'oeil, Eldred aperçut et entendit le coup qui heurta, le baron. Il fit cependant comme si de rien n'était et prit la direcr du bureau, Dyonis sur ses talons.
Ces deux-là allaient bien devoir apprendre à travailler car son plan ne pouvait fonctionner sans eux.

Le château était toujours aussi austère et froid. Puisqu'il était désormais le mettre des lieux, il y ajouterait prochainement une petite touche zakrotienne.

Eldred s'installa dans le bureau à sa place. Enfin sa nouvelle place. Quelque chose le chagrinait: si lui avait pris la place du Premier Conseiller alors qui était le Roi?

Il attrapa un serviteur qui passa dans la coursive.

- Viens par ici!

L'homme entra un air coupable sur le visage. Sa s doute se demandait-il ce qu'il avait bien pu faire.

- Qui est le Roi?

L'homme écarquilla les yeux, stupéfait par cette demande inattendue.

- Maître?
- Et bien répond donc! Qui est notre bon Roi! Montre donc à notre nouvel arrivant ton savoir
- Euh... Hmm... Et bien c'est Sylvère 1er d'Aiguemorte, Maître.

L'homme ne savait pas où se mettre et cherchait désespérément le piège. On aurait pu croire qu'il venait d'apercevoir un fantôme. Eldred le remercia et le chassa lorsque Thierry fit son entrée.

Sylvère. C'était tellement logique au fond. Voilà qui devrait simplifier ses projets à venir...

En entrant dans le bureau à la suite d'Eldred, Dyonis observe à distance la curieuse scène qui se joue entre le maître des lieux et un de ses esclaves. Il comprend qu'il s'agit par là d'obtenir des informations supplémentaires sur cet échiquier inversé qui se présente désormais à eux tous. Le baron déchu arque un sourcil au nom du nouveau souverain : Sylvère Ier d'Aiguemorte - ce nom lui dit vaguement quelque chose. N'était-ce point naguère un brigand ? Le sort est-il joueur à ce point ?
Ne sachant s'il doit s'amuser de l'information ou en rester hébété, il attend simplement la sortie du serviteur qui croise Thierry sur le seuil alors que ce dernier revient avec le bois. Du coin de l'œil, c'est d'un air navré que Dyonis constate son incapacité à allumer le feu dans la cheminée. Sans doute n'a-t-il jamais eu à le faire auparavant. La situation n'amuse en rien l'ancien noble. Il l'aurait même aidé s'il en avait lui-même eu les capacités. Il ne peut toutefois que demeurer impuissant non loin de Thierry. Son regard va de son camarade d'infortune au nouveau maître, en passant par les divers angles de cette pièce qu'il connaît si bien et qui autrefois fut sienne. Il se sent soudain comme un étranger dans cet espace dirigé par quelqu'un d'autre que lui... mais il s'y fera et ne doute pas une seconde qu'Eldred en fera bon usage.

Le prêtre-esclave revint enfin chargé du bois. Il déposa son fardeau approximité de la cheminée et y jeta quelques bûches. Et puis rien. Eldred patienta mais il dû bien se rendre à l'évidence : ce pauvre bougre n'avait jamais dû allumer un feu de sa vie. Un feu. Un geste élémentaire de survie. Il hésita à appeler un autre esclave mais se ravisa finalement de peur de l'humilier un peu plus encore. Il se leva donc et attrapa le briquet à silex posé non loin ainsi qu'une petite boîte contenant de l'amadou.

- Le feu c'est la vie. Et comme toute vie, il faut commencer humblement.

Il prit du petit bois qu'il cassa et érigea en pyramide après avoir poussé les bûches.

- Ensuite seulement on peut espérer le faire grandir.

Il déposa l'amadou couvert de suie puis à l'aide du briquet l'embrasa d'un geste sûr. Le foyer s'éclaira d'une douce lueur orangé.  Eldred se demanda avec ironie combien de ces cardinaux qui réclamaient le bûcher étaient en réalité incapables de l'allumer.

Il déposa du bois un peu plus gros puis les bûches non moins et retourna s'asseoir en indiquant à Thierry de se placer aux côtés de Dyonis.

Malgré le sentiment d'humiliation qui ne cessait de croître, Thierry fit de gros efforts pour ne pas répliquer. Ce n'était pas à son avantage. Il simula ainsi d'être attentif à la leçon d'Eldred; même s'il s'en fichait pas mal.

"Je vois, maître."

Allait-on l'assigner à cette tâche ? Il n'en avait aucune envie. C'était parfaitement indigne de ses compétences. Il contint son impatience tout le long de cet apprentissage inutile puis se releva, obéissant au nouvel ordre et s'installa docilement sur un siège voisin de Dyonis. Son regard s'attarda un bref instant vers son ennemi. Celui-ci semblait apprécier de draper dans l'honneur et ne se plaindrait, n'est-ce pas ? Cela se révélait idéal. Dissimulant un rictus narquois, le prêtre déplaça lentement le pied puis appuya sur celui de Dyonis.

"Maître, que pouvons-nous pour vous alors ?"

Sa voix était doucereuse.

Au même moment, dissimulé par le bureau, son pied continuait à presser celui de Dyonis.

Finalement, cette vie d'esclave promettait d'être amusante.

Avec silence et respect, Dyonis observe Eldred faire sa démonstration grâce à laquelle le feu est enfin allumé. Il se pince la lèvre, saisi par les réflexions que cette scène entre Thierry et le seigneur lui inspire. A la décharge de son confrère d'infortune, le noble déchu lui non plus n'aurait pas pu accomplir un geste aussi premier : pour la double raison de son infirmité et de son manque de pratique. Oh certes, Dyonis a bien lu jadis dans quelque ouvrage comment engendrer les flammes, observé aussi les gestes pratiqués par certains de ses serviteurs, cependant les reproduire lui serait impossible. Il se rappelle alors qu'à avoir la tête dans les affaires les plus élevées de l'Empire, et le corps épargné au quotidien par les contingences matérielles...  le risque est très vite grand de perdre tout contact avec les réalités tangibles et les actes les plus basiques. De sorte que les véritables personnes dépendantes, cela peut être les Grands. Leçon à méditer.

Il s'installe quand Eldred le leur demande, à côté de Thierry ainsi que précisé. Dyonis s'apprête à se caler le plus confortablement possible sur son siège quand soudain une violente douleur lui galope le long de la jambe. Il grince des dents et écarquille les yeux, avant que ceux-ci ne tombent vers le sol où ses craintes se confirment : Thierry... vient réellement de lui écraser le pied. Et il insiste. Dyonis en reste tout bonnement stupéfait. Autant de bassesse. Il savait l'ancien prêtre fourbe, mais pas à un tel degré. Il déglutit, inspire et cette fois-ci décide de ne pas rester silencieux. Malgré la douleur, il assène de sa voix la plus posée et distante possible :

"Votre pied." (Un temps) "J'ai assez des membres supérieurs invalidés."

Eldred n'appréciait pas le ton faussement servile du prêtre. Il serra les dents et retint un soupire. Il regrettait subitement de ne pas l'avoir laissé sur l'estrade. Le baron se montrer définitivement plus digne dans cette épreuve et il n'en admira que plus ses qualités.

Ce fut d'un regard noir qu'il remit Thierry à sa place. Il n'y aurait pas de second avertissement. La prochaine fois son poing volerait dans sa figure. Quel âge avait-il pour se prêter à ce genre d'idiotie? C'était bien le père de l'autre cervelle de troll. Aucun doute là dessus.

- Si vous avez terminé vos enfantillages je vais pouvoir informer des tâches que je désire vous confier. Mais je commence à douter de votre capacité à les réaliser. Peut-être que le nettoyage des latrines serait plus dans vos cordes? siffla-t-il entre ses dents

Thierry s'amusait intérieurement à appuyer son pied sur celui de Dyonis, le tot en feignant un air d'innocence. C'était l'un de ses jeux favoris. Lorsque sa victime prit la parole pour évoquer cet embêtement inconvénient il réppndit d'une voix faussement surprise :

"Quoi Je vous écrasais le pied ? Pardon, pardon, je n'avais pas remarqué."

Sur ces excuses, il retira son pied, satisfait intérieurement de cette nouvelle provocation. Le aitre prit soudain la aprole et ses menaces lui firent brusquement peur. Thierry baissa la tête.

"Non, non, maître, je sais me tenir. Tout ira bien."

Aux fausses excuses de Thierry, Dyonis fronce les sourcils en seule expression du fait qu'il n'est pas dupe. Eldred non plus, heureusement. Il pousse un petit soupir soulagé quand enfin, le prêtre délivre son pied, puis se concentre sur les paroles du seigneur - ornées au passage d'une petite menace qui produit immédiatement son effet sur le provocateur. Parfait. Dyonis n'a rien à ajouter et attend en silence d'entendre la suite.

Il ne fallut pas moins qu'une menace à peine voilée pour aider le prêtre à rentrer dans le rang. Il espérait ne pas avoir à hausser le ton de nouveau car sa bienveillance et sa compréhension ne serait pas éternelle.

Eldred croisa les bras et annonça la suite des festivités.

- Vous allez m'aider à abolir l'esclavage.

Oui rien que ça. Mais puisque Sylvère était Roi c'était on ne peut plus plausible. Et ensuite, il ferait libérer Zakros. Et il pourrait rentrer chez lui. Tout le monde serait heureux et comblé. Une fin rêvé. Il se tourna vers Dyonis.

- Vous vous occuperez de la paperasse juridique et politique. son regard passe ensuite sur Thierry Et vous, vous serez ses mains car je suis incapable d'écrire autre chose que des runes

Il n'ajouta pas la suite mais ses yeux qui se posèrent sur l'ancien baron en disait suffisamment long pour qu'il comprenne qu'il attendait lui la  vérification des écrits du prêtre dont il n'avait à l'heure actuel aucune confiance.

- Bien. Des questions?

Passé les gamineries, Thierry redevint véritablement sérieux quand il entendit Eldred commencer à énoncer ses intentions à la rigueur. Cet homme ambitionnait d'abolir l'esclavage ? Parfait ! Cela lui convenait de miex en mieux, surtout depuis qu'il se retrouvait esclave. Le prêtre n'eut pas besoin pour une fois de simuler.

"C'est un projet formidable, maître."

Il jeta un regard à Dyonis, soupçonneux. Celui-ci accepterait de dévoiler toutes les lois qui pourraient soutenir dans ce grand projet ? Ce serait à son avantage, oui, mais cet imbécile pouvait être d'une intégrité et d'une droiture qui frôlaient l'agacement. En prison, il songeait quand même à se laisser mourir, le sot !

"Si vous avez besoin maître, je peux effectuer différentes recherches. Si je m'abuse, il y a nombreux ouvrages de droits. On pourrait commencer par le code servile ?"

Il jeta un regard à Dyonis quand Eldred déclara que lui serait ses mains, puis feignit la surprise.

"Allons, maître, je suis homme de confiance, surtout face à un tel projet."

Thierry heureusement semble en rester là avec ses coups douteux. Dyonis d'ailleurs ne s'en préoccupe pas une seconde de plus : l'annonce d'Eldred occupe toute son attention. Le sonne. Suspend le temps autour de lui. A-t-il bien entendu ? Une fois passé le moment de la surprise, en réalité l'esclave s'étonne à peine de cette décision. Noble, rare et héroïque décision. Une fois devenu seigneur, le Zakrotien aurait eu tout le loisir de se venger. Il n'en fait rien. Au contraire, ses convictions demeurent imbrisées et son esprit, la même fière épée qui ne se laisse pas corrompre par le luxe nouveau de son quotidien. Plus que jamais, l'ancien baron de Frenn l'en admire. Si bien qu'il ne trouve rien à lui répondre - rien qui lui semble assez intelligent, ou assez approprié. Autant donc s'épargner les mièvres paroles et Eldred aura suffisamment à lire dans les yeux humides de l'invalide, dans l'expression pleine de gravité et de profonde admiration que ses traits lui présentent en cet instant.

Vient ensuite le protocole, presque amusant en vérité ! Amusant et plein de philosophie à en tirer : les voilà tous trois infirmes et à devoir coopérer - Eldred ne sachant ni lire ni écrire la langue de l'Empire, Dyonis la connaissant mais ne pouvant pas le faire... et Thierry bien en disposition de son esprit et de ses deux mains... mais infirme en cela qu'il doit encore regagner toute la confiance des deux autres, sans compter sa méconnaissance des lois et arcanes administratives. Ils allaient devoir travailler comme un seul homme. L'opération s'annonce passionnante... et quelque peu inquiétante néanmoins étant donnée les revirement de caractère dont est capable l'ancien prêtre !

Sobre, Dyonis acquiesça après les interventions de Thierry.

"Le code servile est en effet à réécrire. Je vous donnerai les indications nécessaires pour profiter de toutes les ouvertures que le système et la constitution laissent ici et là. Cela dit, si le monarque a changé lui aussi et, à en croire la... logique de l'inversion des rôles présente... il ne devrait pas faire barrage au projet."

En se réveillant le matin, Sylvère avait eu précisément dix minutes de désarroi total. Le temps de se remettre face à ce qu'il avait sous les yeux et de comprendre ce qu'il se passait. Enfin, il ne comprenait toujours pas, mais il savait désormais le plus gros : il était roi de Monbrina.

Il s'était pourtant bel et bien endormi dans sa grotte humide, pour se retrouver ici au petit matin mais Sylvère n'était pas le genre de personne à se tracasser trop avec des détails inaccessibles.

Il était Roi — et plus seulement de la forêt !
Et à ce titre, il était libre de changer un certain nombre de choses. Après tout, quand on était Roi d'un empire, il fallait en profiter. Comment savoir combien de temps cela pouvait-il durer ? Mais il voyait un certain nombre de choses à changer.

La liste était longue.
Mais comme tout homme, Sylvère avait un ordre de priorités. Ainsi, son premier ordre avait été de retirer toutes les pauvres bêtes empaillées qui avaient pu se trouver ici.

Et de les enterrer.

Les pauvres animaux ne verraient peut-être pas la différence mais lui si.

Le pire était que personne ne semblait en être choqué. Comme si tout était normal. Mais enfin.

Il avait volé une pomme en passant. Enfin. Voler. Pas vraiment comme il était chez lui.

Désormais, il était littéralement assis à l'envers sur le trône, la tête en bas et les pieds appuyés sur le dossier. Il continuait de déguster son trognon quand on entra :

- Votre Majesté. Eldred Kjaersen de Frenn.

Tiens donc.

La porte fut dégagée et effectivement, Eldred s'encadra dans la porte. Suivie du Premier Conseiller, et du père Thierry — enfin... ce n'était visiblement plus le cas. Il n'y avait pas que pour lui que les choses avaient changé ! Il bondit sur le siège et s'installa cette fois sur le dossier, les pieds sur les accoudoirs.

- Jolie journée non ? déclara-t-il avec son enthousiasme inchangé.

Pour changer les choses, il fallait rencontrer celui qui le pouvait réellement et qui n'était autre que Sylvère. C'était finalement plutôt rassurant. De tous, lui au moins était censé. Enfin censé... Il avait cet indescriptible brin de folie certes, mais il ne chercherait pas plus vengeance qu'il n'aurait profiter de de son pouvoir.

Eldred trouvait toujours cela fort étrange de voir les hommes cour et l'échine pour le saluer. Il n'était pas question de passer npiur un rustre aussi adopta-t-il l'attitude qu'il avait tant de fois vu chez le baron en pareille circonstance.  Baron qui justement l'accompagnait, de même que Thierry.

C'est un Sylvère juché sur son trône comme on chiait dans les bois qu'il découvrit, couronne de travers.

- Je dirais plutôt une étrange journée, votre Majesté. Me voilà votre Conseiller. Et ces deux hommes sont désormais ma propriété il semblerait.

Votre Majesté. Voilà au moins une chose qui ne changeait pas vraiment ! Son appellation.  L'ironie du sort lui étira un large sourire. Il n'avait pas pris la peine de s'agenouiller ni même de s'incliner

Cette journée se révélait des plus atypiques. D'abord, ce réveil dans cette cellule avec l'autre imbécile que son propre fils préférait à son père, il avait ensuite été vendu à un ancien esclave devenu seigneur et retrouvait forcé et le suivre jusqu'au palais royal. Les événements pouvaient-ils continuer à le surprendre ? Mais bien sûr que oui ! Naturellement ! Il se trouvait ainsi dans la salle du trôle, face au Roi qui n'était autre que le fameux brigand Sylvère d'Aiguemorte, celui-là dans une posture des plus particulières.

Finalement, ce n'était ni l'Enfer ni le Paradis, ici, c'était le monde de l'absurde.

Un petit sourire amusé se peignit sur sa face alors que Eldred devisait avec Sylvère.

Sylvère, roi, c'était aussi un bon moyen de rire, sans risquer top d'ennui.

"Saint-mère de pute, Sylvère d'Aiguemorte, toi de l'emire ? Mais quelle chierie ! C'est vraiment al plus belle coulllonnerie que le Ciel pouvait nous faire !"

Il dissimula son envie d'exploser de rire sous un masque de sidération.