[2 janvier 1598] - Un coup donné, deux rendus

Deuxième jour de l’année. Cela se fêtait. Et pour bien commencer (ou poursuivre) cette année, quoi de mieux que d’inviter Leyria de Phietom à discuter rapière et épée autour d’une tasse de thé ? Enfin, cela arriverait peut-être si elle ne partait pas en courant avant d’avoir surmonter toutes les maigres épreuves qu’elle lui réservait pour avoir osé s’en prendre à son frère de manière fort peu loyal et indigne d’une jeune femme de son rang.
Toutefois, cela, elle le garderait pour elle.  Cette petite peste découvrirait bien assez tôt que l’on ne s’en prenait pas impunément à un membre de la famille Fromart sans en subir les conséquences. Elle se croyait si maline à vouloir aller à la guerre ? Elle devait sans doute lire un de ces mauvais livres de chevaleries qui faisait tourner les têtes des demoiselles en chaleur avec de beaux héros qui triomphaient toujours des vils bandits et autres terribles barbares. Quand écrirait-on un vrai récit de guerre avec tout ce que cela comportait d’affreux et de détestable ? Les champs de bataille, c’était ignoble, puant et l’homme disparaissait sous les traits de la bête qu’il redevenait pour survivre. C’était cela qui la faisait tant rêver ? Les boyaux et les odeurs des défécations spontanées ? Ou bien rêvait-elle de se délecter du plaisir d’enfoncer une lame dans un corps vivant et d’admirer la vie quitter les deux prunelles qui la fixait en implorant pitié, car sa dernière pensée allait à sa femme et ses deux enfants qu’il laisserait derrière lui ? Avait-elle seulement enfoncé son poignard dans le cœur d’un cerf ? Avait-elle dépecé le gibier jusqu’à ne plus voir le blanc de sa peau sous le sang coagulé ?
La guerre n’avait rien d’enviable et elle comptait bien lui rappeler.

Elle s’était bien amusée à tout mettre en scène dans les écuries avec Alduis. Une scène plus vraie que nature et elle ne doutait pas qu’elle apprécie son récit à sensations fortes. Officiellement, Bérénice l’avait invité en sa qualité d’épouse de militaire. Pour lui conter l’intégralité des exploits du plus admirable officier de cavalerie qu’elle connaissait -et cela était entièrement vrai et sincère-. Elle lui avait également proposé de lui confier quelques-uns de ses secrets pour être une femme dans un monde d’homme. Conseils qu’elle lui prodiguerait si elle tenait jusque là. Une fois lavée de sa vengeance, elle pourrait prendre le thé avec elle, comme si de rien n’était. Si elle résistait jusque là. Et elle n’allait pas tarder à le découvrir puisqu’une servante l’informa de son arrivée dans le Grand salon.

"Mademoiselle, la marquise de Fromart-Aussevielle vous a écrit."

Voilà ce qu'on lui avait dit lorsqu'on lui avait donné la lettre d'invitation pour le marquisat Fromart-Aussevielle."Fromart-Aussevielle". Fromart. Rien qu'en entendant ce nom, elle avait été à deux doigts de prendre la lettre au valet afin de la jeter de façon nonchalante dans la cheminée du salon.

Elle aurait aimé ne plus entendre ce nom et l'oublié tout court. Cependant et apparemment, un membre de la famille de ce Alduis Fromart avait décidé de ne pas la lâcher de sitôt. La jeune femme avait tendance à se méfier des personnes qui l'entouraient et autant dire que dans cette situation, elle l'était encore plus. Après tout, quelle hasard ! Une Fromart (éloignée ou non) l'invitait dans sa demeure pour "simplement" discuter des exploits de guerre de son mari. Et cela, après qu'elle avait brisé les testicules de ce pauvre Alduis. Alors qu'il l'avait pleinement mérité...

Elle ne mangeait pas de ce pain là.

Mais refuser l'invitation serait un signe de faiblesse. Et autant dire que de se faire passer pour une lâche était pour elle la pire des options. Alors malgré les problèmes qu'elle allait sûrement s'attirer, elle partit en direction du marquisat de Fromart-Aussevielle. Mais pendant tout le long du trajet, elle ne put s'empêcher de se mordre les lèvres, redoutant ce qu'il allait se passer. Elle détestait ce genre de surprise...

Une fois descendu de la calèche au lieu de rendez-vous, Leyria se rendit dans le Grand salon conduit par un domestique. Elle attendit l'arrivée de son hôtesse. Et disons qu'elle n'avait pas vraiment hâte de la rencontrer...

Qui était donc cette jeune femme au comportement si déplacée ? Bérénice mourrait d’envie de la rencontrer -et de régler ses comptes avec elle-. Les bons comptes faisaient les bons amis disait-on, alors il était temps que la dette ne soit réglée.

Pour une fois, elle ne se fit pas prier et arriva en suivant. La petite table avait déjà été garni de sucreries en tout genre ainsi que de verres et de tasses. Sur le dressoir, attendaient carafes et théière, prêt à être servi par la domestique en charge de leur bon usage.

— Mademoiselle de Phietom ! Quel plaisir de vous recevoir à Fromart. Je vous en prie, installez-vous elle indiqua fauteuils et canapés en suivant faites comme chez vous ajouta-t-elle.

Quant à Bérénice, elle la recevrait à la Fromart et ne se permettrait pas de lui asséner de quelconques coups. Quoique. Peut être la rapière, qui savait ?

— Que peut vous servir Anne ? Pour ma part je prendrai un verre de vin de mûres annonça-t-elle en se tournant vers la discrète jeune fille.

Le service fut fait et elle entama la discussion, laissant à son invité l’initiative de l’ouverture des hostilités alimentaires.

— Mon frère m’a dit que vous vous intéressiez aux récits de guerre. Je n’ai pas pu m’empêcher de vous inviter pour vous rencontrer : j’étais bien trop curieuse de voir qui était cette jeune femme aussi téméraire qui souhaitait délaisser les piquants des aiguilles à broder pour le fil aiguisé des rapières. avoua-t-elle pleine d’enthousiasme.

Son hôtesse vint enfin la saluer et l'inviter à s'installer à ses côtés. Instinctivement, Leyria la salua dans une révérence avant de s'assoir dans le fauteuil qu'elle lui avait indiquer.

- Enchantée, Madame de Fromart-Aussevielle. Je vous remercie de votre invitation.

Voilà que la marquise héritière était chaleureusement reçu alors qu'elle était pourtant certaine  qu'elle allait être accueilli de la pire des façons... Elle en fut presque impressionnée. Quoique, la marquise avait bien pu être mise au courant de cette histoire avec Alduis de Fromart mais elle ne partageait pas le même avis que lui. C'était une autre idée assez probable. Mais on lui laissa pas le temps de pousser ses réflexions plus loin car son interlocutrice lui proposa ensuite une boisson pour débuter leur conversation.

- Je prendrais un simple verre de vin, je vous remercie.

Bon.... Elle l'avait peut-être jugé trop vite... Il fallait dire que l'enthousiasme de son hôtesse réussissait à la détendre. Même si oui elle venait d'avoir la confirmation qu'elle était bien de la famille du lieutenant Fromart, elle était en plus sa soeur ! Sauf que cette "révélation" ne dérangea pas vraiment Leyria au final. A croire que le sourire rayonnant de la marquise l'avait complètement hypnotisé...
Mais quelque chose lui titillait toujours l'esprit. Elle ne connaissait rien sur Madame de Fromart-Aussevielle... Même si elle était au coeur des rumeurs et des ragots des courtisans, vu qu'elle était faisait parti l'un des premiers sujets, elle n'avait vraiment entendu parler de cette femme. Ce qui était dommage dans un sens... Elle aurait grandement préféré avoir quelques informations sur cette jeune femme avant de la rencontrer. A moins qu'elle n'avait rien à cacher et cela devenait alors une nouvelle plutôt rassurante.
Leyria lui répondit en souriant quoique timidement.

- Vous avez visé juste, Madame. J'apprécie beaucoup passé mes après-midi entières à cette activité plutôt sportive qui est l'escrime. Je suis de loin une couturière... Et vous ? Vous est-il déjà arrivé de devoir manier une fine lame pour un entraînement ou même un duel amical ?

Une fois les salutations d’usage effectuées, Bérénice s’enquit de faire servir à la demoiselle le verre de vin demandé, puis le pris dans ses mains afin de trinquer muettement à leur rencontre. Autant entrer dans le vif du sujet immédiatement et aborder la raison de sa venue ici.
Elle acquiesça d’un sourire à son affirmation sur l’escrime.

— Je pratique l’escrime depuis mon enfance en compagnie de mon frère. Nous nous entrainions ensemble et faisons parfois des duels amicaux. Mon époux me fait… faisait de temps à autre l’honneur de m’accorder un duel bien qu’il n’ait jamais vraiment compris mon engouement pour la chose.

Elle prit une petite gorgée. Elle n’aurait plus à supplier Démétrius de bien vouloir accorder cette faveur. C’était terminé. Il n’y aurait plus d’escrime pour lui désormais. Cela faisait bientôt un an et pourtant elle avait toujours du mal à y croire. Combien de fois s’était-elle éveillée en se disant que tout ceci n’était qu’un mauvais rêve avant de réaliser qu’elle vivait dans ce mauvais rêve ? Ils avaient tous deux espéré que ce ne soit que temporaire et elle n’avait jamais autant prié de toute sa vie que durant cette période, mais il fallait croire que sa voix avait été aussi audible qu’un courant d’air. C’était si injuste… Elle ne pouvait cependant pas se laisser gagner par l’émotion et referma bien vite ce chapitre.

— Que diriez-vous à l’occasion de profiter de notre salle d’armes pour un affrontement ? Nous pourrions même aller la visiter tout à l’heure si le cœur vous en dit.

Puis passant d’un sujet à l’autre pour détendre son invité avant le grand spectacle, elle déclara :

— J’ai entendu dire que vous étiez proche de Boréalion ? Nous l’avons reçu fin décembre à Fromart. Je dois vous avouer que je n’ai pas pu m’empêcher de lui signaler que je regrettais qu’il n’y ait aucun roman dont le héros soit une femme digne de ce nom.