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[le 12 décembre 1597] - Sur les bancs du passé

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Message par Alduis de Fromart Ven 4 Déc - 7:53

Alduis n’avait pas mis le nez dehors depuis qu’il était entré dans l’église dans la nuit du 9 au 10. Il ressemblait à un fantôme qui hantait les lieux, apparition blanche aperçue du coin de l'œil par quelques uns. Il errait, un peu au hasard, entre les chapelles rayonnantes, comme une âme en peine… ce qu’il était en un sens.

L’église était déserte.

Le jeune homme s’était assis sur l’un des bancs, en face du cœur, et observait les voûtes du monument. Il ne croyait en rien, et encore moins en un dieu imaginaire, mais le lieu disposait d’une telle présence que même lui devait la lui reconnaître.

Et pourtant… cela ne changeait rien à son opinion. Quoi qu’en dise Alexandre. Alduis avait bien conscience qu’il devrait bientôt rentrer à Fromart. Un jour. Un jour qui se rapprochait un peu plus à chaque heure qui passait. Qu'il n'en ai aucune envie ne changeait rien à la réalité, il devrait rentrer. Et plus tôt qu'il ne se sentirait prêt. Il ne pouvait rester éternellement dans l’édifice religieux.

Une église est un territoire sacré.
Tu es en sécurité ici.

Les mots d'Alexandre résonnèrent dans son esprit. Il avait promis… mais Alduis savait que c’était une parole vaine. Parce que rien n’arrêtait Coldris. Encore moins une église.

Il n’était pas en sécurité. On finirait par l’en faire sortir. Ses pires ennemies étaient toujours là. Les voix le suivaient, partout, tout le temps. Chaque jour et chaque nuit. Et en cet instant même, elles sifflaient.

Quand comprendras-tu ?
Que les promesses ne sont que du vent. Qu'elles ne valent rien.
Que crois-tu faire, avec ton misérable honneur ? Tu as oublié les leçons.
L'honneur est pour les idéalistes, Alduis.

- J'en ai rien à foutre, répondit-il, en posant ses mains à plat sur ses genoux et en regardant droit devant lui.

Tu voudrais lui ressembler.
Être aussi honorable que Soffrey de Rochencourt l'était.

Soffrey, et ses cheveux roux.
Soffrey, et son honneur.
Soffrey, et son corps empalé.

Alduis ne connaissait personne qui n'ait su être aussi charismatique que lui sans rien faire. Qui méritait autant de respect. Il aurait voulu lui ressembler, c'était vrai. Être aussi assuré et droit qu'il ne l'avait été de son vivant. Il ne le serait sans doute jamais, parce personne n'arriverait jamais à la cheville du capitaine, mais c'était comme un rêve que l'on caressait du bout des doigts.

Alduis, Alduis, Alduis…
Regarde-toi.
Et regarde où ça l'a mené, ton beau capitaine, regarde ce qu'il est devenu, avec son honneur.
Il est mort.
Ils sont tous morts.

Tous. Tu entends ?
Et tu finiras comme eux.
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Message par Augustin Carpentier Lun 7 Déc - 13:08

Eh bien, eh bien. La construction avait commencé. Et avec celle de la bâtisse se parachevait celle du personnage qui la concevait. On existait par son métier, après tout ; surtout quand on se faisait appeler Carpentier ; et plus les murs monteraient vers le ciel, plus la charpente de ce rôle qu'il jouait se révélerait solide. Mais la fragilité tout au fond demeurait, les fondations de sable sur lesquelles il avait improvisé cette imposture, dans un moment d'audace qui ne lui ressemblait guère. Et pour stabiliser ces fondations, rien de tel que de s'imprégner des véritables architectes qui s'étaient illustrés dans le voisinage.

Augustin errait donc en admirant les voûtes et leur agencement, le chapiteau des colonnes, et autres détails qu'il n'aurait pas su inventer. Il se disait que, durant toute une longue vie, il avait voyagé parmi les édifices bâtis en divers siècles, en servant divers maîtres, aux lignées diversement anciennes. Il se disait qu'il était étrange de voir autant et ne rien regarder. A présent qu'il cherchait à voir, la connaissance était partout ; mais c'étaient quarante années de perdues. Et il s'en mordait les doigts, cherchant à rattraper ce temps qui lui semblait infini. Sable entre ses doigts, vite envolé, sur lequel il tentait maintenant de construire un presbytère.

Ah, ça n'était jamais qu'une maison. Ceux qui bâtissaient les églises et les cathédrales étaient autrement fagotés, la tâche était sans commune mesure. Il notait dans son esprit, toujours un peu malhabile lorsqu'il s'agissait d'écrire et de tracer des plans, peu enclin à ce que d'autres l'observent raturer et corriger mille fois, et se moquent de sa gaucherie. L'endroit semblait désert... mais soudain, il entendit parler.

Il se raidit d'abord parce qu'il avait toujours peur de recevoir le bâton, lorsqu'une silhouette humaine surgissait soudainement dans ses moments de solitude. Puis ses poings se crispèrent et sa tête rentra dans ses épaules, ses yeux se fermèrent comme s'il attendait un impact ; avant même de reconnaître consciemment cette fois, quelque chose dans cet écho désincarné, qui se promenait entre les pierres sacrées, lui avait rappelé l'un des plus dangereux moments de sa vie. Celui où il était réellement passé à quelques pouces d'être démasqué et achevé sur la place publique. Celui où quelqu'un d'autre avait subi ce même sort juste sous ses yeux. Et un autre encore, celui qui parlait là-bas, avait écopé d'un destin peut-être pire.

La sensation de froid glacial lui revint avant le souvenir. Il sentait en même temps qu'il était de son devoir de se soumettre à son destin. Les statues, après tout, faisaient peser de toutes parts leurs regards de pierre sur sa sinistre condition. S'il avait tenté de s'enfuir, ne l'auraient-elles pas saisi par le revers de son manteau, pour le livrer à ses ennemis ? Une image naïve, reflet de ce que lui soufflait son instinct de survie : si tu ne veux pas être pris, évite de prendre un air coupable et de t'enfuir comme un voleur.

Allons ! Destin n'est point rivière : ils ne se mêlent pas lorsqu'ils se croisent, donc ils peuvent toujours se recroiser, se dit-il pour se donner du courage en s'avançant vers la silhouette blonde. Et sans savoir quoi dire, il amorça un profond salut. Puis s'immobilisa, se redressa et se demanda sincèrement comment un architecte était censé saluer un jeune monsieur connu dans une autre vie plus servile. Y avait-il un code pour cela ? Il n'en avait pas connaissance.

"Si je pensais vous revoir un jour," rit-il nerveusement, en tâchant de trouver quoi faire de ses mains. Le bout de ses doigts tremblait soudain, et il devait serrer les poings pour le cacher.

Car c'était bel et bien Alduis de Fromart, le garçon qui s'était disputé avec son père la nuit où le poulain était mort, et qui l'avait frappé le lendemain. Quant au reste, il fallait s'efforcer de ne pas y penser.
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Message par Alduis de Fromart Dim 20 Déc - 17:38

Il y avait des jours où les voix se faisaient bruyantes. Elles ne s’écoutaient pas entre elles. Elles parlaient toutes en même temps, si nombreuses, si bavardes qu’il avait souvent l’impression que sa boîte crânienne était trop petite pour pouvoir en contenir autant. À tel point qu’il n’entendait plus ce qu’il se passait autour de lui.

Tant et si bien qu’il n’entendit pas l’homme s’approcha. Pas plus qu’il ne sentit sa présence à côté de lui. Ce ne fut qu’un vague mouvement dans son champ de vision qui passa vite inaperçu, noyé au milieu du reste. Du moins jusqu’à ce qu’il ne parle.

— Si je pensais vous revoir un jour.

Alduis sursauta et fit volte-face. Par réflexe, sa main droite - malgré les bandages et la douleur qui brûla aussitôt ses doigts - se porta à sa dague. Avant qu’il ne se rende compte qu’il n’y avait nulle agressivité dans l’attitude de son interlocuteur, nulle raison d’attaquer. Il laissa retomber sa main tout aussi vite.

Mais ces traits lui étaient familiers. Ce n’était pas la première fois qu’il le voyait.

Il connaissait ce visage.
Il connaissait cette voix.
Il connaissait cette manière de se tenir.
Il connaissait l’homme qui lui faisait face.

Bertain.

Ce palefrenier qui avait servi un temps à Fromart, plusieurs années plus tôt. Ce palefrenier qui avait disparu du jour au lendemain, qui s’était volatilisé. Ce palefrenier qu’Alduis n’avait pas revu depuis le 14 juin 1592.

Le 14 juin 1592. C’était un grand soleil insolent dans le ciel. C’était sa colère. C’était le dernier baiser de Mathurin. C’était un cadavre ensanglanté, déchiqueté, jeté sur des rochers.

Mais pourquoi ?
Pourquoi avait-il ressenti ce besoin de se pencher, pour voir ?
Il aurait dû faire demi-tour sans attendre. Il n’aurait pas dû regarder en contrebas, pris de cette étrange pulsion.

C’est toi qui l’a tué.
Et qu’est-ce que tu vas faire alors ?
T’ouvrir le ventre pour le venger ?
Tu en as envie.
Alors pourquoi attends-tu ?

Alduis avait toujours les yeux posés sur Bertain. Il ne bougeait pas d’un pouce. Il le regardait sans vraiment le voir. Mais il sentait sa nervosité, dans son rire forcé, dans ses poings serrés qu’il serrait pour cacher les tremblements de ses mains. Il avait peur. Et cette peur se diffusait autour de lui, comme un épais brouillard. Elle avait une odeur, une texture, elle alourdissait l’air de ses fines épines, qui formaient comme une armure autour de lui.

Bertain avait peur. De quoi ? De qui ? Il sentait dans chaque muscle de son corps qu’il avait envie de faire demi-tour. C’était lui qui s’était approché. Il aurait pu l’ignorer et Alduis ne l’aurait pas remarqué. Que faisait-il là ?

Mais cette peur-là inquiétait les voix dans sa tête, qui parlaient encore plus fort, encore plus vite. Elles se gorgeaient de cette angoisse sourde qui saturait l’air, comme des affamées, et en alimentaient le feu au fond de son ventre.

Il a peur, Alduis.
Tu sens qu’il a peur, n’est-ce pas ?
Et toi ? As-tu peur ?

— Je n’ai pas peur, se répondit-il à lui-même, en oubliant de répondre à Bertain.
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Message par Augustin Carpentier Lun 21 Déc - 1:30

La cordialité mal imitée n'avait pas tenu ; elle n'était pas appropriée, de toute façon, et la comédie aurait été trop ardue à soutenir. Les pensées se mirent à défiler à toute vitesse, comme les danseurs de la Saint-Jean autour du feu.

Il fallait qu'il cache son ancien nom, qu'il impose le nouveau, mais comment ? Si telle était la volonté de ce jeune homme en face de lui, tout serait révélé, et que faire alors, que devenir ? Et pourquoi, cette fois, n'avait-il pas envie de simplement s'échapper, reprendre ses semelles de vent et retourner errer au lointain de l'horizon ? Pourquoi s'accrocher à ce redoutable péché d'orgueil, ce chantier qui lui coûterait peut-être sa peau ? Il était en danger. Et pourtant, c'était Alduis qui parlait soudain d'avoir peur.

Oh non, ce n'était pas son style. Ni de l'avouer si c'était le cas, naturellement, ce qui brouillait un peu la question. L'architecte tendit la main puis la rétracta aussitôt, il ne pouvait pas le toucher. Pas plus qu'il ne pouvait toucher le soleil. Il s'y brûlait déjà les doigts. C'était la chaleur du bûcher qu'il sentait comme un halo autour de cette silhouette, qui irradiait les tremblements chancelants des flammes et d'un esprit perturbé. En comparaison, le fou joyeux qui hantait les bois semblait presque sain de tête et d'âme.

"Non, n'ayez pas peur. Je ne vais pas..."

Quoi ? Toutes les manières de terminer cette phrase ressemblaient à des insultes. Lui faire du mal ? Il n'avait pas une chance d'y parvenir même en essayant, et il n'était certainement pas assez haut placé dans la hiérarchie sociale pour avoir seulement l'idée d'essayer. Non, ce qu'il pouvait faire de pire, c'était de révéler ce dont il avait été témoin jadis. Et ce n'était pas son intention. Il cherchait comment le lui assurer.

"Ne dites rien sur moi et je ne dirai rien sur vous."

C'était encore pire : c'était le langage d'un criminel qui en rencontre un autre et qui s'assure de son mutisme, or il n'avait techniquement rien à se reprocher ; quoique... il n'aurait pas été plaisant de voir circuler la rumeur qu'il n'était, quelques années seulement auparavant, qu'un vulgaire palefrenier sans aucune qualification. Et ils n'étaient pas des criminels. Ils étaient de pauvres fous atteints de la même folie et incapable de la repousser par leurs prières. Alduis avait tué, mais le crime ne reposait pas sur sa tête, lorsque toutes les responsabilités et toutes les volontés impliquées étaient prises en compte.

"Pardon, je ne devrais pas parler ainsi. Ce n'est pas respectueux. Vous êtes un gentilhomme... je suis architecte maintenant, je travaille comme architecte, je remplace le maître qui m'a instruit... mais je me souviens qui je suis, qui j'étais."

Il en bégayait. Il aurait avoué des choses qu'il espérait de toutes ses forces cacher au reste du monde. Sous ce regard, il était nu. Mais il se rappelait cruellement à quel point il avait été puni de ne pas savoir soutenir ce même regard, et il s'y forçait en ce moment, comme on se force à regarder le soleil.

Puis il n'y parvint plus et s'inclina, selon son habitude, les épaules voûtées dans une tentative misérable pour se placer plus bas que son interlocuteur. Si seulement il n'était pas si grand ! Cette maudite carcasse aurait pu être tellement plus discrète, si elle n'avait pas poussé d'un coup, jadis, en quelques rapides années où, par hasard, il avait été bien nourri. Encore une histoire à laquelle il ne désirait plus songer. Sa voix fit comme sa tête, et baissa autant que possible, presque en un murmure, pour échapper aux échos de ce lieu saint.

"A votre service, messire. Si je peux vous être utile en quoi que ce soit, n'hésitez pas."
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Message par Alduis de Fromart Mar 29 Déc - 17:21

Il n’avait pas peur. Pas du tout. Mais il avait beau se le répéter, en boucle, pour essayer de s’en persuader… cela n’y faisait pas. Parce que la vérité était là : il avait peur. Il était même terrifié. Et cela malgré la voix de Bertain qui résonnait. Ne pas avoir peur. Comment aurait-il pu le croire, alors qu’il sentait cette étrange nervosité qui se dégageait de lui ? Il secoua la tête.

Que n’allait-il pas faire ? Dans son champ de vision, les doigts s’approchèrent. Les muscles d’Alduis devinrent aussitôt aussi durs que de la pierre. De ce genre d’avertissement qui disaient : ne t’avises pas de me toucher. Les doigts se rétractèrent aussitôt, comme brûlés.

Soudain, il y eut ces mots.

— Ne dites rien sur moi et je ne dirai rien sur vous.

La respiration d’Alduis se bloqua. Les images envahirent son esprit. Le corps déchiqueté de Mathurin, le regard fuyant de Bertain et sa disparition. Est-ce qu’il le savait ? Est-ce qu’il l’avait vu ? Est-ce que… il avait compris ? Alduis releva brutalement les yeux pour les planter dans les siens, sans lui laisser l’occasion de se dérober. De ce regard qui fouillait, pour essayer de percer au jour quelque chose. Et la lueur dans ses yeux lui confirma quelque chose. Il savait, oui. Étrangement, cette certitude le calma, quand elle aurait dû l’apaiser. Comprendre enfin pourquoi il ne s’était jamais comporté normalement avec lui. Savoir lui faisait moins peur qu’ignorer.

Cela alluma une lumière dans son esprit, ramena les images floues qui lui restaient du typhus et… Eldred. Que lui avait dit Eldred déjà ?

Il n’y a que deux solutions, Alduis : lâcher-prise ou affronter.

Il n’avait pas vraiment compris, sur le moment. Il s’apercevait, avec le recul, que quelque chose lui avait échappé. Mais désormais, il voyait clairement de quoi avait voulu parler Eldred. Il devait affronter. Affronter la maladie dans les yeux. Affronter le vide dans sa mémoire. Et le remplir.

Il revint vers Bertain, le regarda encore. Pourtant, ce n’était pas tout. Il n’avait pas commencé à l’éviter ce matin-là. Non, c’était autre chose. Et cette autre chose-là… Pour la première fois, il fit le rapprochement. Il comprit pourquoi le palefrenier ne le regardait pas dans les yeux, pourquoi il lui semblait toujours fuyant et distant, comme s’il ne rêvait que de partir loin de lui. Parce que… parce que…

— Parce que tu es comme moi, déclara-t-il soudainement pour lui-même.

Il aimait les hommes comme Alduis les aimait. Malgré lui. Quand il aurait dû en avoir peur, cela le raffermit encore dans le monde présent.

Il avait changé d’identité. Il n’était plus Bertain, il n’était plus palefrenier, mais un architecte.

Ne dites rien sur moi et je ne dirai rien sur vous.

Alduis hocha la tête, comme un accord tacite, et cela quand bien même l’écho des mots en question s’était éteint depuis longtemps sous les voûtes. Il ne dirait rien.

Bertain s’inclina. Son regard disparut du sien. Comme auparavant. Alduis ne bougea pas de son banc, mais il se tourna vers lui. À la place de répondre à sa proposition de service, Alduis déclara, comme s’il réfléchissait à voix haute.

— C’est pour ça que tu m’as évité, tout ce temps… Parce que tu es comme moi.
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Message par Augustin Carpentier Mar 29 Déc - 19:48

Terrifié à l'idée de faire un faux pas, Augustin n'était que l'ombre de lui-même ; mais la substance lui revint tout à coup, comme les forces reviennent soudain à la bête acculée, alors qu'elle dépense pour sauver sa vie ses dernières gouttes de sang. Il s'agissait de bien davantage que d'une simple rencontre au sommet. Ils étaient face à face au sommet d'un gouffre, et ils étaient au delà du faux pas. Dans un sens, soudain plus rien ne le menaçait, et il respirait tout à coup librement, surpris par cette sensation, quasi balbutiant.

"Comme vous. Non, vous êtes un seigneur -"

Augustin ne pouvait pas continuer. Il savait exactement ce que cette phrase voulait dire, et il se sentait ridicule d'essayer de contourner le problème. Eh bien, c'était donc arrivé ; il était démasqué. Quand il y réfléchissait, c'était une catastrophe libératrice. Il releva les yeux et fixa Alduis avec attention. Ce n'était pas une vision désagréable, pas plus que ne l'était sans doute celle de l'ange exterminateur. Il était beau. Abîmé mais beau, comme un paysage de falaises. Il avait envie de le lui dire, mais ça ne lui paraissait pas utile sur le moment. D'autres le lui disaient certainement, avec beaucoup plus de lyrisme, et puis ce n'était pas forcément ce qu'il avait envie d'entendre. Ils avaient plus sérieux à discuter.

"Je ne suis pas entièrement comme vous. Je ne toucherais à personne. Eh bien, je ne suis pas un seigneur, je ne porte pas l'épée," ajouta-t-il comme il l'aurait fait devant témoins pour brouiller les pistes ; mais au delà, le sens réel de sa dénégation était flagrant. Ils ne parlaient pas du meurtre, ils parlaient de ce qui l'avait précédé.

Comment appeler ce qui l'avait précédé ? Non pas les actes. Il ne pratiquait pas les actes. Comment appeler ce qui les réunissait ? Un défaut de caractère ? Il appelait cela "être le fils de sa mère", pour d'autres raisons également. L'image d'un chat noir traversa brièvement son esprit, et il eut l'impression de vaciller. Il fallait qu'il se mette en mouvement. Tournant légèrement autour du jeune homme, il murmura :

"Je ne m'appelle pas Augustin. Je ne m'appelle pas Bertain. Je m'appelle Stelian. Et maintenant vous pouvez tout à fait me perdre, si d'aventure l'envie vous en prend. Je le regretterais, mais nous allons devoir vivre avec ce risque au dessus de la tête, pas vrai ? Autant que vous soyez à égalité avec moi."


Il avait des manières de loup qui regarde une proie, mais c'était là sa mauvaise habitude de vie sauvage, il ne lui voulait aucun mal ; il l'observait, simplement, avec cette curiosité pensive des bêtes qui se découvrent. Son regard scintillait, en quête de détails qu'il notait presque avidement, après toutes ces années où la menace blonde était restée à ses yeux une silhouette floue, une ombre de rapace errant dans le coin de son champ de vision, pour assombrir soudain les scènes où elle risquait de s'abattre. Eh bien, elle s'était abattue ; et finalement tout allait bien. Il n'avait pas réellement peur... La peur reviendrait dès que d'autres risqueraient de les entendre. C'était un moment en suspension, entre le temps où il aurait pu se cacher et celui où il ne le pourrait plus. En ce moment, ils étaient cachés ensemble.

Et ce qu'il voyait n'augurait pas bien des raisons pour lesquelles Alduis se cachait, ou des conditions dans lesquelles il le faisait. A bien le considérer, il avait davantage l'air d'un mort vivant que d'un seigneur en proie à ses méditations religieuses. D'ailleurs, il n'avait jamais rien eu d'un héritier.

"Vous n'allez pas bien, messire. Dites-moi ce que je peux faire pour votre service... D'homme à homme cette fois. Je ne dis pas cela en qualité de domestique, vous pensez bien."

Il en aurait été capable. Mais pas après cette annonce, qui était restée abstraite mais avait tout de même fait son effet. Ils étaient adversaires sur un échiquier bien au-delà des piètres préoccupations, mondaines et stupides, de la population humaine. Ils étaient deux démons qui se reconnaissent au coin d'un bois et se saluent avec prudence ; et ils avaient le devoir de veiller l'un sur l'autre, sur ce sujet en tout cas. Personne d'autre ne le ferait, sans doute. Il n'y avait pas de médecins et d'aumôniers, de cordonniers et de boulangers pour les gens comme eux. Et entre eux, pas de seigneurs ni de domestiques. Pas plus qu'il n'y en a entre les morts.

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Message par Alduis de Fromart Dim 10 Jan - 12:44

Alduis comprenait enfin ce qui lui avait échappé pendant si longtemps. Ce n’était pas sans raison que Bertain évitait sans cesse son regard et se faisait le plus distant possible. Il ne lui avait rien fait qui puisse justifier cette attitude… sinon le fait d’être comme lui. Amoureux des hommes. Pourquoi ne l’avait-il jamais remarqué avant ?

Mais au fond de lui, il le savait. Parce qu’il ne voulait pas être comme ça. Il avait sans cesse nié l’impact - bien plus fort - qu’avaient les hommes sur lui. Combien de fois s’était-il persuadé que ce n’était rien ? Et combien de fois son corps l’avait-il néanmoins trahi ? Il se rendit compte alors qu'il se trompait de question.

Bien sûr que si, il avait remarqué que Bertain et lui se ressemblaient. La preuve était là : il n'était en fin de compte absolument pas surpris par cette révélation. La vérité, c’était qu’il avait refusé de le reconnaître. Il avait étouffé cette certitude au fond de son esprit, tant et si bien qu’il en était venue à l’oublier.

— Comme vous. Non, vous êtes un seigneur.

Alduis était noble, certes, et Bertain - s’appelait-il seulement Bertain ? - n’était qu’un palefrenier, un vagabond changeant de nom et d’identité. Ce n’était pas de cela qu’Alduis parlait, et il savait que son interlocuteur avait très bien compris.

Enfin, Alduis croisa son regard. Pour de vrai cette fois. Bertain ne le fuyait plus. Il le regardait, droit dans les yeux, comme s’il avait compris que cela ne servait plus à rien. Alors ne dit rien. Il se contentait de le regarder. Et de se reconnaître dans ces prunelles. D’une certaine manière.

— Je ne suis pas entièrement comme vous. Je ne toucherais à personne.

Alduis ne bougea pas d’un pouce. Ne toucher à personne. Ce n’était pas faute d’avoir essayé. Il avait lutté. Depuis des années, il ne faisait que cela, lutter, lutter et lutter encore. Mais il n’y arrivait pas.

L’homme ne s’appelait pas Augustin. Ni Bertain. Ni aucun autre prénom qu’il aurait pu donner. Son vrai nom était tout autre. Stelian. Alduis répondit mécaniquement :

— Bonjour, Stelian.

Il ne savait même pas ce qui lui prenait de dire une telle chose. Peut-être parce que bonjour lui semblait à l’heure actuelle le meilleur signe de paix possible. Parce que saluer quelqu’un, n’était-ce pas un peu comme recommencer du début ?

— Vous n’allez pas bien, messire.

Alduis ouvrit la réponse pour répondre que, si, il allait très bien. Mais il s’arrêta à temps. Il n’y aurait que les idiots pour le croire. Même lui n’arrivait plus à se persuader. Les blessures qu’il camouflait depuis toujours devenaient trop grandes, trop suppurantes, pour continuer de les enfouir. Il détourna alors les yeux. Il se retourna vers la nef de l’église et posa les mains sur ses genoux. Il demanda simplement, d’une voix éteinte :

— Comment est-ce que tu fais… pour résister ?

Pour résister contre cette tentation qui venait entraver ses intestins dès qu’il posait ses yeux sur l’un d’eux et qui, un bref instant, écartait son attention loin, très loin, de ce qu’il était en train de faire.
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Message par Augustin Carpentier Lun 11 Jan - 14:05

Stelian, prononcé par une autre voix, sous une voûte sacrée ; c'était presque un blasphème. En tout cas c'était une prise de risque, et il n'en revenait pas de l'avoir tentée. Maintenant, il respirait un autre air. Comment faisait-il ? Ah, il n'y réfléchissait pas, il le faisait, voilà tout. Et il disposait pour cela, dans sa misère originelle, de mille privilèges auxquels Alduis n'aurait jamais accès. A moins de contracter la lèpre et de finir défiguré sur les chemins, et encore. Sa prestance ne disparaîtrait pas si aisément.

"Je vous l'ai dit. Je ne suis pas un seigneur. Alors souffrir n'est pas un problème. On ne rejette pas une vie désagréable, chez nous. Comment vous expliquer ?"

En temps normal, il se serait arrêté à cette question, et serait parti marmonner dans son coin ; mais là, à son grand étonnement, il sentait qu'il pouvait parler à coeur ouvert. Les mâchoires de l'architecte, ordinairement crispées par une grimace obséquieuse ou morose, s'étaient déliées. Il avait l'impression qu'un charme avait été levé. Il éleva ses mains, et la lueur qui tombait des vitraux s'y accrocha. C'était étrange de marcher ainsi en pleine lumière. C'était chaud, comme un nouveau pays, inondé de soleil, sans doute aussi plein d'insectes venimeux, mais il serait toujours temps de s'en soucier plus tard.

"Je suis un vieil homme, j'ai passé quarante ans. Cette vie a été longue, très longue. Mais je m'y accroche parce que je ne suis qu'une bête. Vous autres, on vous apprend à ne pas trop y tenir... ou à vous battre, quand ça semble possible ; moi, mon sacrifice n'aurait aucun intérêt pour personne, alors je vais juste tenter de vivre encore longtemps. Et si ça veut dire souffrir, alors je souffrirai. C'est notre forme de sacrifice, à nous. Il est silencieux. Il ne veut déranger personne."

Maintenant, il n'arrivait plus à s'arrêter de parler. Une sorte de fierté tragique de la condition où il était piégé, où il s'était piégé à force d'expériences répétées et de choix refaits à l'identique, le poussait à se confier. Mais il restait incapable de se comparer favorablement à un supérieur. Il fallait qu'il soit honnête. La tentation qui mordait le coeur d'Alduis, il la connaissait aussi. Elle était tout aussi farouchement ancrée dans sa poitrine. Parfois, il suffisait d'un ange sculpté sur la façade d'une église... La chair ne se détachait jamais totalement des bonnes résolutions de l'âme. Elle était juste disciplinée, mais toujours là, comme un loup devenu chien avec l'âge.

Cet aveu aussi devait être fait. Pas une seconde, Alduis ne devait penser avoir affaire à un saint. L'espoir de parvenir à cet état de détachement n'était permis à aucun d'entre eux. Pour une fois qu'il avait l'occasion de jouer presque un rôle de père ou d'aîné, lui qui avait fui ces tâches avec l'angoisse d'être accusé d'imposture, lui qui était actuellement tout à fait dans son rôle en endossant ce devoir, il n'allait certainement pas mentir. Il allait être aussi franc qu'il le devait. Après tout, le désespoir cesse d'être totalement désespéré, lorsqu'on voit un autre y subsister, n'est-ce pas ?

"Bien sûr, il arrive que ça devienne difficile de garder le silence, et dans ces moments-là je m'arrange pour le préserver autrement. Je mets de la distance. Je disparais. Vous, on vous chercherait ; vous êtes important, et puis vous êtes aimé de tous, certainement ; moi, c'est égal à tout le monde, je suis libre."

Un rire amer secoua ses épaules et il se détourna, pour s'appuyer à la muraille et regarder une complexe inscription gravée. Mais ses yeux flottaient entre les lignes, sa vision troublée par un chagrin qu'il n'autoriserait jamais à se transformer en larmes. Cela non plus n'arrivait pas, dans ce monde dont il était issu ; on n'apprenait pas cet art, pleurer sur son propre sort.

"Même mes femmes ne m'ont jamais cherché. Alors des amis auxquels je ne parlais pas franchement... vous pensez bien. Je suis libre comme un mort. C'est à ce prix-là que je mène cette vie. Et je suis sûr que, pour vous autres seigneurs, il est d'autres façons."

Une retraite religieuse, loin du monde... Etait-ce ce qui amenait ici le jeune homme blond ? Le doute était permis. Ou alors, il s'y adonnait trop vigoureusement, et c'était en train de le tuer.
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Message par Alduis de Fromart Ven 15 Jan - 11:37

Stelian répondit. Ce furent quelques mots, un verbe en particulier, qui firent écho en lui. Souffrir. Ces quelques phrases ressemblaient presque à un aveu, à une chose que l'on avait longtemps gardé pour soi et que l'on confiait soudainement sans bien savoir pourquoi. Un peu comme sur un coup de folie dont on ne prenait la portée qu'une fois fait.

Cet homme, ce vagabond sans attache, souffrait. À sa manière, sûrement bien différente de la sienne, une souffrance peut-être plus solitaire. Mais qu'était-ce pire entre les deux ? Être seul et le savoir ? Ou bien être entouré constamment, et avoir tout de même la sensation d'être un homme abandonné ?

Et puis, qu'est-ce que ceci signifiait exactement ? Qu'une vie désagréable valait toujours mieux que pas de vie du tout ? Alduis était-il fou de ne pas avoir envie de celle qu'il avait ? Peut-être. Mais cela ne changerait rien à la situation. Il n’en voulait pas, ce cette vie-là, et si cela signifiait mourir, alors c’était ce qu’il voulait. Il ne voulait pas être le pantin de la vie. Mourir, c’était reprendre les rênes de quelque chose qui lui avait échappé.

Il avait vingt-huit ans. Chaque jour passant le rapprochait de sa vingt-neuvième année. Avait-il vraiment envie de la fêter ? Non. Parce que, lui, ne serait jamais un vieil homme. Il se tuerait avant. Il eut un sourire sombre, un sourire éteint. Un sourire qui n’en était pas un.

Stelian et lui étaient pareils, oui. Mais pourtant, un point en particulier les différenciait. Un point qui faisait d’eux des hommes différents de bien des manières, au-delà de leurs attirances communes.

Stelian s’accrochait comme une bête à la vie. Il voulait la retenir, et précisément pour cette raison, elle fuyait sans cesse entre ses doigts et menacer de se briser.

Alors que lui… la vie continuait de s’accrocher, encore et encore, comme un parasite, et cela parce qu’il n’en voulait plus. Peut-être même que Stelian mourrait avant lui, par l’ironie des choses ? Il ricana aigrement, pour lui-même. La mort n’était un sacrifice que lorsqu’on voulait encore vivre.

— Je mets de la distance.

Mettre de la distance, voilà une chose qu’Alduis avait essayé de faire lui aussi. À sa manière. Là où Stelian pouvait simplement en mettre physiquement, Alduis l’avait imposé d’une autre manière. En marquant son visage avec sa dague, en poussant Mathurin dans le vide. Il avait voulu, tant de fois, l’éloigner. Pourquoi cela n’avait-il fait que les rapprocher ?

— Être aimé de tous.

Il secoua la tête. Stelian se trompait. Qui l’aimait, au juste ? Alduis n’en savait rien. Alexandre, bien sûr. Bérénice, certainement. Et qui d’autre ? Il y avait un grand vide au fond de lui qui ne serait jamais comblé.

— Tu ne sais pas ce que tu dis.

Quant à être libre comme un mort… Alduis enviait cette liberté-là plus que tout au monde. Mais tant qu’il serait vivant, il demeurerait prisonnier.

Oh oui, il y aurait certainement des manières d’effacer les indices au fond de lui. Si profondément qu’il finirait lui-même par les oublier. Stelian avait raison mais…

— Il y a encore un an, j’aurais donné mon âme pour pouvoir changer. Mais maintenant… maintenant, je n’ai plus envie.

Et là était tout le fond du problème. Après avoir passé des années à vouloir être normal, cela revêtait soudainement une importance moindre. Et cette certitude-là était peut-être la pire de toutes. Il ne pouvait plus faire demi-tour, c’était terminé. Il était amoureux. Désespérément amoureux.
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Message par Augustin Carpentier Jeu 18 Fév - 11:45

Aimer n’est pas le problème. Le problème est d’être aimé.

Augustin plonge dans des abîmes de réflexion où il n’avait jamais mis les pieds, conscient d’être chaussé de plomb et voué au naufrage. Il regarde la surface de la raison raisonnable disparaître au loin, si loin qu’il ne l’atteindra jamais plus.

Pour lui, c’est une évidence, Alduis est aimé. Certes, pas de tous au sens strict ; il a des conflits ardents avec cet homme qui est son père, s’il est encore de ce monde ; certes, il ne peut pas trouver la paix dans ce domaine-là. C’est presque obligatoire, pauvres hères imparfaits qu’ils sont, comme tout autre mortel doit se résigner à ne pas pouvoir séduire l’intégralité de ses connaissances. Mais tout de même, Alduis est aimable. C’est ce que voudrait communiquer Augustin, sans trop savoir par quels mots attraper le message.

Il s’en est gardé avec soin, tant qu’il a eu don de vie. On ne complimente pas les gens de trop près ; on ne montre pas à quel point on les trouve attachants. On ne cherche pas non plus à être aimé. Il sait que c’est ce qu’il pense de sa propre condition. Le conseillerait-il à plus jeune ? Le conseillerait-il à Alduis ?

C’est ce que le jeune homme a expérimenté lors de leur première rencontre : aimer et être aimé, voilà qui cause les drames. Pour peu qu’on n’ait pas une stratégie parfaitement affûtée afin de les éviter. Et ce qu’il a devant ses yeux n’a aucun point commun avec un stratège. C’est un jeune taureau prêt à se jeter dans les obstacles, les yeux fous, la conscience éteinte, le désespoir et le besoin de fuir allumés comme des brasiers dans son crâne en proie aux gémonies.

« Tu peux y arriver. Vivre ainsi, sans rien changer. Moi, je n’aurais pas pu. Toi, tu as tes chances. »

Aimer. Etre aimé.

Etait-ce cela qui avait changé la perspective d’Alduis ? Etre aimé jusqu’à ne plus pouvoir échapper à la perspective de cet amour, vague après vague brisée contre la falaise jusqu’à l’éroder ? Stelian n’avait assisté qu’à la première vague, et l’avait vue se briser, mais aujourd’hui la falaise tremblait, et l’homme qui y était emmuré allait peut-être pouvoir goûter à un peu de liberté. Il pouvait l’imaginer. Pour un autre, c’était en fait facile. Du moins, un autre qui disposait d’un grand nom, d’une fortune, d’une détermination de guerrier, et sans doute d’appuis sur la puissance desquels il pourrait bâtir une vie.

Il raisonnait en architecte, et le terrain lui paraissait suffisamment stable pour cette entreprise ; maudit, mais stable.

C’était à la fois mélancolique et étrangement rassurant, de savoir qu’ils étaient si différents face à la même bataille, et que là où Stelian avait perdu d’avance, d’autres pourraient ramasser la bannière et repartir en avant, avec de meilleures chances. Mais pour une fois, la résignation du vagabond ne lui donnait pas envie de baisser la tête ; elle lui donnait envie de la relever, et de contempler le succès de ceux qui passeraient après lui.

Son interlocuteur semblait brisé, comme on l’est toujours sur un champ de bataille, mais d’autres aubes viendraient corriger ce paysage de sang. Par une forme de cruauté inconnue, l’architecte souhaitait pousser l’autre homme à se battre en son nom, mais n’était-ce pas ce que la noblesse promettait de faire, en échange de tous les privilèges qui lui étaient octroyés ? Il insista en se rapprochant du jeune homme, cherchant à capter son attention à travers son visible égarement. Sans y songer, il l’exhortait comme il l’aurait fait face à un apprenti sur le chantier, qui n’aurait pas osé s’aventurer sur les échafaudages.

« Tu me comprends, Alduis ? Tu as des armes que je n’ai pas, tu as des forces qui sont propres à ton rang. Ton sang peut te tirer de ta douleur comme il t’y a plongé. Il faut que tu restes calme. Pèse le risque et le gain à prendre le risque, comme si tu t’engageais dans un tournoi. »

Un sourire léger apparut sur ses lèvres et il conclut, étonné de sa découverte, mais conscient qu’il touchait à ce qui faisait souffrir Alduis, une blessure qui avait causé chez lui une sorte de cécité :

« Je crois que je vois en toi des forces que tu ne peux pas encore voir. Tu n’y croiras qu’après les avoir éprouvées à la main, probablement. »
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Message par Alduis de Fromart Dim 21 Mar - 10:57

Vivre sans rien changer… Il y avait pourtant des tonnes de choses qu’Alduis aimerait changer. Et d’autres tonnes qu’il aimerait pouvoir oublier. Mais sa mémoire le privait de ce droit. Il se souvenait de tout, du moindre des jours, de la moindre de ses erreurs. Elles étaient solidement ancrées dans son esprit, comme enracinées.

Ils ne savaient pas quelle chance ils avaient, eux, de savoir qu’un jour, tout finirait par leur sortir de l’esprit… Il ne pouvait pas en dire autant. Dans dix ans, cette conversation menée avec Stelian sur les bancs de cette église, une conversation pour le moins insolite, il savait qu’il pourrait la retranscrire mot pour mot, image pour image. Comme si elle avait eu lieu hier, quand elle serait certainement sortie de la tête de son interlocuteur depuis bien longtemps.

Vivre sans rien changer…

Si seulement il avait pu remonter le temps. Reprendre tout depuis le début. Il ne pousserait pas Mathurin dans le vide, pour commencer. Qu’importe ce qu’il ferait, mais il ne le pousserait pas. Jamais. Et il ne tracerait pas cette balafre sur sa joue non plus. Parce qu’avec le recul, c’était ridicule. Illusionnel. Alduis secoua la tête. Oui, il aimerait changer beaucoup de choses, mais étrangement, réussir à aimer les femmes lui semblait désormais… de moindre importance. Après des années à essayer, il n’en avait plus envie.

Stelian se rapprocha. Il semblait soudainement soucieux de lui faire comprendre… il ne savait pas quoi. Rester calme. Combien de fois se l’était-il répété ? Qu’il devait rester calme. Il n’y arrivait pas. Tout finissait toujours par le dépasser.

— Je ne sais pas. Je ne sais pas faire, répondit-il.

Il baissa les yeux sur ses mains et les lui indiqua d’un geste de menton. La gauche était couverte de lignes, blanches, roses, rougeâtres, autant de lignes qu’avaient tracées ses couteaux quand il les serrait pour revenir dans le présent et apaiser le torrent d’émotions incontrôlable au fond de lui. La droite était enveloppée dans les bandages, pour protéger la chair lacérée par les débris de verre. C’était encore brûlant et douloureux, dès qu’il bougeait les doigts.

— Je n’y arrive pas.

Alors quelles forces y avait-il en lui, dans ce cas ? Quelles forces voyait Stelian ?
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Message par Augustin Carpentier Mer 31 Mar - 13:33


Que dire ? Que répondre à une telle détresse ? Il y avait une réponse. Il fallait qu’il y en ait une, sans quoi leurs vies à tous les deux n’étaient que des plumes emportées par le courant de l’eau, vouées à une rapide destruction ; il fallait qu’Alduis puisse être sauvé, car c’était le signe qu’un salut était possible pour tous deux. Et puis, une sorte d’instinct le criait à Stelian, du fond de son esprit qui combattait tous les démons à la fois, dans cet instant de silence et d’immobilité, les siens et ceux des bâtisseurs d’églises, ceux de son interlocuteurs et ceux de toute sa lignée. Un instinct qui lui disait : il y a aussi des voies qui mènent vers le dehors. Le monde n’est pas un temple clos. La nature a des domaines où elle s’exprime sans entraves, sans avoir à soulever aucun pavé de ses racines.

« Tu as été cassé en morceaux, mais… »

Stelian resta silencieux quelques secondes, le regard perdu dans le vide. Non pas le vide, mais un ciel loin de là, traversé de branches aux feuilles irisées de lumière, et de cheveux aux boucles brunes qui accrochaient ce soleil détourné. Un regard qui se posait sur lui avec le même calme imperturbable que les forces de la nature qui l’environnaient. Un écrin qui l’avait ramené à laisser échapper, à la surface de sa conscience, quelques bribes enfouies.

Elles flottaient de ci de là, et il hésitait à les cueillir ; mais l’électricité de cette conversation, la solennité du lieu, rendaient ce parallèle logique. Les colonnes étaient des arbres, les arcs des voûtes étaient des branches, les peintures appliquées aux plafonds dessinaient un ciel, mais tout était si artificiel ici et tellement contrôlé, tellement rigide ! Une pâle copie, il le savait, il en bâtissait désormais de ses mains. Il avait vu l’envers du décor de près. Tout cet assemblage de matériaux n’avait plus aucune magie.

« J’ai parlé à quelqu’un, il y a un temps, et une image m’est venue en tête. »

Il avait la voix basse, comme s’il racontait une histoire à un enfant. Les mots s’entrechoquaient dans sa gorge, cherchant à prendre une forme compréhensible. Le message devait passer, d’une âme à l’autre, deux âmes meurtries qui pouvaient peut-être établir une communication à laquelle le restant du peuple échouerait sans doute… pour autant qu’il eût essayé. Aucun prêcheur de bonne nouvelle, aucun ami compatissant, aucune demoiselle sensible, ne dirait ces mots pour les avoir éprouvés. Il ne fallait pas les broder comme un joli spectacle, ce n’était pas un travail d’artiste, une église de pierre ; c’était une œuvre de nature. Et en ce moment, ce que Stelian s’était risqué à imaginer dans l’arbre se profilait comme une île sur l’horizon, et l’océan de ses malheurs semblait avoir une fin : il éprouvait une forme de fraternité envers ceux qui souffraient comme lui. Il avait toujours eu une famille, dans la personne de ces êtres dispersés à travers le monde. Comme les mendiants infirmes forment une famille entre eux, comme les moines sont frères.

« Toi et moi, nous sommes des vitraux. Nous avons été cassés, nos couleurs ont été mélangées, nos angles sont aigus, tranchants, fragiles. Mais… mais le métal qui nous tient en un seul morceau est solide. Et nous offrons… une vision. Quand la lumière traverse, elle dessine quelque chose qui est beau à regarder. Elle raconte une histoire de survie. »

Ses poings s’étaient serrés, son regard s’était éclairé d’une lueur inquiétante. Des forces montaient du sol souterrain, et s’infusaient dans ce corps planté au milieu de ce lieu de culte, telle une épée plantée au milieu d’un champ pour y attirer la foudre. Tel un intrus.

« On devrait nous montrer en exemple aux petits enfants pour leur apprendre à se relever de tout ce qui les frappe. On devrait nous reconnaître parmi les saints. »

Il éclata d’un grand rire cynique, se détourna pour toiser les vitraux environnants et les défier du regard : que racontaient-ils ? Untel qui avait refusé d’abjurer sa foi, et qu’on avait décapité ; il montait au sommet de la colline, portant sa tête sous son bras. Voilà qui serait utile à la communauté, on saurait où bâtir l’église et où faire payer les pèlerins. Telle autre était jetée aux lions, puis aux serpents, puis aux taureaux furieux, miraculeusement intacte sous ses vêtements déchiquetés et sanglants : il fallait bien que les bonnes gens décentes prennent leur plaisir pervers, et quoi de mieux que des images ancestrales qu’il était impossible de toucher ?

« Les saints sont pathétiques de toute façon. Des croquemitaines. Nous avons passé l’âge. »

La voix d’Augustin avait changé. Elle respirait la rébellion. Son visage se crispa, cherchant à contenir le sourire sarcastique et presque diabolique qui s’y était peint ; son cœur battait d’une énergie volcanique et il se sentait prêt à tout. Il se modéra de justesse. Qu’il soit possédé par de tels démons, passe, mais il ne devait pas les transmettre à ce jeune homme perturbé et visiblement mal dans sa peau. Ce n’était pas gentil. Le jeune seigneur ne lui avait rien fait, après tout. Il se décomposa, et recula dans l’ombre avec un balbutiement, redevenant le pauvre hère qui s’effaçait en présence de ses nobles maîtres, celui qu’Alduis avait connu jadis, et dont la perte de dignité l’avait tant poussé à bout. Après tout... il commençait à peine à penser ; alors faire ! non, il ne savait pas faire, lui non plus. Pour qui se prenait-il ?

« Pardonnez-moi, messire... Je parle sans savoir. »
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Message par Alduis de Fromart Ven 30 Avr - 11:59

Spoiler:

Cassé en morceaux. Cette phrase trouva une résonnance inattendue à l’intérieur de son ventre, sans qu’il ne puisse dire pourquoi. C’était exactement comme cela qu’il se sentait. Cassé. Déchiré. Il n’était plus vraiment lui-même. Mais l’avait-il été un jour ? Parfois, il ne savait plus qui il était. Les choses lui échappaient. Stelian lui avait dit de rester calme. Certes, mais comment faire, quand on ne savait pas se maîtriser ? que même les voix à l’intérieur de sa tête n’en faisaient qu’à leur guise, comme muées de volonté propre ? Et pourtant, elles faisaient partie de lui, Eldred l’avait dit.

Stelian, de son côté, continuait de parler. Il poursuivait sur sa lancée et Alduis écoutait, sans rien dire. Les mots étaient bas, il devait presque tendre l’oreille pour l’entendre. L’église demeurait déserte. Alduis n’avait même pas relevé qu’il ne le vouvoyait plus comme le demandait les mœurs de la société. Il n’y avait plus de classe sociale entre eux, plus de noble, plus de roturier. Juste un homme, de quinze ans son aîné, qui lui parlait. Comme pour le rassurer.

— Toi et moi, nous sommes des vitraux. [...] Quand la lumière traverse, elle dessine quelque chose qui est beau à regarder.

Alduis leva les yeux vers les couleurs chatoyantes que faisaient luire le soleil. Alduis n’aurait su dire mais ces mots-là ramenèrent ces mots qu’Eldred lui avait dit quelques jours plus tôt, dans cette même église, alors qu’ils venaient de s’affronter sur l’autel. Alors qu’il venait de rire de nouveau. Sincèrement. Pour la première fois depuis… onze ans. Qu’est-ce qu’Eldred lui avait dit, alors ?

Tu devrais rire plus souvent, ça te va mieux.

Peut-être était-ce cela qu’il avait voulu dire, en quelques sortes. Le rire se transformait soudainement en cette lumière qui passe à travers le vitrail et qui, tout à coup, en offre une nouvelle vision, si différente des autres. Oui, mais… Alduis n’avait pas envie de rire aujourd’hui. Il ne répondit rien.

La suite, néanmoins, y parvint. Mais pas un rire lumineux et sincère, non, le genre de rire aigre, qui constitue davantage un sifflement qu’autre chose.

— Moi, un saint ? J’ai tué des hommes et j’envoie Dieu se faire foutre. Je doute qu’il veuille de moi, et quand bien même. Moi je ne veux pas de lui.

Quant à raconter son histoire aux petits enfants. Alduis n’avait pas l’intention de se relever à chaque nouvelle difficulté. Au contraire, il avait l’impression de tomber un peu plus profond à chaque fois. Il continuait de s’enfoncer dans la mélasse. Un jour, elle recouvrerait son visage et il se noierait dans cette substance qui empoissait son coeur.

Il y avait presque une forme de révolte dans le regard de Stelian. Une fièvre qui semblait tout à coup envahir ses veines puis, tout aussi soudainement… plus rien. Stelian recula, de nouveau soumis. Il reprit le vouvoiement. Ce fut à son tour de parler, alors.

— À ta place, je céderai.

Inutile de préciser davantage. Céder à la tentation. Alduis hocha la tête pour lui-même, baissa les yeux sur sa main bandée et ajouta :

— Peut-être que c’est parce que je ne fais pas assez d’efforts, je ne sais pas. Sans doute. Ce que je sais, c’est que l’espace de quelques temps, il n’y a plus rien d’autre qui existe. Une fois que tu seras mort, ce sera trop tard. Alors peut-être que… tu devrais.

Et tant pis pour le reste.
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Message par Augustin Carpentier Mar 11 Mai - 17:44

Spoiler:

Pauvre enfant. Il était fatigué de vivre, le tiers du jeune guerrier destructeur qu’il avait croisé jadis. Mais ce n’était pas plus mal. N’était-il pas plus en capacité d’aimer ainsi, puisque c’était une chose qu’il s’autorisait ? L'architecte le plaignait, mais tâchait de voir un progrès dans cette progression. Et sa réponse était suspendue entre la tirade agressive qui avait précédé, et la docilité craintive de son habitude.

« On ne cède pas seul à ce genre de tentation, messire. C’est ce que je voulais dire, que vous êtes aimable… Vous êtes jeune et noble et magnifique, les regards se fixent sur vous. Moi, je ne suis qu’un vieux chien déchiré aux épines de la route. Vous en trouverez, vous, des compagnies ; moi… Serais-je même d’humeur à fréquenter des femmes que je les ferais fuir. Alors... »

A son tour, il baissa les yeux sur ses mains. Ces outils-là portaient les marques amères de tout ce que la vie avait connu de chocs, de tâches répétitives, de malchances et d’habitudes. Mais rien ne trahissait qu’il avait porté des alliances de temps en temps.

« Les fois où je me suis marié, elles étaient dans des situations désespérées et cette alliance leur rendait service, rien de plus. Ou c’était une sorte d’amitié pragmatique qui nous liait. Cette chose dont vous parlez, qui fait oublier tout le reste, je ne sais pas ce que c’est. »

Il parlait tout seul. Il avait vaguement conscience de la sévérité du trouble qui dévorait son jeune interlocuteur. Une compréhension parfaite, une réponse logique et construite, il ne lui réclamait pas tout cela. En fait, il ne lui réclamait rien. Peut-être simplement une bribe de cette entente dont il ne pourrait jamais que rêver, cette bribe qu’il avait dérobée parfois, lorsque certains maîtres s’étaient montrés plus humains que les autres, et qu’il avait eu le privilège de veiller sur eux comme s’il faisait partie intégrante de leur famille. Cela, il aurait pu le mendier.

Ils n’étaient pas des vitraux semblables ; ils arboraient des couleurs, une richesse de ton, une sévérité de visages, complètement différentes, et leurs messages s’exprimaient dans des langages qui n’avaient presque rien à voir ; ils n’étaient pas traversés par la même lumière. Mais quelque chose pouvait se tisser, brièvement, d’égal à égal, après ce qu’ils venaient de s’avouer, cette faute de  caractère comparable qu’ils partageaient comme une même croix.

« Mais je vous fatigue. Votre santé n’est pas brillante. Vous devriez vous asseoir, et boire un peu. Quitte à être de mauvais diables... »

Il regagna l’entrée de l’église, en fouillant dans le matériel qu’il transportait à sa ceinture. Non, pas le fil à plomb… En l’occurrence, ça ne servirait à rien. Le petit gobelet de bois serait plus utile.

L’eau du bénitier n’avait pas cet aspect repoussant qu’elle prend parfois à l’issue d’une grand-messe, quand le tout venant est venu y plonger une main parfois plus sale qu’un pied honnête. Elle était encore claire et limpide, libre de la fréquentation des croyants. Autant en profiter. L’architecte y plongea son gobelet, furtif comme un voleur. Sacrée ou pas, c’était toujours de l’eau. Il revint en abritant derrière sa main le précieux chargement, comme les enfants abritent la flamme de leur bougie en montant vers l’autel. Et il le présenta avec le même regard : entre vos mains, je remets mon esprit.
Que leurs deux reflets étaient donc embrouillés, là-dedans...

« S’il vous plaît. Pour me faire plaisir. »
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Message par Alduis de Fromart Mar 8 Juin - 23:20

Stelian avait raison. Pour céder, il fallait être deux. Il fallait être attiré… et dans un certain sens, attirant. Pourtant, Alduis savait que son interlocuteur se trompait sur ce dernier point. Parce qu’il avait eu l’occasion d’en faire l’expérience. On le lui avait dit des milliers de fois. Eldred, Bérénice, Mathurin.

— C'est faux.

Il secoua la tête distraitement et ajouta, les yeux toujours braqués sur sa main bandée.

— Tu sais… ma cicatrice...

Il ne précisa pas de laquelle il parlait. C'était suffisamment évident. Celle qui coupait la partie droite de son visage et brisait l'harmonie de ses traits. À l'époque, il connaissait déjà Stelian, sous un autre nom, celui d'un palefrenier : Bertain.

— C'est moi qui l'ait faite. Et je ne me serai pas arrêté là si ma sœur ne m'avait pas arrêté. Et tu sais pourquoi ? Parce que je me suis dit que si je devenais laid, on aurait peur de moi et plus personne n'aurait été attiré.

Seulement, il s'était trompé. Et il s'en tirait avec cette cicatrice.

— La vérité, c'est que… ça ne change rien. On ne tombe pas amoureux du physique d'une personne. Ma sœur me l'a dit, et elle a raison.

Tu seras toujours beau..

Parce qu'il y avait des choses que les yeux ne savaient pas voir. Stelian avait autant de chance qu'un autre, il suffisait d'en prendre conscience. Quand on y réfléchissait même, si Alduis avait dû choisir un amant sur son allure, ça n'aurait pas été Alexandre. Parce qu'il n'avait pas une carrure, ni des muscles, de soldat. Pourtant, c'était de lui dont il était tombé amoureux. N'était-ce donc pas une preuve en elle-même ?

— Mais je vous fatigue.

Alduis secoua la tête tout à coup, inquiet à l'idée de se retrouver de nouveau seul.

— Non, restez, dit-il, alternant vouvoiement et tutoiement sans transition, avant de comprendre que Stelian ne s'apprêtait pas à partir, simplement à aller chercher de l'eau.

Alduis ne croyait pas en Dieu, boire celle du bénitier, il s'en fichait. Ça ne signifiait rien pour lui. Il accepta le verre. Il leva les yeux vers le crucifixe au fond de l'église, de ce genre de regard qui clamait : Je bois votre eau bénite, et je vous emmerde.

Alduis vida le verre et le rendit à Stelian. Ça faisait du bien. Il bougea les doigts de la main droite et se rappela alors ce qu'avait dit Alexandre. Changer les bandages. Mais c'était trop douloureux à faire seul. Alors il leva un regard interrogateur vers Stelian et lui demanda, en lui désignant sa paume charcutée sans pitié par le verre :

— Est-ce que tu peux m'aider ? J'y arrive pas tout seul.
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Message par Augustin Carpentier Jeu 10 Juin - 15:18

Etrangement, le concept de s'arracher la moitié du visage pour éviter que ce dernier n'attire des attentions négatives était tout à fait compréhensible pour l'architecte. Il aurait pu se livrer à ce genre de folies, s'il avait été acculé à un mur sans issues. Si, par exemple, il s'était aperçu qu'on le reconnaissait. Tant que c'était quelqu'un comme Alduis, il n'y avait pas de danger excessif. C'était un fou qui pouvait parler inconsidérément, mais c'était un fou qu'on n'écouterait guère. C'est ce qu'il se disait en ce moment pour garder son calme. Alduis ne le dénoncerait pas – pas intentionnellement, pas efficacement – et ne l'attaquerait pas, sans doute.

"Je ne t'abandonne pas."

Les mots qui lui venaient naturellement étaient gênants. On ne parlait pas comme ça, ni à un supérieur hiérarchique, ni à personne. Il se mordit la lèvre en défaisant prudemment le bandage. Il espérait que ça ne se voyait pas non plus, mais il retrouvait les mouvements paisibles et attentifs qu'il employait avec les chevaux. Certains de ses gestes étaient clairement des caresses. Tout était gênant. Mais tout était normal. Deux réalités se superposaient, deux fragments de vitrail de couleurs différentes qui en formaient une nouvelle, et l'amenaient dans un troisième plan de réalité, devenu le plus réel des trois.

"J'ai tendance à abandonner. Les gens, les causes, un peu tout. Mais si je n'étais pas comme ça, je n'aurais jamais vécu aussi vieux."

Mieux valait se concentrer sur sa tâche. Les mains, le manuel, la solution était toujours là ; un rythme constructif, qui fixait celui du coeur sur la cadence optimale pour la situation, et soudain toutes ces idées folles qui sautillaient comme des lutins déchaînés s'asseyaient sagement pour regarder, cessant de tourmenter leur hôte. Qu'était-il arrivé à ce bras droit ? C'était une lésion qu'il ne fallait pas laisser sous un bandage serré pendant plus de quelques heures, songea Stelian en détachant lentement le tissu de la peau. Laisser un blessé aussi confus errer avec ça sur lui, ce n'était pas très consciencieux. Sa place était sur le lit d'un dispensaire et sous bonne surveillance. Il se rappelait d'avoir entendu parler de lits, en débutant la démolition du presbytère détruit.

"...Enfin. Ce n'est pas faux, ce que tu dis. Je suis déjà tombé amoureux de quelqu'un qui ressemblait à une femme, alors tu vois..."

Holà, il parlait aussi comme s'il avait été seul dans les écuries avec les chevaux dont il prenait soin. Il ne fallait pas faire ça. C'était indécent. Il se reprit rapidement, dans un clignement des paupières.

"Désolé, j'ai tendance à parler tout seul, aussi."

Tout dans ce bras semblait douloureux, les moindres petits mouvements, les moindres frissons. Bonne chance à qui tenterait de le soigner. Pourquoi la personne qui recevait le coup était-elle celle qui devait porter la douleur ? Pourquoi celle qui soignait était-elle celle qui devait assister à la douleur, et parfois à la mort ? Décidément, ce monde n'avait pas été créé par un être juste.

"Qu'est-ce qui t'est arrivé ?" demanda Stelian après une hésitation. Il ne savait pas quoi faire, maintenant que le bandage était retiré. Il fallait le nettoyer, et il ne savait pas comment ; ou mieux, le changer, et il ne savait pas avec quoi. Appliquer un onguent ou un baume quelconque, sans doute, et il ne savait pas lequel. Pour lui-même, il aurait su, mais il aurait été dans les bois, avec toute la nature à sa disposition, tout le temps du monde, toute la liberté du monde... et surtout, une connaissance précise des circonstances de la blessure. Tout le nécessaire existait sur son chantier, où les plaies étaient fréquentes et facilement graves. Mais c'était ailleurs, hors de portée. Dans cet autre monde, où il ne savait pas s'ils pouvaient encore retourner, maintenant qu'ils étaient partis si loin.
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Message par Alduis de Fromart Dim 4 Juil - 14:37

Stelian défit le bandage autour de sa main et Alduis le regarda faire, sans rien dire, juste en observant. Les contacts sur ses blessures avaient quelque chose de douloureux et d’apaisant tout à la fois. Il n’aurait su dire pourquoi, mais sentir cette certaine douceur dans les gestes de l’homme était rassurant. Il avait vaguement l’impression de revoir Bérénice au-dessus de lui, qui essuyait le sang de son visage doucement, en essayant de comprendre ce qui avait bien pu le pousser à se mutiler ainsi.

Stelian, lui, comprenait, sans avoir besoin de poser des questions. Alduis le sentait. Alors il ne parlait plus. Il préférait les personnes qui étaient comme cela… Qui pouvaient laisser le silence s’installer sans ressentir le besoin absolu de le combler. Qui ne parlaient pas sans cesse.

Et au fond, il comprenait ces histoires d'abandon, même si le mot avait une étrange résonance en lui. Une résonance glacée. On avait beau lui dire que ce n’était pas le cas, quand il y pensait, il ne pouvait pas s’empêcher de penser que sa mère l’avait abandonné. Et la douleur restait acide au fond de son coeur.

Il préféra se recentrer sur celle qui pulsait dans sa main. Elle était tangible au moins, elle, il savait pourquoi elle était là. Elle était justifiée. Il ne voulait pas penser au reste. La voix de Stelian s’éleva de nouveau. Alduis hocha la tête en guise de réponse, mais sans rien dire de plus, sans vraiment relever l’information. Parce qu’il était concentré ailleurs.

Parler tout seul… Oui, cela lui arrivait aussi. Mais il répondait aux voix. Il leur disait de se taire. Ça ne faisait rien que Stelian parle tout seul, tant qu’Alduis n’était pas obligé de trouver des réponses adéquates. Tant qu’il ne devait pas alimenter une conversation vide de sens qui lui passait au-dessus de la tête.

La question le sortit de ses pensées. Il secoua la tête et répondit, toujours sans relever les yeux.

— J’ai cassé un verre qui manquait de solidité.

Quant à la traduction si Stelian parvenait à lire au-delà des premiers mots, elle était bien simple : il avait serré ce pied de verre comme un bourrin, pour essayer d’évacuer la colère qui s’était accumulée en lui et qui ne pouvait sortir. Ce pied s’était brisé, les éclats de verre lui étaient rentrés dans la paume… et il avait serré encore plus fort.

Oh, maintenant, face aux brûlures qui consumaient ses doigts, il le regrettait. Mais il ne pouvait rien y faire. Au moins, cela lui permettait de se concentrer sur le présent, qui lui semblait trop souvent s'effilocher dans ses souvenirs.
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Message par Augustin Carpentier Ven 24 Sep - 14:48

Oui, quelques années plus tôt aussi, Alduis avait cassé un verre qui manquait de solidité. Façon de dire que c’était la faute du verre. Enfin, en ce moment, même si les fragments semblaient avoir été tous retirés, la chair peinait à se refermer, à travers une fièvre qui ne laissait pas son hôte en paix ; la seule possession démoniaque dont Alduis soit réellement victime.

« Je te propose quelque chose. Dans un an d’ici, revoyons-nous. En cet endroit même, à ce jour et à cette heure, sous cape si nous sommes proscrits, mais sur nos deux pieds si nous sommes vivants. Et célébrons ce miracle. »

Stelian ne fêtait pas les anniversaires de sa naissance, dont il ignorait la date exacte, et dont il n’était pas sûr de se réjouir réellement. Il ne fêtait pas grand-chose. Mais si dans un an de cela, ils étaient encore en vie tous les deux, alors il y aurait matière à célébration.

« Je sais que tu auras du mal à te remémorer la date, et même le but de ce rendez-vous. Mais moi, je me souviendrai pour deux. Je n’en ai pas l’air mais je suis une tête de fer. »

Sa main se posa sur la nuque du jeune homme blond. Les cheveux mal traités semblaient résister sous sa pression comme l’armure d’une créature magique, le crin d’une licorne farouche. Il ferma les yeux, et laissa ses mains établir le contact que son âme anxieuse peinait à calculer. Juste un contact. Juste une étreinte, comme s’ils se disaient adieu. Il y a des voyages dont chaque regard détourné peut constituer un adieu, et leurs vies étaient de ces voyages, ils venaient de se l’avouer.

« Rappelle-toi juste que tu as une entrevue qui t’attend. Comme le rendez-vous des loups-garous sur la montagne de la lune. Tu connais cette histoire ? »

Un sourire dans la voix, il offrait ce qu’il avait à offrir, aucun remède, aucune solution, aucun prêche consolateur ; uniquement l’une de ces histoires de bonnes femmes qui donnaient l’impression, quand il en touchait mot, qu’en effet il était l’engeance d’une sorcière, et qu’on l’avait fait grandir parmi les mauvaises herbes, dans le plus désastreux des exemples. Un de ces contes dont le monstre est le héros.

« Un garçon perdu dans les bois avait volé la pelisse d’un vieil ermite, qui chantonnait assis à son feu de camp. Hélas ! C’était un sorcier, et il le maudit. Grâce à la fourrure, le garçon survécut à son errance et rejoignit sa ferme sans craindre le froid. Il voyait dans la nuit, il courait comme le vent, il percevait les odeurs à des lieues. Arrivé à la porte, il réalisa que sa mère ne le reconnaissait pas : la pelisse volée s’était attachée à son dos, il était devenu un loup. »

La caresse au long des cheveux hérissés paraissait vouloir apprivoiser un fauve. Stelian n’était pas sûr lui-même de ce qu’il tentait. Ce fou avait déjà tué, sous ses yeux ; et il n’avait jamais été aussi fou qu’en ce jour, le pire pour l’approcher. A voix basse, presque dans un murmure, il lui parlait à l’oreille, et il espérait que cette nouvelle voix était audible parmi les autres.

« Il erra durant de longs mois, pour arriver à la montagne de la Lune, où tous les loups-garous se retrouvaient une fois par an. Ils retiraient leurs peaux pour une nuit et dansaient tous ensemble au clair de lune. Tous espéraient qu’un passant volerait une des peaux accrochées aux branches, et prendrait la malédiction sur lui. Mais notre jeune vagabond refusa de se prêter à cette mascarade. Il garda sa peau sur ses épaules et resta loup. »

Dans un silence, il s’écarta, chercha le regard bleu, et dit en se détachant, comme pour s’excuser : « Il y a une suite à cette histoire. Je te la conterai si tu es toujours là à mon retour. Essaie de la deviner en attendant. »
Il fallait qu’il aille chercher de quoi panser cette main brûlante. Et il fallait que ce départ n’ait pas l’air d’un abandon.
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Message par Alduis de Fromart Sam 6 Nov - 13:50

Un rendez-vous pour célébrer la vie. Dans une année complète. Cela tira un sourire sombre. Pourquoi donc fêter ce qu’il espérait voir disparaître ? Peut-être pour montrer que malgré tout, il était toujours là, que la vie n’avait pas encore tout à fait réussi à l’abattre. Pourtant, elle en était si près…

Mais il hocha la tête. Très bien. Dans un an, jour pour jour, il reviendrait dans cette église, sur ce même banc, et il attendrait le retour d’un autre survivant. La suite, néanmoins, lui tira un sourire terriblement ironique — et un brin narquois.

— Je n’oublierais pas. Si toi, tu peux te souvenir pour deux, alors moi je peux me souvenir pour dix. Pour vingt, même.

Il plongea son regard dans le sien. Et il savait que personne n’avait la même mémoire que lui. C’était tout bonnement impossible. Tout ce qui se disait à présent, tout s’était ancré dans sa tête, et dans un an, il pourrait reprendre les mots exacts de Stelian. Il haussa des épaules, et conclut :

— Je me souviens de chaque jour de ma vie. Depuis que j’ai six ans. Je n’oublie jamais rien. Tu peux essayer si tu veux. De me demander une date, n’importe laquelle. Tu verras.

Tout était là. Il avait la tête pleine, pleine à craquer, de choses et d’autres. Surtout de choses inutiles. Et pourtant, sa mémoire restait la seule chose en laquelle il avait réellement confiance. Elle était la seule qui ne l’avait jamais trahi.

Cette histoire, il ne l’avait certes jamais entendue. Mais il aimait les histoires, alors sans bouger, sans chercher à rompre le contact qui s’était établi entre sa nuque et la main de Stelian, il resta immobile. Signe qu’il écoutait. Ses yeux se perdirent dans les voûtes de l’église, vers le christ crucifié sur sa croix… Il enviait presque ceux parvenaient à y croire. Il aurait aimé avoir encore cette naïveté.

Il se raccrochait aux mots qu’on lui disait doucement, au creux de l’oreille. Et cela lui rappelait la douceur de sa mère, vingt-deux ans auparavant, quand elle s’asseyait à côté de lui pour lui raconter une histoire. Il s’endormait alors, bercé par les notes chaudes de sa voix, par les caresses rassurantes de sa main. Un peu comme maintenant. Toute la pression sur ces épaules, toute la tension et la peur accumulée ces derniers jours s’évacuait enfin.

Stelian recula légèrement. Alduis hocha la tête. Il ne bougerait pas. Et il essaierait que son esprit reste chevillé à son corps, sans se perdre dans les méandres de sa mémoire. Sans perdre pied avec la réalité. Il murmura simplement, avant que l’homme ne parte :

— Je veux bien connaître la fin que si l’histoire termine bien.
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Message par Augustin Carpentier Dim 7 Nov - 13:46

Stelian avait couru sur tout le trajet. Quand il réapparut, il avait le visage à la fois pâle et en sueur. On aurait dit qu’il n’avait vu, au fil des rues traversées, que des fantômes prêts à le saisir. Il avait évité tout le monde, et il était soulagé de regagner ce lieu de culte comme aurait pu l’être la plus farouche des nonnes. Mais c’est que ce lieu était devenu un refuge hors du monde, pour des raisons entièrement païennes, voire impies. Il s’effondra sur un banc, en déposant à côté de lui la sacoche qu’il avait ramenée. Son souffle se calma, et il fit signe au jeune proscrit de s’approcher.

« Concentre-toi sur ma voix. Je ne veux pas te faire mal, mais tu sais comment c’est... »

L’histoire reprit, une litanie détachée des efforts fournis et de la peine prise, tandis qu’il commençait par nettoyer la plaie. Il avait encore les mains tremblantes. Pour la suite, il faudrait qu’il se calme un peu. Mais ce bref passage dans le monde des vivants lui avait causé un choc. Décidément, songeait-il avec dépit, la lâcheté était bien le fond de son caractère.

« Le peuple des loups-garous se concerta. Ce jeune homme n’était pas des leurs ; il ne jouait pas leur jeu. Ils décidèrent, d’un commun accord, de le délivrer de la malédiction de la lune. Il pourrait s’établir quelque part et cesser d’errer droit devant lui.
Mais ils lui conseillèrent de choisir un pays où les loups n’étaient pas connus. Sans quoi, il en traînerait la réputation, en plus de la peau, et il finirait par rencontrer une triste mort. Ils lui indiquèrent la direction du Nord, où ils avaient entendu parler d’une île légendaire, sans chasseurs, rien que des pêcheurs ; sans serpents, et sans loups. »


Le regard de Stelian se releva, et interrogea brièvement celui de sa présente victime. Il attendait que son ancien maître lui ordonne quelque chose. D’arrêter ou de continuer. Quant à l’histoire, il savait d’avance que son captif auditoire désirait en connaître la fin. Elle paraissait exercer sur lui un empire apaisant, au-delà de ce qu’il avait espéré, mais tant mieux : autant en profiter.

Lentement, il commença à appliquer sur la chair enflammée un onguent d’argile et de plantes, en se tendant à chaque frémissement qui lui indiquait une douleur contenue. Mais lui aussi se laissait porter par le fil de l’histoire, tout comme ils étaient emportés tous deux par la même rivière ; un mélange incomplet de deux cours d’eaux dont les teintes étaient contraires, et qui pour un temps s’écoulaient distinctes, les eaux inquiétantes du péché, et celles lumineuses de la rédemption.

Oublier que les autres étaient toujours dehors. Oublier qu'ils n'étaient pas seuls au monde.

« Le jeune homme s’y dirigea. Il s’installa non loin d’un village côtier, et commença à pêcher à côté de ses voisins, qui ne voyaient en lui qu’un étranger original, très taciturne et très velu. Sa bonne conduite était tout ce dont ils avaient besoin pour l’accepter. Mais ils firent plus : ils l’apprécièrent. Car il pêchait avec art. Sa queue de loup, ses pattes griffues et sa gueule acéré lui permettaient de capturer des poissons en sautant sur les rochers, là où personne n’aurait osé s’aventurer, là où les poissons ne se méfiaient pas. »

Le plus dur était fait. Toute la partie inflammée était couverte par la pâte qui, à défaut d’être magique, produisait du moins un parfum de tisane assez doux. Un remède de grand-mère, de quoi passer une nuit sans fièvres, rien de plus. Mais puisqu'il ne pouvait pas faire mieux, autant se fixer déjà cet objectif.

Stelian sortit rapidement de la sacoche les bandes propres et les attaches pour les fixer, et s’attela à recouvrir la zone sensible, avec le geste franc et naturel de celui qui s’est occupé des bêtes toute sa vie… et qui avait assez vu de la vie pour conclure que l’homme n’est rien qu’une bête.

« Il pêchait trop pour une seule personne. Et dans sa solitude, il n’envisageait même pas de réintégrer une famille. En revanche, il savait qui était pauvre dans ce village. Il déposait sur l’appui des fenêtres l’excédent de sa pêche. Les veuves et les orphelins, les vieux estropiés et les jeunes sans le sou, tout le monde mangeait désormais à sa faim. »

L’attache refaite, le bras garanti des miasmes errants, Stelian se sentit l’esprit plus tranquille. Et puis, cette transmission de conte lui causait au coeur un pincement particulier. C’était drôle de se dire que, si enfants il y avait un jour – car rien n’empêchait rien – Alduis leur conterait peut-être cette histoire, trait pour trait, gravée dans sa mémoire comme si elle recelait quelque sagesse cachée.

« Fin ? Non, ce n’est pas la fin. Il reste une étape. C’est maintenant que va opérer la vraie magie. »

Autant la laisser en suspens. Si cela pouvait tisser une fibre d’attente qui attacherait ce jeune homme sauvage à la vie, alors c’était toujours cela de gagné.
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