[10 août 1597] - Pris sur le fait [Terminé]

L’été. Une saison chaude, où les décolletés s'ouvraient pour placer les gorges sur les balcons bien en évidence. C’était assurément la saison qu’il préférait. Même les tissus des robes se faisaient plus léger. Comment résister à de pareilles tentations ? C’était tout bonnement impossible et le Ministre des Affaires Étrangères n'essayait même pas de faire quoi que ce soit dans ce sens.

L’été, il affectionnait d'ailleurs tout particulièrement la fraîcheur de l'église du Père Thierry où il avait comme qui dirait prit ses aises depuis leur rencontre.
Certes le lit était épouvantable et grinçait atrocement. Mais même cela, il l’appréciait. Son petit défi personnel? Le faire grincer le plus fort et le plus longtemps possible. Et son but ultime était de se retrouver un jour par terre, au milieu des débris. Jusqu’à présent le lit tenait bon et Thierry était un adversaire redoutable.

Aujourd’hui encore, il le faisait chanter sous l'œil miséricordieux (pour le sommier) du Christ. La relative fraîcheur n’empêchait pas la sueur de ruisseler le long de son corps. Tout occupé à sa tâche dans une position fort peu catholique, il n'entendit pas les pas s’approcher. La poignée s’enclencha tandis que la paroissienne étouffait tant bien que mal la voyelle fuyant ses lèvres.

C’était sans doute Thierry qui rentrait un peu plus tôt que prévu…

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'Dé 100' : 95

En cette période estivale, peu de clients venaient à la librairies. Bon nombre de nobles et bourgeois avaient fait leurs valise pur fuir la capitale et passer les mois chauds à la campagne. Son père accordait ainsi plus facilement des congés et le jeune homme en profitait pour se promener puis revenait rapidement au sein de l'église Saint-Eustache. Dès l'entrée il ressentait une paix intérieure profonde l'envahir. Le monde profane s’évanouissait et seul Dieu comptait véritablement en ces lieux sacrés. Sa main plongea dans le bénitier et traça avec la même émotion pure le signe de croix en même temps que son regard se posa avec humilité sur le Christ dans le fond pour le saluer avec respect.

Alexandre commença par faire quelques pas et sourit à voir autant de personnes rassemblés dans l'église. Les badauds étaient réunis par petits groupe et priaient dans les différentes chapelles. d'autres discutaient entre eux et leurs conversations, au éclats de rire, ne portaient que peu sur le Seigneur. Il s'approcha de l'autel pour ordonner quelques affaires quand une femme âgée vint vers lui. C'était la vieille Pingeot, une dame assez sèche. A son air pincé, il retint un soupir et sut qu'il n'échapperait pas à une flopée de reproches.

"Excuse-moi, Alexandre, mais pourrais-tu aller faire taire ce maudit prêtre ? Je n'en peux plus d'entendre ces diables de ressorts !"

Alexandre plissa le front et fixa la direction que lui indiquait la vielle : la porte de la cellule. En prêtant attention, il entendait à présent lui aussi ces sons peu avenants que les bavardages lui avaient couvert.

"Je croyais le père Thierry occupé à l'extérieur pour l'organisation des festivités de l'Assomption. Il serait déjà rentré ? "

"Apparemment, oui ! C'est vraiment inacceptable !"

Alexandre fit de son mieux pour tolérer les ardeurs de la vieille et lui rappeler que les colères étaient une mauvaise passion puis il s'éloigna pour gagner la cellule. Une fois la porte ouverte, un spectacle déroutant l’attendait. Il croyait surprendre le père Thierry dans une position honteuse mais habituelle. il se trompait. a la place se trouvait dans ce lit qui remuait fort et grinçait bruyamment un autre homme avec une des paroissiennes qui fréquentait cette église avec assiduité. Apparemment, pas que par amour du Christ et des bonnes mœurs comme elle aimait si souvent le dire.

Passé la surprise, Alexandre referma la porte pour que personne ne découvre un spectacle aussi dégradant puis s'approcha. Il interpella les amants avec un lourd cynisme.

"Puis-je rappeler que cette église n'est pas encore une maison de passe et que Braktenn compte suffisamment de lieux 'aisances pour ce genre d'activités sans qu'on ait à polluer un lieu saint ?"

Il fixa particulièrement la femme d'un œil sévère.

"Vus me décevez beaucoup, madame Ménard, vous qui êtes toujours à proclamer que les bonnes mœurs se perdent. il semblerait que vous participez pourtant à leur dépravation."

Le jeune homme poursuivit à l'intention des deux amants :

"J'ose espérer au moins que le père Thierry vous aura loué cette... chambre à prix d'or. Que cet acte lubrique et sordide serve au moins pour de bonnes oeuvres."

Son regard se tourna finalement vers le crucifix au-dessus de la porte et s'attrista.

"Seigneur, mon malheureux Seigneur, je déplore que tu ais assisté à cette scène indigne et déplorable. On dit de pardonner, qu'ils ne savent pas ce qu'ils font.. Malheureusement, je redoute qu'lls le savent parfaitement. Mais dans ta bonté, aie pitié de l'âme souillée de ces deux misérables. Sois bon envers eux qui ne le méritent et accueille les dans Ta lumière."

Puis-je rappeler que cette église n'est pas encore une maison de passe et que Braktenn compte suffisamment de lieux 'aisances pour ce genre d'activités sans qu'on ait à polluer un lieu saint ?

Coldris stoppa immédiatement son mouvement. Un cri d’effroi digne d’une petite souris s’échappa de la bouche de Madame. Il haussa un sourcil. Non vraiment, il préférait lorsque d’autres sons moins désagréables s’échapper de ses lèvres. Et puis quoi ?! Elle était encore quasiment entièrement vêtue : Ah les robes ! Un vêtement inventé par les hommes, pour les hommes, incontestablement. Dommage que les femmes ne leur aient rajoutées tant de jupons et autres froufrou volumineux.
Lui en revanche…
Il se laissa tomber sur le lit.

Cette voix et ces reproches. Il les connaissait déjà pour les avoir entendus quelques mois plus tôt.

Il s’assit sur le bord du lit, nu comme un vers, jambes croisées nonchalamment et écouta le sermon. Madame Ménard ? Il tourna la tête vers la femme qui rabattait tant bien que mal ses manches sur ses épaules, rouge de honte. Madame Ménard donc. C’était là son nom. Enfin qu’importe. Elle n’avait pas l’air encore assez dévote pour se faire assommer par le crucifix. Il reporta son attention sur l’enfant de chœur qui n’était autre que le fils de son ami de débauche. Enfin… Lui l’ignorait.

- Bonjour Alexandre! il marqua une pause tandis qu’un rictus se dessinait sur ses lèvres.

- Dois-je te rappeler les règles élémentaires de la bienséance, tel que frapper avant d’entrer ou encore saluer ?

Il était bien difficile de savoir à cet instant s’il s’amusait du jeune homme ou si c’était là une remarque pleine d’un glacial sarcasme. De tout évidence, il n’avait pas l’air de souvenir de lui. Coldris en revanche en garder un souvenir parfaitement limpide. Madame Ménard se faufila jusqu’à la porte sous l’œil du Ministre. N’avait-elle donc pas apprécié ce moment plein de risque et de danger ? Quelle ingrate ! Ce n’était pas vraiment ce qu’elle avait l’air de dire quelques minutes plus tôt…

- Les amis ne payent pas, voyons. Mais s’il n’y a guère que cela pour apaiser ta conscience je me chargerai de faire un don.

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'Dé à 6 faces' :

Alexandre fixait le crucifix et désolait que le Christ ait assisté à une scène aussi lamentable. Il pria quelques instants puis entendit d bruit qui émanait de derrière. On se levait du lit. Il se retourna et tomba nez à nez avec l'homme en parfaite tenue d'Adam. Son visage devint entièrement rouge et il se couvrit aussitôt les yeux.

"Pourriez-vous avoir l'obligeance de vous vêtir ?"

Il nota que l'homme le nommait de son prénom mais cela ne l'étonnait pas. Tout ceux qui fréquentaient cette église le connaissait. Il participait à de nombreux offices et aimait se rendre visite. Il faillit brusquement s'étouffer quand l'individu osa évoquer la bienséance. La bienséance ? Lui qui perturbait les honnêtes gens venus se recueillir avec humilité ?

"La bienséance ? La bienséance ? Je ne comprends même pas comment vous arrivez à ne pas rougir de prononcer ces mots ! Sachez, pour votre gouverne, que des gens sont venus se plaindre de vos... votre tapage ! Et en prime, vous restez nu ! Rhabillez-vous donc avant de parler de bienséance !"

Alexandre nota que le regard de l'homme observait ailleurs et il le découvrit observer la dame Ménard essayer de s'échapper discrètement. la porte s'ouvrait et elle semblait proche de réussir l'évasion. Un rictus cruel défigura un instant le visage d'Alexandre et le garçon se mit à parler d'une voix suffisamment forte :

"La prochaine fois que vous venez prendre du bon temps ans cette pièce, dame Ménard, vous penserez à refaire le lit ?"

Grâce à cette petite pique, la perverse n'échapperait pas à l'opprobre populaire. La vieille Pingeot devait encore être là et allait lui adresser un bon sermon. Et un châtiment mérité, un !

Il reporta son attention vers l'amant de la dame et poussa un long soupir.

"Allons bon.. Un ami de l'autre ignoble ? Il ne manquait plus que ça. Cela ne vous suffit plus les soirées dans les tavernes ?"

Mais pourquoi rougissait-il ainsi ? Ils étaient bien fait de la même façon non ? Deux bras, deux jambes, des attributs masculins -a priori-.

Coldris ne releva pas sa demande. Rien ne l’agaçait plus que de recevoir des ordres. Il était celui qui ordonnait et non l’inverse.

- Et bien quoi Alexandre ?! Je suis dans la maison de Dieu en tenue d’Adam. Voilà qui parfaitement cohérent non ? Que veux-tu donc ? Que je me colle une feuille de vigne comme ces foutus statues émasculées peut-être ?!

Ce n’était pas tant sa remarque -plutôt amusante au demeurant- que l’ordre qui lui avait été donné qui l’agaçait.

- Les saints ne baisent jamais peut-être ? Il n’y a que des moutons pour bêler stupidement à des principes que les bergers n’appliquent pas !

Alexandre se vengea de Madame Ménard et Coldris ne releva pas. Par contre il releva parfaitement qu’il ne se souvenait pas de lui. Un grand sourire amusé se dessina.

-  Je ne fréquente pas les tavernes. Tu devrais le savoir. Je préfère les établissements plus… Privés… Comment va ton Père ?

Il appuya un peu plus sur ce mot. Ce mot qui avait fait couler tant de salive la dernière fois et qui devrait sans doute lui rafraichir la mémoire.

Alexandre en revenait de l'impudence de cet homme. Non seulement il ne se rhabillait et se plaisait à rester assis au bord du lit, les attributs bien à l'air mais se plaisait à faire de l'esprit. Quel affreux impie ! Et s'il le dénonçait directement à l'évêque ? Un pareil comportement dans la maison de Dieu devait être puni ! Cette fois, les hoses allaient trop loin. Il ne pouvait plus fermer les yeux. On dépassait du cadre du prêtre de la paroisse qui s'envoyait régulièrement en l'air.

Il répliqua, austère :

"la tenue d'Adam renvoie à l'état de pêcheur mais surtout du repentir. Adam et Eve, suite à leur faute, ont ressenti une honte terrible d'avoir déçu Dieu. Or, dans votre cas, je doute que vous regrettiez vos actes ? Vous ne regrettez même pas d'avoir été surpris."

Du rouge cramoisi, le visage du garçon devint livide. Il faillit s'étouffer devant un pareil blasphème. Comment osait-il ? Ce n'était pas à l'évêque qu'il allait le dénoncer mais directement à un inquisiteur ! Cela suffisait. Cet homme devait apprendre que tout acte avait des conséquences, surtout quand ceux-ci portaient une telle noirceur.

"Les Saints sont des êtres exceptionnels, inspirés par le divin ! Ils sont au-delà de tout ce qui est matériel dans ce monde ! Vous... Comment osez-vous tenir un pareil discours ? C'est inimaginable ! Une infamie ! Du blasphème ! Si j'étais prêtre, je vous ordonnerai un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle ou Jerusalem pour vous laver de vos péchés, démon !"

Alexandre bouillait de colère et celle-ci ne le quittait pas. Il n'avait encore jamais entendu des paroles aussi viles et odieuses. Brusquement, il blêmit. Que venait-il de dire ? il ne fréquentait pas.. les tavernes. Mais des bordels privés. Et ce sourire.. Ce sourire dérangeant. Il poussa un long soupir en entendant la remarque désobligeante sur son Père.

"Votre Excellence..."

Le garçon leva ses yeux au plafond, découragé.

"Cette église doit être maudite... Vous venez régulièrement ici depuis... votre rencontre avec le père Thierry ? Seigneur, SEigneur.. Je me demande encore pourquoi j'essaie encore à ce que cette église ressemble à une église. "

S’il regrettait ? Absolument pas. La seule chose qu’il regrettait était éventuellement celui d’avoir porté son dévolu sur cette Madame Ménard. Il aurait sans doute pu trouver mieux . Mais le feuillet glissé à hauteur du verset 2:25 du livre de Jérémie
[ Ne t'expose pas à avoir les pieds nus, Ne dessèche pas ton gosier! Mais tu dis: C'est en vain, non! Car j'aime les dieux étrangers, je veux aller après eux.] indiquait clairement que grâce à elle, il venait de dépasser le score du prêtre. Un large sourire insolent s’étira pour toute réponse.

Alexandre passait par toutes les couleurs. Comment ne pouvait-il pas se souvenir de leur rencontre ? Coldris n’avait pas pour habitude d’être oublié. C’était même généralement l’inverse : sa réputation le précédait et on pensait le connaitre et le reconnaitre avant même de lui avoir parler. Après une dernière remarque, il sembla enfin comprendre.

- Je suis navré Alexandre, mais je doute que le Roi n’accepte de se passer de mes services pour un si long voyage. Nous avons tant à faire. Ce n’est visiblement pas demain que je laverai mon âme. Tant pis !

Il posa ses mains sur ses cuisses et se leva puis traversa la cellule.

- Cela m’arrive en effet d’y venir. Ton père et moi avons nos petites habitudes

Coldris attrapa sa chemise de lin blanche, soigneusement déposé sur la table avant de la passer par-dessus sa tête.

- Mais je préfère y venir l’été. Comment vont les affaires à la librairie, Alexandre ? demanda-t-il nonchalamment pour changer de sujet.

Alexandre n'arrivait pas à croire que le Ministre des affaires étrangères se trouvait réellement dans l'église Saint-Eustache. Non seulement il se trouvait ici mais il forniquait avec les paroissiennes comme les abeilles venaient butiner dans les fleurs pour faire leur miel. Combien de femmes avaient-elles été prises au piège de ces deux hommes lubriques ? Son regard se tourna vers le crucifix et il s'attrista profondément que le Christ assiste, impuissant, à toutes ces orgies monstrueuses.

Les paroles du ministre l'aidèrent à revenir au monde terrestre et il s'étonnait plus pas que cet homme ne se manifeste aucune volonté de rédemption. Son âme devait être noire et perdue. il riposta, austère :

"Un jour, vous répondrez de vos actes à Dieu."

Son interlocuteur confirmait ses visites ponctuelles. Il soupira à nouveau.

"L'un et l'autre n'avaient décidément aucune décence. Il y a des enfants qui viennent, savez-vous Que ferez-vous si l'un d'eux poussait accidentellement cette porte ? Cette pièce est censée être accessible à tous mais pas... pour ce genre de choses."

Le ministre se décidait à se rhabiller enfin. Pas assez vite à son goût. Ne pouvait-il pas remettre son pantalon ?

"Quand on est en public, on vêtit en priorité la partie honteuse."

Il évoqua avec nonchalance la librairie Bellanger et Alexandre sentit la colère monter en lui. Comment osait-il ? Il s'était moqué de lui. De retour à la capitale, bouleversé par le doute qui s'était immiscé en lui, il avait évoqué cette rencontre à sa mère et demandé si ce serait possible qu'il soit le fils de cet homme. Elle lui avait assuré qu'elle ne l'avait jamais approché et que lui était le fils de son père, que son visage le lui prouvait chaque jour. Le garçon se contentait de cette explication, sans chercher à plus approfondir.

"Ah oui ! La librairie Bellanger ! J'ai cru en vos sornettes ! J'ai honteusement accusé ma mère d'adultère à cause de vous ! De vos simagrées ! J'ai soupçonné... J'ai honte. Mon dieu que j'ai honte. Tout ça car vous m'aviez mis un doute en laissant supposer.. Alorsq ue a mère est une sainte femme, bonne dévouée.. Jamais elle ne tromperait mon père, elle !"

Répondre de ses actes ? Il étouffa un rire cynique.

- Je ne répondrai rien du tout à qui que ce soit. Je suis mon seul Maitre, Alexandre

A nouveau, le jeune infirme recommençait avec ses leçons de morales.

- Tu crois que les gosses naissent par l’opération du Saint Esprit peut-être ? Ne soit pas donc pas naïf à ce point ! Leurs parents baisent devant eux la nuit. Tu crois peut-être qu’ils ont le luxe de se payer plusieurs chambres pour avoir de l’intimité ?

Coldris se dirigea enfin vers sa chemise qu’il enfila. Au lieu de se réjouir Alexandre se permit une nouvelle pique. Il fit volte-face, un regard aussi acéré que glacial.

- Vous ne vendez donc pas de dictionnaire?! Laisse-moi te rafraichir la mémoire veux-tu : « en public » : devant un certain nombre de personnes. Supérieur à une unité, donc. Je ne voix que toi et je me fous Dieu. Je suis donc en privé. Et jusqu’à preuve du contraire nous sommes fait de la même façon.

Il enfila son pourpoint de jais. Tandis qu’il enchainait sur ses sornettes. Tandis qu’il reboutonnait sa veste, il chercha ce qu’il avait bien pu lui dire ce jour-là au sujet de son père. Ce ne fut que lorsqu’il ne lui resta plus que trois boutons qu’il se rappela qu’Alexandre avait cru qu’il était son père, dans un malheureux concours de circonstances. Sa colère s’évapora aussi rapidement qu’elle était venue pour laisser place à un amusement sans nom. Lorsqu’enfin son pourpoint fut boutonner, il se tourna vers le béquilleux.

- Oui en effet, une sainte femme qui ne trompe jamais ton père. C’était tout à fait cela. Pardonne-moi de t’avoir détourné de ton chemin.

Mais son insolent sourire en disait tout autre. Il apprendrait bien un jour ou l'autre l'identité réel de son vrai père...

La voix glaciale de Coldris fit trembler Alexandre qui se recula de plusieurs pas. Il n'était pas bon de fâcher un pareil homme. par ailleurs, sa réflexion sur les familles trop pauvres qui ne disposaient que d'une seule pièce pour vivre le fit rougir. Prisonnier de son confort, il en oubliait que le monde ne fonctionnait partout pareil et que bien des gens ne possédaient pas son existence. Il rougissait de cette erreur de jugement et baissait le regard, honteux.

"J'avais oublié. Merci pour cette leçon d'humilité,votre Excellence."

Il s'exprimait d'une voix base et repentante, sans une once de sarcasme. I garda la tête baissée et n'ajouta plus rien aux interventions suivantes, soumis au sens de la hiérarchie et à l'autorité de cet homme.

Puis, brusquement, la colère le reprit quand il se remit à parler de sa mère.

"Ne mêlez pas ma mère à vos histoires ! Arrêtez de l'utiliser pour vous moquer de moi !"

Alexandre pouvait supporter beaucoup de choses mais pas qu'on critique sa mère. C'était déjà suffisamment dur de la voir être battue par son père sans pouvoir rien faire. Alors il devait au moins protéger son honneur, comme tout bon fils devait le faire.

Au moins Alexandre savait-il se montrer docile lorsque la situation l'exigeait. Il acquiesça de la tête à ses excuses et passa à autre chose. Cela  avait eut le mérite de radoucir Coldris qui entreprit de se saisir de ses chausses tandis qu'ils évoquèrent la mère d'Alexandre. Comment en étaient-ils arriver là déjà? Ah oui, il avait simplement demandé des nouvelles de la librairie où il était passé acheter ce magnifique exemplaire du Prince. S'il avait su que la conversation dériverait ainsi sur ce sujet glissant, il se serait tue.

Le Ministre grimaça devant la colère du jeune homme.

-Alexandre! lança-t-il sèchement pour le faire cesser ses jérémiades

- Ce ne sont pas mes histoires mais la tienne! Je me fiche pas mal de ce que tu peux penser. Qu'est-ce que tu crois? Des bâtards j'en ai des tas. Ca ne m'empêche pas de les respecter! Qu'est-ce que tu crois? Que les femmes sont des pêcheresses?! Ouvre les yeux bon sang! Certaines cherchent juste de l'amour et de l'affection là où elles le peuvent. En quoi ce serait mal d'être heureux?

Il eut soudainement des vertiges, assailli qu'il était par des images qu'il avait complètement oublié et qu'il refoula aussitôt. Il ramassa ses souliers et entreprit de les remettre assis sur le bord du lit.

La colère brusque et violente du ministre chassa celle d'Alexandre qui se recula encore de quelques pas. Son dos était contre la porte. Il sentait que ce serait plus prudent de partir. ou il irait des ennuis. De graves ennuis. il n'aimait pas ce discours et ne voyait pas pourquoi les femmes chercheraient l'amour ailleurs que dans leur foyer. Une fois mariés, homme ou femme devait se tenir à la fidélité conjugale. C'était ainsi et pas autrement. Il n'eut toutefois aucune envie de le rappeler à son interlocuteur.

"Je... Je vais vous laisser. désolé de vous avoir déranger."

Sans attendre de réponse, il ouvrit la porte et se dépêcha de sortir.

Thierry avait passé une après-midi affreuse à l'évêché à écouter des discours stupides sur les préparatifs de fêtes de l'Assomption. Il avait écouté d'un air apparemment if attentif et dit oui quand lui demandait son avis. Il s'en moquait bien de toutes ces imbécillités. Au moins, la journée ne s'était pas révélée totalement infructueuse. Lors des pauses, sous prétexte de se rendre aux latrines, il avait passé du bon temps avec la sœur de l'évêque, une vieille fille de bientôt trente ans que sa famille avait renoncé à marier. Elle se montrait bien peu farouche et adorait leur rencontres secrètes.

De retour dans son église, le prêtre eut la désagréable surprise de tomber sur la vieille Pingeot qui l'apostrophait pour lui énoncer que la dame Ménard, une femme qu'elle pensait vertueuse, avait osé se dévergonder en ces lieux sacrés. Thierry réprima un sourire et garda une mine austère mais se réjouit intérieurement de savoir son vieil ami présent. Finalement, la journée ne'était pas si mauvaise.

"Je vois, je vois. Je m'en vais faire la leçon à celui qui reste dans un premier temps."

Il abandonna là la vieille sans attendre de réponse et gagna la cellule. Son camarade se trouvait bien ici, terminant de se rhabiller. Un sourire moqueur ornait son visage.

"Eh bien, mon pauvre ami, on aura pas réussi entièrement à dévergonder cette pauvre Madame Ménard ? Quel dommage ! Moi, je me suis beaucoup amusé dans le palais épiscopal même avec la sœur de notre évêque bi-aimé !"

Il s'avança vers un mur et tapota la pierre pour actionner un mécanisme qui dévoila une petite niche. Le prêtre en sortit deux verres et une bouteille pour les poser sur la table. il commença à les servir.

"Désirez-vous un conseil ? Madame Ménard a un mari alcoolique qui passe ses journées à la taverne et boit le peu d'argent que leurs fils aînés peuvent ramener à la maison. Il revient chaque soir à quatre pattes, ivre mort. Si vous y aller dans la soirée, elle vous accueillera avec ravissement."

Il prit un verre et le tendit à Coldris.

"Je l'ai déjà baisé quelques fois. Elle est très inventive, vous savez, et n'a aucune jalousie. Nous ne devons pas être ses seuls amants et je suis certain qu'aucun de ses enfants ne sont de son mari. D'ailleurs, mon cher Coldris, un petit défi ? Et si vous essayez de vous occupez d'elle avec son mari ivre à côté dans le lit ?

Alexandre pris la poudre d’escampette. Ce qui n’était à vrai dire pas plus mal. Pourvu qu’il ne se décide pas à revenir de si tôt ! Coldris ferma la boucle de l’un de ses souliers lorsqu’à nouveau la porte s’ouvrit. Ne pouvait-on donc pas jouir d’un peu de tranquillité cette foutue église ?! Il leva un regard furibond en direction de la porte et croisa en retour celui moqueur, de Thierry. Mais il n’était pas vraiment d’humeur à plaisanter ce jour-là.
Etre interrompu en plein ébat était toujours frustrant mais la discussion qui y en avait découlé n’avait fait qu’assombrir un peu plus son humeur.

- Vous pouvez remercier votre cher fils pour ça… lacha-t-il aussi sèchement que froidement.

- Et d’ailleurs quand est-ce que vous comptez lui-dire que vous êtes son père. Il est vraiment aller voir sa mère en pensant que c’était moi…

Il boucla son dernier soulier et se leva. Thierry avait déverrouillé sa remise secrète et s’affairer désormais au service d’un petit remontant qui ne serait pas de refus après les différents incidents. Quant à Madame Ménard, elle était bien trop bavarde à son goût. Avait-il l’air d’un confident ? Elle avait été d’un tel ennuie qu’il en aurait presque trouvé les offices plus excitants.

- Je ne partage mon lit qu’avec des femmes. Vous devriez le savoir. Si ce défi vous plait tant que cela libre à vous.

Sans parler du fait qu’il tenait à sa place de Ministre et que se trouvait dans une telle situation n’était pas forcément le mieux lorsque l’on avait une relative image. Et puis, il s’était embarqué dans une nouvelle partie de chasse : Jacinthe de Larouvière, une belle jeune veuve à la chevelure plus flamboyante que son esprit, il fallait tout de même le noter. Coldris prit le verre qui lui était tendu et trinqua à leur santé.

En poussant la porte, Thierry découvrit son ami de bien mauvaise humeur qui terminait de se revêtir et qui l'accueillit de manière peu amicale. Certes, se voir interrompu au beau milieu des extases avait de quoi agacer. Il n'en tint pas rigueur puis haussa les épaules.

"C'est pourquoi je vous dis de fermer à clé cette porte. Certes, cela supprime le goût d'être possiblement surpris mais Alex vient ici trop souvent et ses sermons, au saut du lit, sont pénibles. Il a décidément une position trop sévère sur la sexualité."

Il pouffa tout en servant le vint puis ajouta :

"On devrait peut-être en faire un eunuque et l'offrir au royaume de Djerhann ? Après tout, la sexualité ne lui manquerait pas à lui il plait beaucoup aux jeunes femmes."

Le prêtre riait de cette plaisanterie, sans réfléchir aux implications de celles-ci. Come à chaque fois où il retrouvait son ami, tout scrupule s'évanouissait et il ne songeait qu'à l'amusement.

La seconde réponse de son ami faillit lui faire lâcher la bouteille des mains et il s'assit pour continuer à rire. Le fou rire qui le gagnait lui faisait mal aux côtes.

"Non ! Il continue à croire ? Non mais quel idiot ! Bon.. Puis-je vous faire une confession, mon cher ami ? Lors du voyage de retour, Alex était très perturbé par votre rencontre et s'est ouvert à moi, timidement pour savoir si ce serait possible que vous soyez son père. J'ai eu tant de mal à garder mon sérieux. Et que pouvais -je faire ? Devant tant de naïveté, on ne peut que s'amuser avec ! D'un air innocent, j'ai prétendu ne pas savoir amis que je croyais me souvenir que vous fréquentiez beaucoup la librairie Bellanger huit mois avant sa naissance puis que vous ayez disparu du jour au lendemain. Puis, j'ai fini en affirmant que ce n'étaient que des suppositions, que rien n'était certain.."

Il leva sa coupe pour trinquer avec Coldris.

"Me donnerez-vous l'absolution pour ce péché, mon cher ami ?"

Il but tranquillement quelques gorgées de ce bon vin de sa réserve tout en écoutant la réponse.

"Il est vrai que vous avez aussi une réputation à conserver. Moi, je ne me soucie que peu de la mienne, surtout si cela me permet de vous raconter de belles histoires. Quant à ce défi, je l'ai déjà réalisé. Plusieurs fois. Mon cher ami, c'est très jouissif d'être au lit avec une femme et de la baiser avec le mari qui dort à côté. Et s'il se réveille... eh bien, il s'agit de plonger rapidement sur le côté et la dame prétend qu'il a eu un cauchemar. Souhaiteriez-vous entendre avec plus de détails une de ces joyeuses histoires ?"

Thierry était indubitablement de meilleure humeur que le sévère Ministre.  Il lui adressa un regard noir.

- Je l’aurais sans doute fait si vous n’étiez pas parti avec…

Sa plaisanterie sur son fils, n’arrangea pas vraiment les choses. Dire qu’il appréciait Alexandre aurait été mentir. Ses sermons étaient pénibles et déplacés. Mais jamais il n’aurait parlé ainsi de l’un de ses enfants. La famille, c’était sacré. Ses rapports avec Alduis était ce qu’ils étaient certes. Pourtant, jamais au grand jamais, il n’aurait dit du mal de lui, qui plus est dans son dos.
Il préféra donc garder le silence plutôt que d’envoyer une réplique assassine à son jovial ami qui fut prit d’un fou rire à l’évocation de la bâtardise d’Alexandre. Ses explications eurent le don de le faire sourire autant que d’éclaircir la situation.

- Il serait peut-être temps de grandir et d’assumer votre paternité mon cher ami. Si j’avais su mon fils en vie bien plus tôt, je peux vous assurer que je me serai fait une gageure de le récupérer.

C’était peu de le dire lorsque l’on savait tout le désespoir qu’il avait ressenti à la tragique annonce. Il avait cherché et fouillé chaque parcelle de mer qu’il avait pu mais lui n’était qu’une goutte d’eau dans l’océan infini.
Ils levèrent leur coupe et trinquèrent à l’amitié.

- Depuis quand avez-vous envie d’aller courir nu dans les nuages au juste ? Seriez-vous resté trop longtemps à l’Evêché ?

Ils burent quelques gorgées, Thierry commentant ses soirées chez la Mère Ménard. Il lui laissait le privilège de ce genre de frasques dont il n’était pas friand.

- Si cela peut me permettre d’oublier ce malencontreux incident…

Thierry se sentit rougir et fouilla rapidement ses poches pour retrouver ladide clé.

"Pardon. Je suis parti un peu vite au mayin et j'ai cru l'avoir mis dans notre cachette habituelle. Tenez."

Il la déposa sur la table, devant Coldris.

"Emportez-la et faites donc un double. De cette manière, ces pénibles incidents ne se produiront plus."

Au fil de son aveu sur la plaisanterie faite à son fils, Thierry sentit que Coldris le jugeait sévèrement. Il se referma à son tour et fronça les sourcils. Sa petite leçon l'agaçait. Comment pouvait-il le comprendre ? leurs situations n'étaient pas les mêmes et lui jouissaient de bien plus de libertés.

"Il y a une différence notable entre vous et moi, mon cher ami : je suis prêtre ordonné et vous laïc. Qui plus est, vous êtes veuf depuis de nombreuses années. Personne ne vous fera de remarque sur vos bâtards, même si vous veniez les exhiber tous à la Cour. Moi, en revanche... En ces temps, où on envisage une contre-Réforme aux diverses hérésies qui ont défrayé la catholiques, les inquisiteurs resserrent le collet et souhaitent un clergé irréprochable. Reconnaître mon fils, lui en parler... C'est bien trop dangereux. Alex est bavard, maladroit, gaffeur... A l'instant même où il saura, cela ne tardera pas à ce que tout Braktenn l’apprenne avant la fin de la journée. Dois-je vous rappeler que je n'ai aucune envie de griller en place publique ? J'aime la viande cuite, certes, mais dans mon assiette !"

Sur ces paroles, ils levèrent leurs coupes pour trinquer. Coldris sembla se décider et fit de l'esprit. Thierry rit.

"Ce ne sont que des formules creuses que j'aime à replacer dans des conditions... moins spirituelles. "

Ils buvèrent quelques gorgées de vin, le tout alimenté de ses anecdotes. Thierry sourit de l'inviter à raconter son histoire.

"Alors... Je crois bien que c'était il y a deux ans. Ou trois. Avec l'âge, la mémoire s'embrouille, vous ne trouvez pas ? J'avais dame Ménard en confession depuis plusieurs semaines puis un beau jour je suis sorti pour entrer dans sa partie à elle. Je lui ait murmuré de beaux mots et elle m'ait tombée aussitôt dans les bras. C'est décidément une brave femme, n'est-ce pas, qui sait se laisser faire et contenter un homme. Je jugeais toutefois que la prendre tout de suite serait trop facile. Je lui soufflé à l'oreille une idée. Elle a rougi. puis, grâce à des caresses subtiles et des baisers, ses défenses se sont abaissées. Le soir venu, je me suis présentée à sa demeure. Les enfants et le mari dormaient. Elle m'attendait. Elle m'a ouvert la porte et nous sommes montés nous coucher dans le lit, avec le mari qui ronflait juste à côté. Il fallait certes prêter attention à ne pas crier et ne pas remuer trop mais un coup comme ça ! La prendre avec le mari à côté c'était incroyable ! J'en ris encore ! D'ailleurs..."

Un rictus moqueur flottait sur son visage alors qu'il reprenait une gorgée de vin.

"Savez-vous ce que j'ai pu faire à ce pauvre cocu en repartant ?"

Il fixa Colris, les yeux rieurs, attendant ses suppositions.

Coldris poussa un soupir agacé et récupéra la clé.

- Merci, c’est sans doute plus prudent en effet.

Il glissa sans plus de cérémonie la clé dans sa poche lorsque la conversation dévia sur leurs bâtards respectifs. Sa situation était peut-être plus enviable maintenant, mais ce n’était pas le cas lors de la naissance de Sarkeris. Loin de là et il s’en souvenait très bien. Trop bien. La famille c’était sacré qu’importe qu’on soit prêtre, roi ou mendiant.

- Vous lui devez quand même la vérité. Vous croyez que vous êtes peut-être le seul prêtre à avoir de la marmaille ? Fût un temps, ils pouvaient même se marier… D’ailleurs dois-je vous rappeler nos projets ? Vous pourriez être notre Martin Luther monbrinien. Pour ce qui est de la descendance, vous êtes d’ailleurs bien parti. Je compte bien faire part prochainement à sa Majesté de ses éléments. Vous pourriez peut-être me faire une liste d’appuie ecclésiastiques possibles ?

Ou comment passer d'une partie de jambes en l'air écourtée à la politique sans la moindre transition. Mais c'était ainsi qu'était l'esprit du Ministre des Affaires Etrangères: toujours occupée à songer à la meilleure façon de parvenir à ses fins. Il n'y avait pas de moments pour travailler. Il fallait le faire dès que l'opportunité se présenter ou l'instant d'après ce pouvait être trop tard...

Coldris fit écho au rire de son compagnon de débauche. Car il n’était pas désagréable de laisser la pression retomber quelque peu tandis que ce bavard de Thierry se plaisait à meubler le silence religieux des lieux.

- C’est donc pour ça que je n’ai pas apprécié baiser avec elle. C’était bien trop facile pour en savourer quoi que ce soit. Non décidément je passe mon tour très peu pour moi.

Ce n’était vraiment pas une idée qui lui plaisait. Rien que d’imaginer le gros lard ronfler à ses côtés pendant qu’il prenait son pied avait le don de lui couper l’appétit.

- Vous avez remplacé le contenu de sa carafe de vin par du vinaigre ? supposa-t-il avec un sourire espiègle.

C’est ce qu’il aurait fait avec un ivrogne pareil. A quand remontaient ses dernières facéties de ce genre ? Longtemps. Bien trop longtemps. Avant que la nuit ne tombe ou presque.

Thierry but une nouvelle gorgée de vin et écouta d'une oreille distraite les reproches que lui adressaient Coldris. Il détestait les sermons, les siens pour commencer, mais plus encore ceux des autres. Qu'avaient-ils à essayer de régenter as vie ? Qu'on le laisse un peu s'occuper de ses affaires selon son propre chef ! Mais il ne dirait jamais ceci à son très cher ami. Bien au contraire. Il y aurait trop à perdre. Le prêtre laissa ainsi échapper un faible soupir.

"Je suppose que vous avez raison. Mais c'est une conversation que je redoute. Alex est émotif. Et puis, revenir dans cette époque... Je n'ai pas envie de songer à nouveau à sa mère. Je l'ai honteusement trahi. Elle avait confiance en moi, était épanouie... Mais elle m'a annoncé sa grossesse, j'ai eu... un coup de panique. Je l'ai chassé violemment en lui disant des horreurs inimaginables. Et elle est repartie chez cet homme. Et Alex a été élevé par lui. "

Il vida cul-sec son verre de vin et s'en resservit un autre.

"Je l'aimais pourtant. mais j'étais jeune, je sortais tout juste de cet affreux monastère. J'étais terrorisé à l'idée qu'n m'y enferme à nouveau. "

Son regard se tourna vers le crucifix. Il cracha sa haine pour lui au sol.

"Sale pute. Tu défends l'amour mais en vrai tu ne le protèges pas. Tu laisses les amants être puni....."

Sur cette aigreur, il vida la moitié de son verre d'un seul coup. La suite de la conversation devint finalement plus intéressante. Coldris évoqua leur superbe projet de schisme. Sa main lâcha le verre et son son visage devint sérieux. Il s'accorda un moment de réflexion.

"Si vous n'aviez besoin que d'un seul nom, il vous faut absolument le cardinal Wilfrid de Fordent. C'est un homme habile, adepte de la Réforme, sous ses airs publics de soutenir au mieux le catholicisme. Il se sert de son autorité pour libérer ses coreligionnaires qui ont le majeur d'être arrêtés. Un shisme avec Rome ne peut que retenir son attention. Par contre, maniez-le avec précaution. L'homme est vertueux. Il convient d'éviter de vous parer de morale. Du moins, en apparence."

A ce nom prestigieux, Thierry lui confia une dizaine d'autres. Des religieux sûrs, qui appuieraient la réforme du ministre et sauraient lu fournir les meilleurs arguments. Il précisa pour chacun d'eux quelques anecdotes, notamment des points faibles qui lui permettrait un bon contrôle sur eux.

"Ces informations vous suffisent-elles ?"

Le prêtre prononça al question d'un petit ton, légèrement impertinent, comme un chat qui jouerait avec sa souris. Il reprit ensuite son verre et le vida.

"Bientôt, les dévots auront une merveilleuse surprise !"

La conversation perdit finalement de son sérieux pour relater quelques uns de ses souvenirs de soirée. Coldris ne semblait pas apprécier l'idée de jouir avec le mari à côté. Quel homme conventionnel il pouvait être parfois ! Thierry but une gorgée de vin et sourit de la proposition.

"Tiens, je n'avais pas songé encore à cela. Ah ah ! Non, en vérité, je me suis amusé à tracer un signe cabalistique sur le front du mari ivre. Et le lendemain, il n'a rien vu ! Il s'est promené dans la ville et a été bien sûr arrêté. Je soupçonne sa femme d'avoir espéré se débarrasser de lui. La prévôté l'a gardé une petite semaine avant de comprendre que c'était un alcoolique à qui on pouvait tout faire ! Quel idiot !"

Sur ce, il éclata de rire et but une nouvelle gorgée.

Coldris ne répondit rien à son ami. Il détestait plus que tout l’inaction. Ce n’était pas pour rien qu’il avait choisi un taureau pour ses armoiries. Dans toute sa vie, il ne se reconnaissait qu’un seul moment d’égarement. Du reste, il s’était toujours battu, y compris vainement et à contre-courant, mais il avait au moins le réconfort de se dire qu’il avait tout essayé pour dévier le flot impétueux. Il réprima difficilement un frisson au propos de Thierry sur Dieu.


Coldris appuyait de toutes ses forces sur le couvercle contenant ses souvenirs. Les garder enfermer. Le passé n’avait pas à interférer dans le présent. Ce qui était fait, était fait. Quand bien même, il en ressentait toujours des douleurs fantômes à l’endroit de son amputation.

- Si c’était une pute, on aurait au moins le loisir de la baiser.  Dieu n’existe pas. Mais s’il existe ces nigauds sont juste en train de vénérer un putain de sadique. lâcha-t-il amèrement

Il avala à son tour le reste de son verre. Ces mots. Il se souvenait parfaitement les avoir prononcés dans un éclair de lucidité entre deux noyades dans les ténèbres. Il préféra quitter ce sujet déplaisant pour celui plus politique -et réjouissant- de la Réforme. A chacun des noms, il acquiesça silencieusement, le notant précieusement dans son esprit.

- Dois-je en conclure que vous en avez d’autres ? répondit-il avec un large sourire.

Puis Thierry le régala de son anecdote sur la mère Ménard et ce qu’il avait fait à ce pauvre  mari alcoolisé. Il ne put retenir un rire franc en imaginant ce pauvre bougre déambuler sans comprendre les regards qui lui étaient adressés.

- Vous êtes décidément bien incorrigible. Savez-vous ce que nous devrions faire ?

Il ménagea son suspens avant de reprendre
-Ajouter un peu d’opium dans l’encensoir ou le vin.

Ses yeux brillaient de malice à l’idée de voir tous ces dévots communier avec Dieu. La présence de Dieu ? Pour sûr ils allaient la ressentir…

Thierry buvait une gorgée de vin, qui lui paraissait amère, en écoutant Coldris renchérir à son crachat et ses allusions à la nature perverse de Dieu. Il haussa les épaules.

"Toutes les putes ne sont pas bonnes à baiser, mon ami. Il y en a des moches, parfois. Et si vous voulez mon opinion, Dieu doit être une pute absolument hideuse. Une sorte de grand-mère acariâtre."

lls en vinrent heureusement à un sujet bien plus intéressant : celui de cette fameuse réforme dont leurs esprits s'enivraient depuis plusieurs mois maintenant. Une excellente idée née un merveilleux bordel. Celui qui avait dit que les voies de Dieu étaient impénétrables ne s'était pas tant trompé. Il posa son verre, résolu à avoir l'esprit clair pour cette conversation. Le prêtre fournit une série de noms importants qui aiderait le ministre à asseoir le grand projet. Son sourire étira et Thierry fit de même.

"Je peux vous entretenir de quelques faiblesses de l'autre camp."

Sans se faire prier, Thierry lui narra les handicaps de certains prélats qui se disaient bons catholiques mais qui cachaient une maîtresse dans quelque maison censée être sûre. Ou des bâtards à tel endroit. Au final, il donna presque une vingtaine de nom et les moyens de les tenir.

"J'espère, cher ami, que tout ceci pourra vous être utile."

La conversation redevint plus légère pour évoquer les frasques avec la dame Ménard. Thierry but une gorgée de vin en riant avec Coldris de sa bonne farce. Il faillit cependant s'étouffer à la proposition du ministre et lâcha sa coupe qui se renversa au sol.

"Ah ah ah ! mais vous êtes merveilleux vous aussi, mon cher ami ! Quelle bonne plaisanterie que voilà ! Mais j'ai encore mieux ! Si nous faisions ceci un jour d'affluence ? Comme une grande fête ? Allons, allons... A toute hasard, pendant la messe de minuit, celle qui célèbre la Nativité du divin Christ !"

Il lâcha un puissant rire qui résonna jusqu'aux ogives puis se pencha pour reprendre sa coupe et la leva.

"Buvez ! Buvez ! Ceci est mon sang !"

Il pouffa et ajouta entre deux rires.

"Mais il y aura bien miuex que du sang !"