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[le 26 décembre | soirée] — À chaque âme ses cicatrices

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Message par Alduis de Fromart Mar 5 Jan - 22:09

Alduis avait mal à la tête. C'était une douleur sournoise, pas réellement physique, ni réellement présente. Une douleur imaginée, représentée, les voix plantaient de nouveau leurs griffes dans ses pensées. Elles le saignaient à blanc, jalouses d'avoir été délaissées aussi longtemps. Caressantes, haineuses, sifflantes, doucereuses, moqueuses, elles étaient toutes là. D’habitude, elles s'affrontaient entre elles mais pour l’heure, liguaient à l'heure actuelle toutes contre lui. Il n'était plus qu'une petite chose tremblante, apeurée, un lapereau acculé, entre leurs longs doigts acérés.

La nuit était tombée. Un vent plus froid soufflait. Il avait froid. Et les ombres nocturnes qui venaient se presser autour de lui ne le rassuraient pas. Comme si ses pires cauchemars revenaient le hanter. Une partie de lui lui disait - non, lui hurlait - de rentrer. Il ne pouvait pas passer la nuit dehors, ce n’était pas envisageable. Pourtant, il avait beau essayer de se relever, de bouger, il n’y arrivait pas. Comme si son corps ne fonctionnait plus. Que les terminaisons nerveuses s’étaient déconnectées de son cerveau.

Meurs ! Meurs ! Meurs !

Pourquoi ne l’était-il pas encore ? Depuis combien de temps attendait-il ? Et combien de temps devrait-il encore le faire ? N’était-ce pas assez, deux ans ! Ce n’était pourtant pas si compliqué que cela, de prendre un couteau, et de se l’enfoncer dans le ventre ! Ce n’était pourtant pas si compliqué de mettre fin à sa vie ! Tout le monde disait qu’elle était fragile, qu’il fallait en prendre soin pour la préserver. Mais il avait beau essayer, autant de fois qu’il le voulait, il devait se rendre à l’évidence : elle s’accrochait, tel un loup serre les mâchoires sur sa proie blessée pour la retenir.

Meurs ! Meurs ! Meurs !
Tu es un monstre.
Je te déteste.

Ses pensées formaient un cercle infernal, dans lequel il était pris et dont il aurait été impossible de se dégager. Il n’y arriverait jamais tout seul. Il avait beau essayer de se rappeler des mots de son père pour les enfermer, il savait qu’il n’y parviendrait pas. Même réciter l’alphabet à l’envers, même cela !, lui semblait au-dessus de ses forces.

Incapable.
Il était incapable.

Meurs ! Meurs ! Meurs !
Prends ce couteau et finis-en.

Bérénice avait raison. Ce n’était pas plus glorieux de mourir sur le champ de bataille que dans son lit. Ce l’était encore moins que de le faire dans une rue sale, roulé en boule sur le bas-côté. Mais qu’importe la manière, pourvu que le résultat soit là.

Elle lui en voudrait, s’il faisait une chose pareille. Elle serait terriblement abattue… peut-être… mais il ne voulait plus vivre. Pourquoi personne ne comprenait ? Pourquoi la seule personne qui le faisait, ne voulait plus jamais le voir ?

Il serra les mains sur sa chemise blanche, sans se soucier de la douleur qui déchira sa main droite. Et s’il se tapait la tête assez fort contre le mur ? Un seul coup pourrait suffire.

Mais son corps refusait toujours de bouger. Qu’importe ses efforts pour tenter de faire réagir ses muscles. Il demeurait figé.

Quelque part à côté de lui, il y eut les rumeurs de sabots claquant sur les pavés froids. Mais ce monde-là était étranger au sien. Et puis… Pourquoi quelqu’un se serait-il soucié de lui ?

Puisqu’il était un monstre.
Puisqu’il était seul.
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Message par Lavinia de Kergemont Mar 5 Jan - 23:21

Lavinia avait perdu trop de temps à flâner parmi les étalages et la forte fréquentation n’avait pas aidé. Sans parler de son sens de l’orientation médiocre qui l’avait conduite à plusieurs passages dans les mêmes ruelles pour rejoindre Gérald. De par cet enchaînement d'événements malencontreux découla sa rentrée tardive en son fief. 


Sa voiture tanguait aux reliefs des pavés. Épuisée, Lavinia laissa choir sa tête contre la vitre  et admira la ville dévorée par la pénombre. Son regard se posait sur les bâtisses sans vraiment regarder. Depuis quand le fait de rentrer chez elle ne la soumettait plus à une frayeur sans nom ? Un sourire timide se dessina sur son visage. Cela aussi elle n’en avait pas l’habitude. Elle se sentait plus à l’abri dans l’ombre pour ne pas dire les ténèbres. C’était le seul endroit où il ne la trouvait pas. Le noir n’était pas qu’une couleur de deuil, il permettait de se camouffler et dans la nuit cela se verifier d’autant plus. La nuit noire. Le pavé noir. Un chat noir. Une ombre...blanche. 


Gérald ! Arrêtez-vous !


Elle n’était pas folle ! Etais-ce bien lui ? Des habits immaculés, une chevelure dorée, il n’y avait aucun doute. Mais que faisait-il ici… et dans une telle situation ? Lavinia frappa contre la paroie de la voiture pour signifier à son cocher l’urgence de la situation. Gérald avait à peine entrouvert la porte que Lavinia sauta de la voiture sans se soucier de son comportement mal venue pour une femme de la noblesse. Faisant fit d'éventuels spectateurs ou de ruiner sa toilette, elle se jeta au sol à même les immondices pour se mettre à auteur du jeune homme roulé en boule dans le caniveau. Oui, c’était bien lui. Elle avait bien reconnu le frère de Bérénice. Alduis de Fromart.
Il semblait absent, comme vide. Aspiré dans un autre monde bien loin du leur. Elle ne le connaissait que trop bien. Alors le plus délicatement possible, elle posa des mains bienveillantes sur l’épaule du jeune homme.


Alduis, êtes vous blessé ?


Il ne semblait pas l’entendre. Ses yeux passèrent sur elle sans la voir. Elle déglutit, elle se devait de faire quelque chose. Elle pouvait le ramener chez lui, mais elle savait que dans de tels moment c’était le dernier endroit où on voulait se rendre. Sa décision était prise. Elle ne pouvait pas rester sans rien faire devant une telle détresse.


Gérald, aidez-moi à le faire monter dans la voiture.


Comme lorsque l’on manipule de la vaisselle précieuse, ils guidèrent Alduis qui malgré son mutisme se laissait faire sans résister. Gérald l'allongea sur la baquette et fit monter la dame à sa suite.


Nous nous dirigeons vers Fromart ? demanda-t-il logiquement.
Non, on rentre à la maison.


Le cocher sembla hésiter mais se reprit bien vite en s’inclinant devant Lavinia.


En arrivant, faites quérir Ingrid. Que tous les domestiques soient écartés de l’entrée est de l’aile de mes appartements jusqu’à nouvel ordre. Quand cela sera fait, qu’elle vienne m'accueillir avec une couverture bien chaude. Nous ne descendrons de voiture qu’à son signal que tout est en ordre. Trois tapes à la vitre. C’est entendu ?
Bien, Madame. Cela sera fait.


La porte se referma, plongeant l’habitacle dans l’obscurité. Lavinia se plaça auprès du jeune homme toujours recroquevillé sur lui-même. Elle se plaça de sorte à poser la tête d’Alduis sur ses genoux. Ainsi, durant le trajet, Lavinia pu caresser sa chevelure comme une mère berçait son enfant à la nuit tombée. 


Ça va aller. Nous ne sommes plus très loin.

De ce qu’elle pouvait en voir, Alduis semblait tout de même possédait des plaies vives. Elle devrait faire apporter de quoi soigner cela une fois installé au chaud. Quelques minutes plus tard, au rythme de ses paroles réconfortantes répétées comme une litanie, la voiture s’immobilisa. Ils n’avaient plus qu’à patienter pendant que tous s’agitaient dans la demeure.
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Message par Alduis de Fromart Mer 6 Jan - 17:06

Il n'entendait plus les bruits des sabots sur le sol. Avait-il rêvé ? Si ses muscles avaient accepté d'obéir, il se serait redressé pour voir. Mais il n'y parvenait pas. Son corps ne répondait pas. Il devait se lever, il devait avancer, il devait rentrer et se mettre à l'abri du froid. Sauf que tout cela était impossible. Bien au-dessus de ses forces. Il se sentait misérable. Un mendiant n’aurait pas été roulé dans la boue différemment.

Des mains se posèrent soudain sur ses épaules, chaleureuses.
Une voix qu’il avait déjà entendue résonna. La voix de qui était-ce ?

— Alduis, êtes-vous blessé ?

Alduis aurait voulu répondre que oui. Il était blessé - et gravement. De ce genre de blessures que les médecins ne pouvaient pas deviner et que rien ne pouvait soigner. En tout cas, aucun moyen de ceux qui étaient utilisés. Rien, absolument rien. Ce n’était pas son corps qui était blessé, cette blessure-là était invisible. C’était un trou au fond de son cœur, un trou au fond de son âme. Et aucune douleur n’aurait su dépasser celle-ci.

Il aurait voulu faire un geste, pour lui montrer qu’il l’entendait, qu’il n’était pas parti loin… mais il n’y parvint pas. Il la regarda sans la voir.

La voix s’éleva de nouveau, mais cette fois-ci, ce n’était pas à lui qu’elle s’adressait. Il sentit qu’on l’aidait à se lever, à le faire marcher. Comme un enfant qui a perdu ces réflexes, pourtant primitifs et instinctifs. Il se laissa faire. Il n’était plus qu’une simple poupée sans volonté. Même lorsqu’on l’allongea, dans cet endroit plus chaud et plus moelleux que le sol dur, que les voix discutèrent de nouveau entre elles, il ne bougea pas. Il resta parfaitement silencieux. Parfaitement immobile. Les yeux braqués devant lui, regardant on ne savait pas quoi.

Il y eut un claquement, comme quelque chose que l’on referme, qui se brouilla dans les injonctions.

Meurs ! Meurs ! Meurs !
Tu ne vois pas que tout t’échappe encore ?
Même ça, tu ne sais pas faire.

Il y avait une main, qui caressait ses cheveux. Maman le faisait aussi, avant. Mais plus personne n’avait eu un tel geste depuis des années. Il était redevenu un enfant, que sa mère pouvait bercer. Il ne voulait pas être un adulte, c’était dur d’être un adulte. Il voulait rester petit toute sa vie, lui. Pourquoi avait-il grandi ? Il voulait qu’on puisse encore lui raconter des histoires et lui caresser les cheveux pour l’endormir.

Je veux être un enfant toute ma vie, Maman. Je ne veux jamais grandir.

Et un sourire pâle avait étiré les lèvres d’Asoana.
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Message par Lavinia de Kergemont Mer 6 Jan - 20:52

Lavinia fut satisfaite de la réactivité de ses gens, car à peine quelques minutes arrivés devant sa demeure, les trois coups résonnèrent à la vitre. Sans perdre de temps, aidée de Gérald et d’Ingrid, elle fit monter Alduis jusqu’à ses appartements et l’allongèrent sur son lit.


Madame, osa Ingrid, est-ce bien raisonnable ? De rester ainsi isolé avec un homme ? Il pouurait…


Croyez-vous qu’il puisse me faire quoi que ce soit dans cet état ?


Ingrid reconnaissait que trop bien dans quelles ténèbres le jeune homme semblait plongé et ne put qu’accepter les dires de sa dame. Elle prit notes de toutes les directives de Lavinia et se retira pour s’en acquitter.


Apportez de quoi nettoyer ses plaies et un peu de nourriture. Du bouillon bien chaud serait le bienvenu.


Tandis que sa suivante disparaissait dans le couloir, Lavinia s’approcha du lit. Elle accompagne délicatement Alduis pour qu’il s'assoit au bord du lit. Une fois sa tâche accomplie, elle s'accroupit devant lui pour lui retirer ses bottes. Les chaussures en main, elle les déposa prêt de l’âtre et observa la pièce qu’elle trouva bien trop éclairée. Lorsque l’on se noyait dans l’obscurité, la lumière pouvait être un guide, mais baignait dans un trop plein de lumière aidait parfois à sombrer. Elle fit le tour de la pièce, pour éteindre tous les éclairages qu’elle trouvait superflus. 
Ingrid revint avec un plateau rempli des effets demandés. Elle s’apprêtait à se retirer lorsque Lavinia l’interpella.


Enlevez-moi ce corset, que je puisse être libre de mes mouvements.
Madame ?


Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, ce n’est pas pour la malséance de la chose qu’Ingrid s’inquiétait. 


Ça ira…J’ai envie de l’aider… Je suis sûre de pouvoir faire quelque chose. Ne restez pas loin au cas où d’accord ?


Une fois plus libre de ses gestes, Lavinia s’approcha d’Alduis avec quelques cotons imbibés. Elle s’assit aux côtés du jeune homme qui n’avait toujours pas prononcé un seul mot et  caressa sa main blessée. Comme pour appâter un chiot terrifié, elle lui donna son affection jusqu’à ce qu’il s’offre à elle. Ses doigts passèrent sur chaque relief de sa peau, chaque souvenir d’un passé révolu.



Une, Trois, Six...



 Elle suivit les courbes sinueuses qui s’entrelaçaient dans un bal  des plus quincophonique. 



Huit, Dix, Treize…



Ses mains étaient recouvertes de cicatrices d’un autre temps. Pas le moins effrayé par la chose, Lavinia commença à nettoyer les plaies encore à vif. 


Si vous avez faim, il y a un bouillon sur la commode. Même si vous n’avez pas faim d’ailleurs ! Cela fait toujours du bien d’avoir quelque chose de chaud qui vous tienne le corps.
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Message par Alduis de Fromart Mer 6 Jan - 21:32

Alduis suivait là où on l’emmenait. Il ne savait même pas où il était et à vrai dire, ne s’en souciait pas spécialement, d’ailleurs. Il faisait plus chaud ici, cela calmait un peu le raffut des voix dans son esprit. Il n’était pas capable de réfléchir plus loin que cela. C’était comme si toutes ses capacités de réflexions avaient été mises en dysfonctionnement d’un même coup. Il se retrouva sur quelque chose de moelleux. Comme… comme un lit. Voilà, c’était cela. Un lit. Mais le lit de qui ?

Il y avait toujours des voix en arrière plan. Celle qu’il connaissait, sur laquelle il n’avait toujours pas réussi à remettre un nom, et une autre. Il percevait quelques bribes de conversation, bien que prononcées à voix basse, mais aucune de ces bribes ne lui permettaient de comprendre la situation suffisamment.

Des pas s’approchèrent. Un bref instant, sa vision se stabilisa et pour la première fois, il croisa enfin le regard de la concernée. Il la connaissait, définitivement, mais son esprit refusait catégoriquement de se remettre en marche. Il restait encore et encore bloqué sur les mêmes mots.

Meurs ! Meurs ! Meurs !

Elle lui retira ses bottes crottées, avant de disparaître de nouveau. La lumière baissa dans la pièce. Cela soulagea sa tête douloureuse. De nouveau quelques voix, à propos de corset. La jeune femme revint et elle s’assit. Ce fut comme un éclair de lucidité dans son esprit. Lavinia ! C’était Lavinia ! Qui prit sa main droite dans la sienne pour la caresser. C’était douloureux, mais il ne bougea et résista au réflexe premier, instinctif, qui lui aurait commandé de retirer sa main. Ses doigts étaient encore sensibles. Bon sang, mais quelle idée lui était passé par la tête de serrer ces éclats de verre ? On ne l’y reprendrait plus.

Un instant, il baissa les yeux sur ses mains. Il avait dû mal à se rappeler l’époque où elles n’étaient pas couvertes de marques ainsi, qui traversaient ses paumes dans tous les sens. Des lignes blanches, certaines encore rougies, selon leur temps de cicatrisation. Il y en avait tellement. Et les doigts de la jeune femme les suivaient, une à une.

— Si vous avez faim, il y a un bouillon sur la commode.

Alduis lui jeta un regard et secoua la tête. Il n’avait pas faim. Il n’avait jamais faim. Mais elle reprit aussitôt :

— Même si vous n’avez pas faim d’ailleurs ! Cela fait toujours du bien d’avoir quelque chose de chaud qui vous tienne le corps.

Il l’observa quelques secondes, toujours sans parler. Avant d’accepter l’offre. Même si ce n’était pour qu’en boire qu’une gorgée, certainement.

Meurs ! Meurs ! Meurs !

Quand il referma ses doigts autour du bouillon, une chaleur se répandit dans ses muscles tendus. Il ne s’était même pas rendu compte qu’il était si crispé. Il se perdit dans la vision des volûtes de fumée qui s’élevaient au-dessus du bol et, enfin, murmura :

— Elle a dit qu’elle ne voulait plus jamais me voir. Qu’elle me détestait. Et que j’étais un monstre.

Il lui jeta un regard plein de détresse et baissa de nouveau les yeux sur le bouillon. Non, décidément, cela ne lui faisait aucune envie. Il le reposa sans y toucher.

— Tu crois qu’elle a raison ? Que je suis un monstre parce que j’ai achevé Ariste ?

Plongé dans son cheminement de pensées, celui qu’il ressassait sans relâche depuis presque deux heures maintenant, il ne pensa pas à préciser davantage. Ni même à la vouvoyer. Il remonta ses jambes contre son torse, pour les serrer entre ses bras et murmura :

— J’ai froid...
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Message par Lavinia de Kergemont Jeu 7 Jan - 21:22

Alduis accepta le bouillon que lui proposa Lavinia malgré ses réticences. Même s' il ne portait pas le liquide à ses lèvres, la chaleur du bol le réchaufferait quelque peu. Elle écouta les premières paroles prononcées par le jeune homme et prit le temps d’évaluer la profondeur de la détresse d’Alduis avant de répondre. Il était évident que son état découlait d’une dispute avec un tiers.


Nous disons beaucoup de choses que nous ne pensons pas lorsque la colère nous gagne. Cette personne vous tient à cœur, je suis sûre qu’une fois les esprits échauffés reposés, elle s’empressera de s’excuser pour ses propos.


Et que j’étais un monstre.


Lavinia tenta de capter le regard éteint du jeune homme. Elle ne pouvait pas laisser Alduis dire de telles sottises. Elle, elle connaissait un véritable monstre et l’homme qui se tenait face à elle en était bien loin.


Je vous interdis de croire cela vous entendez ? Je peux vous assurer que vous êtes très loin d’en être un ! Qu’importe ce que cette personne vous reproche !


parce que j’ai achevé Ariste?


Le problème semblait plus profond que le pensait Lavinia. Elle réfléchit quelques instants à la marche à suivre. Ce qui était sûr, c’est qu’elle n’abandonnerait pas le jeune homme à ses tourments.


Vous parler d’achever… cela veut dire que ce jeune homme n’était pas en très grande forme ? L’avait vous délivrer d’un quelconque supplice à venir ? Votre geste n’était pas dicté par le plaisir d'ôter la vie, mais bien pour libérer une âme en souffrance? Alors si c’est le cas, personne ne peut vous le reprocher.


Bérénice lui avait mentionné les faits d’armes de son frère. Elle connaissait que trop bien les horreurs que l’on pouvait rencontrer sur les champs de bataille. Antoine se faisait un malin plaisir à lui en décrire lors des repas en sa compagnie… Elle était convaincue que cet Ariste était un vestige d’une des batailles d’Alduis.


Il se recroquevilla sur lui-même en se plaignant de la température. Fait justifié, Alduis ne risquait pas de se réchauffer convenablement avec des vêtements détrempés. 
Lavinia s’empressa d’aller chercher quelques couvertures qu’elle posa aux côtés du jeune homme.
Lentement, elle tenta de faire glisser sa veste de ses épaules avachies, mais son geste. Alduis s’était raidit. De gêne ? Effrayé de l’atteinte à la bienséance ? Elle lui sourit tendrement, elle avait compris l’origine de son geste. Alors avec une très grande douceur, elle passa ses mains sur les épaules d’Alduis pour le rassurer.

N’ayez aucune crainte avec moi. Je sais. Il n’y a aucune gêne à avoir avec moi.
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Message par Alduis de Fromart Ven 8 Jan - 17:44

Lavinia l'écoutait, simplement, et il sentait peser sur lui un regard compréhensif. Puis, quelques mots vinrent en réponse de ses paroles désespérées. Éléonore le tenait à coeur, alors qu'il avait tué sa raison de vivre ? Il aurait compris qu'elle ne lui pardonne jamais. À vrai dire, il aurait même compris bien plus facilement cela que l'inverse. Parce que le contraire n'était pas logique.

Mais ce qui le troubla le plus fut la réponse suivante. Il n'était pas un monstre, elle le lui assurait. Alduis releva la tête, surpris, et croisa son regard. Elle avait l'air sincère. Pourtant, il s'obstina et secoua la tête pour murmurer :

— Comment vous pouvez le savoir ? Vous ne me connaissez même pas...

Sans s'en apercevoir, il avait recommencé à la vouvoyer, signe qu'il se reprenait lentement. Remettait de la distance. Une manière de se protéger. Parce qu'elle ne le connaissait pas, qu'elle parlait sans savoir. Elle ne savait pas ce qu'il avait fait.

Je t'aimerais quoi qu'il arrive.

Les mots de Mathurin revenaient frapper à la porte de sa conscience, comme si souvent. L'aimait-il toujours, mort, démantelé sur des rochers ? N'importe qui de sensé se serait détourné. Alduis l'avait tué, de sang froid, malgré les torsions que faisaient son estomac à chaque fois qu'il le regardait.

Il les avait tués. Tous les deux.

Et tu regrettes ? Tu aurais aimé faire un autre choix ?

Lorsqu'Eldred lui avait posé la question, au début du mois, il avait argué que des remords, il n'en avait aucun. Ça n'aurait servi à rien, de toute manière, de regretter. Ils ne reviendraient pas à la vie pour autant. Pourtant… Pourtant, si, aussi ridicule cela soit-il, il en avait. Et s'il avait pu remonter le temps, il y avait plus d'une chose qu'il aurait changé.

Pour commencer, il essayerait de se montrer plus ouvert avec Bérénice. De lui écrire davantage quand il était au front. Ensuite, il ne pousserait pas Mathurin dans le vide. Et enfin, en entendant ces deux mots, criants de vérité, « je t'aime », prononcés par Ariste dans un souffle fatigué, il le lui aurait dit que lui aussi.

Il avait achevé Ariste, pour qu'il ait une mort digne, pour abréger cette fièvre délirante, mais…

L'as-tu fait pour lui ?
Ou bien l'as-tu fait pour toi ?

Parce que le voir était trop insupportable, parce qu'il aurait aimé qu'on fasse la même chose pour lui… mais n'avait-il pas projeté ses propres envies sur lui ?

— Il aurait pu guérir, répondit-il. Peut-être.

C'était ce qui lui était arrivé, après tout. Il avait guéri. La fièvre était tombée, un beau matin. Pourquoi cela n'aurait-il pas pu se reproduire avec Ariste ?

Il avait froid soudainement. Lavinia se leva aussitôt et ramena sur le lit des couvertures pour le réchauffer. Elle avança les mains, comme pour la retirer, et dans un réflexe instinctif, Alduis recula. Que faisait-elle ? Que voulait-elle ? Il n'avait pu empêcher sa respiration d'accélérer brutalement. Pourtant, elle ne chercha pas à forcer. Elle eut même un sourire tendre en posant les mains sur ses épaules.

— Je sais.

Cela suffit à Alduis pour s'apaiser. Elle n'avait pas besoin de préciser de quoi elle parlait. Elle savait, elle savait que les femmes ne feraient jamais battre son cœur comme les hommes le faisaient. Et si elle le savait, alors il n'avait plus besoin de faire semblant. Plus besoin de comprendre quoi que ce soit.

Alors il la laissa simplement faire.
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Message par Lavinia de Kergemont Sam 9 Jan - 19:06

Alduis remit sa parole en doute lorsqu’elle lui certifia qu’il n'était pas un monstre. Oui, elle ne le connaissait pas, mais lorsqu’on en connaissait un, on arrivait à reconnaître la majorité d’entre eux. Et un monstre ne se morfondrait pas pour des paroles blessantes, il n’avait même pas de remords pour ses méfaits. 


Nous ne sous connaissons pas en effet, mais croyez-moi je suis plutôt calé en terme de monstre et en vue de votre état je peux vous confirmer que vous n’entrez pas dans cette catégorie.


L’état du jeune semblait s’améliorer. Du moins, il recommençait à parler et réagir à son environnement ce qui encouragea Lavinia à poursuivre ses efforts.


Il aurait pu guérir. Peut-être.


Ou il aurait souffert dans un atroce agonie avant que la vie ne le quitte. Ce qui est fait est fait ! Il y a toujours une raison à tout ! Et si vous êtes ici c’est que vous avez quelque chose à accomplir.


Lorsqu’elle lui avait avoué connaître sa condition, Alduis se détendit. Alors, elle pu reprendre là où elle en était. Elle fit tomber sa veste en premier, et la plia consciencieusement sur le bord du lit. La deuxième étape fut plus ardue. Elle se plaça toujours devant le jeune homme de sorte qu’il puisse observer le mouvement de ses mains. Les chemins qu’elles empruntaient pour qu’à tout moment il puisse les stopper. Elle passa doucement ses fines mains sous sa chemise et remonta le tissus centimètre par centimètre pour guetter à chaque étape les réactions d’Alduis. Le tissu sali passa les épaules et Lavinia put sans soucis récupérer la chemise. 


Son regard se posa sur les multiples cicatrices visibles, bras gauche, avant bras droit, épaule, torse… À la découverte de ces marques, la surprise ne se peignit même pas sur son visage. Elle ne fut pas horifier comme l’aurait dut être n’importe qu’elle femme. Car elle savait… elle n’avait que trop observer ces marbrures sur son propre corps. 
C’est avec encore plus de délicatesse qu’elle s’attaqua à lui soustraire le dernier habit souillé. Pour cela, elle l’invita à se lever et veilla ne jamais lâcher son regard même lorsqu’elle s’agenouilla devant lui pour faire passer chausse et caleçon par dessous ses talons. 


Sa tâche était accomplie et elle se saisit aussitôt d’une couverture bien chaude pour envelopper Alduis dedans. Elle échauffa ses muscles à l’aide de frottements énergiques jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite des couleurs reprises par le jeune homme. Elle l’aidaà s’étendre sur le lit et tira quelques draps pour le recouvrir de couches protectrices supplémentaires.


Laissez un instant, je reviens.


Lavinia se dirigea vers son bureau et y sortit plume et papier. Elle griffona quelques mots et cacheta la lettre. Elle repassa devant Alduis en prenant ses habits et ouvrit la porte à Ingrid qui attendait dans le couloir.


Veillez à ce que ces vêtements soient propres pour demain matin. Quant à cette lettre, préparer son envoi à Fromart à l’attention de mon amie Bérénice. Mais attendait que la matinée soit bien avancée. Bonne nuit Ingrid.


Lavinia ignora le levé de sourcil de sa suivante et referma la porte de la chambre. Elle se rendit au chevet d’Alduis et s’assit au bord du lit.


Allez-vous mieux ? Puis-je vous être utile en quoi que ce soit ...
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Message par Alduis de Fromart Dim 10 Jan - 11:01

Elle s'y connaissait en monstres. Qu'est-ce qu'elle voulait dire ? Il lui jeta un regard vide tandis que sa conversation avec Alexandre, trois jours plus tôt, lui revenait en mémoire. Mais il n'arrivait pas à se concentrer suffisamment pour se rappeler exactement ce qu'il lui avait dit. Avait-ce seulement un rapport avec cela ? Il n'en savait rien, et il n'avait pas l'esprit à le lui demander — même s'il aurait aimé. Parce que, quelle que soit l'assurance avec laquelle elle lui disait qu'il était loin d'être comme les monstres qu'elle connaissait, il sentait néanmoins cette douleur sous-jacente des non-dits.

Quant à Ariste... Les yeux d'Alduis se mettaient subitement à brûler.

— Mais je les ais tués... Je les ais tués, alors que je les aimais.

N'avait-il pas été monstrueux ?

Il avait encore quelque chose à accomplir. Mais quoi ? Eldred lui avait dit la même chose. Avaient-ils tous raison ? La Mort ne cessait-elle de lui échapper parce qu'il avait encore des choses à faire ?

Plongé dans ses pensées, il n'avait pas vu ses mains approchaient et quand elle voulut faire tomber sa veste, il sursauta et recula. Mais elle savait. Elle avait compris, et il n'avait rien à craindre d'elle. Il n'avait pas besoin de faire semblant et cela était bien plus libérateur que beaucoup d'autres choses.

Lavinia reprit où elle s'était arrêtée. Il la regarda plier sa veste, sans parler, sans bouger non plus. Puis, elle la déposa sur le bord du lit. En s'attaquant à sa chemise, elle passa ses mains sous le tissu — bien en vue pour ne pas le surprendre — et la releva doucement. Parfois ses mains effleuraient sa peau par accident, mais il ne se passait rien de plus.

À vrai dire, c'était bien la première fois qu'une femme se prenait du devoir de le déshabiller. Pourtant, il n'y avait rien de tendancieux dans ces gestes. Ils étaient purement pratiques, alors il se laissait faire. Comme un enfant qui a perçu qu'une fois cela fini, il se sentira mieux.

Ses yeux se posèrent sur ses cicatrices mais elle ne dit rien. Ce n’étaient que des souvenirs de la guerre. Presque.

Il se leva quand elle le lui demanda et ne quitta pas son regard, qu’elle gardait braqué au fond du sien. Il y avait une lueur rassurante qui brillait dans ses prunelles, qui le mettait en confiance et qui faisait tomber les dernières résistances. Quelques secondes, Lavinia l’enveloppait dans une couverture et le frotta vigoureusement pour le réchauffer. Il se laissa de nouveau faire quand elle l’aida à s’allonger de nouveau et le recouvrit de couvertures supplémentaires. Puis elle s’éloigna.

Alduis resta là, les yeux ouverts à fixer un point inexistant. La chaleur des draps finissait de le réchauffer lentement. La porte s’ouvrit, quelques mots furent échangés, puis elle se referma. Les pas de la jeune femme se rapprochèrent du lit. Elle s’assit sur le bord du lit, pour demander :

— Allez-vous mieux ?

Alduis hocha la tête, sans vraiment la regarder. Il était réchauffé, plus calme, et reprenait petit à petit conscience de son environnement extérieur. Les voix avaient reculés mais elles n’étaient pas loin.

— Puis-je vous être utile en quoi que ce soit ?

Alduis entoura soudainement la taille de ses bras, pour la retenir, au cas où elle avait voulu se lever de nouveau. Et il demanda simplement :

— Ne me laisse pas tout seul, s’il te plaît...
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Message par Lavinia de Kergemont Mar 12 Jan - 15:30

Les bras d'Alduis l'entourèrent, dans un mouvement presque de désespoir. Elle se sentait le jeune homme dans son dos, elle le comprenait tellement. Ce besoin de sentir quelqu'un contre soi, une chaleur rassurante. Elle aussi, lorsqu'elle se recroquevillait en boule tel un chien blessé, elle aurait voulu avoir quelqu'un à qui s'accrocher. Ses mains se posèrent sur les avant-bras agrippaient à sa taille et applique une légère pression rassurante.

Ne vous inquiétez pas. Je reste avec vous, le rassura-t-elle.

Lavinia se glissa dans les draps et se cala correctement contre le jeune homme. De sa main, elle continua à caresser la peau plus tiède que gelé à présent d'Alduis.

Tout va bien se passer, vous allez voir. La première nuit est la pire, lorsque l'on ferme les yeux, les mots se bousculent dans notre esprit. On a l'impression qu'un gouffre sans fond nous aspire pour nous enterrer plus bas que terre.

Elle parlait de sa propre expérience en espérant que cela puisse servir également à Alduis. Même si les mots étaient durs à prononcer, elle se força à le faire sans trembler. Elle se devait de ne pas transmettre ses propres démons au jeune homme en détresse. Elle était là pour lui, pour le rassurer pas pour se faire plaindre.

Mais le lendemain matin, on se sent déjà mieux. Jour après jour, seules nos cicatrices nous rappellent ces moments difficiles À chaque fois que l'on se voit … À chaque fois qu'on les touche… Nous devons vivre avec et essayer d'accepter.

C'était facile à dire. Elle-même n'arrivait pas à passer outre son traumatisme. Pourtant Alduis et Antoine partageait la même orientation, mais en regardant le jeune homme on savait qu'il serait incapable de lever la main sur une femme.

Vous n'êtes pas un monstre. Mon époux partage vos amours, vous savez. Je pense que d'une certaine façon il ne l'accepte pas totalement. Et… je suis là pour lui rappeler cela alors dès qu'il me voit, il lui arrive souvent de vider sa frustration sur moi… Je pense qu'on peut le qualifier de monstre,non ?

Pourquoi partageait-elle cela avec lui ? Il n'avait pas besoin de savoir cela. Il se fichait bien de connaître sa vie.

Ce que je veux dire, c'est qu'avec le peu de conversation que l'on a partagé, il est évident pour moi qu'un tel qualificatif ne vous sied guère.

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Message par Alduis de Fromart Mer 13 Jan - 15:40

Les mains de la jeune femme se posèrent sur ses avant-bras. C’était un contact chaleureux, qui le rassura. Et là était l’unique but de ce geste. Petit à petit, il terminait de se détendre. Ou, plus justement, cessait de lutter contre la fatigue et les larmes qui brûlaient ses yeux. La voix rassurante de Lavinia résonna à ses oreilles. Même s’il n’en comprit pas exactement le sens, sa voix était apaisante. Il hocha la tête contre elle, sans la relâcher.

Il la sentit se glisser sous les draps, juste contre lui. Sans cesser de caresser sa peau pour le rassurer. Sa voix s’éleva à nouveau dans le silence de la chambre, et cette fois-ci, il comprit tout ce qu’elle dit.

Un gouffre sans fond qui l’aspirait. Il hocha la tête. Ce gouffre-là avait aspiré la vie de sa mère jusqu’à la dernière goutte, comme une sangsue. Il avait aussi aspiré la sienne. Pas assez pour le tuer, et déjà trop pour le laisser vivre. Ce trou noir était encore là, au fond de lui, et ce qui y tombait y disparaissait pour toujours, en ne laissant qu’un vide plus profond encore sur son passage. Il était au bord du gouffre et il voulait y sauter. Mais il ne savait pas où était le fond, ni s’il y en avait seulement un, alors il restait sur le bord, à contempler cette obscurité sous ses pas. Aurait-il un jour le courage de s’y jeter pour de bon ?

— Seules nos cicatrices nous rappellent ces moments difficiles. À chaque fois que l’on se voit… À chaque fois qu’on les touche...

Alduis savait pertinemment de quoi elle parlait. Il ne se regardait plus dans un miroir depuis des années parce qu’il y avait cette cicatrice qui traversait son visage. Cette cicatrice qui ne l’avait pas vraiment enlaidi, mais qui lui rappelait son échec. Qui lui rappelait que, s’il avait résisté, Mathurin serait peut-être encore en vie.

Il marqua un temps d’arrêt tandis qu’elle révélait les orientations de son mari.

— Je pense que d’une certaine façon, continuait-elle, il ne l’accepte pas totalement. Et… je suis là pour lui rappeler cela alors dès qu’il me voit, il lui arrive souvent de vider sa frustration sur moi...

Alduis ne répondit pas. Il ne voulut pas vraiment s’en souvenir, mais ce fut plus fort que lui. Les mots d’Alexandre lui revinrent en mémoire.

J’ai commencé à sentir en elle une peur indicible.
Il est clair que celle-ci est opprimée par son mari.


— Il vous bat, murmura-t-il alors.

Ce n’était pas une question, ni une supposition. C’était une affirmation. Cela lui apparaissait comme une certitude. Il ne connaissait pas le mari de la jeune femme, pas vraiment du moins - juste de nom et de réputation dans l’armée.

Il redressa la tête pour plonger les yeux dans les siens. Ces prunelles bleues avaient repris un peu de vivacité. Penser à autre chose qu’à cette cruelle injonction - meurs ! meurs ! meurs ! - l’aidait à se reprendre. Ce n’était que reculer pour mieux sauter, pourtant, puisqu’elle reviendrait tôt ou tard à la charge.

Pourtant, il reprit, en se rappelant sa question sur l’amour, qu’elle lui avait posé seulement quelques jours plus tôt :

— Et… et il n’a jamais consommé le mariage.
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Message par Lavinia de Kergemont Ven 15 Jan - 21:18

Il vous bat


Son mari la battait, pouvait-elle seulement s’avouer cela ? Dit ainsi c’était son époux qui était en tort, mais pourtant pour elle, il était dans son bon droit. Elle avait tourné et retourné en tous sens les enseignements des religieuses et elle ne trouvait pas de quoi affirmer le contraire.


Je suis son épouse, il use seulement de son droit fondamental. En tant que femme je lui appartiens… 


Ce sont les mots qu’elle répétait chaque fois avant de s’endormir depuis des années. Ce comportement l’aurait révolté chez n’importe quel autre couple, mais chez elle, elle n’arrivait pas à l’envisager autrement que normal. 
Alduis plongea ses yeux d’un bleu profond dans les siens. Elle ne s’attendait pas à la déclaration qu’il lui fit. Par pur réflexe, ses doigts se crispèrent légèrement sur la peau du jeune homme. Rien que d’y repenser, ses cicatrices s’enflammaient. Ce n’était pas une chose qu’il fallait ébruiter ou avouer. Un mariage non consommé conduisait à une annulation de contrat. Pour Lavinia cela signifiait un retour à la demeure familiale, dépendante de son père et vue son âge, une fin de vie en vieille fille. 
Mais là dans le noir, une envie folle de se confier l’envahisser. Relâcher son fardeau l’espace de quelques secondes afin de reprendre assez d’oxygène pour se renfermer des années durant. 


Consommer le mariage… ça dépends pour qui et ce que l’on entend pas consommer. Il n’y a pas de sentiment amoureux si c'est cela que vous insinuez. Mais mon époux a bien profiter de sa soirée, c’est le principal !


Pourquoi s’étendait-elle autant sur son couple ? Le jeune homme n’avait pas besoin de s’imprégner de son propre malheur.

Ma vie n’est pas très intéressante… Veuillez m’excuser pour cela. Je m’inquiète d’avantage pour vous. Comment vous sentez-vous ? Cela va mieux ? Je peux aller chercher d'autres couvertures si vous avez froid.
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Message par Alduis de Fromart Mer 20 Jan - 17:02

Son mari la battait. Et cela lui fit serrer les dents. Parce que c’était l’amie d’Eldred. Et que personne d’autre ne pouvait la toucher, maintenant. Encore moins si c’était pour la frapper. Que ce soit son mari ne changeait rien à ses yeux. Parce que le mariage, ce n’était que des apparences, une manière de paraître.

— Je ne vois pas pourquoi les femmes devraient appartenir aux hommes.

Il haussa des épaules. Sous quel prétexte ? Celui de la religion, de cette Eve qui avait pris une pomme ? Il ne croyait pas à toutes ces ânneries. Les serpents qui parlaient, on n'avait jamais vu cela. Alors pourquoi ?

Elle trouvait cela normal, il le voyait bien. Quand bien même elle aurait sans doute trouvé les choses inadmissibles dans n’importe quelle situation, elle avait été tellement habituée au comportement violent qu’elle ne trouvait plus de raison de le condamner.

Et par dessus tout… il n’avait pas consommer le mariage. Elle était toujours vierge, malgré les années écoulées depuis leur union. C’était pour cela qu’elle lui avait demandé ce qu’était l’amour. Parce qu’elle ne savait pas. Et son ignorance s’étendait au-delà des sentiments.

— Les sentiments amoureux dans les mariages arrangés, ça n’existe pas.

Alduis avait des milliers d’exemples autour de lui : ses parents, Bérénice et Démétrius - quand bien même il existait une réelle affection entre les deux - quelques uns de ses amants et désormais, Lavinia. Aucun n’était amoureux. Tous étaient mariés.

Et pourtant… un contre-exemple lui vint alors. Eldred et Byrnja. Ils s’étaient mariés… et ils s’aimaient. Il reprit, plus clairement :

— Vous n’avez jamais baisé, conclut-il. Ni fais l’amour.

Car il distinguait toujours les deux.

Quant à sa vie… Elle serait toujours plus intéressante que la sienne. Il préférait l’écouter parler plutôt que d’avoir à le faire lui-même. Alors, quand elle s’enquit de son état, il se rembrunit brutalement et haussa simplement des épaules.

— C’est bon, je vais bien, dit-il plus sèchement qu’il n’avait voulu le faire.

Il fit une pause et reprit ensuite, plus doucement :

— Je préfère ne pas en parler.
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Message par Lavinia de Kergemont Mer 20 Jan - 21:27

La réflexion d’Alduis sur l’appartenance des femmes à hommes la surprit. C’est le précepte qui était pourtant vanté à longueur de temps par les religieuses. Les sœurs étaient elles- même sous la direction d’un homme. Elle le vit hausser les épaules et comprit qu’ils n’avaient pas une version identique de la position de la femme dans la société. Elle n’eut pas le temps de s’attarder sur le sujet qu’Alduis en aborda un autre qui lui fit perdre contenance.


Vous n’avez jamais baisé. Ni fais l’amour.


B..Bai...Baisé ? Faire l’amour ? Vous parlez de la nuit de noces ? J’ai vu mon époux avec son amant...Ce n’est pas la même chose ?


Lavinia eut honte de son ignorance, encore plus quand c’était un homme autre que son mari qui devait le lui expliquer. Elle écouta attentivement les explications données et en eut un frisson. Ce n’était décidément pas Antoine qui s’aviserait de lui faire de telles choses. En parlant de son époux, elle devait s’assurer que rien de compromettant ne puisse sortir de ses murs.


Concernant mon mari, amorça-t-elle. Puis-je compter sur vous pour passer ces aveux au silence ?


Lorsqu’elle avait tenté de rediriger la conversation vers le jeune homme, elle s’était vu confronter à un mur.

Oh…Je… Veuillez m’excuser. Je vous dérange sans doute à parler ainsi. J’ai préparé vos effets pour demain matin. Une lettre est également prête pour quérir Bérénice dès que vous le souhaiter. Voulez-vous que je vous laisse vous reposer jusqu’à demain matin ?
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Message par Alduis de Fromart Ven 22 Jan - 7:31

Il avait dit les choses sans réfléchir. Elle ne savait pas ce que c'était l'amour... dans tous les sens du terme. Et lui, Alduis de Fromart, qui en avait une vision somme toute plutôt faussée, qui avait posé la question de nombreuses fois lui-même, se retrouvait à devoir le lui expliquer. Cette situation était étrange : il se trouvait dans le lit de Lavinia, allégé de ses vêtements souillés, à faire la différence entre « baiser » et « faire l'amour ». La même distinction que faisait Eldred — à juste titre, car c'était là très différent.

Alduis n'était cependant pas le genre à se démonter. Maintenant qu'il avait abordé le sujet, et qu'elle lui posait la question, il n'avait plus qu'à répondre dans la mesure du possible. Ce serait toujours mieux que de penser aux voix. Et de très loin.

— Je parle de ce qui aurait dû se passer, pendant cette nuit de noces.

Et ce qui se serait passé si son époux, justement, avait honoré son rôle comme il le devait. Oh, il mesurait très bien ce que cela faisait, et comprenait on ne peut mieux l'aversion que cela pouvait provoquer... Mais une fois marié, Alduis avait bien l'intention de faire ce qui lui incombait. Un devoir était un devoir. Quand bien même les choses n'étaient pas plaisantes, il s'y plierait. Il reprit :

— Ce... n'est pas la même chose, de le vivre que de le regarder. Et ce n'est pas non plus la même chose, quand vous aimez une personne que lorsque ce n'est qu'un acte comme un autre.

Il aurait sûrement pu, et dû, faire plus clair. Il ne jugeait pas son ignorance, bien loin de là, mais ne se sentait pas vraiment à même d'expliquer. Alors il ajouta :

— Eldred expliquerait ça mieux que moi.

Puis, il hocha la tête, alors qu'elle précisait que rien ne devait sortir de ces murs. Ce fut spontanément qu'Alduis promit, un gage inviolable de sa bonne foi.

— Je ne dirai rien. Je vous en donne ma parole.

Mais tant qu'il parlait d'elle, de ce mari, il parvenait encore à penser à autre chose qu'à cet ordre impérieux qui continuait de s'imposer en lui : meurs ! meurs ! meurs ! Ce qui ne serait plus le cas si le sujet était ramené sur sa propre personne. Il se rembrunit malgré lui et Lavinia sentit sa réticence.

Elle s'excusa. Pourtant, elle ne le dérangeait pas. Elle voulait partir ? Le laisser tout seul toute la nuit ? Alduis se raidit, soudainement effrayé par cette idée. Les voix étaient trop proches encore. Il secoua la tête en attrapant son poignet pour la retenir.

— Non, demanda-t-il, Restez avec moi toute la nuit.

Ou les démons de son esprit se seraient empressés de revenir.
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Message par Lavinia de Kergemont Dim 24 Jan - 13:06

Ce qui aurait dû se passer pendant la nuit de noces… Lavinia avait toujours eu peur de comprendre. Ce n’était donc pas cela qui aurait dû se produire ? Son époux..son amant, elle avait toujours fait en sorte de ne pas se poser plus de questions que cela.


Je.. j’aurais dû être à la place de son amant ? C’est ce que vous vouliez dire ?


Son ventre se contracta à cette pensée, douloureusement. La nausée lui monta et elle ne peut s'empêcher de frissonner. Cette nuit-là aurait dû être encore plus horrible. Pourquoi tout le monde encensait donc cette soirée si pénible ?
Ce n’était pas la même chose ? Vivre. Regarder. Aimer. Ne pas aimer. Elle ne comprenait pas.


Je crains ne pas arriver à comprendre vos explications. Comment des pensées si opposées peuvent-elles décrire le même acte ?


Alduis lui avoua qu’Eldred expliquerait la chose mieux que lui. Le rouge monta au visage de Lavinia. L’invitait-il à aborder le sujet avec le zakrotien, mais pourquoi ? Qu’est-ce que le jeune homme avait à voir là dedans ?


Que.. qu’est-ce qu’Eldred a à voir avec cela ? Pourquoi aborderait-il ce sujet avec moi ? Vous… vous me conseiller de lui poser la question ? Ça ne sera pas hors de propos ?

Lavinia fut rassurée à la promesse d’Alduis. Elle s’apprêtait à le laisser se reposer lorsqu’il lui demanda de rester passer la nuit avec lui. Alors sans un mot elle se débarassa des vêtements qui lui restaient et se blottit contre le jeune homme. C’était la première fois qu’elle passait la nuit avec un homme. Et elle fut surprise de s’endormir sans aucune crainte.
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Message par Alduis de Fromart Lun 25 Jan - 18:51

Lavinia ne semblait jamais avoir envisagé cette possibilité. Il perçut son trouble et son aversion à cette idée - et au-delà de la percevoir, il la comprenait, bien que leurs cas soient somme toute différents par certains aspects. C’était précisément ce qu’il voulait dire, oui, elle aurait dû être dans ce lit, et non au bout à regarder mais…

— Vous savez… Ce n’est pas si désagréable que cela… si vous en avez envie.

Et il savait bien de quoi il parlait. C’était bien loin d’être comparable. Il haussa des épaules, et ajouta :

— Après tout, si les gens le font autant de fois, c’est bien que ce n’est pas si désagréable que cela, vous ne pensez pas ? et qu’ils doivent y trouver un quelconque intérêt ?

… autre que celui d’avoir des enfants, qui ne l’enchantait pas outre mesure. Lavinia était mariée depuis plusieurs années, maintenant, et personne ne l’avait encore jamais touchée. Du moins, pas comme il aurait fallu le faire. Et ses explications étaient de fait bien loin d’être à la hauteur. Eldred expliquerait bien mieux que lui, puisqu’il l’avait déjà fait une fois et qu’Alduis comprenait déjà mieux lui-même.

Mais de nouveau, cela sembla la surprendre. Alduis haussa des épaules, en se rendant compte qu’effectivement, ce n’était peut-être pas un sujet qui s’abordait aussi facilement que cela. Encore quelque chose qui lui échappait. Si seulement cela avait été la seule...

— Il ne vous déplaît pas et vous non plus… répondit-il alors. Alors je suppose que si vous pouvez poser la question à quelqu’un, c’est à lui. Il vous expliquera, j’en suis sûr.

Alors tout compte fait, oui, il le lui conseillait. Eldred ne la jugerait pas. Il n’en parlerait pas non plus, si elle le lui demandait. Comme Alduis fit lui-même la promesse solennelle de ne rien révéler, ce qui sembla la soulager. Elle accepta de rester avec lui le reste de la nuit et se débarrassa des vêtements qui continuaient de la couvrir. Sans que le moindre sous-entendu flotte dans l’air. Mais sa présence était apaisante et contre attente, les voix ne furent pas si virulentes le reste de la nuit...
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