Rétablissement de Lucie ? [Terminé]

Dans une des chambres d'hôtes, Lucie est allongée. Des gardes se relaient par sécurité à sa porte. Une pitance lui est portée trois fois par jour, et une servante vient de temps en temps essayer de la stimuler (lui parler, lui proposer d'aller marcher quelques pas...) pour voir comment elle réagit.
Comme demandé par le châtelain, on lu donne des traitements à base de charbon végétal, mais aussi d'héllébore qu'on espère propre à aider ses idées à se remettre (un peu) en place.

Les nuages se dissipaient.

Était-ce le fruit de ces soins stupides ? Lucrezia absorba tout juste ce qu'il fallait d'hellébore : l'ignorante fille de chambre eut encombré son officine d'apothicaire. Elle lui cracha le reste au visage en ouvrant tout à coup les yeux. L'autre eut un mouvement de recul.

Les yeux avaient vu. Qu'avaient-ils vu ? Était-ce le fameux moment ? Était-ce Giacometti ? Mais le garçon n'avait pas parlé. Il fallait qu'il parle ! Lucrezia avait besoin de savoir.

On l'avait ramenée. Elle n'avait pas joué tout son rôle : elle devait périr par le feu. Il fallait punir les coupables, sans en oublier un seul, puis se présenter à la maison de la grand'place et l'incendier. Au lieu de laisser aux voleurs la maison di Subiaco, tout partirait dans le brasier. Lucrezia avait prévu de devenir là-bas de la cendre et du souvenir. Le garçon devait tout lui dire.

Fixant la servante, elle lui attrapa tout à coup la main. Ouvrant les yeux grands sur les lignes de la main, Lucrezia s'extasia un instant.

Mais la servante retira rapidement sa main. Légèrement inquiète, elle quitta la pièce et alla prévenir le seigneur du réveil de la fausse nonne.

Assise sur le lit, dans ses châles superposés sur une très longue chemise blanche, Lucrezia resserra les bras sur ses genoux, tenus contre sa poitrine, et se balança légèrement d'avant en arrière.

Tout se dit vite au sein du domaine. Les autres servantes apprennent, pour la potion recrachée au visage de leur consœur et l'essai de lecture dans les lignes de sa main qui a étrangement tourné. La domestique concernée aura mis cela sur le compte de l'état trouble de Lucie et de sa rémission houleuse.
Le 9 au matin, puisque son état est déjà bien meilleur, l'information est transmise au châtelain et à son intendant. Le noble ne tardera pas à la mander pour une nouvel entretien. D'ici là, aux allées et venues d'employés autour de sa porte, Lucie pourra entendre ce qui se dit parmi les gens du domaine : que Tristan a été longuement tourmenté la veille, qu'il aurait fait des aveux intéressants et que le garçon a été mis au repos dans une petite pièce au rez-de-chaussée. On se demande quand il retrouvera le plein usage de son corps. Quelques serviteurs se confient avoir prié pour lui, à présent que sa conscience était déchargée de ses fautes et cachotteries. On parle aussi d'un grand bal masqué qui se donnera ce soir en ville.

Quand Lucrezia apprit où se trouvait le garçon (dont le prénom monta jusqu'à son esprit), elle se leva du lit, lentement, marcha jusqu'à la porte et l'ouvrit. Des gardes surpris se retournèrent lorsqu'ils la virent, en vêtement de nuit blanc, long, fantomatique ; et ses longs cheveux, lavés la veille, encadraient un visage plus sibyllin que jamais, fixe et fin, le front insistant, le regard large et lointain.

Lucrezia s'arrêta majestueusement devant eux. Posant les yeux sur chacun d'eux, comme s'ils étaient d'insignifiantes curiosités, elle eut l'air de jauger leur réaction.

Le petit groupe de gardes interrompt sa conversation en voyant arriver la femme. Ils ne l'ont même pas entendue arriver, spectrale qu'elle est dans cette robe et avec son visage de gisante. Le silence les tient un court instant. Par réflexe professionnel, le premier lui rend son regard scrutateur et vérifie qu'elle n'est pas dangereuse. Rien de suspect. Elle a juste sa chemise et ses châles. Deux collègues restent distants quoique fasciné, l'espace d'une seconde, par son regard d'outre tombe. Le demande finalement, au cas où elle ait besoin de signer pour dire quelque chose :


"Vous avez besoin de quelque chose ?"


Sa voix est un peu troublée, flottante. Les regards qu'on lui adresse se partagent entre la fascination, la répulsion pour ce qu'on sait maintenant d'elle et un genre de pitié pour son esprit égaré.

Sans rien répondre, elle reprit sa marche en plantant là les gardes.

Lucrezia avançait dans le couloir, l'air fantomatique et absent, jusqu'à trouver l'escalier, puis se dirigea vers une chambrette au rez-de-chaussée.

Un des gardes est tenté de lui faire barrage. L'autre, de la suivre. Leur collègue leur fit signe de la laisser aller : elle n'est pas dangereuse, on lui a tout pris, et il se trouve assez de domestiques partout dans le domaine pour garder l’œil sur ses déplacements. Le maître est en ce moment occupé avec une marquise venue le visiter. Il viendrait donner ses consignes plus tard.